citron et pellicule de cinéma

The Lemon Adaptation Club est un podcast d’Anxious Cat, alias Océane. Il est spécialisé dans l’analyse de films adaptés principalement de livres ou nouvelles, mais pas que!
Passionnée par ailleurs de comics, Océane s’entoure de différentes invité-es à chaque émission.
Elle nous livre les secrets de la création de son podcast!

Au centre du citron Lemon Adaptation Club

Peux tu présenter ton podcast?

Mon podcast est le Lemon Adaptation Club. Il se consacre aux adaptations que les mediums s’accordent.
Evidemment il y a la base où un roman est adapté en film ou en série. Mais il y a aussi des musicals adaptés au cinéma, des films adaptés en séries, des franchises de jouets qui passent également au cinéma ou à la télévision…
Même des attractions de Disneyland deviennent des blockbusters ! C’est un terrain vaste, offrant beaucoup de possibilités, parce qu’Hollywood et l’industrie ont sans cesse besoin de chair fraîche.

Et vu que l’on me demande pourquoi la raison du citron dans le nom du podcast : c’est mon agrume préféré. Il m’évoque la fraicheur, la bonne humeur et l’optimisme (et puis c’est super bon).

Quelle est la genèse de Lemon Adaptation Club?

L’histoire de la création de mon podcast est… alcoolisée.
En septembre 2018, je sortais d’une expérience sur un autre podcast que j’avais hosté pendant 6 mois. Ca s’était mal terminé avec l’un des membres, même si aujourd’hui la hache de guerre est enterrée.

Un soir où j’étais dans un bar avec des amis, mon copain me voyait affectée par la situation. Il m’a posé une question toute simple : « Si tu voulais podcaster sur un sujet demain, ce serait lequel ? ». Je lui ai répondu avec un film que j’avais beaucoup aimé. Mais qui n’avait pas grand-chose à voir avec le roman initial et ça m’avait frustrée.
Partant de là, et avec quelques verres de vin pour me motiver, des idées de sujets me sont venues petit à petit.
Le lendemain, j’en parlais à des ami.e.s, et ils m’ont encouragée à développer ce projet.

J’ai enregistré en novembre 2018 le pilote sur Game of Thrones avec le matériel audio de mon ancienne colocataire, qu’on entend dans le pilote avec une autre amie.

Ensuite, malgré quelques couacs d’organisation dû à mon ancien travail qui me laissait peu d’énergie, c’est progressivement devenu un podcast mensuel.

En termes d’organisation c’est simple. On enregistre soit en présentiel chez moi, soit via Skype quand des intervenant.es ne sont pas sur Paris.

Mon copain monte le podcast, j’y apporte quelques remarques et touches. Je mets ça en ligne généralement le dimanche, mon jour fétiche.

Le logo et la charte visuelle du podcat ont été réalisés par mon ami Dananja (@CribeTonite sur Twitter).
Quant au futur générique qui arrivera en septembre, il sera signé Benjamin qui a d’ailleurs participé à plusieurs épisodes. Et récemment, mon amie Lucie a designé les vignettes pour créer une identité visuelle d’épisodes en épisodes.
Là encore il y a un esprit amical et c’est typiquement ce que j’apprécie. Ce podcast ne se construit pas tout seul. C’est un club où tout le monde peut avoir son mot à dire.

Comment sélectionnes tu tes invité-es?

J’ai une chance incroyable, qui est de connaître beaucoup de blogueurs, journalistes, depuis que j’écris dans la blogosphère ciné/séries (fin 2012). Du coup, j’ai une bonne idée en général de qui inviter selon leurs goûts et leurs expertises.

Mon but malgré tout n’est pas d’inviter que des journalistes mais aussi des fans, tout simplement. Et ce peu importe leurs années d’expérience devant un micro. Ce sont en général d’eux que viennent mes analyses et mes moments préférés parce qu’il y a déjà une complicité entre nous, vu qu’on se connait et qu’on est déjà ami.es. Ca crée d’emblée une bonne humeur et non un climat académique. Mon podcast doit rester personnel malgré tout. Les thématiques dont je parle (féminisme, représentation, politique… entre autres), elles touchent au cœur de ce qui me préoccupe.

Parfois, il arrive que je doive lancer des appels à participation, notamment via Twitter. Malheureusement ça m’arrive beaucoup trop de galérer à trouver des intervenantes féminines ou non-binaires. Alors que depuis maintenant un an, je souhaite avoir, à défaut de plateaux 100% féminins, un minimum de parité autour de moi. J’ai adoré faire les épisodes sur la franchise Lego, Mars Attacks ou Fight Club. Mais j’aurais voulu une parole féminine supplémentaire avec moi, même si globalement je sais éviter les pièges du débat de la seule fille face à la bande de mecs qui n’est pas d’accord avec elle. Je me suis retrouvée trop souvent en position d’infériorité pour revivre cette situation.

