
A l’occasion de la sortie de The Ugly Stepsister, Leo a rencontré sa réalisatrice Emilie Blichfeldt qui signe son premier film. Ses inspirations, son approche du tournage et le rapport au corps, elle a été très généreuse dans son échange !
Comment vous est venue l’idée de The Ugly Stepsister ?
C’est une drôle d’histoire. L’idée m’est venue alors que je faisais une sieste, la meilleure que je n’ai jamais faite. Je fais souvent des siestes pendant que je travaille. Je les appelle des “siestes créatives”. C’est un bon moyen pour laisser mon inconscient travailler. Ainsi, tout n’est pas si logique, si pragmatique. Cela permet de connecter les idées de manière plus organique.
Je travaillais sur un court métrage dont le sujet était une femme mesurant deux mètres avec des rondeurs et qui manquait de confiance en elle. Dans mon rêve, je la voyais en Cendrillon. Le prince arrivait et la chaussure était magiquement à la bonne taille. Cette si petite chaussure sur cette immense femme… Ils partaient ensuite vers le château. Sur le chemin, elle baisse le regard et observe ses pieds. Elle voit ses chaussures en sang. Et là, l’idée devient plus claire. Je ne suis pas Cendrillon. Je suis la demi-sœur qui a eu besoin de couper ses orteils pour enfiler la chaussure.
Au réveil, j’étais en choc parce que pour la première fois, je me suis identifiée à ce personnage pour lequel je n’avais eu aucune compassion par le passé. Mais j’ai ressenti exactement ce qu’elle a dû ressentir. J’étais elle. J’étais la demi-sœur. J’ai trouvé l’idée super. Je l’ai trouvé si bien qu’un long-métrage m’a paru bien plus adapté que le format court.

Quelles furent vos inspirations pour The Ugly Stepsister ?
Comme c’est un conte de fée qui prend ses racines dans le passé, j’ai fais pas mal de recherches sur les costumes, l’époque. En particulier sur les procédures de chirurgie cosmétique. J’ai choisi de placer mon film au XIXe siècle, une époque qui a vu de nombreuses évolutions sur cet aspect. Je me suis juste permise certaines libertés car il s’agit d’un conte de fée. Par exemple, le ver doit normalement sortir par le bas plutôt que par la bouche. Mais j’ai voulu être prévenante avec mon public (rire).
Un autre aspect génial avec la fin du XIXe siècle est que j’ai pu m’amuser avec les silhouettes des robes. Cendrillon porte une robe 1850 alors que les sœurs ont des robes à faux-culs façon 1880. C’est une façon subtile de montrer leur différence de classe. Cendrillon est “old money” et a un “bon goût” alors que les soeurs font partie des nouveaux riches et sont à l’affût des nouvelles tendances au point d’en devenir un peu “ridicules”. J’avais envie que lorsque les spectateurs regardent à nouveau la version de Disney, ils en aient une lecture différente suite au visionnage de mon film.
Je vois aussi un peu de misogynie dans cette comparaison (ndlr avec The Substance). Il n’y a de la place que pour un film de femme sur un sujet en particulier, alors que les hommes peuvent faire plusieurs fois les même film sans que ce soit un problème
J’ai aussi beaucoup été inspirée par les films de contes de fée d’Europe de l’Est, particulièrement ceux des années 70. Ils sont en général tournés en lumière naturelle, dans de vrais décors avec de vrais corps à cause d’un budget en général très mince. Et pourtant les costumes sont sublimes et les effets incroyables. Ils arrivent à retranscrire cette étrangeté émanant des contes de fée. Je voulais contraster avec l’aspect trop brillant, très “plastique” du Disney. Surtout que The Ugly Stepsister est un film de body horror. Je voulais que l’audience ressente cet aspect organique. Comme s’il s’agissait d’un univers parallèle au nôtre avec de véritables personnes qui l’habitent.
Je voulais donner à The Ugly Stepsister une impression d’intemporalité. Effectivement, le film se passe au XIXe siècle mais vu sous le prisme des années 1970 pour rendre plus nébuleuse l’époque à laquelle l’histoire se passe. La mise en beauté des personnages a été inspirée par les années 60/70. Je ne voulais pas qu’on ait l’impression de se trouver face à un film d’époque, mais je ne voulais pas non plus que le film fasse trop 2025. Ajouter cette petite pincée d’années 70 permet d’éviter cela.
Puisque nous parlons de l’esthétique de The Ugly Stepsister, qui est particulièrement importante. Pouvez-vous nous parler de votre relation avec votre chef opérateur (Marcel Zyskind) ? Ainsi qu’avec votre cheffe décoratrice (Sabine Hviid) ?
J’ai eu la chance de pouvoir travailler avec des personnes très créatives qui, en plus, n’en sont pas à leur premier essai. Ma plus grande leçon sur le tournage est l’importance de l’alchimie. Les gens peuvent avoir le meilleur CV du monde, s’il n’est pas possible de se comprendre, si nous ne sommes pas enthousiasmés par les mêmes choses, il n’est pas possible de travailler ensemble. J’ai eu vraiment beaucoup de chance de trouver une équipe passionnée par The Ugly Stepsister, qui voulait s’amuser et tenter des choses.

