Willard est une (petite) saga qui aura surtout marquée les fans du cinéma de genre. Solitude, classicisme, emprise…les films abordent des thématiques passionnantes.
Si tu veux te lancer dans l’élevage de rats, c’est par ici.
A l’image de ma démarche pour les sagas Candyman et Freddy, je commence cet article par une analyse des symboles qui entourent le film. Je vous conseille fortement de voir les films avant d’aller plus loin. Parce que ça spoil sévère.
SOMMAIRE
2-Willard de Daniel Mann (1972)
4-Willard de Glen Morgan (2003)
1-Les symboles
Ratatouille
18,6 milliards de rats en 2016. C’est dire si le rat prend de la place. Heureusement pour nous, plutôt dans les bas fond.
Il fait parti des rongeurs les plus détestés. Il est considéré (en parti à tort) responsable de la propagation de la peste noire au XIVème siècle.
Or on sait que si les rats était porteurs de la bactérie (jusqu’à 5 millions sous chaque patte!), la mauvaise hygiène, la mobilité croissante des échanges commerciaux ont joué un rôle déterminant dans cette pandémie. Par ailleurs, c’est aussi parce qu’on avait tué trop de chats noirs par superstition, que les rats ont pu proliféré. Quand le chat n’est pas là, les rats dansent!
Associé à la saleté, à la prolifération, il inquiète par sa capacité à se multiplier rapidement. Par ailleurs, il est aussi utilisé dans des expressions courantes, de manière négative: « fait comme un rat », « les rats quittent le navire », « s’ennuyer comme un rat mort »…
C’est un animal dont on a du mal à estimer la valeur individuelle, ses forces étant représentées à travers la synergie d’un groupe de rats. Il représente la foule.
Rat, animal des bas fonds et égouts, est la parfaite métaphore pour évoquer la population d’en bas. Celle qui est non seulement rejetée, mais invisible. Celle qui parait facilement maitrisable de par sa petite taille, mais qui s’avérera plus puissante grâce à son nombre.
Un animal intelligent
Pourtant, le rat est un animal doué d’une certaine intelligence. Ce n’est pas pour rien que malheureusement il est souvent utilisé pour tester des expériences. Par conséquent, on peut aussi faire un lien avec le fait que le rat représente un enfermement, une privation de liberté.
Dans la religion hindoue, il sert à transporter le dieu Ganesh qui représente la sagesse et l’intelligence.
Il a également servi de nourriture lors de famines.
Souvent, au cinéma, quand des personnages sont coincés, les rats symbolisent leur salut, du moins leur espoir de réussir à sortir vivant.
Le rat est un animal en rondeurs, souvent associés à un élément rassurant. Mais sa queue longue et poreuse accentue un effet de dégoût. Alors que la souris est similaire, elle est souvent mieux reçue, car plus petite. Il peut être de toutes les nuances de brun, noir, blanc. Des couleurs passe partout, qui se marient bien avec une notion de groupe.
Il est aussi difficile de discerner une émotion sur le rat. On ne voit pas de joues, de gueule, seulement des petits yeux sans expression, et parfois même rouges.
Le rat est un animal d’horreur par excellence. On ne compte plus le nombre de films mettant en scène un rat meurtrier: Les rats attaquent de Robert Clouse, La créature du cimetière de Ralph S. Singleton, The Rats de John Lafia ou même l’excellent documentaire horrifique Rats de Morgan Spurlock (réalisateur du documentaire Super Size Me).
Socrate
Socrate est le rat blanc de Willard. Par sa couleur, il est symboliquement mis en opposition avec le rat noir, Ben.
Je ne vous apprend rien, Socrate est un philosophe du Vème siècle avant JC. La particularité de Socrate est d’axer ses réflexions en lien avec une certaine éthique. Notion plutôt adéquate avec la blancheur du rat.
Socrate n’a laissé aucun écrit. On connait sa philosophie à travers Platon. C’était un homme qui conversait avec les habitant-es d’Athènes, qui était un simple citoyen. Cette dernière caractéristique est importante, car on le verra plus loin, mais c’est précisément la situation de Willard. Il est donc naturel que celui ci s’identifie à ce rat, qui plus est, qui représente le bien.