Pour le moment,( à l’exception d’une personne avec laquelle j’ai réalisé que je n’avais pas les mêmes valeurs avant d’enregistrer avec elle), je n’ai sollicité que des femmes avec lesquelles le feeling est très bien passé. Dans le cadre de Rutile, une autrice qui a été mon binôme féminin sur le hors-série Alan Moore. C’est même une rencontre fructueuse et enrichissante, puisqu’elle viendra parler de Mademoiselle de Park Chan-Wook bientôt avec moi.

Combien de temps de préparation pour la création d’un podcat Lemon Adaptation Club? (écriture, recherches, enregistrement, montage…)

Selon le contenu d’un podcast et son format, le temps de préparation peut varier.

Par exemple, pour Mars Attacks, c’est simple : il existe le film de Tim Burton, mais aussi le jeu de cartes qui l’a inspiré. J’ai commandé un livre qui retraçait leur histoire, mais c’était relativement rapide à lire. En 2-3 jours, en plus des articles autour et peut-être un ou deux autres films de sa filmographie, (je préparais à ce moment-là ma participation au Blockbusters de France Inter consacré à Burton), c’était vite fait.

En revanche, pour d’autres épisodes, ça prend plus de temps. Il faut que j’ai le temps de préparer l’émission, mais aussi pour que l’ensemble des invité.es aient le temps de le faire. Les hors-séries, je les annonce très longtemps en avance, pour que tout le monde puisse se préparer dans les délais nécessaires. J’ai annoncé le hors-série Harry Potter début 2020 pour fin 2020, non seulement pour en informer les gens. Mais aussi pour que je puisse relire les 7 livres, revoir les 8 films, peut-être rejouer aux jeux vidéos… Bref, le genre de grosse œuvre qui ne se déguste pas en une semaine !

C’est vraiment la manière dont je voyais les femmes représentées qui m’a mise en colère et m’a donné envie de lire plus de contenu écrit et mettant en scène des femmes

Quant au montage c’est complètement aléatoire. Qand tout se passe bien, c’est fait en un après-midi.

Quand tout se passe mal, ça peut prendre jusqu’à une semaine pour régler tous les couacs techniques que l’on rencontre. C’est l’étape la plus stressante de mon podcast à chaque fois. Je ne sais jamais à quelle sauce je vais être mangée avec mon logiciel et mon matériel…

Lemon Adaptation Club et vision de l’écriture

Peux tu expliquer la différence entre écrivain-e/scénariste?

Un écrivain officie sur le médium du livre. De fait, la narration qu’il utilise, n’est pas la même que celle d’un scénariste qui travaille, lui, sur plusieurs autres médiums (jeu vidéo, séries, cinéma, et j’en passe…).
En soit, un écrivain peut très bien être scénariste, comme Gillian Flynn, l’autrice de Gone Girl. Elle commence à écrire des choses intéressantes pour le cinéma et la télévision. Et à l’inverse, bien sûr, un scénariste peut écrire des romans, comme Suzanne Collins, l’autrice d’Hunger Games.

D’ailleurs, dès que l’on sait qu’elle est une scénariste de formation. Ca se ressent tellement dans son écriture que le récit devient presque trop fonctionnel. Les livres que les scénaristes écrivent, ce sont des livres prêts à être adaptés à la moindre indication près. C’est pratique, c’est parfois de très grande qualité, bien sûr, mais ça tue un peu l’imagination…

Peux tu définir ce qu’est une adaptation d’un livre au cinéma? Et qu’est ce qu’une bonne adaptation pour toi?

L’adaptation d’un livre est encadrée par la loi. Il faut acheter les droits de l’oeuvre initiale à son auteur et sa maison d’édition. Ces droits durent pendant un temps précis. Quand on arrive à terme et que rien n’est fait, l’option posée sur le livre est annulée. Il y a donc intérêt, à vite se bouger et trouver les financements, le casting, l’équipe technique, les producteurs…

Canal + avait diffusé un excellent documentaire sur le sujet, intitulé Mon film est un roman, en 2011. Il revenait sur ce business juteux avec de très bons guests (Ian Kounen, Bret Easton Ellis, pour ne citer qu’eux). J’invite les gens qui nous lisent et que ça intéresserait de retourner le Web pour retrouver ce docu !

