femme japonaise visage blanc

Le cinéma d’horreur Japonais, qui fait parti de ce qu’on appelle la J-Horror, s’axe sur des intrigues incluant des fantômes, des hantises, des malédictions.
Entre colonisations, violences et tortures, domination patriarcale, le Japon n’est finalement pas en reste (contrairement à la vitrine de pays sympa qui est projetée), pour donner naissance à ces histoires.
Il se trouve que les fantômes féminins sont largement surreprésentés dans le cinéma d’horreur Japonais. Logique que je m’y intéresse!

Vaste sujet qu’est le cinéma de genre Japonais. Je ne suis ni une spécialiste du Japon, ni une spécialiste du cinéma horrifique Japonais. En revanche, je ne peux pas ignorer que les fantômes Japonais qui imprègnent tant notre pop culture (comme Sadako de Ringu) sont globalement des femmes. Ce n’est donc pas un hasard et cela traduit des croyances, des peurs, des évolutions sociologiques que nous allons essayer de comprendre.

Utagawa Kuniyoshi

Une richesse sans fin des fantômes Japonais

L’origine des fantômes Japonais remonte à loin (Moyen Âge) et depuis on compte une diversité impressionnante de catégories de fantômes ou autres manifestations fantastiques, les yōkai (et on peut en compter des centaines qui ont des apparences humaines et/ou animales). Sans rentrer dans le détail, il est intéressant de noter que cette richesse est sans doute dûe au fait que la culture Japonaise accorde une haute importance à la notion d’âme. Par ailleurs, la mort est plus intégrée et proche des vivant-es que chez nous. Par exemple, comme expliqué dans l’émission de France Culture, les cimetières sont en vase clos ici; dans un espace fermé et bien à part, alors qu’au Japon ils sont ouverts, intégrés à la ville. Par ailleurs, les gens sont crus quand ils racontent des histoires de fantômes qu’ils ont vu, contrairement à nous.

Dans le cinéma d’horreur ce sont les yurei qui vont principalement nous intéresser. Là aussi, il y a plusieurs types de yokaux, et détail qui a son importance, la plupart concernent des fantômes féminins.

  • Onryo : fantôme vengeur (et vénère), que l’on retrouve dans la plupart des films d’horreur japonais (représentation la plus courante dans le cinéma de genre),
  • Ubume : jeune mère qui a accouché ou femme enceinte décédée qui porte un enfant dans ses bras et qui demande aux passant-es de le porter. Une fois dans les bras de la personne, l’enfant devient petit à petit une pierre.
  • Goryo : fantôme aristocrate, déclenchant des catastrophes naturelles.
  • Funayurei : un noyé qui tente de faire chavirer les bateaux, en les remplissant d’eau.
Ubume (source: Yokai.com)

On constate donc que ces personnes ont toutes subi une mort violente et soudaine, qui en font des âmes errantes, en proie à cette violence. Par ailleurs, ces morts sont marquées par des peurs et des traumatismes spécifiques au Japon: les catastrophes naturelles.

Il existe quantité de fantômes féminins qui sont marqués par des clichés sexistes et/ou dans la volonté d’invisibiliser ce qui est considéré comme autre, comme le handicap. Je vous conseille cette émission du podcast La librairie Yokai, qui liste et analyse plusieurs typologies de fantômes:

La figure du fantôme Japonais qui va nous intéresser ici est donc l’onryo, qui à la base, n’a pas de représentation physique spécifique. Ce sont ses représentations théâtrales à travers la pratique du théâtre kabuki à partir de 1700 qui inscrivent une apparence physique reconnaissable facilement par le public. Ces représentations finissent très souvent violemment, et notamment avec un féminicide; nous y reviendrons.
On y trouve un fantôme avec une robe blanche, des longs cheveux noirs et un visage blanc. C’est une représentation qui perdure aujourd’hui; avec des variantes, qui permet toujours à l’audience, et notamment occidentale, d’associer ce fantôme à la culture Japonaise facilement, sans avoir besoin de le conscientiser.

