femme dehors

Si les personnes transgenres sont invisibilisées dans la société, le cinéma est passionné par les questions liées à la transidentité.
Et ce sont généralement des personnes cis (en accord avec leur genre attribué à la naissance), qui interprètent des rôles de personnes transgenres.
Cela parait anodin, et pourtant cela a de vraies répercussions sur les personnes transgenres et notre regard.

deux femmes transgenres dans la rue

La triste banalité de l’invisibilisation

De manière générale, les films sont dirigés et écrits par des personnes non concernées. Et qui ne consultent pas des personnes concernées.
Ce qui donne lieu à beaucoup d’oeuvres qui ne comprennent pas les enjeux de la transidentité. En plus d’invisibiliser les personnes dont ces films sont sensés raconter l’histoire. Avouez que c’est relativement dénué de sens.

A la manière d’un test de Bechdel, il existe le test de Vito Russo. C’est un militant LGBT qui a écrit The Celluloid Closet, en 1981, sur la représentation de l’homosexualité à Hollywood. Il démontre l’influence de cette industrie sur la perception portée sur la communauté LGBTQI+.
En s’appuyant sur cet ouvrage, l’association américaine Glaad, a créé le test Vito Russo, qui a liste 3 points à dépasser pour évaluer l’importance des personnages LGBTQI+ dans les séries ou films:

  1. Le film contient au moins un personnage LGBTQI+. Il n’est pas nécessaire qu’on le dise clairement (c’est même mieux), mais il ne peut pas y avoir de doutes.
  2. Le personnage ne doit pas être défini à travers ça, et surtout s’il y a plusieurs personnage, ils doivent être autant nuancés que ce qu’on peut attendre de personnages cis hétéro.
  3. Le personnage doit être intégré dans l’histoire de manière à rendre sa présence indispensable à la narration ou à la cohérence du film. Il ne sert donc pas uniquement pour servir un propos social, ou pour faire rire.

Si les personnes transgenres sont invisibilisées dans la société, le cinéma est passionné par les questions liées à la transidentité.

Il est déjà compliqué de trouver des films qui remplissent ces catégories, alors qui les dépassent…

homme noir turban

Le site Konbini a publié un article sur la polémique à Hollywood concernant les rôles de personnes transgenres qui ne sont pas joués par des personnes trans (Dallas Bayer Club, Danish Girl par exemple). L’article suscite incompréhensions, rejet. Le traditionnel « un-e acteur-rice devrait pouvoir tout jouer ». Décryptons pourquoi la question n’est pas là.

Entretien avec Roxane Gervais

Je ne suis pas directement concernée par les problématiques que rencontrent les personnes trans, j’ai souhaité donner la parole à une personne concernée, Roxane Gervais. Elle a accepté (pour mon plus grand plaisir), de répondre aux principales remarques entendues/lues quand on parle de la place des acteur.rice.s transgenres au cinéma.

Le but est d’expliquer pourquoi ce sujet est sensible pour les personnes trans. Mais aussi de sensibiliser les personnes qui ne connaissent pas ou peu les problématiques rencontrées par ces personnes.

1-« Un.e acteur.rice doit pouvoir tout jouer/jouer le rôle dont il a envie, c’est ça la comédie. »

Je suis bien d’accord ! Bien sûr, la liberté artistique permet de jouer qui l’on souhaite… Mais ce n’est pas la question en soi. On embauche jamais – ou extrêmement rarement – un homme cisgenre (= en accord avec son genre assigné à la naissance) pour jouer une femme cisgenre, ou l’inverse. Et faire ainsi, exclusivement dans le cas des personnes transgenres, perpétue l’idée que notre identité est un rôle, un costume que l’on peut enlever à volonté. Et c’est cette idée même qui pousse certains hommes, souvent après avoir eu des relations sexuelles avec des femmes trans, à nous tuer. Par crainte d’être vus comme des homosexuels, ils en viennent à la violence pour affirmer qu’il s’agissait d’une tromperie de notre part et qu’ils se sont vengés ou défendus.

2-« Au moins on parle de la condition des personnes trans, c’est un bon début. »

Alors, déjà, on parle d’un certain type de condition. Très souvent, les femmes trans représentées à l’écran sont des travailleuses du sexe. Certes, la précarité qui nous touche pousse nombre d’entre nous vers ces professions ; mais ce n’est pas non plus automatique, et l’on aimerait bien voir autre chose.
Ensuite, des films qui parlent de personnes trans, on en voit depuis longtemps maintenant. Dans les années 90, on a notamment eu The crying Game, Boys don’t cry ou Ma Vie en rose. Mais dès 1953, on avait Glen or Glenda, réalisé par Ed Wood. Ce n’est pas un sujet récent ! Le “bon début” commence à être un peu long, il est peut-être temps de passer à la suite, vous ne croyez pas ?

femme claquant des doigts

3-« Mais l’acteur.rice cis (donc non trans), livre une sacrée performance!/ Le film a eu du succès/ Le film a été récompensé. »

La différence est que l’acteur va interpréter la transidentité. Il s’agit pleinement d’un rôle. Il n’y a qu’à voir Eddie Redmayne dans The danish Girl : cet homme, très bon acteur par ailleurs, joue une Lili Elbe éthérée, sans grande profondeur en soi ; aussi crédible soit-il en tant que femme, la personnalité manque de complexité à mon sens.

Une femme trans n’aurait pas eu à jouer son identité, et aurait pu se concentrer sur le caractère en soi, livrant ainsi un jeu plus subtil.

