Festival

Le Festival Court Métrange 2019 s’est déroulé du 9 au 20 octobre 2019. Il a réuni pas moins de 23 pays en compétition. 72 courts métrages ont ainsi été diffusés. Retour sur ce petit festival spécialisé sur les courts de genre, situé à Rennes, qui ne fait que grossir.

Cela fait plusieurs années que j’entends parler du Festival Court Métrange. Il se positionne sur une niche: le court métrage de genre. Il existe depuis 2003, et compte tenu de la richesse de la programmation, il ne cesse de grandir.
Je n’avais jamais pris le temps d’y aller. Mais cette année, Pascal Laugier, un de mes réalisateurs fétiches (Martyrs, Ghostland), était le Président du Jury. Une double raison de me déplacer cette année.

Court Métrange, le petit festival qui voit grand

Pour prendre la température d’un festival de cinéma qui m’est inconnu, la meilleure approche est d’aller à la conférence de presse.
Elle est organisée au café des Champs Libres de Rennes. Les Champs Libres est un lieu culturel multiple: bibliothèque, salle d’exposition, lieu de conférence…
Dès le début, je prends conscience que c’est un festival d’habitué-es: tout le monde se connaît, papote avant le début de la conférence, alors que nous sommes peu nombreux-ses (à peine une vingtaine je dirais). Et la (nouvelle) directrice du Festival constate également les têtes connues.

Ce que je retiendrai de la conférence de presse c’est la richesse du festival. Expositions, conférences, séances spéciales jeune publics, pitch dating, soirées longs métrages, partenariats avec le Conservatoire de Rennes, burger spécial pour le Festival…A peu près toutes les thématiques culturelles sont touchées.

Comme dans beaucoup de festivals, une thématique fil rouge est proposée. Cette année c’était le fantôme. A vrai dire, on le retrouve finalement peu: à travers quelques conférences, et la diffusion du grandiose A ghost story de David Lowery. C’est vraiment un outil pour aider à communiquer.

Soirée clôture Rennes

Court Métrange s’engage tout court

En tant que mère, je félicite particulièrement l’idée de s’adresser au jeune public. On pense souvent, à tort, que les enfants ne sont pas capables d’apprécier ou de recevoir ce cinéma. Cette approche permet de valoriser le cinéma de genre, mine de rien. C’est un parti pris encore peu vu.
Ainsi, une programmation primaire, collège, lycée est organisée. Et chaque section aura la chance de décerner un prix à l’un des courts.

Autre point positif: le cinéma d’animation est mélangé aux œuvres de fiction. Une manière assumée de montrer que le cinéma d’animation est un style comme un autre, et qu’il n’y a pas de raisons de le classifier à part. C’est un point commun que le cinéma de genre et d’animation ont: celui d’être considéré comme un genre mineur. L’un est dénigré généralement pour sa violence ou soi disant son manque d’intérêt, l’autre reste cantonné à un public enfantin.

Le cinéma d’animation est considéré au même titre que les autres courts

Le festival Court Métrange fait un effort particulier pour rendre son festival accessible aux personnes ayant un handicap. Ainsi, le Festival travaille avec Zanzan Films, dont l’objectif est de rendre la Culture accessible au mieux à tous-tes. Les cérémonies sont donc traduites en langues des signes, et un écran retranscrit ce qui se dit. De plus, le festival a conçu spécialement un programme Facile à Lire, pour les personnes ayant des difficultés de lecture.
Évidemment rien n’est parfait (café des Champs Libres reste petit donc compliqué d’avoir plusieurs fauteuils roulant, films ne sont pas tous en audio description, etc..), mais Court Métrange est un des rares festival à faire un réel effort. Et on sent que c’est une question qui leur importe.