Quant à ce qui fait d’une adaptation qu’elle est bonne, c’est compliqué. Je fais toujours passer la qualité du film en premier avant de me demander si c’est une bonne adaptation ou pas.
Mais je dirais que si la structure, les personnages et le ton du film correspondent aux livres, c’est déjà pas mal.
En tout cas, personne ne sera aussi sévère sur des adaptations de livres qu’Alan Moore. Il renie absolument tout ce qui a été adapté de son travail, depuis les échecs monstrueux de From Hell et La Ligue des Gentlemen Extraordinaires.

As tu déjà vu un film avant de lire le livre? Que t’évoques la remarque qu’on entend souvent « le livre est mieux que le film »?

Très souvent, je me renseigne sur les adaptations à venir. Je m’organise en conséquence selon mon degré d’attente. Ce n’est pas étonnant de me retrouver en train de dévorer à toute vitesse un pavé 2 jours avant la sortie d’un film. Comme je l’avais fait pour Sur la Route, de Jack Kerouac, en 2012. Récemment, j’ai refait ça avec The Boys, dont j’avais lu les comics signés Garth Ennis, quelques jours avant de me mettre à la série diffusée sur Amazon Prime Vidéo.

A la base, je voulais appeler mon podcast « The book is better » (« Le livre est meilleur » en français). Autant en référence à la réplique de Scott Pilgrim qu’à un goût pour la provocation. Finalement j’ai abandonné, car je n’étais pas fan du ton que cela pouvait renvoyer. Et surtout, je ne parle pas que de livres dans le podcast.

Snyder est de droite. C’est un objectiviste, il suit la pensée controversée de la penseuse Ayn Rand. Au lieu de restituer la pensée de gauche de Moore, il a au contraire injecté toute son idéologie dans chaque image et chaque ralenti de Watchmen.

Dans 99% des cas, je trouve le livre initial meilleur que le film, ou la série qui en sort. Cela étant, le but d’une adaptation est de transférer une histoire d’un médium à l’autre. Il y a des raisons pour que tel ou tel passage soit coupé. Manque de budget, de temps, ou même, tout simplement, d’idéologie. Je reviens rapidement sur The Boys, mais l’adaptation d’Eric Kripke et Seth Rogen est dépourvue de beaucoup d’éléments vus comme sexistes et homophobes dans le comics. Ce n’est pas un mal, bien au contraire.

Watchmen

Tu peux aimer un film en n’aimant pas son adaptation. Ca doit être compliqué parfois de parvenir à se positionner vraiment sur un film?

Dans la lignée de ma réponse précédente, parfois, ce n’est pas facile d’apprécier une œuvre qui trahit éhontément le matériau de base.

Mon exemple fétiche est celui de Watchmen.
J’adore ce film. C’est pour moi l’aboutissement de la carrière de Zack Snyder. Et visuellement le film résiste bien au temps, que ce soit pour les CGI, la bande-son, l’histoire…
Mais j’adore aussi Watchmen, la BD, c’est mon œuvre préférée d’Alan Moore. Et Watchmen, c’est sacrément politique. Ca interroge le sexisme, le grooming (Doctor Manhattan, c’est Dieu qui drague une ado de 17 ans devant sa femme). Mais aussi la toute-puissance américaine, le besoin de l’armement, la figure fascisante du super-héros… C’est résolument de gauche, comme son auteur.
Mais Snyder est de droite. C’est un objectiviste, il suit la pensée controversée de la penseuse Ayn Rand. Au lieu de restituer la pensée de gauche de Moore, il a au contraire injecté toute son idéologie dans chaque image et chaque ralenti du film. On se retrouve avec un propos final sur la place de Dieu complètement changée, une charge politique complètement différente…
Snyder a aimé les images de la BD comme tout le monde, mais il n’a pas lu le propos. Avec son adaptation, il a réécrit ce qu’il y avait dans les bulles de la BD. C’est un sacré casse-tête à disséquer…

Tu proposes des analyses croisées comme Social Network et Steve Jobs écrits par le même scénariste. Comment sélectionnes tu des films qui peuvent être en apparence différents pour faire une analyse croisée?

Pour The Social Network et Steve Jobs, c’était un coup de chance que les deux films aient été écrits par Aaron Sorkin. Ca aurait même pu être encore plus croisé vu que David Fincher a failli réaliser Steve Jobs, mais ça ne s’est pas fait.

L’analyse croisée est encore un format tout neuf de mon podcast. J’essaye de croiser des œuvres qui se complètement thématiquement, ou alors, qui ont un facteur (scénariste, acteur, réalisateur, histoire…) en commun. Le matériau de base aussi, peut être déterminant, avec par exemple des articles de presse adaptés en biopics.

