homme qui court

Vincent semble mener une vie ordinaire mais tout bascule quand un jour il se fait agresser par un stagiaire au bureau. Sans raison apparente les gens l’attaquent et essaient de le tuer. Obligé de fuir quand le phénomène s’amplifie, il doit changer totalement de mode de vie. 

Dans le cadre du festival Absurde séance à Nantes, organisé au cinema le Katorza, nous avons eu l’occasion de découvrir en avant première un nouveau film de genre Français : Vincent doit mourir. Première réalisation de Stéphan Castang sur un scénario de Mathieu Naert. 

AVIS DE JEANNE

Une inspiration puisée dans les films de genre

L’ambiance de Vincent doit mourir, très inspiré du film de zombies nous plonge dans une ambiance apocalyptique qui n’est pas sans rappeler la récente pandémie. On retrouve beaucoup de références au film de zombie. Notamment avec une super scène de supermarché (qui fait un clin d’oeil à la figure de zombie comme une allégorie du capitalisme, comme dans Dawn of the dead et Black friday). Et une scène d’embouteillage de voitures sur une 2×2 voies, gros classique du scénario de film ou jeu de zombie (The walking dead, The last of us, World war Z, Zombie highway, …) 

Le film comporte beaucoup de références au cinema de Carpenter. On pense particulièrement à L’antre de la folie avec les accès de violences de masse, et quand John Trent se fait attaquer dans un restaurant. Le réalisateur expliquait d’ailleurs qu’il avait en tête la scène de bagarre nulle dans Invasion Los Angeles pour la scène ou Vincent se bat dans la « boue ». La bande son du film est aussi ponctuée de petites notes de synthé comme dans The thing (dum dum).

Quand Vincent quitte la ville, les plans de voiture son filmé par au-dessus comme dans The shining, évoquant l’isolement et l’horreur qu’il va subir tout comme la famille Torence. 

Un commentaire social intéressant 

Le personnage principal de Vincent doit mourir est graphiste, célibataire, un peu con sur les bords, bref sa vie ne semble pas exceptionnelle. Au début du film Vincent est beaucoup filmé en gros plan, le cadre très resserré sur sa tête exprime l’isolement du personnage. A partir du moment où il se fait attaquer par ses collègues il se passe plusieurs choses dans le fond et dans la forme du récit, qui révèlent un commentaire social intéressant. 

Vincent se fait culpabiliser par son psy, qui lui dit que c’est de sa faute si on l’attaque. A cause de sa posture de « victime » il demanderait à se faire agresser. On ne peut pas s’empêcher de faire un parallèle avec les agressions que subissent les femmes et comment elles sont culpabilisées ensuite (porter une jupe, sortir seule, boire, être trop sympa, ….). Dans le discours du film on voit bien que ce n’est pas normal que Vincent se fasse agresser alors qu’il ne l’a pas demandé. Et bien pour les femmes c’est pareil, cela ne devrait pas être normalisé.

Suite aux agressions commises à son encontre au bureau, Vincent se fait évincer de son travail. C’est plus simple de l’écarter lui parce qu’il gêne. Il est peu à peu isolé de ses proches et suite aux agressions quotidiennes qu’il subit, il doit fuir la vie capitaliste (plus de ville, plus de travail, plus de téléphone, plus de supermarchés,…). Il finit en quelque sorte déclassé socialement, c’est le propos qu’a voulu souligner le réalisateur.

Il se met à faire plus attention aux gens qui l’entourent, mais sans oser les regarder dans les yeux pour ne pas provoquer l’agression. C’est à ce moment là qu’il rencontre un homme qui à tout l’air d’un SDF selon les codes sociaux : il a une attitude voutée, il est sale, il vient taxer un sandwich, il a un chien. On apprend en fait que cet homme était prof à la fac il y a un an et que comme Vincent il a été subitement victimes de violences qui l’ont obligé à quitter sa vie. Le film fait un lien entre la trajectoire de Vincent qui est déclassé socialement, et ce professeur devenu clochard en un an seulement. 

Ce personnage paranoïaque encourage Vincent à communiquer, via un site internet de naturopathes complotistes chasseurs cueilleurs. Sans exprimer de jugement, le film fait écho à des dérives sectaires et à la hausse du complotisme, amplifiées depuis la crise Covid. 

La quête initiatique du personnage s’exprime par le cadrage également. Au fur et à mesure du film le cadre s’éloigne de la tête de Vincent pour nous montrer son buste, puis son corps entier (quand il se bat notamment). Et à la fin du film il est filmé comme s’il existait pleinement dans son environnement, accompagné d’autres corps.