Les courts en compétition

Pas facile d’organiser une compétition avec uniquement des courts métrages. Les 72 films ont été regroupés avec un titre: love on the beast, boulevard des allongées, débordements en tous genres..
Les courts sont mis à disposition en ligne pour la presse. Une chance pour moi qui n’habite pas à Rennes. Mais j’ai assisté à une projection spéciale pour la presse, en présence du jury. L’ensemble des séances étaient organisées au Gaumont. Des très bonnes conditions de projection.

J’ai toujours trouvé difficile d’enchaîner les courts métrages, à la suite. Les longueurs sont inégales, on ne sait jamais combien de temps on a pour rentre dans un film. Et à chaque fois, il faut se replonger dans une nouvelle histoire, esthétique, système de narration.
Pour ma part, j’ai classé les films (que j’ai vus), selon mon degré d’appréciation, tout simplement.

Ça n’est pas nécessaire

1-Morning Wormhole de Michael Vasquez

Un métrage d’animation expérimental. Ca n’a pas d’intérêt profond, si ce n’est tenter d’embarquer le-a spectateur-rice dans une spirale bruyante et colorée. On adhère ou pas. Ça n’a pas été mon cas.

2-Rémission de John Charter, USA

Aux allures de rois mages, avec des créatures qui ressemblent étrangement aux extra terrestres bedonnants du cinquième élément. C’est agréable à regarder, mais trop maladroit pour être pris au sérieux.

3-Fest de Nikita Diakur, Allemagne

Mêmes reproches que Morning Wormhole. Pas besoin d’en dire beaucoup plus tellement ça laisse perplexe.

4-Woe is me de Simon Cartwright, Royaume Uni

Beaucoup de bruit pour rien. Le dénouement est long alors on s’attend à une chute intéressante, en lien avec la thérapie du groupe qui est au cœur de l’histoire. Par ailleurs, les interprétations sont très pertinentes, on se sent vraiment en empathie avec les deux personnages principaux. Mais du coup la chute est tellement simple, voire hors propos (on doit s’accepter soi même ou pas?!), que le message est brouillé. Sans compter une incursion musicale un peu saugrenue.

5-Nyet! de Alex Helfrecht, Jörg Tittel, Royaume Uni

Le premier souci c’est que ce n’est pas un film de genre. Au mieux, un vague film dystopique rigolo. Mais on n’a pas peur, on ne voyage pas, on ne voit pas de sang. C’est une réflexion primaire sur les conséquences du Brexit.

6-A Estranha Casa na Bruma de Guilherme Daniel, Portugal

C’est le genre de métrage contemplatif, qui essaye de délivrer un message métaphysique. Le problème c’est que comme souvent dans ces cas là, on reste de marbre face à des personnages froids.

7-The Voorman problem de Mark Gill, Royaume Uni

Une histoire classique d’un psychologue qui tente de comprendre un détenu se prenant pour Dieu. Prévisible, interprétations hasardeuses, ce court n’éveille que peu d’intérêt.

8-Ce goût en bouche de Laura Passalacqua, France

J’aime beaucoup le style de dessin, et les couleurs chaudes qui tranchent avec l’aspect étrange des actions que l’on voit à l’écran. Un personnage entouré d’une géante. Mais c’est plus un enchaînement de séquences, qu’un métrage.

Ça se laisse regarder

1-Leuki de Julien Leconte, France

Film d’animation jouant sur les contrastes entre deux couleurs, Leuki narre les mésaventures d’un grand père. A la manière d’un personnage proche du héros de Là Haut, le court métrage s’avère être un bon divertissement. C’est propre, c’est simple.

2-La tête dans les orties de Paul Cabon, France

J’adhère peu à ce type de dessin, avec des traits vifs et brouillon, mais force est de constater qu’il est cohérent avec l’histoire. Le personnage est plongé dans une aventure dont on mesure mal les enjeux.

