Split, Identity, Shutter Island, Psychose….Je ne vous l’apprend pas, les maladies mentales sont très utilisées dans le cinéma de genre. Et la psychophobie va de pair.
Qu’est ce que la psychophobie? Et comment s’inscrit elle au cinéma et dans la réalité?
Les maladies mentales sont très mal connues du grand public. Et force est de constater que quand on s’intéresse au sujet, le cinéma de genre est souvent à côté de la réalité. Participant à stigmatiser ces maladies, et donc les malades.
L’article étant dense, il est possible de naviguer comme bon vous semble selon les rubriques. Même si évidemment je vous conseille de tout lire pour avoir un maximum de clefs de compréhension.
SOMMAIRE
3-La maladie mentale dans le cinéma de genre
5-Entretien avec Dandelion, personne concernée par la schizophrénie
1-Glossaire
Pour mieux comprendre l’article, je vous propose par une petite remise au point sur les termes.
La schizophrénie est confondue avec le trouble de l’identité. La psychophobie est aussi entretenue à cause des ces confusions.
Schizophrénie
La schizophrénie est une maladie mentale dont les symptômes peuvent varier selon les individus. Selon l’Inserm, elle touche environ 600 000 personnes en France (connue évidement). Elle peut se traduire par des hallucinations visuelles, auditives, gustatives, mais et/ou des idées délirantes. Certaines personnes n’ont jamais d’hallucinations par exemple.
Les personnes peuvent avoir tous ces symptômes ou une partie, et avec des intensités différentes.
Ces personnes peuvent être fortement incommodées par la lumière, des sons, des textures, des matières, une invasion de son espace vital. Ce sont des personnes qui peuvent rencontrer des difficultés à faire preuve d’empathie. Les schizophrènes sont généralement réconfortés par une routine.
Là où une personne valide va pouvoir plus facilement mettre à distance des choses qui l’oppressent, une personne schizophrène aura du mal à y faire face. Ces événements créent des angoisses, des crises de panique, mais aussi des crises psychotiques. Ces dernières peuvent être légères (quelques heures à quelques jours), ou fortes (plusieurs mois voire plusieurs années). La crise psychotique grave aura pour conséquence d’isoler la personne ayant ce trouble. Elle aura du mal à rester ancrer dans la réalité et à rester lucide. D’autant plus que son comportement l’isolera des autres.
Certaines personnes prennent des médicaments, d’autres pas. Tout dépend de l’intensité du trouble et surtout de la personne à y faire face. En effet, certain-es schizophrènes arrivent à composer avec leurs hallucinations et préfèrent vivre avec que de les cacher.
Contrairement à ce qu’on peut penser, la schizophrénie ne se déclare pas forcément chez les personnes qui ont vécu des violences.
Ce sont aussi des personnes qui peuvent tout à fait se fondre dans la masse et faisant un effort de mimétisme. Un peu à la manière de certaines formes d’autisme (vous en connaissez ou en avez donc sûrement croisées).
Si vous voulez aller plus loin, je vous conseille de lire ce petit guide, très accessible et très bien écrit par une personne concernée. Il n’est pas très long et se lit rapidement (pour peu que vous aimez lire).
Par ailleurs, vous pouvez écouter des témoignages de personnes concernées sur le podcast de France Culture.
Troubles dissociatifs de l’identité
Le Trouble Dissociatif de l’Identité fait parti des troubles dissociatifs (il y en 5 différents au total).
Le trouble de l’identité ou personnalités multiples, est une perception « non intégrée » de réalité où la personne a comme son nom l’indique, au moins deux identités distinctes. Il est tout de même très rare d’avoir des cas comme celui de Billy Milligan, qui a inspiré Split.
Moi-même j’ai pensé que le TDI procurait forcément des amnésies. Mais, comme souvent quand il s’agit d’humains, le spectre est beaucoup plus large. Les niveaux de conscience sont peuvent varier. Conscient-e ou pas du monde extérieur, désengagé-e ou pas, ou plutôt en position d’observation. Les niveaux de conscience peuvent se mesurer sur une échelle:
En parlant de Split, je vous conseille de lire cet article de cinéphile anonyme qui explique pourquoi Split est problématique , en reflétant de façon erronée ce trouble.
Vous pouvez écouter ce témoignage d’une personne concernée (mais c’est en anglais).
La psychophobie est le terme utilisé pour identifier des comportements, mots, actes qui stigmatisent ou discriminent des personnes atteintes de ces troubles. A la manière de l’homophobie par exemple.
J’ai lis souvent des moqueries au sujet de terme. Comme s’il n’avait pas lieu d’exister, que c’était (encore) un terme sociologique de bien pensance. C’est dire si l’absence de conscience de la psychophobie est forte.