Pour ce qui est du chef opérateur, nous avons beaucoup préparé en amont. Tous les chefs de postes ont été humbles et ont accueilli gracieusement ma vision du film, mes idées. À la fin, j’avais l’impression que nous ne formions plus qu’un seul grand cerveau.
Donc il y avait beaucoup d’alchimie ?
Oui mais aussi d’amusement. Je ne suis pas vraiment du type Wes Anderson. J’adore son travail mais je ne pourrais pas être autant dans le contrôle. J’aime les heureux accidents. J’aime la créativité qui émerge de la rencontre entre deux personnes. J’ai un peu le même type de relations avec mes acteurs et actrices. Je leur explique qu’ils en savent autant, voire plus que moi sur leur personnage. C’est leur corps qui joue cette personne. J’aime être surprise.
Il me semble qu’en Islande, ils appellent le réalisateur ou la réalisatrice, le maître du jeu et les acteurs et actrices, les joueurs ou joueuses. Je suis la personne qui rédige la notice du jeu mais ce sont elleux qui vont y jouer. C’est un peu la même chose avec les chef.fes de postes. Je ne suis pas capable de faire leur travail. C’est à eux de le faire. Moi, tout ce que je fais c’est mettre en place les règles. Et peut-être à la limite, leur demander de jouer légèrement différemment. Mais eux aussi peuvent me demander de changer un peu certaines règles en contrepartie.
J’aime beaucoup cette analogie. The Ugly Stepsister est votre premier long-métrage. Tourner un premier film peut-être une expérience difficile, plus particulièrement en tant que femme, et encore plus, en tant que femme qui fait de l’horreur. Comment avez-vous vécu cette expérience ?
Je profite des nombreuses réalisatrices qui sont venues avant moi. D’autant plus qu’en Norvège, nous avons beaucoup de chance car nous avons un système de quota grâce au Norwegian Film Institute. Ainsi, la réflexion autour de la question de genre ne se fait pas juste au niveau individuel mais aussi au niveau systémique. Cela habitue les gens à voir plus de femmes dans le paysage cinématographique. Les spectateurs ne sont plus étonnés de voir autant de femmes réalisatrices.
Nous sommes une génération de réalisatrices norvégiennes qui a pu devenir mère avant de faire un premier long et cela sans que cela pose problème. C’est du jamais vu. Il y a dix ans de cela, personne n’aurait pris au sérieux une jeune mère. Il était alors impossible d’avoir l’ambition de faire des films. Je suis reconnaissante envers les générations passées. Je ne souhaite pas être une femme à une autre époque que celle-ci.
Sur The Ugly Stepsister, j’ai pu travailler avec la meilleure des productrices en Norvège, Maria Ekerhovd qui a également travaillé sur Valeur Sentimentale, le dernier Joachim Trier qui est passé par Cannes. Elle est géniale, à la fois très cool et très douée. J’ai donc eu un entourage qui a cru en mon film dès le début.