3-Re possessed homes de Matthew Evans Landry, Canada

Lors de la remise des prix, Pascal Laugier l’a affirmé haut et fort: il a détesté ce film. Un des autres jury avait précisé que Laugier n’aimait pas la comédie dans le cinéma de genre. En fait ce qu’il n’aime pas, c’est le prétexte de la comédie utilisée pour se moquer du genre. Et in fine, s’adresser (et plaire) à un public qui ne correspond pas au cinéma de genre.
Ce court est plutôt plaisant en termes de rythme et l’actrice principal nous emporte bien dans sa mission. Mais le film tourne vite en rond sur lui même.

4- Ça mouille de Alexis Godard, Nan Huang

Quand la cyprine permet la fertilité d’une terre et au final d’animaux étranges…Le côté positif est l’aspect audacieux du film. Il montre frontalement (même si c’est de l’animation), une vulve, un clitoris. Mais après on en fait quoi? Pas grand chose. Un divertissement qu’on oublie finalement vite.

5-Hopes de Raùl Monge, Espagne

Belle photographie, effets spéciaux plutôt réussis, avec un dénouement inattendu, Hopes se démarque. C’est sans compter sur le jeu approximatif des acteur-rices, et une conclusion maladroite. Par conséquent, on a du mal à se sentir concerné-e-s par cette petite fille à la rue, qui se lie avec une personne également sdf. Mais bel effort visuel.

4-Metamorphosis de Junfran Jacinto, Carla Pereira, France, Espagne

Un court métrage d’animation très réussi techniquement (stop motion). Les personnages sont attachants. Mais le court n’a pas éveillé ma curiosité. Trop classique dans son approche et son propos.

5-Next floor de Denis Villeneuve, France, Canada

J’ai trouvé ce métrage particulièrement maîtrisé techniquement. Et pour cause: il est réalisé par Denis Villeneuve…en 2008! J’avoue ne pas comprendre ce que fait un court métrage de Villeneuve datant d’il y a 10 ans, en compétition officielle…Et ce n’est pas pour le coup de pub parce que je n’ai lu/entendu aucune communication de Court Métrange à ce sujet.
Cette sorte de Grande Bouffe, amuse et répugne en même temps. Ici, c’est le poids des convives qui n’en finit plus de percer au fur et à mesure les plafonds et les sols.

6-Spoiler de Vgeny Kolyadintsev, Russie

Spoiler est très maladroit technique, on sent qu’il a été réalisé de façon très fragile. Le principe est simple mais efficace: une jeune femme seule chez elle (bonjour le cliché), reçoit des dessins, en dessous de sa porte. Et ces dessins prédisent ce qui arrive. Le court est suffisamment malin pour nous surprendre.

7-Ulises de Jorge Malpica, Mexique

Enfin un métrage qui parle de la vraie origine des sirènes, à savoir des êtres maléfiques usant de leurs cordes vocales pour noyer les marins. Il faut saluer les effets spéciaux qui sont très réussis pour un budget minimal. C’est plaisant mais on reste sur notre faim. Il reste très conventionnel dans la forme et les intentions.

8-Grand Bouquet de Nao Yoshigai, Japon

Ce court métrage m’a fait penser à une clip de Björk. Des effusions de fleurs, des branchages qui attaque une jeune femme symbolisant la naissance de la nature. Visuellement c’est maladroit mais ça tient à peu près la route. Narrativement il ne se passe pas grand chose.

9-Boy’s club de Troy Dewinne, USA

Dans un bunker sur fond de fin du monde causé par des monstres qui continuent de rôder, un jeune homme en manque de poupée gonflable risque sa vie. C’est bête (bonjour le cliché du mec obsédé), pas drôle, mais le monstre est particulièrement réussi, avec une petite tension qui fonctionne.

10-Snaggletooth de Colin Bishopp, USA

Une histoire de vampire classique. Photographie gothique appréciable, qui accompagne l’attente du spectateur-rice face à ce curieux rendez vous. Mais l’attente est longue comparée à la chute qui déçoit. Ce court a été présenté dans la sélection Collège.