Je sais déjà que le prochain épisode de ce format, parlera de films réalisés par des femmes et mettant en scène des femmes dans des situations hors-la-loi. Alors que selon les deux faits-divers, leur milieu social et leurs motivations sont totalement différentes.

Que peut contenir un livre qui deviendra facilement cinématographique?

Je pense qu’il n’y a pas d’ingrédients magiques qui peuvent faire qu’un livre peut donner une bonne adaptation. Les personnages restent importants bien sûr, mais aussi le world building autour. Ca c’est peut-être le plus important pour moi. Même si un roman n’est pas bien écrit, il suffit que le monde dans lequel il se déroule, fictif ou réel, soit bien décrit, pour que j’aie envie de voir quelque chose adapté de cela. Et oui, je pense fort à Harry Potter en disant ça.

Penses tu qu’une bio (livre ou film) doit être fidèle au personnage ou est ce plus pertinent/intéressant qu’un cinéaste/écrivain livre sa vision du personnage?

Je vais reprendre ce qu’Aaron Sorkin dit dans le making-off de Steve Jobs.

« Ce qu’on demande à un journaliste, c’est l’objectivité des faits. Moi je suis un scénariste, et ce qu’on demande à un scénariste, c’est sa subjectivité. »

Tout est dit pour moi. Un biopic n’est pas un reportage ni un documentaire. Malgré tous les disclaimers du monde sur les « faits réels », ça reste des objets de fiction romantisés.
Steve Jobs qui dit à sa fille « Je vais mettre toutes tes chansons dans ta poche », c’est sublime, mais ce n’est pas la réalité ! Et c’est pour ça que la patte Sorkin fonctionne en grande partie malgré quelques défauts. Jobs est totalement son style de personnages. Idem pour Zuckerberg, malgré quelques inquiétudes le concernant, et qui se ressentent dans son script.

Je préfère largement qu’un réalisateur s’empare d’une figure pour en livrer une interprétation toute personnelle, plutôt qu’une hagiographie qui ne prend aucun défaut en compte.

Mon biopic préféré, à ce titre, c’est Control, d’Anton Corbijn. Le film revient sur la brève existence de Ian Curtis, le chanteur de Joy Division. C’est filmé en noir et blanc, avec un dispositif minimaliste qui respire le spleen.. Et ça a beau être adapté des mémoires de sa veuve, ça raconte malgré tout quelque chose de fictionnel qui est extrêmement fort.

Idem pour I’m not There, de Todd Haynes, qui raconte à travers plusieurs acteurs la vie de Bob Dylan. Au casting, des acteurs blancs bien sûr, mais aussi un petit garçon noir, et Cate Blanchett… Tous ces gens jouent Dylan, pourtant ils ne lui ressemblent pas. Mais c’est le film définitif sur lui. D’où mon scepticisme face au prochain biopic de James Mangold, pourtant un excellent faiseur.

Control

Le film qui combine la pire adaptation et le meilleur film?

J’ai parlé de Watchmen tout à l’heure, mais ma palme revient à L’Etrange Histoire de Benjamin Button. C’est mon deuxième film de David Fincher préféré, derrière The Social Network.

Mais si ce n’est le concept de vieillir à l’envers, le film n’a rien à voir avec la nouvelle de Francis Scott Fitzgerald. Ca a été une douche froide de lire le court texte de ce qui est mon auteur préféré. Les situations, les personnages détestables… Pour rien au monde je ne relirai la nouvelle. Alors que le film fait partie de mes rewatchs annuels tellement je le trouve riche, beau, émouvant…

Et c’est là que le film est un excellent exemple de comment un texte peut être réapproprié de manière intelligente, malgré une narration complètement différente. Benjamin Button est la thérapie filmique de Fincher après le décès de son père. Ca se ressent, il ne figure d’ailleurs pas en bonne place dans les tops de sa filmo parce qu’il est à part. Je penserai beaucoup à ce film en découvrant Mank, prévu pour octobre sur Netflix, parce que c’est un scénario écrit par son père et que Fincher a longtemps voulu porter à l’écran. C’est un geste magnifique.

La question du genre

La littérature et le cinéma sont comme beaucoup d’autres arts, dominés par les hommes depuis leurs origines. Que penses tu de la situation actuelle? Les minorités en général et les femmes ont elle plus de place? 