2-Liberté de création
La liberté de créer, jusqu’à preuve du contraire, elle est toujours là (et la psychophobie qui va avec!). Et même si certain-es ont l’impression que la dictature de la bien pensance est là, ça n’empêche pas les oeuvres d’exister. Et tant mieux. Contrairement à ce qu’on entend dire, l’objectif n’est pas de censurer. L’objectif est de faire entendre un autre point de vue (sans se faire moquer/insulter/ignorer), et surtout de visibiliser des oeuvres qui prennent le contre pied.
En ce qui concerne les maladies mentales, il est surtout nécessaire de montrer de les montrer de manière crédible.
Après tout, c’est ça la liberté d’expression, non?
De plus, on note que la création artistique est limitée actuellement. On peine à financer des projets qui touchent des sujets tabous, trop violents. On pense que les interprètes racisés attireront moins de public, ou si le sujet est trop politique, on grince des dents. Arrêtons de penser que nous vivons déjà dans un monde artistique libre.
Vous n’aurez pas…ma liberté de penser!
Les problèmes de représentations n’est pas nouveau. Il est déjà compliqué de pointer ceux concernant le sexisme et le racisme. Autant dire que quand on pointe une psychophobie, c’est plutôt moqué, ou réfuté. Il faut voir les réactions lors du lancement du boycott de Split sur Netflix.
Ce que je remarque, c’est que lorsque qu’on décide de s’intéresser à une meilleure représentation des minorités, l‘indignation est à deux vitesses selon les sujets.
Par exemple, on peut noter quelques oppositions de voir une majorité de films où des personnages racisés sont représentés comme voleurs ou terroristes (arabes), pauvres ou polygames (noirs), par exemple.
On s’offusque sur les représentations sexistes , qui sont des images communes dans notre imaginaire. Idem sur les clichés sur la communauté gay (merci les comédies françaises).
Et en ce qui concerne la représentation des personnes et acteur-rices transgenres au cinéma, on note déjà moins de monde.
Alors si on s’intéresse aux maladies mentales et à la psychophobie…on tombe carrément dans le néant.
S’il est vrai que les personnes ayant des maladies mentales peuvent être dangereuses, c’est plutôt nous qui le sommes pour eux-elles. Selon la Haute Autorité de Santé, le risque de suicide chez les personnes schizophrènes est 7 à 10 fois plus élevé. Ce sont des personnes qui sont aussi des cibles, car vues comme dangereuses. Le risque est multiplié par 2,5.
Donc face à ces chiffres, il me semble légitime d’écouter les concerné-es qui souffrent de leur représentation dans le cinéma de genre.
La psychophobie est la norme.
Laissons place aux personnes concernées
En parlant de concerné-es. Je ne compte plus le nombre de débats, lectures, dont j’ai pu avoir connaissance, où l’on hurlait haut et fort qu’on ne peut pas laisser des personnes concernées décider de la liberté artistique. Comme dit plus haut, il me semble que rien n’est censuré, donc hydratons nous.
Combien de fois avez vous entendu « Il faut écouter les gens sur le terrain », « Le personnel hospitalier sur le terrain l’avait dit », « les profs ne sont pas pris en considération », « les actionnaires ne sont pas en train de trimer à l’usine eux » etc…? Souvent non
Et ça vous paraît plein de bon sens non? Evidemment. Parce que ce sont les gens en première ligne, connaissent les difficultés du secteur qui les concernent.
Vous allez me dire que pour l’art c’est différent? Pas tellement. 120 battements par minute a été réalisé par Robin Campillo, gay et ancien militant d’Act Up. Il est admis à la majorité que le film est puissant de vérité.
Hippocrate de Thomas Lilti est réalisé par un médecin qui est retourné aux urgences pendant la crise du COVID. Une fois encore, qu’on aime ou pas, le film a été salué pour sa capacité à transmettre cette empathie, liée à la réalité de la difficulté du terrain.
Le réalisateur Carlo a travaillé en collaboration avec une spécialiste de la maladie de Pica pour Swallow. C’est elle qui a écrit le personnage.
Par ailleurs, le cinéma est toujours intimement lié à la réalité. Même à travers du cinéma de genre, de la comédie, la réalité inspire le cinéma. On utilise cet art pour dénoncer, expliquer, exorciser ce qu’on vit.
Sans compter qu’on porte une fascination pour les films qui s’inspirent de faits divers, plus horribles les uns que les autres.
Donc nier le rapport entre le cinéma et la réalité n’a pas de sens.
Au delà de tout ça, il faut admettre que notre méconnaissance des maladies mentales entraîne inévitablement une psychophobie. Et que notre regard sur les maladies mentales se construit à travers principalement le cinéma.