Ringu

D’ailleurs, vous noterez que les fantômes féminins Japonais n’ont rien à voir avec les fantômes Européens ou Américains. On est très loin d’une entité vaporeuse, flottante.
Certains éléments liés à l’apparence sont ainsi caractéristiques des onyros, en dehors des cheveux noirs:

  • Leur aspect charnel. Pas de fantômes transparent ou autre, les onryos sont ancrés dans le sol (au point de ramper parfois comme dans The Grudge). On se souvient des ongles arrachés de Sadako dans Ringu, qui est une rappel direct de sa souffrance à avoir essayé de s’échapper du puit.
  • Dans la moitié des cas environ, leur apparence physique, et notamment le visage est déformé, abîmé. Un point commun que l’on retrouve chez les personnages féminins qui sont possédés. Si cela se remarque sur la J Horror de ces 20 dernières années, dès les années 50 on remarque des figures de fantômes déformées, comme dans Illusion of blood en 1965.
  • Les onryos utilisent fréquemment la technologie pour attaquer/communiquer: le téléphone (La mort en ligne), la télé, internet…

Mais on remarque aussi des différences notables, d’un point de vue psyché et actions:

  • Leur violence radicale. Contrairement aux fantômes occidentaux qui parfois terrorisent car ils veulent vengeance ou réparation, les onyros n’ont qu’un mot d’ordre: tuer. L’issue est fatale quand on croise un onryo. Que vous soyez responsable ou non de sa mort, cela a peu d’importance. Le fantôme, aveuglé de haine et animé par la violence, ne laisse aucune chance.
  • Ils ne recherchent ni pardon, ni rédemption, ni réparation. Il n’y a pas moyen d’apaiser leur âme.
  • L’idée derrière cette radicalité est un besoin de perpétuer sa légende, pour rappeler leur mort violente souvent liée à un meurtre ou un féminicide.

En cela, on voit une certaine volonté des fantômes Japonais de se rapprocher des humains. A la fois pour les hanter et se venger, mais surtout pour continuer d’exister. C’est précisément le sens que l’on peut trouver au fait que les onryos attaquent sans distinction qui se trouve sur son chemin. L’idée est de perpétuer la légende, la terreur et leur souvenir.

La renaissance de la J Horror fin 90/début 2000

Il est à noter que la J Horror avec des fantômes féminins est particulièrement forte (en parvenant jusqu’à nous principalement fin 90/début 2000). Voyez plutôt:

  • Ringu (1998) et ses suites,
  • Ju On (2002) et ses suites,
  • Dark Water (2002),
  • One missed call (2003),
  • Carved (2006)
  • The locker (2004)
  • Ghost actress (1996)
  • Exte (2007)
  • Ju Rei la malédiction (2004), etc…

Ce n’est pas un hasard quand on constate les événements inquiétants qui traversent le Japon à cette époque:

  • La peur de la fin du millénaire,
  • Le Japon subit une grave crise économique à partir de 1992
  • Les ikikomori apparaissent: ces jeunes qui restent enfermés dans leur chambre sans jamais sortir à l’extérieur,
  • Diverses tentatives d’attentats comme en 1993 par la secte Aum shinrikyô, mais aussi l’attentat dans le métro à Tokyo qui fait une dizaine de morts et des milliers de blessés en 1995 (sachant que le dernier responsable de l’attentat encore en fuite a été arrêté seulement en 2012).
  • Le survol du Japon par un missile nord coréen en 1998.

Autant d’événements inquiétants font donc un terreau idéal pour créer des films d’horreur!
Mais comme évoqué plus haut, la plupart des films de fantômes Japonais contiennent une histoire de féminicide. Et en effet, on retrouve une multitude de films mettant en scène des femmes ou des petites filles terrifiantes:

Du côté de la situation sociale et économique des Japonaises, cela bouge aussi dans les années 90. Société fortement dominée par des principes patriarcaux (le Japon reste l’un des pays industrialisés où les inégalités hommes/femmes sont les plus fortes), le rôle des femmes est cantonné à la maison et à l’éducation des enfants. Mais dans les années 90, Le Japon a besoin de booster son économie suite aux crises évoquées précédemment et au vieillissement de la population. Le gouvernement facilite donc l’entrée des femme sur le marché du travail (en exonérant de charges fiscales les salarié.es en congé parental par exemple). Les Japonaises gagnent donc en autonomie.

