fille assise

Grave est le film qui a bousculé le cinéma de genre en France. En maniant les codes du cinéma dit « d’auteur » tout en transformant les codes de l’horreur, il est devenu un incontournable du cinéma de genre.

Justine débarque dans sa nouvelle école vétérinaire. Lors d’un bizutage, elle est contrainte de manger de la viande alors qu’elle est végétarienne. S’en suit une transformation de plus en plus compliquée à gérer.

femme saigne du nez

Grave de Julia Ducournau
Avec Garance Marillier, Ella Rumpf, et Laurent Lucas,
Montage Jean Christophe Bouzy
Photographie de Ruben Impens
Production Julie Gayet

On a beaucoup parlé de Grave. Mais je souhaitais revenir dessus tant le film a bouleversé le cinéma de genre en France.
Je l’avais vu lors du festival So Film Summer Camp en 2016 à Nantes. Il a été présenté Grave, de Julia Ducournau, en avant première et en sa présence.

Dis moi qui tu manges je te dirai qui tu es

Grave est ce qu’on appelle un crossover: horreur, humour, drame…on retrouve tous ces aspects dans le film. L’impression d’être dans une montagne russe, et comme les moments plus légers permettent de souffler, on ne se sent jamais sous pression. Les blagues sont plutôt drôles et fines, chose finalement assez compliquée dans les films de genre.

Garance Marillier porte le film de bout en bout, et retranscrit avec une belle justesse et innocence, l’évolution de Justine. Jeune fille naïve qui grandit en même temps que son appétit. Comme toujours dans les films de genre français, on retrouve Laurent Lucas (Calvaire et Alleluia de Fabrice Du Welz, Harry un ami qui vous veut du bien de Dominik Moll, Enragés d’Eric Hannezo, ou encore Dans ma peau de Marina De Van).
Il faut dire qu’il dégage quelque chose d‘énigmatique, on ne sait jamais où le situer.
Mention particulière à Ella Rumpf, qui joue la sœur de Justine, avec un rôle très ambivalent, entre la manipulation et le soutien.

Alors que Grave a parfois été pointé du doigt par les végétarien-nes, il me semble qu’au contraire le film montre le lien étroit entre le corps humain et animal. En effet, à partir du moment où Justine mange de la viande animale, elle se met à manger…des êtres humains. Quoi de plus clair pour signifier que nous sommes des animaux?

Si vous vous attendez à un film de cannibale on l’on voit des cadavres en guise de festin, rassurez vous ou passez votre chemin selon vos goûts, il n’y a rien de tout ça dans Grave. Certes c’est sanglant, j’ai même eu du mal à regarder frontalement une scène, mais ce n’est pas graphique. Si on connait des histoires de cannibalisme, force est de constater que Grave prend un tournant inattendu, suffisamment explicite mais sans prendre le spectateur par la main pour lui donner toutes les clefs.

Regard de féministe

film Grave

Ce qui m’a beaucoup touchée dans Grave, c’est son aspect clairement féministe, mais sous un angle peu vu. Ici le combat pour l’égalité se fait dans le traitement des personnages féminins sur différents points.
Anodins, comme le fait qu’elles jouent aux jeux vidéos habituellement plutôt joués par des hommes au cinéma.
Ou novateurs comme l’acte sexuel vécu pour la première fois par l’héroïne qui n’est ni hésitant, ni questionné.
D’ailleurs, lors des questions réponses après la projection, Julia Ducournau a précisé que c’était important pour elle de montrer une première fois d’une manière animale. Elle était lassée de voir toujours des jeunes filles hésitantes, ou se culpabilisant. Elle lança même « ba oui desfois c’est juste qu’on a envie de baiser après tout! ».
Portée par un récit qui s’y prête, cette première fois est vécue de façon bestiale, où le désir est maître mot.
Ça fait plaisir de voir un film qui défend le féminisme, autrement que par des discours, des idées, des biopics…C’est aussi par des actes en apparence anodins, que des idées peuvent germer dans la tête des spectateurs.

L’animalité humaine

Pourquoi faire un film sur le cannibalisme? Julia Ducournau explique qu’elle est fascinée par le corps et par ce qu’on peut faire avec, ainsi que ce qu’il représente dans la notion d’identité. Si on coupe/insère/change/ajouter un élément du/au corps, notre identité est elle toujours la même? Quelle place prend le corps dans l’identité de chaque individu?
Ce rapport au corps rappelle La Mouche, de David Cronenberg, que la réalisatrice admire particulièrement. Il est pour elle, le meilleur cinéaste philosophe, qui pose des questions face au corps et à son identité.

Il était primordial pour Julia Ducournau que les décors soient le plus possible à terre: lits, frigo..Afin que les personnages ne se tiennent pas droit, qu’on y voit une démarche animale.
Au début du film, l’accueil des nouveaux.elles étudiant.e.s se fait alors qu’ils.elles sont en pyjama. Le film s’achève également sur cette image. Julia Ducournau explique l’allégorie politique que l’on peut y voir. Rien ne change, la société ne change pas, et le bizutage représente la violence que subissent les individus. Cette violence provoque un déclenchement d’actions qui elles, vont changer la vie de Justine et sa perception des choses, contrairement à la société qui l’entoure.

Cette image est complétée par le final, où Laurent Lucas montre ses blessures. Il dit à sa fille, Justine, qu’elle et sa sœur arriveront sûrement à trouver une solution, que celle ci est finalement entre leurs mains. Message pour la jeunesse actuelle? Il était en tout cas important pour la réalisatrice, que le personnage dise clairement ces mots, qu’il est possible d’agir.

Q/R après la projection-Julia Ducournau (SPOILERS)

Ça été un vrai plaisir d’écouter Julia Ducournau, qui est visiblement passionnée par ce genre de cinéma. Morceaux choisis:

Spectateur:
-« Bravo pour votre film. Le fait qu’une femme réalise ce type de film contient toujours un intérêt particulier tant c’est rare. Une certaine douceur…. »
Julia Ducournau:
-« Douceur? On est pas du papier toilette. »
Spectateur:
-« Comment expliquez vous qu’il y a moins de réalisatrices que de réalisateurs? »
Julia Ducournau:
-« J’avoue que c’est un sujet qui m’est cher, j’y suis particulièrement sensible donc je peux vite m’enflammer! Il n’y en a pas moins, seulement comme dans la plupart des secteurs, les femmes subissent des discriminations. On fait moins confiance aux femmes pour gérer un budget pour monter un film, mais elles sont bien là. »

Grave s’est démarqué par son côté film d' »auteur » (tout film a un auteur) et film de genre. A tel point que le CNC a décidé de proposer des aides spécifiques pour financer le cinéma de genre (mais ce n’est pas effectif tous les ans).
Enfin, Grave a aussi eu la reconnaissance du cinéma français en étant nommé cinq fois aux Césars. Même s’il n’a rien gagné, ces nominations sont inédites pour le cinéma de genre en France.
Une nouvelle ère qui s’ouvre pour le film de genre français?

Avec sa qualité d’écriture et sa capacité à mêler différents tons, Grave est un film à part dans le cinéma de genre, qui fera date. A voir, ne serait-ce que pour l’innovation qu’il représente.