3-La maladie mentale dans le cinéma de genre
Si le cinéma de genre possède une telle communauté, avec des oeuvres qui dérangent, c’est parce qu’il brasse des thématiques fortes, personnelles, universelles, intimes. C’est aussi un cinéma qui abordent des histoires politiques, qui fait des critiques sociétales, qui dénoncent. Le cinéma de Carpenter en est un bon exemple, mais également Cronenberg pour ne citer qu’eux. Le cinéma de genre n’a pas qu’un aspect divertissant.
Faire des recherches et s’appuyer sur la réalité, c’est le minimum quand on prépare un film. Fantastique ou pas.
Le cinéma de genre s’inspire et s’inscrit dans une réalité. D’ailleurs, pour démontrer les faiblesses d’un film, on parle de manque d’empathie pour un personnage, manque de crédibilité de réactions, comportements, etc…C’est bien qu’on est attaché-es à un réalisme, à voir et ressentir quelque chose qui nous ressemble, qui nous parle.
Par conséquent, prendre la peine de montrer ces maladies avec plus de réalisme, me parait être plus du bon sens que de la censure.
Outil narratif à renouveler
De la même manière qu’il faut plus de diversité dans le cinéma, laisser (enfin!) la place à des oeuvres plus proches de cette réalité, permettra de voir naître des films originaux.
L’idée n’est pas de censurer ceux existants, ou d’empêcher des mauvaises représentations des maladies mentales. Simplement, de créer et visibiliser des films qui proposeront une lecture crédible de ces maladies.
Au même titre que nous souhaitons moins de représentations sexistes, on doit souhaiter moins de représentations psychophobes. Et cela n’empêche pas pour autant d’avoir un regard propre sur un problème, situation, personnage, enjeu…
Ces maladies sont un outil narratif riche pour illustrer des délires, des descentes aux enfers. Mais aussi pour expliquer ou justifier qu’un personnage est marginal, exclu.
Et bien souvent, les personnages atteints de maladies mentales sont dangereux, voire meurtriers. Les représenter de cette manière relève de la psychophobie.
Par ailleurs, les malades sont aussi exclus dans la réalité (même ceux ayant des maladies « légères »), leurs maladies et symptômes sont méconnus. Ainsi, ce mystère est une source supplémentaire d’inspiration.
Ces maladies sont propices aux hallucinations, à la difficulté de comprendre le monde, les gens, à discerner le vrai du faux. C’est donc un terrain fertile pour mettre en scène des éléments fantastiques (fantômes, démons, monstres…), tout en apportant une touche de réalité puisqu’on se base sur des maladies qui existent vraiment.
Le problème c’est que si cela peut donner des oeuvres tout à fait efficaces, terrifiantes et dont le propos de fond peut être intéressant, cela participe à associer les personnes souffrant de ces maladies, comme dangereuses.
4-Les films
Passons à des exemple précis de films qui évoquent les maladies mentales, et notamment la schizophrénie. Je n’évoquerai pas la qualité artistique en elle même, il n’est pas question ici de savoir si j’ai apprécié ou pas les films mentionnés. Mais d’identifier la psychophobie dans le cinéma.
La plupart des films que j’évoquerai sont liés à la schizophrénie dont les symptômes et la gravité peuvent énormément varier d’un individu à l’autre.
La schizophrénie représentée comme dangereuse
Je passe sur tous les films qui confondent schizophrénie et troubles dissociatifs de l’identité tant la liste est longue.
Par exemple Psychose d’Alfred Hitchcock, Black Swan de Darren Aronofsky ou encore Haute Tension d’Alexandre Aja. Soit, ce sont les propos du film qui sont erronés, soit c’est la presse ou la critique web qui se trompent en parlant du film.
Vous avez sans doute entendu parler Split de M. Night Shyamalan a déclenché la colère des personnes concernées. Si pour une fois, on ne confond pas schizophrénie et troubles dissociatifs de l’identité, le problème est la représentation du personnage.
D’une part parce qu’une personne atteinte ne se changerait pas d’un personnage à l’autre. Ensuite, parce qu’il est très dangereux et meurtrier.
Si The Voices de Marjana Satrapi est plutôt juste en termes de symptômes, il diffuse l’idée que si tu ne prends pas tes médicaments, tu deviens un meurtrier (alors qu’on a vu plus haut, que certaines ne prennent pas de médicaments et s’en portent mieux).
Une représentation juste des symptômes n’éxonère pas forcément d’une psychophobie.
Mi figue mi raisin
Taxi Driver de Martin Scorcese montre bien l’évolution de la maladie chez le personnage principal. C’est une maladie qui n’est pas brutale et le film retranscrit plutôt bien cette progression. A travers son manque de discernement avec le personnage féminin, son comportement quand il est chez lui…Mais comme souvent il bascule dans la violence.