Autre exemple, mon chef opérateur qui est danois avec des origines polonaises m’a traitée comme son égale, et ainsi toute son équipe, majoritairement polonaise, a fait pareil. L’équipe caméra qui devait être principalement française m’ouvrait la porte et était particulièrement galante avec moi. Au lieu d’être offusquée par ce comportement, je l’ai pris comme une marque de respect. Cela fait partie de leur culture. Ils ne le faisaient pas de manière condescendante. C’était juste une habitude. Ce n’était pas pour me rabaisser.
Le premier jour, le clappeur, qui est un sacré personnage, m’a fait la révérence et m’a appelé “Madame la directrice”. J’étais assez impressionnée car il s’agissait de mon premier film. Cela m’a flattée, un peu embarrassée, mais aussi détendue. Cela m’a fait sourire. Ils ont pu voir que je trouvais cela drôle et gentil. Le jour d’après, ils avaient écrit “Madame Directrice” avec des coeurs sur mon moniteur. C’était vraiment un acte gentil et respectueux.
Je pense qu’il est important de toujours s’adapter à la culture de l’autre, de ne pas imaginer que quelqu’un va se comporter de la même manière que soi. Il faut voir les gens pour ce qu’ils sont et ce qu’ils font. Je n’ai donc pas eu l’impression que le fait d’être une femme dans ce cas fut un problème.
Est-ce que vous aimez les films d’horreur ?
Il me semble. Surtout le body horror car l’horreur me fait, en fait, très peur.
Cela m’amène à ma prochaine question. Appréciez-vous l’horreur ou était-ce simplement pertinent pour l’histoire que vous souhaitiez raconter ?
J’ai une obsession pour le body horror. J’étais particulièrement heureuse lorsque j’ai réalisé que mon idée me permettait de faire un film de body horror.
Ce qui me plait dans le cinéma de genre, peu importe le genre, est son côté “boite à outils”. Je ne me considère pas comme une réalisatrice de films d’horreur ou de comédie. Je raconte une histoire et en fonction de celle-ci, j’utilise le genre, la boîte à outils la plus pertinente.
Du coup, quel est votre film de body horror préféré ?
C’est une question difficile. J’aime tout ce que fait Cronenberg. C’est un maître. Je suis aussi très fan de Grave de Julia Ducournau. C’est un vraiment un film exceptionnel, alors que je trouve Titane plus contrôlé, plus lourd. Je n’ai pas encore vu Alpha. Grave a ce petit quelque chose en plus que j’apprécie particulièrement.

J’aime aussi Existenz, Videodrome, La mouche, Faux semblants. Un peu tous ses films en fait.
En plus Julia Ducournau a ouvert tellement de portes pour les réalisatrices qui veulent faire ce type de film.
Oui. Je pense que certaines personnes ont un peu la vue courte et pensent face à The Ugly Stepsister que j’ai voulu faire un second The Substance alors que je n’ai pas pu le voir avant de faire mon film. Il est impossible pour moi de faire un film en moins d’un an.
Vous partagez (ndlr avec The Substance) le thème de la critique des normes de beauté qui est très actuel
Je comprends tout à fait la comparaison. D’autant plus que The Substance a ouvert la voie pour The Ugly Stepsister et a rendu le body horror grand public. Au départ, ma productrice ne voulait pas utiliser le terme “body horror” car cela aurait fait trop niche. Alors que maintenant c’est un mot qui est sur toutes les bouches.
Je vois aussi un peu de misogynie dans cette comparaison. Il n’y a de la place que pour un film de femme sur un sujet en particulier, alors que les hommes peuvent faire plusieurs fois les même film sans que ce soit un problème. Et nous avons en plus une approche très différente du sujet. Elle évoque la célébrité et le vieillissement, alors que je parle de tout autre chose dans The Ugly Stepsister.
Ceci dit, la comparaison est tout à fait valide. J’espère juste que les gens ne vont pas commencer à se demander lequel des deux films est le meilleur. Il faut laisser les deux films dire ce qu’ils ont à dire ensemble.