La philosophie de Socrate est connue pour l’idée que le mauvais en soi n’existe pas chez l’Homme. C’est son ignorance qui l’amène à être mauvais. Par conséquent, pour y remédier, il faut apprendre à se connaître. Et à se connaître bien. Ce qui n’est pas le goût de tout le monde. J’imagine que vous avez tous-tes connu la situation où une personne vous met face à vos contradictions. Ou vice versa.
Le procès de Socrate
Mais c’est le procès de Socrate qui reste sans doute le plus dans les mémoires. Accusé de corrompre la jeunesse de certains esprits (et oui déjà!), il sera condamné à mort. Lors de son procès, il démontera brillamment les arguments de ses accusateurs cependant. En pointant notamment le fait qu’il ne peut pas avoir corrompu volontairement les esprits, car ne voulait pas souffrir, il ne va pas commettre le mal sur autrui.
Par ailleurs, même si sa condamnation est injuste, il refusera les offres de fuite de ses amis. Estimant que les lois d’Athènes l’ont élevé et qu’elles sont justes. Ce sont les hommes qui sont injustes. Il devra faire sacrifice de sa vie pour prouver à l’Histoire l’injustice de sa condamnation.
Dans Willard, Socrate meurt, tué à coups de batte par le mauvais patron de Willard. Cet événement marquera également un point de rupture dans la vie de Willard avec ses rats. Une injustice qui ne fera qu’alimenter la haine de Ben, le rat noir. Le rat symbolisant le bien n’était plus là, c’est une fois de plus la force maléfique qui gagnera.
2-Willard de Daniel Mann (1971)
Willard (Bruce Davison) est un jeune homme qui tente de se faire une place dans l’entreprise familiale. Mal dans sa peau, il se prend d’affection pour un rat, puis deux, puis trois, puis…
Daniel Mann était loin d’être un réalisateur débutant quand il a dirigé Willard. Avec plus d’une quinzaine de longs métrages, et une quinzaine qui suivront Willard, avant sa mort en 1991, Daniel Mann a eu une carrière honorable. Sans éclat, il a réussit néanmoins à tourner régulièrement.
Take the power back
L’enjeu principal de Willard est clair. C’est un homme qui cherche à reprendre le contrôle sur sa vie, ses émotions. C’est un sujet que je trouve personnellement passionnant, car nous sommes tous-tes confronté-es à diverses contraintes, qu’elles soit professionnelles ou personnelles. Si les compromis sont nécessaires, à partir de quel moment les contraintes dépassent les limites? Et quelles limites? Sans oublier qu’il n’est pas toujours facile de se rendre compte qu’on nous brime.
Nos sociétés, et notamment le travail, sont basés sur des principes très contraignants: horaires, salaires, conditions de travail, sens de ce que l’on fait…
Tuer la mère
Et l’oppression du travail est au coeur de Willard. Engagé par défaut dans l’entreprise familiale à la mort de son père, il peine à se faire respecter. D’emblée catalogué comme boulet, il est régulièrement humilié par son patron malgré ses efforts. C’est une tragique mais classique manière de développer de l’empathie pour un personnage, très claire pour le-a spectateur-rice.
L’oppression continue dans un univers que l’on ne peut pas choisir en revanche; la famille. Celle de Willard est composée de sa mère, et de quelques ami-es de celle ci. Cette famille ne manque pas d’amour, mais de respect de zone d’intimité. On lui dit quoi faire, quoi dire, quoi penser.
La mère est particulièrement invasive, pratiquant une certaine violence psychologique en le culpabilisant ou le rabaissant. Elle est d’ailleurs toujours filmée comme dominante.
Mais malade, elle est aussi très faible et dépendante de Willard. Cette dépendance, elle tente de la contrebalancer en faisant pression sur son fils.
Le basculement
Au hasard d’une balade dans son jardin (qui a fait office de jardin légèrement onirique rappelant le point de départ d’Alice au pays des merveilles), Willard repère un rat qu’il commence à nourrir. Il en découvre d’autres, et alors qu’il s’apprête à les tuer en les noyant dans un bassin (qui sera donc notre fusil de tchekhov), il découvre son pouvoir de vie et de mort sur ces bêtes, en les épargnant.