Je ne sais pas si les femmes et les autres minorités sont davantage vues. J’ose espérer que oui. Même si c’est rare, voir un film sublime comme Moonlight, gagner aux Oscars face à des mastodontes représentant le vieil Hollywood comme La La Land (que j’adore aussi!), c’est un sacré symbole.

Je pense surtout, qu’on assiste à une fracture entre deux mondes. Et loin de moi l’idée de diaboliser le « camp d’en face », mais j’ai le sentiment très frustrant que toute l’ancienne vague ne veut pas accepter l’idée qu’il y existe des regards différents de ceux qu’ils connaissent et vénèrent.
Notamment des regards qui se passent d’un quelconque jugement patriarcal parce qu’ils sont féminins, et queers. Je vois très peu de remises en question des problèmes que le cinéma et l’industrie ont sciemment mis en scène, sans qu’il n’y ait de soucis jusqu’à présent.

Le cas Autant en Emporte le Vent le montre bien. Il y a encore des monuments qu’il semble impossible de toucher mais au nom de quoi, exactement ? Comment peut-on espérer un changement de mentalités si l’on se met des oeillères face à ce que notre histoire a pu produire de potentiellement problématique ?
J’en parlais dans un bref thread Twitter, mais j’ai l’impression que le public se sent touché personnellement dès qu’on pointe le racisme, l’homophobie, le sexisme d’une œuvre. Alors que non, aimer un film avec des personnages sexistes ne fait pas de nous quelqu’un d’automatiquement sexiste. Aimer un film de droite ne fait pas de nous quelqu’un ayant des opinions de droite. Je pense même au contraire qu’accepter les faiblesses d’une œuvre permet plus de recul et une meilleure appréciation.

Ce qui fait qu’un film peut être féministe serait une implication féministe à tous les niveaux

La responsabilité d’une plus grande diversité est triple, à mes yeux.

Il faut que la production soit diversifiée, afin de garantir une plus grande variété d’histoires. Et qu’on ne vienne pas me dire que c’est une question de talent alors que plein de gens médiocres sont à leurs mêmes places depuis 30 ans !

Il faut aussi plus de réalisateurs, de scénaristes, d’acteurs, issus de la diversité. Pour le dernier film Hellboy, Ed Skrein a décliné le rôle d’un personnage décrit comme coréen dans les comics. Il refusait de participer au white-washing du casting. C’est aussi aux acteurs de prendre leurs responsabilités. De ne pas prendre les rôles qui reviennent aux acteurs noirs, asiatiques, latinx, etc. Même chose pour les acteurs cisgenres qui prennent la place des acteurs trans d’ailleurs…

Enfin, il y a la place des critiques qui jouent un rôle plus que jamais crucial. C’est aux rédactions aussi de faire un effort d’inclusivité. Il n’y a pas de mystère. Plus il y a de diversité, plus il y a de points de vue différents, présents pour déconstruire. Et trouver des forces insoupçonnées à des oeuvres mal reçues en leur temps.
On a mis 20 ans à comprendre que Matrix était une grande œuvre sur la transidentité et la dysphorie de genre. Pourtant, les Wachoswki vont entamer leur première décennie pleine en tant que femmes trans. La place donnée aux critiques trans a permis une plus grande compréhension de l’oeuvre. Ces personnes-là n’étaient pas engagées dans les rédactions il y a 20 ans.

Qu’est ce qui fait qu’un regard est sexiste sur un personnage féminin?

Enormément de choses peuvent jouer. Un personnage féminin peut avoir des attitudes sexistes, des tenues conçues dans le but de l’objectifier, et une mise en scène épousant cette objectification. Comme on peut le voir dans les Transformers de Michael Bay.
J’avais titré l’épisode de mon podcast consacré à la franchise « Mini-shorts Circuit », pour bien donner le ton de ce dont on allait parler. Parce qu’au bout de 5 films, c’était épuisant à regarder et à subir. Quand bien même les actrices en question n’ont pas de souci avec ça.

Accepter les faiblesses d’une œuvre permet plus de recul et une meilleure appréciation.

Il y a aussi, évidemment, des tropes d’écriture sexistes et paternalistes. Rendre un personnage féminin constamment hystérique, ce n’est pas lui apporter une épaisseur garantie comme pourrait le penser Aaron Sorkin. Idem pour le trope inventé par la célèbre autrice Gail Simone, celui de la « Women in Refregirator ».
Ce trope maudit et sexiste, tient son nom d’une compagne de Green Lantern, tuée pour l’affecter lui. Elle ? Juste un corps à tuer et une source de vengeance pour son conjoint. Ca avait choqué à l’époque, et aujourd’hui, de plus en plus de gens sont prompts à critiquer ce travers.
Mais ça n’empêche pas de grands réalisateurs d’y avoir encore recours. Même si je l’adore, j’aimerais que Christopher Nolan arrête de tuer les épouses de ses personnages pour leur donner du trauma et une motivation !

