Hagsploitation - femmes agées au cinéma

Au Final Girls festival Berlin, j’ai assisté à une conférence sur la hagsploitation et ses représentations dans American horror story, présentée par Dr Katrin Seyler & Antonia Grousdanidou. Je me suis demandée plus généralement comment étaient représentées les femmes qui prennent de l’âge dans les films et les séries – surtout dans les média américains, puisque les US produisent énormément de contenu.

Qu’est-ce que c’est la Hagsploitation ? 

La hagsploitation c’est un surgenre de l’horreur plus ou moins né dans les années 60 à la suite du succès du film Whatever happend to Baby Jane ? Cet archétype a proliféré jusqu’aux années 70 : Hush hush sweet Charlott, Whatever happend to aunt Alice ? What’s the Matter with Helen ? et Strait Jacket. 

Hag est un terme dérivé de l’anglais hagge qui veut dire vieille femme, harpie, sorcière, démon, terme utilisé comme péjoratif contre les femmes âgées.

Il y a historiquement un rapport ambiguë entre la religion chrétienne, la figure de sorcière et le corps de la femme. Les femmes qui vieillissent sont de moins en moins fertiles (comme les hommes en réalité), elles sont perçues comme proches de la mort et donc moins désirables. Elles ont aussi plus d’expérience et sont moins dociles ce qui ne plaisait pas, comme en attestent les procès de sorcières qui ont eu lieu en Europe et en Amérique du nord au moyen âge et jusqu’a la renaissance.

Les représentations classiques de la hagsploitation

Vieille et méchante : la hag sorcière

Les corps de femmes très âgées sont tabou. Ils dérangent et sont utilisés comme moyen horrifique pour inspirer le rejet et le dégoût comme Mrs Kersh qui se transforme en sorcière géante dans le IT chapitre 2, et la femme dans la baignoire de The shining qui dégoûte tant Jack Torrence. 

Elle sont souvent caricaturée en sorcière avec des pouvoirs magiques ou mystiques : Minie Castavet dans Rosemary baby, la sorcière du bois dans Sleepy hollow, Nana dans The visit, Ellen la grand mère dans Heredytary, la sorcière rouge dans GOT, les profs de danse dans Suspiria, la sorcière dans Merlin l’enchanteur, Ursula dans La petite sirène, Mary Shaw dans Dead silent, Ganush dans Drag me to hell, Le magicien d’Oz, Hansel & Gretel, Nanny mcPhee, Zugarramurdi, la saga Witchouse, The witches, Abuela, Baba yaga

Elles sont aussi représentée comme aigries et méchantes : Annie Wilks dans Misery, la belle mère dans Du venin dans les veines, la grand mère dans Flower in the attic, Mama Fratelli dans les Goonies, la mère dans Throw Momma from the train, Nurse Ratchet, la vieille dame dans The owners, Jamie Lee Curtis dans Everything everywhere all at once.

On parle aussi parfois du problème de pauvreté dans la communauté des femmes âgées. Historiquement les femmes ne travaillaient pas, pour rester a la maison s’occuper des enfants et des taches domestiques. Donc si elles n’ont plus de mari pour subvenir aux besoins du foyer, elles finissent leur vie dans la pauvreté. Et même si elles ont travaillé, elles sont moins payées donc elles ont moins d’épargne et de plus petites retraites.
Ce phénomène se ressent bien dans les redneck movies, genre qui met en exergue des familles très pauvres, sans éducation, un brin consanguines et très violentes. Dans ces familles il y a des femmes âgées souvent enclines à la violence : Massacre à la tronçonneuse, Dead Alive, Maniacs, 2001 maniacs. 

Vieille mais polie : la hag domestiquée

Plus aisée, la hag domestiquée est une sorte de figure glamour dramatique. Elle peut être vieille fille, ou veuve, ou quittée par son mari. Elle est considérée comme polie puisque contrairement à la sorcière elle n’offense pas les autres avec sa laideur et sa rudesse de caractère. 

Malgré tous ses efforts d’apparence elle est souvent décrite comme ridicule de vouloir rester jeune alors qu’elle ne l’est pas : Ms Lowry et son amie dans Brazil, les deux protagonistes de Death becomes her, les personnages incarnés par Jessica Lange dans American horror story, Baby Jane, Cruella d’enfer.

Elle est souvent représentée en femme jalouse de la jeunesse des autres, comme la femme aux miroirs dans Grimm, la magicienne dans Stardust, Mrs Danvers dans Rebecca, la comtesse Lalaurie dans American horror story, Mme Battory dans Les lèvres rouges, la soeur dans 8 femmes, Maléfique, Le diable s’habille en Prada.  

