Dans le cadre du Final Girls Berlin Film Festival était projeté Watcher, le 1er long de l’Américaine Chloé Okuno. Dans le cadre classique d’un thriller jouant avec le voyeurisme (du tueur? du public?), le film se démarque par une tension palpable permanente et la performance de l’actrice d’ It Follows, Maika Monroe.

Julia et Francis déménagent à Bucarest, ville d’origine de Francis. Sans emploi, ne parlant pas la langue, Julia se retrouve se sent vite seule, d’autant qu’un voisin dans l’immeuble semble l’observer en permanence…

Watcher un jour, watcher toujours

De Palma, Hitchcock…nombreux sont les réalisateurs et les films de genre traitant le regard de l’autre dans sa mise en scène comme menace surplombante, permettant moultes rebondissements. On cite moins les slashers qui utilisent pourtant très souvent narrativement le regard et/ou la caméra subjective (Halloween, Maniac, Scream…).
Donc on peut dire que sur le papier, Watcher ne va pas réinventer la poudre. Et c’est vrai que la structure est très classique:

  • L’exposition qui montre une femme heureuse en couple qui démarrer une nouvelle vie avec des obstacles: elle ne comprend pas la langue et ne connait personne.
  • L’élément déclencheur: ce voisin qui l’épie de l’immeuble d’en face,
  • La partie « fun & games » qui n’a rien de fun mais qui en revanche s’apparente à un jeu du chat et de la souris,
  • Le midpoint avec un retournement de situation, le climax et la résolution finale.
femme attendant le métro
Watcher – © IFC Films/Focus Features/Universal Pictures

Fenêtre sur fenêtre

Pourtant, la force de Watcher réside dans la concentration que met la réalisatrice dans la dynamique des relations entre les personnages.
Par exemple, le mari de Julia est très bien montré comme soutien, à l’écoute et inquiet. Contrairement à ce qu’on voit très vite dans ce genre de film, il ne remet jamais en cause sa parole, et lui montre son soutien en l’encourageant à aller voir les images de vidéosurveillance du magasin où elle a été suivie.
Son soutien commence à faillir quand des tiers sont impliqués (le responsable du magasin, les policiers, ses collègues…).
Autrement dit, si maintenant c’est normal de soutenir sa femme en privé, c’est beaucoup moins évident quand le regard extérieur de la société s’invite.
Autre nouveauté, le personnage féminin fixe tout de suite les limites de l’acceptable (l’infantiliser, relativiser ce qu’elle a vu/compris).

femme inquiétée à la fenêtre
Watcher – © IFC Films/Focus Features/Universal Pictures

Par ailleurs, si la violence vient de ce voisin oppressant, elle vient aussi du propre foyer de Julia. Dès le début, la violence de l’isolement par la langue est présente. Dans le taxi de manière légère, jusqu’à la soirée où son mari n’hésite pas à l’humilier en utilisant une langue qu’elle ne comprend pas, déclenchant sa détresse totale.
Maika Monroe est touchante, on la sent constamment sur le fil, au bord de la rupture, tenant bon pour ne pas se laisser submerger.

Watcher insiste également sur une relation de sororité entre Julia et sa voisine Irina, qui parle couramment anglais. On sent une complicité rapide et naturelle entre les 2 jeunes femmes qui sont confrontées aux regards des hommes de différentes manières (Julia en tant que victime, Irina en tant que stripteaseuse). Et surtout on comprend que c’est finalement la seule relation qui lui apportera la bouffée d’air nécessaire pour supporter cette solitude tant physique que morale.

Si la partie « fun & games » de l’enquête est classique (Julia est suivie, puis elle devient elle-même la stalker), Watcher négocie brillamment sa dernière partie avec une confrontation glaçante (malgré un méchant on ne peut plus cliché).
Tout en prenant bien soin de souligner que les femmes ne peuvent compter que sur elles mêmes pour faire éclater une vérité.
Finalement, le propos du observé/observateur importe peu à Watcher. Il réussi surtout à infuser une ambiance que la plupart des femmes connaissent: l’inquiétant expérience de la rue quand on est seule. Chaque bruit, ombre, homme, peut devenir source d’inquiétude (réelle ou non), surtout la nuit.

Watcher est un petit film qui ne révolutionne pas le film de genre, mais qui par sa forte capacité empathique pour son personnage féminin, et son attachement aux dynamique de relations, montre toute la complexité pour les femmes d’être comprises. Et c’est déjà pas mal !

Watcher de et écrit par Chloé Okuno
Avec Maika Monroe, Madalina Anea, Karl Glusman
Photographie Benjamin Kirk Nielsen
Produit par Image Nation Abu Dhabi/ AGC International/Spooky Pictures/Lost City