C’est le même schéma pour Joker de Todd Philipps, même si ici il ne s’agit pas que de schizophrénie. Le film reflète des éléments juste (le fait qu’il montre sa carte indiquant sa maladie, son rire en décalage..). Et contrairement aux autres jokers, le rire n’est pas utilisé dans le but de renforcer un aspect machiavélique, mais plutôt pour appuyé un décalage avec la réalité et les autres. Il est malaisant.
Mais comme souvent, le personnage bascule dans la violence, même si ici, la faute des pouvoirs publics est clairement pointé (ce qui est aussi l’un des plus grands drames du traitement des maladies mentales).
On peut noter Jeanne d’Arc de Luc Besson. Durant le film, elle est régulièrement sujette à des hallucinations, de voix qui l’accompagnent. C’est évident pour illustrer le fameux appel à sauver la France qu’elle aurait reçu de Dieu.
En attendant, elle n’est pas animée de pulsions meurtrières dûes à ces hallucinations. Par contre, cela aggravera son cas aux yeux de la société, qui lui feront payer le prix fort en la brûlant pour sorcellerie.
Le personnage est par contre représentée de manière très hystérique.
Le magistral Martyrs de Pascal Laugier est aussi assez juste dans sa représentation de la schizophrénie. Suite à des tortures, la protagoniste principale est victime d’hallucinations qui la blesseront. Et le film évoque même la variation des symptômes d’un personnage à l’autre (un personnage a par exemple la sensation d’avoir des insectes sur elle).
Cependant, si le personnage n’existe pas seulement à travers ce statut, on ne peut pas dire qu’elle soit dans une situation très saine.
Vers une meilleure représentation?
Honnêtement je n’en ai pas trouvé beaucoup, surtout quand on s’intéresse au cinéma de genre. Et n’étant pas concernée, je reste prudente dans mon appréciation.
En faisant mes recherches je suis tombée sur Clean, Shaven de Lodge Kerrigan. Il est souvent utilisé comme exemple représentatif des symptômes de la schizophrénie. On est effectivement aux côtés du personnage, dans ses sensations. Le film utilise même nos aprioris pour mieux les démonter à la fin. Et ce sont les autres qui sont montrés tantôt oppressifs (sa mère qui le rejette et tente de le normaliser , la bibliothécaire qui le crois coupable). Ou dangereux (le flic).
On montre aussi sa paranoïa (il pense être pisté avec une puce et s’auto mutile), il se cache en recouvrant ses vitres de papier journal. Le film est aussi assez déstructuré, pour nous donner le sentiment d’être dans sa tête. Et il y a un gros travail de fait sur le son pour nous donner l’impression d’un bourdonnement, de bruits qu’on pense venu de la réalité ou pas.
Il est temps d’avoir plus d’oeuvres qui s’emparent de cette problématique pour refléter un peu mieux notre société
Mercy Black d’Owen Egerton, production BlumHouse actuellement disponible sur Shadowz est aussi assez fidèle aux symptômes schizophrènes. Même si ce n’est pas le sujet du film, on assiste aux hallucinations de l’héroïne, à son constant travail sur elle même pour se rassurer et affronter la réalité. Par ailleurs, elle a été manipulée par autrui pour commettre un acte violent. Ce n’est pas elle la personne responsable de cette violence.
Il y a également Schizo, une web série, qui vient de démarrer sur YouTube. Le premier épisode montre comment la paranoïa et les questionnements de l’héroïne apparaissent, et surtout sont légitimes. La série a aussi pour but de déconstruire les clichés sur la maladie. Le premier épisode est plutôt efficace et structuré.
Cependant il faut apporter des nuances. Par exemple, on montre la lycéenne qui devient paranoïaque face à la caméra de surveillance de son établissement. Or, même moi neurotypique, je serais méfiante face à un système de surveillance.
C’est également un personnage qui ne vit qu’à travers son statut de schizophrène.
Après tant de films erronés sur les maladies mentales, il est temps d’avoir plus d’oeuvres qui s’emparent de cette problématique pour refléter un peu mieux notre société. Un peu moins de psychophobie serait la bienvenue.
Je reste persuadée que le cinéma de genre a le meilleur potentiel pour en parler.
5-Entretien avec Dandelion
Dandelion tient le blog Le temps des Cerises, reflet de ses écrits. C’est une personne qui propose des textes cerise, adaptés à chaque personne. Dandelion a écrit un texte en 2019, à l’occasion de la sortie de Glass, et exprimait son désespoir face à aux représentations problématiques de sa maladie, la schizophrénie, au cinéma.