Ces fantômes féminins sont doublement pénalisés: ces femmes sont devenues antagoniste en raison de mort violente et elles n’ont pas de rédemption possible

L’universitaire Pascale Fakhry dans “Woman’s Horror Films” explique que les hommes voit cette évolution comme une menace, et cela se traduit par la place ambiguë qui leur est attribuée dans les films d’horreur. Les femmes ont le rôle principal et sont actives (comme dans The Ringu ou Dark Water), mais l’horreur leur tombe justement dessus car elles ne sont plus de bonnes mères au foyer. Dans Ringu, la mère journaliste enquête et dans Dark Water, elle doit travailler suite à son divorce. La moralité (peu subtile) est que pour survivre, la tradition les protègera et que changer est mauvais pour elles. Si on pousse le raisonnement pour Dark Water, il faudrait même que la mère se force à rester en couple avec un homme détestable.

Dark Water – Diaphana

Surtout que ce début d’autonomie se paye au prix fort. Ces dérèglementations ont permis aux entreprises de faire perdurer des contrats précaires en utilisant davantage de l’intérim (Source: L’évolution des conditions d’activité des femmes : une comparaison France-Japon: Arnaud Dupray).
Surtout, cette évolution ne se retrouve pas dans celle des moeurs. Les attentes familiales pèsent toujours sur les femmes. Ainsi, les Japonaises sont tiraillées entre leur rôle de mère, d’épouse, de travailleuse. Et si cela ne suffisait pas, l’arrivée de ces nouvelles travailleuses n’est pas toujours bien vue, ce qui provoque un backclash contre le féminisme.
Fin 1998, le parlement refuse de voter une loi pour contrer les violences conjugales pour finalement l’adopter en 2001, après qu’une étude du Cabinet révèle qu’une Japonaise sur 10 est victime de violences domestiques graves. Cette disposition a permis l’apparition de nombreux abris pour les femmes, et une meilleure information sur le sujet; facilitant la prise de conscience. Mais l’essentiel manque. Des chercheurs, à l’image de Kanoko Kamata, pointent ces actes relèvent du code civil et ne sont assortis d’aucune sanction, ou obligation de soins. Bref, l’impunité est préservée.

La violence des onryo

Les années 90 sont donc une période charnière pour le Japon et pour les femmes, ce qui peut expliquer la dynamique de leur cinéma d’horreur.
Mais ce sont bien la présence de fantômes féminins qui écrasent la J Horror. Alors pourquoi?

Les fantômes masculins sont quasiment absents, et le reste des fantômes non identifiés comme féminins sont bien souvent des entités abstraites et non genrées.
Il y a bien quelques fantômes masculins dans les contes japonais, mais il s’agit de guerriers ou de nobles, qui ont été fourvoyés et provoquent donc des perturbations climatiques pour réclamer leur dû. On a donc une dimension d’honneur à laver, de virilité à rassurer.
On retrouve également des hommes, victimes de meurtres, mais qui errent « gentiment » (comme dans l’Empire de la passion où un mari trompé est jeté dans un puit; comme dans Ringu), sans chercher à tuer; ce sont des goryô.
Et cela fait toute la différence avec les fantômes féminins Japonais qui sont cruels, n’épargnant personne. Ainsi, ces personnages féminins sont victimes d’une double peine:

  • Humaines; elles sont victimes de féminicides dans des cadres souvent très violents (mari qui larde de coups de couteaux Kayako dans Ju On),
  • Les onryo frappent de la mort; quiconque qui passe sur leur chemin. Alors qu’elles sont victimes à l’origine; ces fantômes féminins deviennent des antagonistes particulièrement terrifiants.

Ces caractéristiques pèsent aussi sur les protagonistes féminines vivantes.
Dans la mesure où il n’y a pas de rédemption possible des onryo, et que l’issue est fatale pour les protagonistes; ces personnages peinent parfois à exister, et à faire preuve véritablement d’émancipation. Dans One missed call par exemple, l’héroïne assiste impuissante à la mort de son entourage.