L’hypersexualisation et le slut shaming sont deux aspects qui peuvent entrer en conflit dans une histoire. Qu’est ce qui fait qu’un film est féministe selon toi?

Je pense que ce qui fait qu’un film peut être féministe serait une implication féministe à tous les niveaux. J’en parlais plus tôt mais il faut que toute la chaine de production du film soit sur la même longueur d’ondes. Elle doit laisser toute liberté aux créateurs et créatrices.

Cependant, ça ne garantit pas la qualité et/ou le succès dudit film. On le constate par exemple avec le dernier Charlie’s Angels. Je n’ai aucun doute sur l’engagement d’Elisabeth Banks et des actrices. Mais le résultat est catastrophique parce qu’il ratisse trop large en voulant subvertir des codes bien ancrés d’une saga, pourtant engoncée dans ce que j’appelle « la ligne grise du féminisme ». C’est une objectification très forte pour des personnages pourtant très émancipateurs. Il n’a rien à raconter de passionnant.

On a atteint l’âge où le féminisme pop ancré dans du «Feminism  101 », n’est plus assez. Il faut aller plus loin. Que ce soit dans la représentation des femmes, des couleurs de peau, des orientations sexuelles, de leur âge..
En cela je trouve que Birds of Prey est une tentative hyper-imparfaite mais salvatrice. Le regard de Cathy Yan est complètement décomplexé. Aucun « Oiseau » n’est soumis au regard des hommes, elles sont toutes en colère, frustrées, sous-estimées par rapport à leur potentiel. Chacune veut son émancipation.
C’est à mon sens des situations bien plus réalistes que d’autres blockbusters misant sur le gender-swap. Ils pensent que cela résoudra tous les problèmes des sagas de notre enfance qui se la jouaient 100% masculin avec une représentation féminine déplorable.

Roma

Cependant, à mes yeux, deux des plus grands films féministes de la décennie passée sont signés par un homme. L’un raconte l’histoire d’une astronaute qui tente de rentrer chez elle, l’autre est inspiré de la vie de la gouvernante de ce réalisateur quand il était enfant.
Ce sont deux portraits de femmes très différents. Ils sont bouleversants, dans ce qu’ils racontent de la résilience féminine et de la culpabilité dans deux contextes on-ne-peut-plus différents. Et j’avoue ne pas savoir si les intentions du réalisateur étaient féministes, ou si c’était « involontaire ».

Bref, regardez Gravity et Roma d’Alfonso Cuaron.

Comment t’es tu sensibilisée à la question féministe dans le cinéma?

Depuis toute petite, j’avais naturellement une attirance vers les personnages féminins de chaque œuvre que je consommais. J’écoutais les Spice Girls en jouant à mes Barbies. Mais c’était plus difficile quand je lisais des livres ou que je regardais des films, des séries… Je me voyais moins.
J’ai très vite baigné dans la culture super-héros avec les dessins animés du dimanche matin. Mon inclinaison n’allait pas vers Batman ou Superman, mais plutôt Loïs Lane, Catwoman. Et Hawkgirl dans la Justice League que je trouvais géniale, avec ce franc-parler que je n’avais entendu chez quasiment personne d’autre.

Je crois que le point de rupture a été Spider-Man et la trilogie de Sam Raimi. Je l’aime bien au demeurant, le 2 est d’ailleurs l’un des plus grands films de super-héros jamais fait.

Mais ce que j’y voyais, c’était un homme qui sauvait constamment ses deux love-interest de la mort pendant 3 films. Et je n’en pouvais plus de voir ces héroïnes aussi passives. Alors que Mary-Jane et Gwen sont toutes les deux intelligentes et talentueuses. Ca me frustrait de voir des femmes auxquelles je voulais m’identifier, être réduites à cela. Ma lecture des comics m’a encore plus rendue furieuse après-coup.

C’est vraiment la manière dont je voyais les femmes représentées qui m’a mise en colère. Ca m’a donné envie de lire plus de contenu écrit et mettant en scène des femmes. Puis d’écrire dessus avec mon regard de plus en plus affûté. Ensuite, mon militantisme s’est agrandi au contact de militantes, et des réseaux sociaux.

Il faut que la production soit diversifiée, afin de garantir une plus grande variété d’histoires. Et qu’on ne vienne pas me diree c’est une question de talent, alors que plein de gens médiocres sont à leurs mêmes places depuis 30 ans!