Iel a accepté de répondre à mes questions, pour m’éclairer sur la psychophobie et ses conséquences.
La réalité et le cinéma
Est ce que le cinéma doit être le reflet de la réalité?
On lit partout (notamment avec la polémique sur Split dont des militant-es demandent le retrait sur Netflix) que le cinéma c’est de la fiction. Qu’en penses tu? Penses tu qu’on doit censurer les films ou les recontextualiser comme ça a été le cas avec Autant en Emporte le vent récemment?
T’attaques fort!
Techniquement, la fiction n’est jamais tenue d’être le reflet de la réalité. C’est bien pour ça que c’est de la fiction.
En revanche, la fiction n’est pas créée ex nihilo, elle se base sur la réalité. Et la réalité est influencée par la fiction. Il y a donc un lien très fort entre les deux. Si bien que, quand le cinéma dit « voici un schizophrène », il renvoie à une partie de la réalité, à savoir un diagnostic et une population bien précise. Or, beaucoup de gens ne connaissent pas de schizophrènes. Tout ce qu’iels savent, c’est que les schizophrènes existent. Sans contre-exemple, la représentation qui est faite de la schizophrénie dans la fiction remplace donc la réalité de nos existences. Et c’est d’autant plus appuyé, que les rares fois où on parle de schizophrènes dans les médias, c’est pour des faits divers, ce qui vient encore plus corroborer l’image déformée offerte par le cinéma.
Donc non, le cinéma ne doit pas être un reflet de la réalité, sinon ça serait du documentaire, en revanche il a une responsabilité quant aux termes et aux réalités qu’il utilise. Si tu veux utiliser la schizophrénie dans ton film, tu l’utilises pour de vrai, pour ce qu’elle est. Pas dans une vision déformée qui t’arrange.
Finalement c’est comme si dans ton film basé dans le monde réel tu disais « voici mon chat » et en fait c’est une espèce de chimère moitié lion moitié serpent… Et si tu n’as que ce type de représentation, ça donne que quand dans la réalité tu présentes ton chat on te répond « bah non c’est pas un chat voyons, où est la queue de serpent ? ».
Ça a des conséquences parfois dramatiques dans la réalité. Je ne sais pas s’il faut censurer, et recontextualiser ne me paraît pas avoir de sens sur cette question.
Par contre clairement, le cinéma a une responsabilité quant aux représentations qu’il propose, aux mots qu’il choisit et aux images qu’il crée. Que le cinéma soit une fiction ne l’exclut pas de la réalité pour autant. Et il ne suffit pas de dire « c’est de la fiction » pour s’affranchir des liens avec la réalité. Parce qu’on a beau me dire « c’est que de la fiction » quand je râle sur ces films, il n’empêche que quand je dis que je suis schizo, on me répond quasi systématiquement « ha oui comme dans Fight club ! ».
Sans contre-exemple, la représentation qui est faite de la schizophrénie dans la fiction remplace donc la réalité de nos existences
On entend souvent l’argument « oui mais c’est du cinéma, il faut laisser la liberté artistiques aux auteur-es, le politiquement correct c’est de la censure ». Qu’en penses tu?
Comme je disais plus tôt, oui il faut une liberté artistique, mais la liberté ça ne va jamais sans responsabilité.
En tant qu’artiste, tu peux pas faire genre tu évolues en vase clos… je le dis en étant moi-même auteur, on a une responsabilité. Ce que nous produisons va impacter des gens, des vrais gens. À partir de là, on ne peut pas faire n’importe quoi.
Il faut savoir être respectueux des gens à qui s’adressent nos œuvres, mais aussi les gens dont parlent nos œuvres.
Qui plus est, je ne crois pas à une « dictature du politiquement correct ». Je pense que réfléchir à tout ça nous oblige à être de meilleurs artistes. Parce que ça nous oblige à dépasser les stéréotypes, les clichés, et ce que nous croyons savoir.
À partir de là on peut imaginer de nouveaux schémas, de nouvelles narrations.
Ce n’est pas de la censure que d’exiger des artistes qu’iels soient responsables de leur création, et fassent en sorte de ne pas piétiner une partie ou une autre de la population, c’est juste du bon sens et ça devrait être la norme.
L’origine de la confusion
Pourquoi le grand public confond schizophrénie et TDI?
Bonne question. Je ne sais pas d’où vient la confusion originelle, mais le cinéma y a grandement contribué.
On nous dit aussi que c’est à cause de l’étymologie du mot schizophrénie qui serait trompeuse. « Esprit fracturé / divisé ». Beaucoup interprète ça comme plusieurs personnalités, alors qu’il s’agit d’une fracture entre la personne et la réalité (et on est beaucoup de schizophrènes à se reconnaître dans cette étymologie).