Le féminin monstrueux

Cela m’amène à évoque la théorie évoquée par Barbara Creed, à savoir le féminin monstrueux. Cette universitaire Australienne spécialisée dans le cinéma d’horreur, a écrit notamment en 1993 The Monstrous-Feminine. Elle y étudie la manière dont les personnages féminins sont caractérisés comme monstrueux, notamment à travers les rôles de mères (et autant dans la culture occidentale qu’asiatique, et oui le patriarcat est une notion universelle qui rassemble beaucoup, beaucoup d’adeptes à travers le monde).

Carved

Creed évoque par exemple la notion d' »utérus dévorateur » qui se matérialise grâce à deux principales observations:

  • Physiquement: la mère prend plus ou moins l’apparence d’un monstre. Que ça soit dans Carved, où elle est défigurée par une entaille béante au niveau de la bouche, ou dans The Grudge où elle rampe comme un insecte avec une expression de visage déformé.
    Le visage abîmé et/ou déformé est d’ailleurs une caractéristiques commune que l’on peut retrouver dans le cinéma de genre occidental, représentant les femmes possédées.
  • Moralement: Dans The Grudge, la figure de mère n’existe plus pour l’enfant lui même assassiné. Les deux entités fantomatiques co existent sans avoir de contact. De plus, Creed précise que la maison devenue maléfique représenté ce fameux « utérus » qui en son sein (!), ne répand que mort brutale.
    Dans Carved, la mère est déjà défaillante quand elle est en vie au sein même de son foyer où elle maltraite ses enfants. Sa dangerosité n’est que décuplée et quitte le cocon familial quand devenue spectre, elle s’attaque aux enfants. Dans Ringu, la mère est considérée comme une sorcière maléfique par la population.

Le cas de Bilocation est particulièrement intéressant à évoquer. Ce film de Mari Asato, raconte l’histoire de double, en apparence maléfique qui empoisonnent la vie des personnes originelles. Le personnage d’une mère est par exemple désemparée, car son double vient constamment au chevet de son fils à l’hôpital pour l’enlever et l’extraire de ses soins.
Mais on apprend que les doubles naissent d’une frustration, d’un danger ou d’une peur que connaissent les originaux. Ainsi, on apprend que la mère, acculée par les conditions de santé de son fils qui l’épuise, souhaite intérieurement que son fils meure. Le double intervient donc pour protéger ce fils.

Bilocation– Kadokawa

On a ici la figure d’une mère dans la réalité qui montre un signe de défaillance (mais que le film ne la pointe pas pour autant comme coupable). Cette défaillance est contrebalancée par ce fantôme qui semble maléfique aux premiers abords, mais qui s’avère être pour une fois, signe de bienveillance.
Si vous me lisez régulièrement vous savez comme je peux le répéter, mais d’où l’intérêt d’avoir des réalisatrices pour renouveler les représentations et les histoires.

Les enfants fantômes

Bilocation évoque donc la violence faites aux enfants, ce qui me permet de constater que comme dans le cinéma d’horreur occidental, la J Horror met en scène des enfants fantômes pour renvoyer la responsabilités des adultes, de leur malheur.
Comme dans le cinéma d’horreur occidental également, il y a une écrasante majorité de petites filles fantômes.
Mais à la différence du cinéma occidental (La dame en noir, Mama, L’Orphelinat, etc..), les enfants fantômes sont de véritables machines à tuer.
Dans les années 2000, différentes affaires d’infanticides* (sur fond de mères pressurisées), sont médiatisées. En 2019, les violences sur les enfants ont fortement augmenté*** au Japon. Bref, comme partout, les enfants sont des minorités les plus maltraitées, car encore plus vulnérables et malléables.

Les enfants fantômes existent davantage dans la J Horror récente. On note par exemple Sadako de Ringu, piégée vivante dans un puit, la petite fille de Dark Water oubliée dans la cuve d’eau (l’eau reste définitivement un élément universel pour symboliser la mort). Mais aussi le bébé oublié dans un casier de The Locker et Toshio; le fils de Kayako et victime collatérale de violences conjugales dans Ju On; ces films représentent un échantillon du panel de violences possibles. De la négligence qui mène à la mort, au meurtre brutal.