Quant aux récompenses, remettre un prix du “meilleur acteur” (best male actor) pour un rôle féminin est assez significatif, je trouve. De plus, quand on voit la proportion d’acteurs et actrices noires récompensées comparé à la proportion de rôles, on réalise qu’il s’agit là d’un choix au moins autant politique qu’artistique.

4-« Attendez d’avoir vu le film avant de juger »

Aller voir un film ou non est également un choix politique. Il s’agit de dire que cinéma on veut voir par la suite, celui que l’on veut financer par nos achats de place. Je n’ai pas voulu acheter de places pour Gods of Egypt parce que ce film pratique le whitewashing. Ou pour Alice, de l’autre côté du miroir alors que le producteur et acteur Johnny Depp est accusé de violences conjugales. Ce sont des positions politiques. Aller voir ou non The Danish Girl l’est tout autant.

5-« Il n’y a pas/peu d’acteur.rice.s trans »

Laverne Cox. Stella Rocha. Jamie Clayton. Jen Richards. Janet Mock. Je ne sors que les actrices qui me viennent de tête, sans réfléchir. Et toutes ces personnes ont réellement commencé leur carrière récemment !

Ce n’est pas que nous sommes peu, c’est que l’on ne nous laisse que peu la place d’exister, notamment dans ce métier. Depuis le début d’Orange is the new black, Laverne Cox – quasi inconnue auparavant – fait des plateaux TV dans le monde entier, uniquement car elle a réussi à percer dans un secteur autrefois bouché. Si vous nous laissez la place pour exprimer nos talents, croyez-moi, vous aurez de belles surprises !

femme en prison

6-« Faut pas enfermer non plus les acteur.rice.s trans dans des rôles de personnes trans »

Saviez-vous que dans The danish Girl, justement, il y a une actrice trans ? Qui joue un tout petit rôle, juste une scène, sans que son identité de genre ne soit mentionnée. Elle n’a pas été cantonnée à un rôle de personne trans : elle a été effacée en tant que personne trans, n’étant présente que pour servir de caution trans-friendly à la production.

Il ne s’agit pas de nous y cantonner ! Il s’agit de nous laisser la possibilité de jouer, de montrer que l’on existe. Dirions-nous qu’il ne faut pas “cantonner les acteur.rice.s noir.e.s dans des rôles de personnes noir.e.s” ? Le blackface a existé. Ce n’est plus le cas ; le transface existe en revanche toujours.

7-« Oui mais on sait pourquoi ce sont des acteur.rice.s cis qui ont été choisi.e.s, ce sont des célébrités qui vont ramener du public »

Depuis quand le cinéma ne fait-il pas de place à des anonymes ? Est-ce qu’on aurait dû rejeter Jamie Lee Curtis pour le premier Halloween ?

Oui, bien sûr qu’un Matt Bomer ou un Eddie Redmayne sont, comme l’on dit, bankable. Mais voulez-vous vraiment un cinéma se concentrant sur le succès ? Ou préférez-vous celui qui vise la qualité ? Chercher des excuses aux productions qui desservent tant le public général que les minorités, ne me semble pas une stratégie très intéressante.

Hillary Swank était inconnue quand elle a interprété Brandon Teena dans Boys don’t cry. Comme quoi, engager une inconnue pour jouer un homme transgenre dans un film à succès ne semble pas un problème… à la condition qu’elle soit cisgenre.

femme blonde

Pourquoi il faut parler de personnes transgenres et pas de personnes transsexuelles?

Voilà une question assez complexe de prime abord qui va nécessiter des précisions de grammaire (ne fuyez pas, il n’y aura pas d’interro écrite à la fin.)

D’abord, la base du mot, “sexuel”, renvoie à la sexualité, et pas au sexe au sens d’appareil génital ; ce serait plutôt “sexué” : on parle de “reproduction sexuée”, mais de “personnes bisexuelles”, par exemple. Or, l’identité de genre n’a rien à voir avec l’orientation ! L’appellation est donc impropre.

De plus, il s’agit d’un terme employé par la psychiatrie et la psychanalyse ; cette dernière considère la transidentité comme une maladie mentale. Or, toutes les dernières études en date indiquent que ce n’est pas le cas.

Pourquoi alors ne pas parler de “transsexué.e” ? Tout simplement parce que c’est une question d’identité et non d’organes génitaux. Croire cela est une pensée essentialiste, qui tend à considérer que nous nous résumons à ces parties de notre anatomie. Or, ce n’est pas plus le cas que pour les personnes cisgenres. Que ce soit avec ou sans intervention chirurgicale, nous sommes transgenres et nous le restons.

Pour conclure, voici une liste de films et séries avec des acteur.rice.s trans:

Séries:

Orange is the new black,
Sense8,
Boy meets girls.

Films:

Wild Side de Sébastien Lifshitz,
Tangerine de Sean Baker,
Assassination Nation de Sam Levinson,
-Lola vers la mer de Laurent Micheli.

A noter que les deux derniers films ne font pas de la transidentité un sujet. Les actrices transgenres ne sont pas désignées comme telles, elles sont le personnage, point (et c’est rare pour le noter!).

Merci Roxane d’avoir pris le temps de répondre 🙂

Le sujet commence à faire son chemin petit à petit. Durant l’émission estivale que je vous recommande chaudement BlockBusters sur France Inter, Frederick Sigrist a eu une réflexion intéressante. La question n’était pas de savoir si les acteur-rice-s pouvaient tout jouer, mais pourquoi les personnes transgenres, elles, ne peuvent presque rien jouer?