Si je ne sais pas d’où vient la confusion à la base, je sais que maintenant c’est quasi impossible de passer outre (et parfois je me dis que c’est pas forcément le plus pertinent mais c’est une autre histoire). Ce qui est dommage, c’est que outre cette confusion de terme, il y a, de l’intérieur, bien des raisons de confondre TDI et schizophrénie. Beaucoup de schizophrènes se demandent si iels ont pas un TDI, et inversement. C’est des conversations que j’ai beaucoup croisées… et pour cause, les deux posent un rapport différent à l’identité, au corps, à la réalité, une identité fragmentée (pas de la même façon, mais quand même). Les deux sont souvent en lien à des traumas, et donc parfois des soucis de mémoire, des dissociations avec amnésie, etc.
De l’intérieur, la confusion s’explique donc très bien. Mais je ne sais pas comment le grand public en est arrivé là, et j’avoue que ça me dépasse complètement.
Qu’est ce qui fait selon toi que le public soit si peu informé sur la réalité des maladies mentales?
C’est une bonne question mais j’avoue ne pas avoir de réponse sûre, quelques hypothèses seulement.
Je pense qu’il y a un côté « ça n’arrive qu’aux autres » qui fait qu’on va se renseigner qu’à partir du moment où soi, ou un·e proche est touché·e. Et puis on vit dans un monde où il y a tellement d’infos sur tout partout, de choses et de vies qu’on ignore, d’informations à vérifier… à un moment ça devient juste humainement impossible de s’informer sur tout.
Il y a aussi le fait qu’on vit dans une société validiste et psychophobe. Les questions de santé sont pour beaucoup mises sous le tapis, et pas que pour la maladie mentale. Dans notre société, on parle peu de la maladie, de la mort. On a fait en sorte de mettre ça le plus loin possible de nous. On médicalise, on institutionnalise, on éloigne, on isole. On se persuade qu’on contrôle. Et finalement, ça devient tabou. On veut bien parler de la grippe, mais on veut pas envisager le cancer comme une possibilité qui nous attend toustes. Il en va de même pour la maladie mentale. On commence à peine à envisager la dépression comme une possibilité, alors des trucs comme la bipolarité ou la schizophrénie, c’est pas pour demain.
Tu as aussi le fait que beaucoup croit savoir. Si on continue de comparer au physique, peu de gens vont te dire qu’iels savent c’est quoi le SED* car ça n’a pas de place dans nos fictions ou dans les médias. Par contre parle leur de schizophrénie, et la plupart sont persuadés de savoir dans les grandes lignes. Parce que contrairement au SED, on en parle dans les médias (faits divers ou inspiration porn, choisis ton camp camarade), c’est un véritable trope dans les films et les jeux. Les gens ont beau dire que c’est de la fiction, il n’empêche qu’ils l’ont suffisamment « croisé » pour penser savoir. Et à partir du moment où tu penses savoir, tu ne fais plus le travail de recherche d’informations. Ajoute à ça une romantisation et une fétichisation des maladies mentales, et c’est le bingo fatal…
Je ne crois pas à une « dictature du politiquement correct ». Je pense que réfléchir à tout ça nous oblige à être de meilleurs artistes
*Le SED est un syndrome dont les symptômes sont des migraines, fatigues, douleurs musculaires, etc..qui peuvent se manifester sous forme de crises, et qui sont un vrai frein dans l’action de gestes quotidiens.
Sensibilisation et éducation
Quelles sources conseilles tu pour s’informer?
Dernièrement un autre militant a fait un super travail de recensement des ressources autour de la psychose : https://twitter.com/psssssycho/status/1300135991789998083?s=20
Ça va du zinzinzine à des blogs plus perso (comme le lien), à un guide de la schizophrénie réalisée par un autre militant. Il y a le réseau des Entendeureuses de voix, et même quelques ressources pour les personnes multiples.
Les clichés les plus courant sur les maladies mentales qui sont faux?
Sans doute le fait que nous soyons systématiquement violents.
On me voit comme une femme, alors le « crazy in the head crazy in the bed » me pourrit pas mal la vie aussi.
Utiliser schizophrène comme un synonyme pour inconstant (coucou les politiques).
Le fait que pour vivre nos vies on doit forcément être médicamenté (non).
Que notre colère et nos angoisses sont juste causées par la maladie (souvent utilisés contre nous, ça permet de nier nos émotions, et dans le pire des cas, de mieux nous manipuler).
Que faudrait il mettre en place pour que le grand public soit plus sensible/sensibilisé aux maladies mentales pour éviter la psychophobie?
Je ne sais pas trop. En plus je suis assez défaitiste sur la question.