Je trouve cela super que les deux films sortent à la même période
Oui, qu’ils ouvrent la conversation !
Exactement. Il me semble que le sujet de la beauté était également au cœur de certains de vos courts métrages. Je n’ai malheureusement pas réussi à les voir. Est-ce un sujet important pour vous ?
L’idée m’est venue de mon subconscient mais j’étais déjà en train de travailler sur un court dont le sujet était similaire, Sarah’s Intimate Confessions, et mon premier court également.
S’il y a si peu de jeunes réalisateurs ou réalisatrices qui émergent et peuvent faire un premier long métrage, c’est que nous ne sommes pas tous des Xavier Dolan. Outre les difficultés pragmatiques, il n’est pas toujours simple d’être en contact avec ses idées quand on est jeune.
Lorsque j’étais toute jeune réalisatrice, je ne savais pas quelle pouvait être mon histoire. Pour mon premier court, How Do You Like My Hair ?, j’ai littéralement raconté mon histoire. Il y a quinze ans j’ai décidé d’arrêter de me raser. C’était en pleine quatrième vague du féminisme en Scandinavie. Nous pouvions trouver des femmes non rasées dans les magazines et il y avait tout une discussion autour du sujet. Cela n’a pas duré longtemps.
Ceci dit, je pense que plus de femmes ont continué à ne plus raser après cela. J’ai donc eu un coup d’un soir suite à cette décision, histoire que j’ai raconté à mes amis. Ils ont trouvé cette anecdote drôle. J’ai trouvé le fait d’en parler très libératoire et surtout j’ai apprécié le fait de me sentir vulnérable après.

Je me suis dit que c’était une bonne histoire à raconter comme une confession face caméra. J’ai joué mon propre rôle et je parlais à la caméra. J’ai ensuite joué la scène avec des acteurs. Face au résultat, c’était évident pour moi que j’avais trouvé mon histoire, à la fois intime, vraie et rassembleuse.
En général, on se sent seul et vulnérable face à nos complexes. Parce que cela touche à notre capacité à être aimé. Ai-je assez de valeur pour être aimé ? C’est une question si existentielle et si vulnérable que des grosses entreprises s’en sont emparé pour que l’on achète des produits de beauté. Que je préfère appeler des “produits d’apparences” parce qu’ils n’ont rien à voir avec la beauté. Ma beauté m’appartient, je ne veux pas l’acheter.
C’était un moment important pour moi. Je me suis rendu compte que j’avais tout un tas d’histoires à raconter sur le sujet et si je ne devais raconter que cela jusqu’à la fin, ce serait incroyable. Avec l’âge, je me suis aussi rendu compte que de nouvelles histoires me viennent plus facilement.
Effectivement, cette question est prépondérante dans le fait d’être femme et tant que je fais des films sur des femmes, cela risque d’en faire partie.
Pourriez-vous me parler du casting de vos actrices ?
C’était des castings tout à fait conventionnels. Les deux personnages principaux furent difficiles à trouver. Et pourtant dès que j’ai rencontré les deux actrices, ce fut évident. Elles étaient les personnages.
Lea (Myren) se donne la liberté d’être expressive. Je pensais trouver quelqu’un qui rencontre les mêmes problèmes que moi ou Elvira, mais Lea est en fait très libre dans son corps. Elle a grandi avec une mère féministe qui l’a éduquée sans ce regard contrôlant sur son corps. Elle est totalement libre et ne s’empêche pas de faire des choses folles et ne s’intéresse pas au qu’en dira-t-on. Elle est libre de montrer toutes ses émotions.

C’est génial d’avoir un tel modèle pour jouer Elvira, car si des gens décident de googler son nom, ils trouveront tout un tas de photos folles d’elle, de red carpet look très excentriques. Elle représente cet espoir pour la nouvelle génération.
Merci pour votre temps et cet entretien. J’espère le mieux pour la sortie du film!