luc besson

Débat sans fin, mais le combat étant long, il est toujours utile de rappeler pourquoi on ne sépare pas l’homme de l’artiste.
Parce que l’homme s’inspire de son vécu, trauma, désirs pour créer.

Les accusés

Fin 2017, l’affaire Weinstein ébranle le système Hollywoodien. De là naîtra les mouvements #Metoo, et #BalanceTonPorc, dont le but est de mettre en lumière les violences sexuelles et morales récurrentes sur les femmes (cis et transgenres). Plutôt que de dénoncer des hommes (et donc des artistes), comme j’ai souvent pu le lire.
Si ces mouvements n’ont pas profondément changé le quotidien des femmes, il est difficile de passer à côté des sorties misogynes des un-es et des autres. A défaut d’avoir un réel pouvoir sur les changements systémiques, les internautes ne se privent plus d’interpeller celles et ceux qui pensent pouvoir encore tout dire. Sans complexe.

Quand Hollywood bannit sans réserve des hommes « simplement » accusés (Kevin Spacey, Woody Allen…), en France, une partie de la profession demande le libre droit à importuner. Le moins que l’on puisse dire c’est que nous n’avons pas tous-tes la même lecture de l’attitude à avoir.

Les accusés

Autant être claire dès le début: non les hommes n’ont pas été victimes du mouvement #MeToo. Et l’actualité nous le prouve tous les jours. Par exemple avec le cas de Sophie, initiatrice du #BalanceTonPorc, qui a été condamnée pour diffamation. On sait qu’il est compliqué de trouver des preuves dans les affaires de harcèlement et de viol. Encore plus qu’elles soient recevables. Et là on préfère envoyer le message aux femmes de se taire. Ou elles risqueraient de perdre. Et de beaucoup.

#BalanceTonArt

Roman Polanski est régulièrement défendu par des personnalités (je rappelle qu’il n’a jamais été jugé pour ce qu’il a fait, sans compter qu’il a fuit). Luc Besson n’a pas été inquiété malgré une plainte et plusieurs témoignages allant dans le sens de la victimes, et ce, depuis des années.
Johnny Depp a continué de tourné, malgré la plainte de son ex compagne Amber Heard, qui a été accusée de tous les vices. Jean Claude Brisseau n’a jamais arrêté de faire des films malgré sa condamnation. En revanche, les actrices à l’origine des plaintes ont clairement déclaré qu’elles en avaient payé le prix de leur carrière.
Bertrand Cantat a pu revenir sur scène en grande pompe, quand il ne fait pas des duo avec les artistes du moment (Shaka Ponk). Je rappelle qu’il a donné 20 coups de poings à Marie Trintignant, et qu’il n’a appelé les secours que le lendemain matin, la laissant agoniser toute la nuit. Sa compagne Krisztina Rády s’est suicidée après avoir laissé des messages racontant le piège dans lequel Cantat l’avait enfermée.
Si on prend le domaine de la télé, le présentateur Frédéric Haziza a pu reprendre son poste rapidement. Et si on continue de chercher, on peut trouver d’autres exemples. Ce que je veux dire c’est que je ne sais pas si tous ces hommes sont coupables. En revanche, le fait d’être accusé ne leur porte pas préjudice. Certain-es me diront tant mieux, la présomption d’innocence avant tout. Soit. En tout cas avant de parler de délation, de jugement hâtif pouvant compromettre les hommes, force est de constater qu’il y a de la marge.

Seulement 2% des plaintes pour viol sont fausses

La culture du viol, ce fléau

En attendant, en France, environ 205 personnes sont violées tous les jours. Entre 5 et 10% portent plainte. Et 1 à 2% des plaintes aboutissent à une condamnation. Quand aux mensonges sur un viol subi, il est de l’ordre de 2%. Donc oui, on est bien loin de la mise à mort de la dignité des hommes.
Par ailleurs, pour avoir une vision globale du problème, on peut se demander si le peu de condamnations, et le manque de crédibilité accordée aux victimes ne serait ce pas liés à la culture du viol? 21% des français pensent qu’une femme peut aimer qu’on la force à avoir un rapport. 27% pensent qu’en cas de viol, la femme a une responsabilité en fonction de sa tenue. Ça laisse songeur-euse non?

Si un réalisateur était soupçonné de violences à caractère raciste, le regard serait totalement différent.

Les femmes n’ont rien à gagner à porter plainte contre des hommes de pouvoir, ou couverts d’estime. Elles sont au mieux ignorées, au pire dénigrées et écartées du métier.

Enfin, on voit que les violences sexuelles sont banalisées, parce si un réalisateur était soupçonné de violences à caractère raciste ou antisémite par exemple, le jugement serait différent. On aurait pas envie de soutenir une telle personne (je rappelle que Polanski est accusé par plus dix personnes, imaginez si dix personnes noires l’accusaient?).
Cela nous paraît évident. Pourquoi le serait ce concernant les violences faites aux femmes?