Les personnages sont rendus pathétiques de vouloir flirter avec les hommes de leur âge, car les vieux beaux sont intéressés par des femmes plus jeunes. Dans la majorité des films, les personnages masculins de +50 ans sont plus souvent montrés comme séduisants et ayant au moins une conquête sexuelle (10% contre 6% pour les femmes). Maggie Gyllenhaal s’est récemment vu refusé le rôle de la maitresse d’un homme de 55 car elle était « trop vielle », alors qu’elle a 18 ans de moins que lui.

On retrouve aussi l’archétype de la méchante belle mère : la belle mère de Blanche neige, Baroness Rodmilla de Ghent dans Ever After, Lady Mary Van Tassel de Sleepy Hollow, The Uninvited, A tale of two sisters. Et celui de la matriarche pas vraiment sympa : Lady Olenna Tyrell dans Game of Thrones, Ruby dans Black-ish, Tatie Danielle, The crown, Downtown abbey.

Sorcière, mégère, jalouse, méchante belle mère… On constate que beaucoup de films et de séries utilisent ces représentations. La hagsploitation est très répandue dans le cinéma Américain, mais il existe encore d’autres représentations comme la gentille grand mère et la cougar.

La cougar : figure hypersexualisée

Même si cela tend à changer, dans beaucoup de films et séries, le personnage de cougar était souvent mal écrit et dénué de personnalité. Le film insiste plus sur le fait que ce sont les hommes qui couchent avec elle, accomplissant une sorte d’exploit à rayer de la liste : American pie, Billie Madison, How I met your mother, Wedding crashers, Friends, The cougar. 

Il existe aussi des représentation très problématiques où on glamourise la pédophilie, en montrant des femmes de 30 ans ou plus qui « séduisent » des lycéens, en ne disant pas que c’est de la prédation sexuelle et émotionnelle : Billy Madisson, Mad men, The graduate, Licorice pizza, Unsatiable. Et encore pire parfois cette prédation est issue de la mère (inceste) : La luna, Ma mère, Murmur of the heart. Ces films sont tous réalisés par des hommes et on ne peut s’empêcher de se demander c’est quoi ce fantasme chelou qui a couté des millions ?! Est-ce qu’il n’y a pas mieux à faire avec tout ce pognon que de légitimer la pédophilie ?

La gentille grand mère : figure maternelle desexualisée

Dans quasiment toutes les cultures il est établi que la grand mère est une figure joviale, qui sert à s’occuper des petits enfants, de les gaver d’amour et de gâteaux. C’est une sorte de contrat  social où la femme âgée, pour rester utile prend en charge les petits enfants. C’est aussi malheureusement une suite logique de la dépossession d’identité vécue par certaines femmes ayant des enfants, qui passent du statut de femme à celui de mère, sans qu’un compromis soit accepté dans l’imaginaire commun. 

Elle a souvent une figure de bonhommie et elle ne sera plus jamais sexualisée, contrairement à la cougar. La figure maternelle remplace celle de l’amante. Il n’existe pas beaucoup de films commerciaux qui vont à l’encontre du cliché de la vielle mamie gentille. 

Il existe tout de même des grand-mères un peu «rebelles» : Laurie Strode dans le reboot de la saga Halloween, la grand mère de la famille Adddams, Kathy Bates dans Disjointed, mamie Suze, Paulette la vendeuse de weed, Saving Grace, la grand mère dans la série Evil.

Il y aussi beaucoup représentation de sénilité et de faiblesse dans les rôles des femmes de plus de 50 ans. Elles sont 4 fois plus représentées séniles ou faibles que les hommes, et bien que ce soit intéressant de visibiliser les problèmes de santé physique et mentale qui frappent certaines personnes en prenant de l’âge, les arcs narratifs de ces personnages ne sont pas développés à part «mamie fragile». On parle aussi de plus en plus de la peur de la maladie mentale couplée avec la peur des vieux et cela fait de très bons sujets de films d’horreur : Deborah Logan, Relic, The visit, Old people.

Le féminisme à la rescousse : des changements de mentalité dans l’industrie 

Un male gaze systémique dans l’industrie qui tend à s’atténuer

Les hommes sont plus nombreux dans l’industrie Hollywoodienne – scénaristes, réalisateurs, producteurs, techniciens, distributeurs et on sent qu’ils peinent à écrire de bons personnages féminins alors qu’ils n’ont pas autant de mal à écrire des personnages d’hommes qui sont rendus désirables, riches, charismatiques et qui flirtent souvent avec des femmes plus jeunes (parfois à la limite de la pédophilie…coucou Woody Allen). 