Dès lors, il se sent plus fort. Et c’est montré simplement par ces plans en opposition:
La faiblesse de la mère est montrée à travers sa pénible montée de l’escalier grâce à son fauteuil. Plus loin, Willard utilise ce même fauteuil pour monter alors que sa mère l’appelle sans relâche. Non seulement il remplace symboliquement cette mère pour le moins pénible, mais en plus il est devenu détendu et confiant, tenant entre ses mains son rat, Socrate.
Ce pouvoir enivrant de contrôler qu’on exerce fortement sur lui, il en ressent les effets très rapidement. Comme une drogue. Parce que très vite, il développe une armée de rats, dans sa cave. Comme une envie irrépressible d’aller toujours plus loin, et d’accroître son pouvoir à mesure que son groupe de rats grandit.
L’enfer c’est les autres
On ne peut qu’être en empathie avec Willard. Son patron est un type qui prend plaisir à manipuler et rabaisser ses employé-es. On a évidemment sa mère envahissante, mais aussi une amie de celle ci. A la mort de la mère de Willard, cette femme ne cesse de s’immiscer dans la vie de Willard sous prétexte de lui rendre service. Sans tenir compte de ses besoins, elle ne comprendra même pas ses torts quand Willard se montrera plus ferme. L’illustration parfaite de la personne qui parce qu’elle se rend serviable avant même d’avoir été sollicitée, ne se rend pas compte qu’elle ne respecte pas l’autre.
Il faut voir comme le cadrage en contre plongée accentue un effet presque diabolique.
Et à ce propos, je vous conseille d’écouter cet épisode d’Affaires sensibles. Sur un sujet complètement différent (l’infanticide), il est expliqué que dans l’enfance de la mère meurtrière, elle était gavée. Jamais elle n’a pu exprimer ses besoins, ses envies de manger ou pas. Pour avoir la paix, elle était nourrie constamment. Et il est expliqué qu’un enfant à qui on ne donne pas l’opportunité d’exprimer ses besoins, peut créer des névroses.
La domination entre blancs
Willard n’a pas d’ami-es, il est profondément seul et haï. On comprend aisément sa passion pour les rats, animaux rejetés.
Ceci dit, c’est son entourage qui sont mis en scène pour rappeler les rats. Alors que l’enterrement a à peine eu lieu, ils se jettent sur la nourriture.
Par ailleurs, au début, quand ils accueillent Willard pour son anniversaire, ils se pressent autour de lui. Leurs têtes occupent le devant de la caméra.
Enfin, la notion de domination de l’autre passe par le personnage du patron. Evidemment à travers les diverses humiliations et rabaissements. Mais aussi à travers le fait que le patron se doit d’être respecté et admiré pour garder son pouvoir. Ainsi, le rapport de domination vacille quand la fête du patron est gâchée par les rats. A son tour, il est l’objet de moqueries. Son statut se modifie.
Il ne remontera dans l’estime sociale que quand il fera preuve de force physique en tuant Socrate. Une manière de montrer que la domination ne va pas forcément de paire avec le statut. Et qu’il faut régulièrement s’imposer pour conserver son pouvoir.
Le créateur dépassé par la créature
Il est inévitable de rapprocher Willard avec l’histoire de Frankenstein créé par Mary Shelley.
Tout d’abord parce que c’est Willard qui donne véritablement vie et pouvoir aux rats, et en particulier à Ben. Tout comme Victor Frankenstein, Willard utilise les rats à ses fins personnelles, pour se revaloriser.
Sans se soucier des conséquences, ni de la manière dont cette situation peut durer dans le temps, il est concentré sur ce que les rats lui apportent sur l’instant. Comme Frankenstein, qui se dépasse pour réussir à donner vie à la créature.
Et tout comme le héros de Mary Shelley, il pense avoir un réel contrôle sur sa création. A plusieurs reprises, on le voit interagir avec ses rats, les informant de règles de vie à suivre. Tout comme Victor, qui pense avoir le dessus sur son monstre, quand celui ci montre sa dangerosité.