On entend souvent que dans la mesure où il n’y a pas de jugement ou qu’il y a eu des non lieu, ou aucune preuve, on ne peut pas savoir, donc pas pénaliser. Certes, en attendant on sait que les fausses accusations sont marginales (2% dans le cas de viols), que les femmes qui accusent ont tout à perdre à désigner des hommes puissants.
Le nombre de femmes pénalisées par leur plainte, ou leur prises de positions est bien supérieur aux hommes (même dans le pire des cas où il y a eu une plainte). On peut noter l’exemple de Lio qui a vu ses concerts annulés suite à ses prises de position contre Cantat. Ou encore des actrices qui avaient porté plainte contre Jean Claude Brisseau qui n’ont plus travaillé par la suite.

Donner de l’argent à ces artistes, c’est cautionner le système qui leur a permis d’agresser.

L’art vs l’homme

L’artiste, métier surestimé?

Alors comment faire quand un artiste, écrivain, philosophe, politique qu’on aime, est accusé de violences envers les femmes? Parce que la différence se situe bien là: l’appréciation de son art ou pas. J’ai remarqué que la tolérance varie en fonction de son degré d’implication personnelle dans l’œuvre d’un artiste. Si on aime pas, on en profite pour l’enfoncer. Si on aime, on trouve des excuses ou explications.
Par ailleurs, je me suis posée la question de savoir quelle serait la réaction des gens si c’était le boulanger du coin (comme dirait Blanche Gardin), l’instituteur de votre fille, ou le mécano de votre sœur? Là, en général, on condamne de suite ces personnes. Quand bien même on aurait la gentillesse de rappeler la présomption d’innocence. On reste sur nos gardes. Concernant des gens anonymes, de classe sociale inférieure, la tolérance descend tout de suite d’un cran.
Par ailleurs, quelle serait ma réaction si ma mère, ma sœur ou ma fille étaient victimes d’un artiste? Aurais je envie que les gens différencient l’homme de l’artiste?

Ces arguments manquent d’objectivité. De faits. De constats. Alors je me suis demandée pourquoi (surtout en tant que féministe active), je différencierai l’homme de l’artiste. Je n’ai pas trouvé de réponse cohérente.
Qui plus est, un artiste se nourrit de son vécu, de ses sentiments, ses actions, son histoire.
Par conséquent, ça me parait évident maintenant, que la dissociation ne peut pas se faire.

La seule chose possible, est de reconnaître le talent (quand il est là). Jusqu’au bout je me positionnerai contre le traitement de faveur dont bénéficie Polanski. Mais jusqu’au bout je me positionnerai pour dire que Rosemary’s baby est un grand film. Ça je ne peux le nier. Pour autant, je refuse de donner de l’argent à ces artistes. Je ne vais plus voir ses films.
Donner de l’argent à ces artistes, c’est cautionner le système qui leur a permis d’agresser.

Et la censure dans tout ça?

Le problème de la censure se pose. Parce que si on veut que les hommes accusés aient une visibilité moindre, cela revient à une forme de censure plus ou moins forte. Ce qui va à l’encontre de la nature même de l’art. Ce pourquoi elle existe, et elle fait évoluer la société.
C’est finalement la journaliste Iris Brey qui apporte des réponses pertinentes dans cette conférence donnée au Festival de la Roche S/Yon à la demande d’Adèle Haenel. Elle ne demande pas qu’on censure les œuvres de Polanski, par exemple. Elle invite chaque personne à se questionner sur nos rôles en tant que spectateur-rice, face à l’art. Qui a-t on envie d’encourager ou non, de glorifier ou non, de financer ou non. C’est notre responsabilité.

Autant je ne demande pas à ce que ces artistes soient censurés, autant j’attendrais plus une forme de sobriété concernant les honneurs, et la visibilité. Et c’est précisément ce qui manque.

Qui a-t on envie d’encourager ou non, de glorifier ou non, de financer ou non? C’est notre responsabilité.

Une opportunité de laisser la place

Par la suite, elle précise que si on donne moins de visibilités à ces personnes, cela fera sans doute plus de place pour découvrir soit des artistes négligés, soit de nouveaux artistes. Est ce réellement un problème?

Sans compter qu’ il me semble que l’égalité dans le cinéma comme ailleurs, n’est pas atteinte. Ça serait sans doute l’occasion de visibiliser des femmes, des personnes racisées, handicapées, transgenres...Parce qu’elles existent. Mais n’ont pas de place. Pas de budget. Peu de confiance. Et cela répondrait aussi au besoin de l’art de présenter différents points de vue. Que l’on a finalement peu actuellement.

Pourtant, différents organismes œuvrent pour faire une place à ces personnes. En France collectif 50/50 y travaille (que même Maiween a signé!). Au Royaume Uni, le collectif Birds Eye View Films proposent régulièrement des titres de films réalisés par des femmes. Il indique aux spectateur-rices qu’ils-elles peuvent poster sur les réseaux sociaux le nom du film. Ainsi, le titre a plus de chances d’être vu.

Cette question sera débattue encore et encore, et tant mieux. On est encore aux balbutiements de la démarche, malgré l’énorme pas fait grâce à Adèle Haenel. Il aura fallu une star de cette trempe pour commencer à faire frémir les lignes.
Et encore, le #metoo français n’a toujours pas eu lieu.

On a sans doute du mal à remettre en cause des œuvres que l’on a aimé d’un artiste, parce qu’on retrouve un peu de nous dans celles-ci. Mais il est temps de cesser de visibiliser ces hommes, qui sont au dessus des lois.