Quels podcasts ou chaînes youtube aimes tu suivre?

Concernant les podcasts que je recommande, voici ma petite liste :

  • Actioner, animé par David Balsamo, qui revient sur le genre du cinéma d’action à travers plein de prismes différents. Ca peut être sur des acteurs comme sur des réalisateurs, des franchises…
  • Outrider, animé par Thibault Claudel, dit « Republ33k ». C’est un podcast consacré à Star Wars qui décortique la franchise sous tous ses prismes. Même les plus inattendus (est-ce une saga de droite ou de gauche, la place des personnages féminins, les fan-fictions…).
  • Hommage Collatéral, animé par César Bastos. Ce sont des marathons à enregistrer, et ce sont des marathons à écouter. Mais ce sont surtout des puits de culture et le ton y est toujours très bienveillant et exhaustif.
  • Happy Hour, animé par les copains du site Cloneweb. En format mensuel, ils reviennent sur leurs coups de cœur pop-culture du mois écoulé.
  • Le Coin Pop d’Emmanuel Peudon. Ca parle ciné, séries, comics, dans des formats souvent très longs, mais toujours passionnants. Et pour qui a suivi la série Watchmen, je conseille sa petite sœur After Watchmen qui revient sur la série d’HBO.
  • Sounds Like Teen Spirit, consacré aux teen-movies. C’est encore assez récent donc n’hésitez pas à leur donner de la force.
  • Adapte-Moi si tu Peux, qui fonctionne sur le même modèle que le Lemon Adaptation Club. Si ce n’est que leur champ des possibilités s’arrête aux livres (ce qui est déjà énorme quand on voit l’état de nos Piles à Lire respectives).

Pour les chaines Youtube :

  • Cinéphile Facile, animée par Lucie Bellet qui revient dans des vidéos sur ses films coup de cœur. Sa vidéo sur le dernier Sciamma est un bijou.
  • La Manie du Cinéma est très ludique à regarder et ça vulgarise certains concepts de manière très pédagogique.
  • She Tout Court propose des formats courts et éducatifs sur des questions féministes et militantes, dans un univers très pop et coloré.
  • Demoiselles d’Horreur parle des figures féminines du cinéma d’horreur. Je la suis depuis le premier numéro sur Sleepy Hollow, c’était passionnant.
  • AlineAndOut sur sa chaîne Transément Vôtre évoque la transidentité ; son format Le Mur du Son revient également sur l’importance du son et du mixage sonore au cinéma.
  • Cinéma et Politique, mon dernier coup de cœur en date, et qui parle, eh bien, de cinéma, et de politique.

Un thé citronné avec Lemon Adaptation Club

Le livre que tu aimerais voir adapté?

Depuis l’instant où j’en ai lu la quatrième de couverture, je crois dur comme fer à une adaptation de Professeur d’Abstinence de Tom Perrotta. Et ça s’est confirmé après avoir terminé le bouquin.

Perrotta est l’auteur de Little Children, The Leftovers, Mrs Fletcher, qui ont déjà été adaptés. Professeur d’Abstinence, est l’histoire d’une bourgade américaine en plein bouleversement. Une prof divorcée a tenu des propos décomplexants sur la sexualité féminine dans son lycée. Ledit lycée envoie une jeune femme issue d’une association chrétienne prêcher la bonne parole de l’abstinence avant le mariage auprès des élèves. Forcément, des tensions se créent.

C’est absolument formidable. Ca questionne très bien l’hypocrisie et la bigoterie américaines autour de l’éducation sexuelle et du sexe en lui-même. J’ai déjà mon dream-cast qui serait composé de Carrie Coon, Kyle Chandler et Sydney Sweeney. Ce serait écrit par Perrotta (qui est un excellent scénariste ET excellent auteur, pour rebondir sur une question ci-dessus). Et réalisé par une femme, ça c’est non-négociable.

Le livre qui a connu trop d’adaptations?

De manière générale, tous les contes de fées ont eu bien trop d’adaptations. Cendrillon, La Belle au Bois Dormant, La Belle et la Bête… Un peu d’inventivité que diable ! Il existe tellement de contes et de folklores qui mériteraient de meilleures mises en avant. La 140ème adaptation de Cendrillon ne me fait ni chaud ni froid… Même si j’ai une secrète affection pour la version de Kenneth Branagh.

Selon toi, le film doit il être un reflet du livre, ou doit il au contraire partir de sa base et proposer quelque chose de différent?