De plus, les rats et la créature sont considérés comme répugnants.
Enfin, la rébellion des rats contre Willard est évidemment similaire à celle de la créature envers Frankenstein. Les deux bêtes sont blessées de la trahison de leurs créateurs. Et cherchent à se venger.
Frankenstein sur la planète des singes
Mais l’analogie peut aussi se poursuivre concernant la situation de classe de Willard. Je vous invite à lire mon article sur une conférences donnée aux Utopiales, à propos du lien entre le livre de Shelley et Marx. Pour faire court, Frankenstein renvoie au corps du travailleur qu’on utilise.
Comme nous l’avons vu précédemment, Willard est en bas de l’échelle. Il est en plus méprisé et humilié. Il est clairement vu comme un objet à utiliser par son patron. Que ça soit concernant son travail, mais aussi en lui arrachant sa maison, par intérêt immobilier.
On peut également faire un parallèle entre Willard et La Planète des Singes. Cette manière d’utiliser les animaux (les rats et les singes étant intelligents), pour servir ses intérêts, et sans se soucier véritablement d’eux est un thème en commun entre les deux films. Tout comme leur soulèvement.
Une manière de montrer aussi que l’Homme, en voulant tout s’approprier et tout contrôler, finit par le payer.
Ce rapprochement se fera d’autant plus dans la suite de Willard, Ben.
Créateurs face à leurs créatures…Encore une belle illustration de l’Homme qui se prend pour Dieu.
Un beau personnage féminin
Mais mon coup de coeur pour Willard est aussi dû à ce personnage féminin bien écrit. Pas assez important, mais très positif, surtout pour l’époque.
Joan (Sondra Locke), est la collègue embauchée en renfort pour aider Willard. Willard étant vu comme un incapable par son patron, Joan, est embauchée temporairement en renfort pour aider Willard. C’est un personnage en position de force par rapport à lui: elle n’a pas d’attaches à l’entreprise, et elle sait qu’elle est là car Willard est considéré comme incompétent. Celui ci occupe la place la plus déconsidérée dans l’entreprise. Il est mal payé, moqué, humilié, écarté des festivités de l’entreprise…Joan a donc forcément une image de looser de Willard. Et pourtant elle fait preuve constamment de bienveillance. Même si c’est une caractéristique habituellement attribuée aux femmes, ici ça ne fait pas d’elle une nunuche pour autant. On sent qu’elle est touchée par Willard, sans aller jusqu’à l’infantilisation. Elle est la seule qui l’écoute, l’encourage et surtout lui fait prendre conscience qu’il n’est pas traité correctement.
Ce personnage de femme est attirée par le looser de l’histoire, non par pitié, mais par réelle considération de sa personne.
Un vrai soutien
Elle est aussi le symbole d’un basculement de Willard en lui offrant un chat. C’est la prise de conscience que sa situation au milieu des rats n’est pas tenable. Et son comportement bienveillant envers lui, ne peut que l’encourager à aller de l’avant et à envisager des relations humaines saines.
Par ailleurs, elle fait preuve d’éthique, en tenant tête sans éclat mais fermement, au patron qui tente de la liguer contre Willard.
Sa distinction par rapport à l’entourage de Willard se traduit aussi par ses vêtements. Elle est toujours habillée non seulement avec des vêtements à motif renvoyant à une jovialité, mais ils sont surtout en opposition avec ceux de l’entourage de Willard, qui sont eux, unis.
Elle est également blonde, et c’est souvent une couleur de cheveux associée à la pureté au cinéma.
Willard s’avère être un très bon thriller horrifique, qui prend son propos au sérieux. Notamment au travers du traitement des rats, qui sont filmés tel quels, sans artifices. Une belle peinture d’une comédie humaine.
3-Ben de Phil Karlson (1972)
Ben, le leader des rats, et sa meute terrorisent la ville. Ils sont recherchés par la police. Parrallèlement il fait la rencontre avec un petit garçon David, se lie d’amitié avec Ben.