Un peu d’amour

Vincent, célibataire au début du film, cherche des femmes de sa catégorie socioprofessionnelle  (ingénieure, cheffe de projet). Finalement dans son exil il rencontre une serveuse qui doit de l’argent à son dealer. On pourrait reprocher au scénario d’utiliser le cliché daté de la jeune fille en détresse, et qu’après son agression elle gratifie l’homme qui l’a sauvée avec du sexe (ce qui n’est pas du tout réaliste). Mais la scène de sexe où elle est menottée n’a rien de vulgaire ou de sexiste, donc bon point. 

Le film nous présente des personnages imparfaits, touchants, crus, et finalement beaux. C’est intéressant d’ailleurs le travail des corps, qui, loin de clichés américains ne sont pas optimisés pour le combat. Ce sont des gros, des vieux, des femmes, des enfants qui se battent, et la violence semble du coup plus proche du réel, plus crue, ce qui rend l’action plus prenante. 

Vincent doit mourir est aussi un film plein d’humour. Un humour de situation qui ne dérive jamais dans le potache, le beauf ou le sexisme. Beaucoup de scènes font rire de par leur décalage avec la situation sans que jamais le réalisateur appuie les moments comiques. J’ai beaucoup apprécié qu’il ne prenne pas son public de haut, et beaucoup de gens dans la salle ont ri, preuve que cela fonctionne. 

Mention spéciale à Sultan le chien qui à reçu le prix de l’incroyable performance canine par le jury de la Palm Dog 2023, et à son dresseur (ou à sa dresseuse). Et bravo au montage de Méloé Poilevé qui à fait de Sultan un personnage du film à part entière.

Vincent dit mourir a reçu les prix suivants :

Prix du Meilleur long métrage français au Champs-Élysées Film Festival 2023.
Méliès d’argent du Meilleur long métrage européen au Festival international du film fantastique de Neuchâtel 2023.
Mention spéciale du jury du Fantasia Film Festival 2023.
L’Octopus d’or au Festival européen du film fantastique de Strasbourg 2023.

AVIS DE JESSICA

On peut dire que le cinéma de genre français regorge de propositions riches ces 3 dernières années. Titane, Méandre, Deep House, et plus récemment Acide, Le règne animal ou Le Vouldarak, il y en a pour tous les goûts. Preuve que les choses bougent un peu?

C’est dans cette veine que s’inscrit Vincent doit mourir, 1er long métrage de Stéphan Castang qui s’est fait remarquer lors de sa projection à Cannes.
Habile mélange de comédie sociale, film de zombie, thriller paranoïaque, le film parvient à naviguer de manière fluide entre tous ces genres.
Vincent doit mourir aborde deux thématiques principales:

  • Le déclassement social fulgurant qui fait écho à la rapidité avec laquelle l’ultra capitalisme peut plonger les individus dans les plus profondes difficultés,
  • Les rapports sociaux de plus en plus tendus faisant référence à la radicalité des idées de part et d’autres qui compliquent de plus en plus la fameuse notion du « vivre ensemble ».

Le film a l’intelligence de garder le mystère autour de cette « épidémie » qui poussent des individus au hasard a en agresser d’autres. Comme une rage qui sort subitement et qui a besoin de s’exprimer.
Les règles ne sont d’ailleurs pas plus claires, on ne sait pas vraiment ce qui déclenche cette agressivité, ce qui empêche le public d’anticiper les situations.
On retrouve un ressort semblable à It Follows, avec une difficulté à identifier d’où va venir le Mal, qui oblige à s’isoler. Pourtant contrairement à It Follows, Vincent doit mourir peine à créer une tension. La mise en scène ne permet pas de susciter un suspens, une angoisse. Pourtant on note bien la peur sur le visage de Vincent, interprété brillamment comme d’habitude par Karim Leklou. Et le film est centré sur sur ce personnage qui tente de gérer une détresse inédite qui le rend profondément seul, physiquement et psychiquement. Pourtant, aucune scène d’action ne retranscrit ce cauchemar éveillé.

Le seul personnage féminin porté par la merveilleuse Vimala Pons n’existe qu’à travers Vincent et leur romance, sans grande épaisseur. Mais l’interprétation de Pons est tellement savoureuse qu’elle donne du relief à ce personnage qui n’est là que pour apporter une note d’espoir et de douceur…caractéristique classique et cliché d’un personnage féminin.

Vincent doit mourir est un film de genre atypique dans le paysage français. C’est un vrai plaisir de sentir la passion dans laquelle Stéphan Castang a plongé dans cette histoire qui montre pourquoi le complotisme peut vite s’imposer comme solution. La difficulté du quotidien est réelle, l’absurdité de notre monde aussi, alors la solution de facilité est de basculer dans ce qui parait le plus accessible: la violence quelle qu’elle soit.