Ces films utilisent la représentation terrifiante qu’un enfant peut être une véritable menace, et inverse finalement totalement le rapport de force qui met à mal le pouvoir et le contrôle initial des adultes.
Mais on peut également noter que comme les fantômes féminins, leur apparence est souvent modifiée de telle sorte qu’ils sont perçus dorénavant davantage comme des monstres que des enfants. Ce qui atténue la portée politique de la représentation de ces violences.

The locker

Pourquoi tant de haine des fantômes féminins Japonais?

Comme souvent, et au regard des éléments précisés plus haut, cette haine des fantômes féminins peut se voir à travers 2 prismes principaux:

  • le reflet de la société patriarcale Japonaise qui projette une peur sur ces femmes, et notamment les travailleuses qui sont sur le marché de l’emploi. Mais aussi la peur que ces femmes ne remplissent plus ou mal leur rôle de mère.
    Si on reprend l’étude citée ci-dessus sur la violence faites aux enfants, les hommes sont en tête des auteurs des violences physiques. De qui faut-il donc avoir peur? On constate que les femmes sont les premières autrices de violences morales et de négligence. Faut-il y voir la difficile conciliation de mère/épouse/travailleuse ?
  • la violence et les féminicides dont sont victimes les femmes ne peuvent que déboucher sur une haine illimitée avec un besoin de vengeance qui leur fait office de justice.
    Il n’y a pas de données fiables sur les féminicides au Japon pour la simple et bonne raison que ce terme n’est quasiment pas utilisé. Donc il est compliqué de savoir combien de femmes sont réellement tuées dans le cadre de violences patriarcales.
    Il faut également se rappeler des violences et de l’esclavagisme sexuel subies par les Japonaises** au moment de la 2 guerre mondiale. Le gouvernement Japonais tente de le cacher, mais on constate que les films de fantômes avant 2000 ont souvent comme toile de fond, des violences exercées par des samourais sur des femmes (Illusion of blood, Kwaïdan, Kuroneko, les contes de la lune vague après la pluie, etc..)

Les fantômes féminins Japonais plus apaisés

J’aime finir un article en ouvrant le champ des possibles pour montrer que même si ce n’est pas la majorité, on trouve toujours des oeuvres cinématographiques qui proposent des représentations différentes.

La conférence de la S’horrorité sur la représentation du fantôme féminin

J’ai évoqué une partie du sujet de cet article dans une conférence au festival de Gerardmer 2025. Le replay est disponible ci dessous (mes consoeurs évoquent les représentations du fantôme féminin de d’autres origines et époques, et mon intervention est à partir d’une heure):

Zoom avec Amandie de la librairie Yokai

Je souhaitais avoir le regard d’une spécialiste de légendes Japonaises et Amandine du podcast La librairie Yokai a accepté de répondre à mes questions:

Les Yōkaux qui me fascinent le plus sont ceux qui ont été spécifiquement inventés pour expliquer l’inexplicable !
On en parle régulièrement dans la librairie, mais avant de comprendre l’électricité, on considérait que c’était une forme de magie. De la même façon, tous les événements inexplicables ont souvent trouvé réponse au travers du Kappa, du Kamikakushi ou encore du Zashiki Warashi.
Pour comprendre le monde qui nous entoure, nous avons fait en sorte d’inventer le Yōkai parfait qui pouvait expliquer ce phénomène, et c’est pour moi le plus intéressant dans ce monde très vaste.

Aussi utilisé comme moyen de prévention comme le chaperon rouge, les Yōkaux sont multiples comme tu l’as dit, mais cette catégorie suscitée est vraiment celle qui recèle le plus d’intérêt pour moi, et celle pour laquelle je prends plaisir à fouiller les internets pour en arriver à l’origine. 

