polite society film féministe

Ria Khan est une adolescente anglaise d’origine pakistanaise qui aspire à devenir cascadeuse. Elle pense qu’elle doit sauver sa soeur ainée, Lena, d’un mariage arrangé. Avec ses amies elle va tout faire pour empêcher le mariage au nom de l’indépendance féminine et de la sororité.

Un film féministe et différent qui a peiné à voir le jour

Polite society est une comédie d’action sortie en 2023 et réalisé par Nida Mansoor qu’on connait pour We are lady parts, série qu’elle a réalisé après avoir fait ses armes sur deux épisodes de Dr Who pour la BBC. 

La direction artistique du film est assuré par Ashley Connor qui a elle même collaboré à Knives out, la série Broad City et a reçu un Independent Spirit Award de la meilleure photographie pour le thriller psychologique Tàr.

Nida Mansoor explique dans des interviews que le script de Polite Society a maturé pendant 10 ans et que son projet a essuyé beaucoup de refus avant de trouver enfin un financement. Certains producteurs voulaient changer la famille pakistanaise pour une famille blanche, ou enlever l’action pour en faire une comédie romantique. 

En bref ils voulaient «normaliser» le script du film pour le faire rentrer dans une case blanche et dans un seul genre, le privant ainsi de son originalité et de sa richesse. 

Et c’est bien heureux que Nida ait pu faire le film qu’elle voulait car ce film est la preuve qu’une femme peut faire un film d’action avec du fun et du sens.

Comment réussir l’exposition des personnages

En 5 minutes l’exposition des personnages est brillamment pliée grâce aux plans, à la musique et aux symboliques. 

L’introduction de Ria se fait tout en références : musique asiatique avec des cuivres, bruits d’entrainement d’arts martiaux, symétrie de plans, tout cela évoque les films de Tarentino et donc tout le folklore cinématographique qui va avec. Cela nous invite dans l’univers de Ria, ado cascadeuse badass et fan de cinéma.   

Lena quant à elle, est introduite avec des ressorts plus comiques et des plans saccadés évoquant les films d’Edgar Wright, nous plongeant dans un univers à l’humour totalement British et anti establishment. Lena poignarde sa toile avec son pinceau en jurant 6 ou 7 fois ce qui nous indique sa frustration d’artiste, puis on la retrouve mascara coulant et clope au bec dans la rue, vêtue de son plus beau joggo elle dévore un poulet entier assise par terre. 

Cette intro illustre en même temps les deux grands genres du film, à savoir l’action et la comédie en introduisant des personnages féminins non relayés aux clichés de la féminité. 

Un film de genres haut en couleurs

Nida Mansoor et Ashley Connor nous offrent un film qui à son propre dynamisme et ses propres codes dans la mise en scène. En plus de quelques références cinématographiques citées ci-dessous.

Le basculement de genre permet d’illustrer ce que ressent Ria. Horreur quand elle a peur, heist movie quand elle s’infiltre, film de KungFu quand elle se dispute avec un antagoniste, etc. Polite society est réellement un film qui compose avec tous les genres. La bande son contribue à nous faire comprendre les motifs cinématographiques. On pourrait citer en références Scott Pilgrim, Kill Bill et Everything everywhere all at once. 

Beaucoup des ressorts comiques sont utilisés pour présenter les personnages de Ria et Lena en juxtaposition avec les codes de féminité imposés par la bonne société. Cette ironie dans la mise en scène exulte la comédie satirique britannique à la Shawn of the dead

Les motifs du film d’horreur et du thriller social sont aussi utilisés pour mettre en exergue les angoisses féministes de Ria : le mariage, la domestication, la grossesse, et l’épilation sont vus à travers le prisme horrifique. Polite Society fait de gros clins d’oeil aux Stepford wives, à Rosemary’s baby, et à Get out. 

Les scènes d’action sont inspirées du cinema Hongkongais et des films de Kung fu chers à la réalisatrice d’origine Pakistanaise. On pourrait citer Tigre et dragons et Matrix. Les combats sont techniquement très bien chorégraphiés. L’actrice qui joue Ria s’est entrainée durement pour faire ses propres cascades dans le film. 

La scène de danse du big fat Indian wedding est magnifique, et les décors et costumes inspirés des films Bollywood. La danse que Ria adresse au futur marié est hyper agressive et badass, illustrant dans cette rupture sa détermination féministe. 

Un certain public a trouvé que la ligne entre la réalité et le fantasme n’était pas claire. Mais on est en 2023, a-t-on vraiment besoin que le film qu’on regarde nous explique ce qu’on regarde ? En effet Polite Society joue des codes de cinéma et brise la ligne entre réalité et fiction mais cela permet de faire des métaphores intéressantes et de proposer un autre genre de récit. 