Ça m’épuise de recevoir des messages d’insulte dés qu’on ose dire que telle création est psychophobe sous prétexte que « les gens savent très bien que c’est de la fiction », alors que non. Il faudrait une prise de conscience collective qu’il faut faire des efforts, qu’on peut avoir tort, qu’on ne sait pas tout.
J’ai vu certain·es dire qu’il faudrait des moments d’information à l’école, un peu comme pour la prévention et l’éducation sexuelle. Mais bon quand je vois la gueule de l’éducation sexuelle…
Mais ces personnes ont quand même raison, il faut travailler à ce que ça ne soit plus un tabou. Arrêtez l’invisibilisation, mais aussi l’institutionnalisation à outrance. Ne jamais oublier que les plus fols seront enfermés / contrôlés à vie par la psychiatrie.
Ça m’épuise de recevoir des messages d’insultes dès qu’on ose dire que telle création est psychophobe sous prétexte que « les gens savent très bien que c’est de la fiction «
Que nous sommes tellement considéré·es comme des humain·es de seconde zone, que les personnes travaillant en ESAT sont payées moins que le SMIC. Elles n’ont pas le droit de grève ni de se syndiquer, et que c’est considéré comme normal. Il faut rappeler tout ça constamment, mais le plus dur ça sera démonter l’impression que « c’est normal ». Ça ne l’est pas.
Arrêter de nous mettre à l’écart pour nous considérer comme faisant pleinement partie de ce monde, que c’est aussi une possibilité de l’humain, ça me semble la meilleure façon de sensibiliser sur ses questions.
On ne sensibilisera personne si le monde continue de faire comme si on était que des bêtes de foire existant loin.
Des représentations qui changent
As tu des films à recommander qui sont plutôt justes sur ce sujet? (même si ce n’est pas du cinéma de genre)?
J’aime beaucoup Un homme d’exception, même s’il faut se méfier pour le côté inspiration porn, la représentation de sa schizophrénie est super bien faite. C’est hyper bien amené dans la construction de la narration et du personnage.
J’ai eu un énorme coup de cœur pour la série Legion et le personnage de David Haller dans lequel j’ai vraiment reconnu énormément de mes traits. Là aussi la représentation est assez juste et c’est très bien utilisée, représentée (enfin une œuvre cinématographique qui en fait quelque chose de bien au-delà des hallucinations…).
Tu as aussi un personnage schizophrène intéressant dans Les noces barbares (tiens encore un mathématicien d’ailleurs), c’est un personnage secondaire utilisé pour faire contrepoids face au diktat de la société imposé au couple.
Dans les personnages psychotiques que j’aime bien, on peut aussi citer Suzanne, Loly et Lorna dans Orange is the new black, ou encore Floki dans Vikings. On m’a aussi beaucoup parlé de Spider et The Wall mais je n’ai pas encore eu le temps de les regarder…
Sinon vraiment, le jeu Hellblade : Senua’s sacrifice est incroyable… J’aime tellement Senua et j’aurais tellement voulu qu’un tel jeu existe quand tout ça m’a pété à la gueule il y a quinze . Si vous ne pouvez pas y jouer, je vous recommande au moins de regarder des let’s play… (c’est bon j’ai casé Legion et Hellblade, my job here is done)!
On oublie souvent dans la fiction que des personnages psychotiques ne sont pas que psychotiques
Selon toi, comment un personnage atteint de schizophrénie pourrait/devrait être représenté au cinéma?
Ce que j’ai beaucoup aimé dans Legion c’est tout le travail sur la mémoire et la représentation du temps complètement fucked up. C’est hyper perturbant à regarder pour les non schizos pour ces raisons, mais c’est vraiment un truc central chez nous. David n’a pas accès à toute sa mémoire, elle est écrite réécrite, il doit constamment la réinterpréter, il a du mal à savoir dans quel ordre se sont passées les choses.
On a du mal à démêler le vrai du faux, la limite entre les deux est poreuse et se déplace constamment. Et au final, on en sait pas plus que lui.
Ça m’a vraiment fait plaisir de voir ces questions-là enfin traitées, et surtout qu’on ne soit pas plus avancé que lui.
Dans Orange is the new black, j’ai beaucoup apprécié qu’on ait trois (c’est énorme comme score !) personnages psychotiques et qui sont vraiment très différents.
Elles ont eu des vies différentes, leur psychose ne se traduit pas du tout pareil. Ça met aussi en avant un point qu’on oublie souvent dans la fiction quand on a des personnages psychotiques : ils ne sont pas que psychotiques. C’est ça qu’on veut aussi. On veut des personnages qui ont des envies, des buts, des angoisses, des rêves, et que ça soit considéré comme légitime.