Encore aujourd’hui, la culture japonaise recèle une part profondément sexiste dans sa façon de voir le monde. Ayant vécu là-bas, il est difficile de nier à quel point le pays est organisé pour que la femme-mère soit à la maison en permanence.
Et cette vision n’est pas nouvelle, des centaines d’années d’héritage nous ont menées là. Toute cette vision du monde s’exprime forcément au travers de la culture et en particulier de la culture populaire. Nous avons donné une lecture féministe aux mythes des femmes dont le destin est lié à celui des enfants, mais je ne pense pas que la lecture commune soit féministe, bien au contraire.
Et c’est à cause de cela que presque tous les fantômes féminins peuvent avoir selon moi une lecture féministe, en opposition avec ce qui lui a donné naissance : une vision beaucoup plus manichéenne de la relation homme-femme. 

Ayant vécu au Japon, il est difficile de nier à quel point le pays est organisé pour que la femme-mère soit à la maison en permanence.

Le Japon est « cool » aussi, il est multiple comme toutes les cultures, et si les injonctions politiques et sociales sont organisées de telle façon, il ne faut pas oublier que cela ne représente pas forcément les personnes de ce pays et leur vision.
Je ne fréquente pas assez la J Horror pour avoir une opinion tranchée sur le sujet mais le genre est connu pour toujours bousculer les idées reçues et les normes de la société. Tous les synopsis que j’ai pu étudier dans le cadre de la Librairie Yōkai me poussaient à penser qu’ils allaient justement à l’encontre de ces normes pour poser des questions, forcer à la réflexion, ce qui est finalement typique du genre. 

Le fantôme féminin occidental a un côté presque évanescent et sans but précis. Il erre dans des couloirs en espérant se faire voir et en attendant d’apparaître sur une photo.
Le fantôme féminin japonais est souvent emplie de rage et avide de vengeance, il a un but précis et tuera toutes celles et ceux qui se mettront sur son passage. J’aurai tendance à dire que le fantôme japonais est acteur, là où le fantôme occidental est plutôt passif dans son apparition. 

J’ai un attrait particulier pour la Yuki Onna depuis le début du podcast. Je trouve que la version de Lafacadio Hearn a un côté tragédie qui parle beaucoup à ma propre culture. C’est finalement le mélange de la culture nippone et de la culture occidentale qui m’a le plus parlé ! 

Illustration de MeganMissFit

Je pense que c’est tout à fait entendable au regard de la structure de la société japonaise. Pendant des années, les femmes ont été cantonnées au rôle de mère, et n’ont pas eu voix au porte-à-faux. Il paraît évidemment qu’inconsciemment ou non on puisse interpréter leur arrivée comme une forme de menace. Néanmoins, je pense que cette analyse n’est valable que pour le cinéma, puisque les fantômes féminins ont quant à eux exister de puis toujours. Mais comme nous l’avions vu dans notre épisode sur le sexisme au Japon, les peurs était tout à fait différentes. 

La Yuki Onna, dans sa version romancée, a une prestance et un aplomb déconcertant. Je ne la caractériserais pas de féministe néanmoins, mais plutôt de femme qui cherche à rétablir les choses qu’elle estime juste, au travers de sa colère.

Pour moi, dans l’idée du féminisme il y a vraiment une envie de secouer la société, et briser ses codes et je pense que la Yuki Onna dans cette version est tout simplement un conte qui nous apprend à faire attention sur un sujet en particulier : ici le fait que des enfants, ça ne s’élève pas tout seul. 

Sources:

*Libération: Au Japon, la détresse des femmes infanticides (juillet 2006)
**National Geographic: Esclaves sexuelles : une vérité qui dérange au Japon (août 2020)
***Nippon: La maltraitance infantile au Japon : un nombre record d’enfants victimes en 2019

Films vus et/ou cités:

  • Ringu de Hideo Nakata
  • Ju On (The Grudge) de Takashi Shimizu
  • Ju On 2 de Takashi Shimizu
  • The locker de Kei Horie
  • Kuroneko de Kaneto Shindō
  • Carved de Kôji Shiraishi
  • Kwaidan de Masaki Kobayashi
  • Ghost actress de Hideo Nakata
  • One missed call de  Takashi Miike
  • Dark Water de Hideo Nakata
  • Illusion of blood de Shirō Toyoda
  • Exte de Sion Sono
  • Pulse de Kiyoshi Kurosawa