11-Mémorable de Bruno Collet, France

Un très beau court métrage d’animation qui parle de la maladie d’Alzheimer, du point de vue du malade. C’est du stop motion, sous forme de sculpture. C’est joli, mélancolique et déstabilisant. Mais le tout manque d’émotions entre les personnages pour vraiment aller au bout de son concept.

Ça envoie du bois

1-Maw de Jasper Vrancken, Belgique

C’est ce court qui a obtenu le Grand Prix du Jury. Pas étonnant quand on voit la radicalité de Maw. Un homme sexuellement attiré par les monstres tente d’apprivoiser cette partie de lui. Il rencontre un homme dans le même cas que lui, qui va l’accompagner dans ce changement. C’est sombre, mais bienveillant malgré le sujet. On ne sent pas de jugement, du coup on entre totalement en empathie avec le personnage. Beau tour de force avec un sujet pareil.

2-Limbo de Daniel Viqueira, Espagne

Autre radicalité, mais plus en termes graphique. On suit le parcours d’un homme piégé dans sa maison avec des entités démoniaques. C’est prenant et fou.

3-The dreamers de Kenneth Karlstad, Norvège

Court métrage très très classique dans son genre. Une petite fille est victime de terreurs nocturnes et sa mère tente d’y faire face. Aucune originalité, mais dans la forme on s’y laisse prendre. Et c’est bien ce que je demande à ce type de cinéma de genre.

4-Bailaora de Rubin Stein, Espagne

Sûrement le plus abouti si on parle de mise en scène. En noir et blanc, Bailora a déjà été récompensé dans d’autres festivals. On accompagne un groupe de soldats, qui inspecte une église où sont réfugiés des enfants en temps de guerre. C’est surprenant, même si on sent que le réalisateur se regarde un peu. Et malgré quelques incohérences (pourquoi les soldats se mettent à faire des sons?!), on se laisse happer par cette ambiance étrange.

5-Jeu des enfants de Ekin Koca, France.

Mon court d’animation préféré. Il illustre l’épidémie dansante qui a eu lieu à Strasbourg en 1518. Le dessin est épuré mais superbe, avec des lignes en noir et blanc, nettes. Une ambiance délirante, qui fait penser à une épidémie de peste, progresse petit à petit.

6-Acide de Just Philippot, France

Une pluie acide s’abat sur une population. Au milieu de tout ça, une famille tente de se mettre à l’abri. Le pitch est simple mais il fallait y penser. Que feriez vous si du sang d’Alien tombait sur vous?
C’est prenant, bien rythmé. J’aurais bien aimé que ça continue..

L’étrange Palmarès

L’avantage c’est que la cérémonie de clôture de Court Métrange ne s’éternise pas. Seulement trois prix sont remis:

MAW de Jasper Vrancken remporte le prix le plus prestigieux, celui du Jury.
Pascal Laugier explique que le film a gagné l’adhésion du jury par sa proposition audacieuse.

LIMBO de Daniel Viqueira remporte Le Méliès d’argent, pour saluer sa radicalité et son approche originale des limbes.

ULISES du Mexicain Jorge Malpica décroche Le prix spécial.

Je suis plutôt en accord avec le palmarès, à part Ulises. J’y aurais plus un film comme Bailaora, qui, malgré ses longueurs (et sa prétention), est une vraie proposition visuelle, au service d’une histoire captivante.

Mon passage fût relativement rapide, mais ça a été un vrai plaisir de passer du temps à se concentrer sur des courts métrages. On a peu l’occasion d’en découvrir, et on se sent presque privilégié-e, car on découvre sans doute en avant première, des futurs noms du cinéma de genre? A l’image de Just Philippot, réalisateur d’Acide. Ce dernier fait parti des trois heureux bénéficiaires de la nouvelle aides du CNC, consacré au cinéma de genre. Hâte de découvrir La Nuée, son premier long.

Pour aller plus loin:

Article sur les conférences du Festival Court Métrange 2019