Les motifs de la sorrorité et du féminisme

En plus d’être très intéressant visuellement, Polite Society aborde des problématiques de fond sur la condition féminine. 

Et cela non sans humour. Dans une scène très courte et très drôle, le film dénonce que même les vernis à ongles sont sexualisés : «est-ce Friponne sexy ? Non c’est Orgazmatron ».

C’est aussi très drôle de voir le père de famille qui ne comprend pas trop ce qui se passe dans la tête de ses filles et que, malgré tout il les soutient. L’écriture de ce personnage brise ainsi le cliché du patriarche dominant et tyrannique souvent représenté dans les familles asiatiques.

Le film illustre une vision idéale de la sororité. Lena soutient le rêve de sa sœur de devenir cascadeuse, assiste à ses entrainements et l’encourage. Ria soutien sa sœur dans sa dépression post école d’art et l’encourage à persévérer pour devenir une artiste. 

Au delà des liens fraternels, les liens d’amitié illustrés par les copines de Ria sont aussi montrés comme un système de soutien et d’épanouissement. Ses copines l’aident dans son plan pour sauver Lena, et les antagonistes deviennent alliées.

Ria la jeune cascadeuse incarne l’antithèse d’une féminité codifiée par la société. Elle est en total contrôle de son corps, déterminée mentalement et forte physiquement. Pour sauver sa soeur elle va même devenir agressive, en puisant dans sa force intérieure de jeune fille pas encore brisée par le patriarcat.

Ria incarne aussi un individualisme sain en refusant le conformisme de son entourage qui pousse les femmes à s’enfermer dans un rôle traditionnel d’épouse et de mère. Elle ne veut pas que sa sœur arrête de se définir comme une artiste pour se définir à travers un homme.

Le déterminisme et la pression de la «bonne société»

Comme Nida Mansoor a réussi à faire en sorte que Polite Society ne soit pas white washé pour plaire à une audience blanche, le film aborde de thèmes culturels propres à l’héritage sud asiatique et pakistanais. Derrière les très belles scènes du film se cachent un commentaire social fort. 

Polite Society aborde la problématique du mariage arrangé et les pressions exercées dans certaines familles pour perpétuer la tradition. Ria, une jeune femme pakistanaise immigrée de seconde génération se voit offrir d’autres options de vie que celles imposées a leurs mères. Et peut donc choisir de s’extraire des carcans de domestication. C’est ce postulat et ce qu’on sait du personnage de Lena qui fait naitre le doute dans sa tête et donc l’intrigue du film. 

Le personnage de Lena quant à lui embrasse pleinement la tradition à un moment pivot du récit. Le film nous montre ce qu’ implique le mariage arrangé, la jeune épouse peut quitter sa famille et appartenir désormais à la famille de l’homme. Cela est subtilement abordé dans la scène où Lena dit qu’elle part avec son mari à Singapour qu’elles ne se reverront pas.

Le scénario se moque un peu aussi des fils à maman qui sont groomés dans cette tradition. Maman choisit leur future épouse, celle qui incarnera le mieux la réussite de la famille. Perpétuant ainsi les clichés de la bonne société riche, bien sous tout rapport. Incarnant finalement un certain élitisme. Je ne spoilerai pas l’intrigue dans cet article mais le dénouement est hyper comique et symbolique par rapport au statut des mères.

Ria et Lena sont mal vues par les amies de leur mère qui évoluent dans la bonne société car Ria n’est pas assez féminine, et Lena a arrêté ses études. Ce groupe de femmes est également condescendant envers la mère car elle est moins traditionnelle. Elle priorise le bonheur et la liberté de ses filles par rapport aux dictats de la tradition bourgeoise. No spoil mais Nida dénonce aussi le fait que les riches voient plus les autres comme du bétail que comme des égaux.
Polite Society fait aussi un clin d’œil au cliché du médecin asiatique. Ria veut faire un stage de cascadeuse, mais on la force a faire stage avec un docteur.

Un film à enjeux qui devrait en inspirer d’autres 🤞

Pour moi Polite Society est une réussite. Le film mérite qu’on parle plus de lui car l’industrie ne laisse pas souvent des femmes diriger des films d’action. C’était un pari risqué qui pour moi est réussi, et prouve encore une fois que les femmes ne doivent pas être cantonnées à la réalisation de drames ou de comédies.

On espère voir plus de films comme ça au cinéma au lieu de blockbusters mascu formatés qui coutent des millions.