Je pense que c’est ça qu’il faut avoir en tête pour une meilleure représentation au ciné : la schizophrénie c’est pas que des hallucinations, c’est aussi un handicap cognitif, et ça ne nous empêche pas d’avoir des rêves et des envies et toute une batterie d’émotion.
Finalement, pour bien représenter un personnage schizophrène, il faut commencer par le considérer comme tous ses autres personnages… et c’est souvent ça qui fait défaut. En règle générale, plus de diversité. On est pas toustes des génies. Ça ne touche pas que les blancs. Représenter cette diversité là, ça ferait du bien aussi.
Ton avis sur le film Joker?
Je ne l’ai pas vu personnellement donc je ne saurai te dire. De ce que j’en ai vu, les avis sont partagés.
Certain·es étaient contents qu’on évoque enfin les causes sociales de la maladie mentale, ce qui est effectivement assez rares pour être dit.
D’autres regrettent un énième film justifiant la violence par la maladie mentale. Avec aussi certaines voix qui rappellent un innommé : c’est aussi une façon de justifier la violence masculine.
Voilà pour les différents sons de cloche que j’ai pu entendre à gauche à droite.
Licarion avait fait une vidéo dessus où il reprenait certaines critiques, ce sera sans doute plus complet.
Impact sur sa propre perception
Quel impact le cinéma a sur les personnes concernées par les maladies mentales?
Les gens sont persuadés de savoir du coup « grâce » à ça. Résultat, quand on ne rentre pas dans les cases, ça devient impossible à gérer, à envisager pour elleux.
On m’a souvent dit « bah non t’es pas schizo, parce que la schizophrénie c’est ça », ça étant ce qu’iels ont vu à la télé, dans les films, au JT.
Ça a entraîné une négation et/ou une euphémisation de mon vécu.
Et puis y a celleux qui te considèrent comme violent de base, alors tu te fais larguer, tu perds des ami·es, voire même ton boulot. C’est les micro-agressions constantes, les blagues sur les forums ou par tes collègues. « lol t’entends des voix -ouai jvais finir à l’HP ! ».
C’est la négation de ton existence car les schizos ne sont pas comme ça, alors c’est pas possible qu’il y ait des schizos dans tes collègues, tes camarades de classe, ton forum de jeu, etc etc. Toi t’es là, tu les entends dire à quel point les gens comme toi sont monstrueux, ou des bêtes de foire, et tu peux rien dire.
Ce sont les gens qui savent que c’est de la fiction mais en même temps n’ont rien pour compenser alors au final considèrent quand même que c’est comme ça.
Et y a un truc plus pernicieux aussi, c’est que si ça a une influence sur la vision que les gens ont de nous, ça en a aussi sur celle qu’on a de nous-mêmes.
Quand partout partout, tu vois que les gens comme toi sont toujours des monstres violents, tu finis par te poser des questions. Tu fliques la moindre étincelle de rage en toi, réprimande la moindre colère au cas où.
Tu te dissèques constamment, te surveilles. On vire control freaks. C’est pas ça. Ça impacte notre estime de nous.
Et puis ça angoisse « alors c’est comme ça qu’on me voit ? », au point qu’on a l’impression de jouer à la roulette russe à chaque nouvelle relation « comment iel va réagir quand je vais lui dire ? ». On traque le moindre truc en nous qui pourrait nous faire passer pour schizo visiblement, et on finit par participer à notre propre invisibilisation parce que l’insertion sociale est souvent à ce prix.
Un grand merci à Dandelion pour le temps accordé.
J’espère que cet article aura au moins eu le mérite de vous éclairer sur une réalité de la psychophobie. Et par la même occasion, de germer des idées pour tenter de voir les films avec un autre oeil.
3-Les maladies mentales dans le cinéma de genre
5-Entretien avec Dandelion, personne concernée par la schizophrénie
Bonjour,
Les TDI ne sont pas des « maladies » mais des perceptions « non intégrées » de réalité, et c’est très différent !
Nous nous ferons un plaisir de partager votre article si ce détail important est corrigé, car il s’agit de psychophobie encore que de qualifier de « maladies » les perceptions différentes de la norme <3
Bonjour! Merci c’est corrigé!
[…] (NB : pour creuser la question de la représentation que je ne vais pas aborder ici, voir par exemple cet article sur la psychophobie dans le cinema de genre) […]
[…] Ce sous genre a des points communs avec le slasher. Il s’agit de films avec un tueur qui agit de manière similaire à celui du slasher, mais la mise en scène nous place de son point de vue. Le film emblématique de ce sous genre est Maniac (1980) et son remake de 2012 . On peut noter également Le Voyeur, American Psycho, ou Schizophrenia (1983) qui pose aussi la question de la psychophobie dans le cinéma de genre. […]