Je pense qu’il faut un minimum de respect du matériau de base et des personnages. Mais à mes yeux, tout réside dans l’âme et la philosophie de l’adaptation.
Un choix progressiste en apparence (changer le genre, l’orientation sexuelle ou la couleur de peau d’un personnage pour plus d’inclusivité), peut vite se retourner contre l’oeuvre.

Par exemple, Bryan Fuller transforme Alan Bloom en Alana Bloom dans sa série Hannibal. Ca fonctionne, car le personnage apporte quelque chose à l’histoire indépendamment de son genre. Elle s’émancipe vite de Will et d’Hannibal pour entamer la romance lesbienne qu’elle mérite avec Margot.

Hannibal/Netflix

En revanche, Steven Moffat, dans sa série Dracula, transforme Van Helsing en femme. Il colle une relation amoureuse entre elle et Dracula, ça n’a aucun foutu sens. Ca ajoute une énième romance hétérosexuelle là où ça aurait pu enfin donner lieu à une grande romance gay entre Dracula et son pire ennemi. Zéro pertinence et pire, ça donne l’impression de ne pas accepter la largeur du spectre amoureux de Dracula.

Je trouve que ces deux exemples-là montrent que si quelque chose change d’un livre au film (ou à la série), il faut derrière que ça soit en béton. Ce n’est malheureusement pas le cas pour Moffat qui nous a souvent habitué-es au queer-baiting et au traitement misogyne de beaucoup de ses personnages féminins.

Je voudrais citer un dernier exemple plus politique, que l’on doit aux sœurs Wachowski. Dans Cloud Atlas, Somni-241 s’émancipe de sa condition d’esclave avec un membre de la résistance en place. Il la protège, ils tombent amoureux, il l’initie à la rébellion et lui fait découvrir la portée de son message pacifiste et de son influence.

Dans le roman de David Mitchell, Somni rencontre son amant lors d’un cours à l’université, et il finit par la trahir, révélant sa nature d’agent double à la solde du gouvernement en place.

En un seul personnage, les deux médiums ont révélé une profonde différence entre Mitchell et les Wachowski. L’un a fait du love-interest de son héroïne un traître qui tue Sonmi, les deux sœurs l’ont quant à lui érigé en héros très pur de la rébellion, mort pour la bonne cause.

Un seul détail peut faire basculer le ton d’une adaptation. Je suis #teamWachowski sur ce coup-là.

Combien de livres lis tu par mois? et de films?

J’essaie de lire, comics compris, entre 4 et 5 livres par mois, que ce soit pour le podcast ou mon plaisir personnel.

Pour les films ça varie, mais j’essaye de voir ou revoir entre 10 et 15 films par mois, sans compter ce que je vois en projections presse dans le cadre de mon activité de blogueuse cinéma.

Tes projets pour Lemon Adaptation Club?

Mes projets, c’est continuer le plus longtemps possible. Pour le moment le modèle du podcast me va, mais j’aimerais tenter et expérimenter des formats, des collaborations et cross-overs avec d’autres podcasts, ou même d’autres chaînes Youtube.

Dans le même esprit, j’espère que l’avenir me permettra d’inviter des gens que j’ai dans ma wish-list mais pour lesquels je n’ai pas encore trouvé LE sujet parfait. J’aime l’idée d’avoir des guests réguliers comme Anne-Pauline, Constance, Yasmina, Corentin, Renaud… Mais un peu de fraicheur permet de se confronter à d’autres points de vue.

J’aimerais aussi commencer à rémunérer mes intervenants parce que je me sens coupable de les inviter sans aucune contrepartie en retour, si ce n’est une tasse d’un excellent thé au citron. Ils livrent eux aussi un travail important, et doivent se déplacer jusque chez moi pour le faire, quand c’est en présentiel. C’est chronophage, et on a tendance à l’oublier. Pour ma part je ne demande jamais rien en retour quand je suis invitée quelque part, mais je réfléchis au moins à une gratification pour l’avenir.

C’est d’ailleurs pour cela, entre autres, que j’ai lancé un Tipeee pour mon podcast. Il permettra de m’acheter du meilleur matériel, et de produire des goodies ET des épisodes-bonus mensuels, qui financeront la documentation à acheter, l’abonnement aux plateformes de podcast, et à très long terme, la rémunération des invité.e.s.

Enfin, il faut que je relance les réseaux sociaux du podcast, que je délaisse à l’exception de Twitter, alors que ce sont de formidables outils de partage et de discussion avec les auditeurs.

Enfin, il faut que je relance les réseaux sociaux du podcast, que je délaisse à l’exception de Twitter, alors que ce sont de formidables outils de partage et de discussion avec les auditeurs.

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