En France seulement 9% des rôles à la télévision et au cinéma sont attribués à des femmes de +50 ans contre 16% pour les hommes.

Les Femmes jouent dans beaucoup moins de films passé 35 ans. Alors que pour les acteurs ce déclin arrive dans la cinquantaine.

Un rejet des injonctions de jeunesse et d’hypersexualisation

Les actrices sont plus employées entre 27 et 32 ans au cinéma. L’industrie et le public attendent des actrices de plus de 40 ans qu’elles aient l’air plus jeunes que leur âge pour continuer à jouer dans des films. Elles font donc beaucoup de chirurgie par pression du système : fillers, botox, cryolipolises, …

La médiatisation complique aussi les choses car par exemple quand on cherche une liste d’actrices de +40 on tombe systématiquement sur des articles du genre :

  • la liste de plus belles femmes de 50 ans, 
  • les quinqua qui ne font pas leur âge, 
  • les stars encore irrésistibles après 40 ans, 
  • la quarantaine et toujours sexy, 
  • toujours jeunes et sublimes a 40+, 
  • les actrices toujours attirantes après 40 ans, 

Il y a toujours une injonction à ne pas faire son âge et une hypersexualisation. Par ce prisme, on impose aussi au public des standards intégrables puisque nécessitant des moyens financiers énormes.

Le cinéma c’est : 32% de femmes, 21% de femmes de plus de 50 ans, 21% de gens racisés, 1,4% de non héteros, 5% de femmes rondes.

Heureusement il y a de plus en plus de rôles pour les femmes âgées et racisées et quelques actrices féministes rejettent ces injonctions et nous prouvent qu’il est possible de rester belle et d’obtenir des rôles en acceptant que son corps change : Glenn close, Julia Louis Drefus, Viola Davis, Drew Barrymore, Elisabeth Moss, Halle Berry, Jamie Lee Curtis, Andie McDowell, Julian Moore, Kate Winslett, Jennifer Coolidge, …

Plus d’intersectionnalité pour explorer de nouveaux points de vue

Depuis quelques années l’industrie est moins frileuse à produire des d’histoires créées par les femmes pour les femmes, comme l’atteste le nombre grandissant de séries proposées par des plateformes de streaming et le succès international de films féministes : Titane, L’événement, Portrait de la jeune fille en feu.

On a aussi plus de films et séries non hétéronormés, plus d’intersectionnalité, plus de shows racisées, plus de shows sur différentes religions : Unorthodox, Everything everywhere all at once, Unbelivable, How to get away with murder, Killing eve, I May destroy you, A League of their own.

Cela enrichit énormément le paysage audio-visuel, en proposant une richesses de diversité, de points de vue et donc d’histoires jamais vues jusqu’a présent.

On voit de plus en plus d’actrices engagées qui passent derrière la caméra ou à la production : Elisabeth Moss avec The handmaids tale, Olivia wild avec Don’t worry darling, Gretta gearing pour Lady Bird, Angela basset avec Whitney Houston, Drew Barrymore pour Bliss, Reese Witherspoon pour Big little lies et Gone girl, Halle Berry avec Bruised, Tracee Ellis Ross pour Girlfriends et Black-ish, Tina Fey avec Sisters, Mean girls, Kimmy Schmidt et Great News,  Amy Poehler avec Parks and Rec et Broad city.

Des quinquagénaires ultra cool à la télé

A la télévision plus qu’au cinéma, il existe des représentation de quarantenaire ou de quinqua ultra cool comme :

  • la fabuleuse Patsy Stone dans Absolutely fabulous
  • Kathy Bates dans Disjointed
  • la préseidente dans Battlestar Galactica
  • Carole de Great News
  • Kate Winslet dans Mare of Easttown
  • Julia Louis-Dreyfus dansVeep
  • Grace & Frankie
  • les Golden girls
  • Angela Lansbury dans Murder she wrote (Arabesque)
  • la fatale Miss marple
  • et bien sur Grand mère Yeta !

Moi personnellement si je peux vieillir avec le charisme de Patsy Stone ou Kathy Bates je serais bien.

Sources :

https://campuspress.uwl.ac.uk/krishnapriyashanti/2021/01/22/352/

https://www.kindredmagazine.co.uk/post/the-gender-gap-issue-in-the-uk-film-industry

Geena Davis Institute on Gender and Media étude de 2019