A peine les résultats du box office sont connus, que la suite est dans les tuyaux. Les producteurs ont besoin de sortir Ben rapidement. Il faut donc un réalisateur efficace, à l’heure, et connu pour ne pas dépasser le budget. C’est le cas de Phil Karlson qui réalise plutôt des westerns, ou des films de gangsters. Il co réalise également Roger Corman, producteur qu’on ne présente plus, connu pour boucler des films à petits budgets.
Ben est plutôt un film de commande pour Phil Karlson. Il est écrit par le même scénariste que Willard.
David au pays des rats
Le point commun entre David, le petit garçon, et Willard est leur isolement et leur sentiment de solitude. Mais je dirais que la comparaison s’arrête là.
David est un enfant, il a donc une véritable part de naïveté qui est la bienvenue (contrairement à Willard qui est handicapante). Par ailleurs, il est gravement malade. Atteint d’un problème au coeur, il doit faire attention à ne pas trop s’agiter. Compliqué pour un enfant. Il a également perdu son père récemment. Et l’amour de sa mère et de sa grande soeur ne suffisent pas à son épanouissement.
C’est dans ce contexte, qu’il voit en Ben, un compagnon idéal.
Viens jouer avec moi
La mise en scène de la rencontre est très astucieuse. On voit David, qui joue aux marionnettes laissées par son père. En un plan, on nous montre la solitude que ressent le petit garçon. Mais on peut aussi y voir la notion de manipulation et de contrôle grâce à la marionnette. Et le plan d’après, on voit Ben arriver, en premier plan, qui nous semble deux fois plus gros que David. On sait ainsi, qui va véritablement prendre le contrôle.
Si Ben est venu sauver David de la solitude, celui ci viendra à son tour sauver le rat d’une mort certaine. Le petit garçon se savant en danger, tente également de protéger son ami. C’est en fait lui même qui tente de se battre contre la fatalité.
Par ailleurs c’est un personnage de petit garçon assez inhabituel au cinéma. Bien sûr, pour les besoins de l’intrigue il est normal qu’il soit marginalisé. Mais des détails ne font qu’apporter épaisseur au personnage.
Par exemple il chante et joue divinement bien du piano. Il fait preuve de maturité en étant capable d’entendre des vérités brutales sa possible mort.
Distinguer le bien et le mal
Il est aussi très lié avec sa mère et surtout sa soeur. Celle ci lui tient un discours particulièrement honnête sur le fait que la maladie de David peut le tuer. Cette relation basée sur la pure vérité entre entre eux, procure un vrai dilemme à David. Comment peut il continuer de mentir alors que dès qu’il dévoilera la présence de Ben, il en sera privé?
De plus, il ment régulièrement pour protéger son rat. Tout en étant conscient de l’abus de Ben, qui fait peur à une partie de Los Angeles.
A mon sens, David fait aussi là, l’apprentissage du bien et du mal.
C’est par ailleurs, symbolisé par le fait qu’il se plonge dans l’univers des rats, comme Alice au pays des merveilles. A travers un tunnel, il cherche à comprendre comment ses amis vivent. Tout comme à la fin, lorsqu’il se surpasse en venant aider Ben.
Des rats pas si diaboliques
Le traitement à l’image des rats est particulièrement réussi. Bien mieux que dans Willard à mon sens. Il faut noter qu’il faut être particulièrement habile de montrer des rats agressifs, mais d’en faire un compagnon de jeu mignon.
Phil Karlson parvient à montrer Ben comme véritable chef, avec des gros plans, et des contre plongées. Mais c’est surtout qu’il capte une certaine noirceur dans son regard. On a vraiment le sentiment qu’on va se faire attaquer.
Le reste des rats sont filmés uniquement de manière à montrer une meute. Toute la concentration est portée sur Ben.
Et le lien entre David et Ben permet au spectateur d’être en empathie avec les personnages. On sait que cette curieuse amitié est bénéfique pour David, malgré les actes de terreur de Ben. Par ailleurs, Ben possède de belles scènes qui illustrent ce lien amical, comme la chanson de David qu’il utilise en manipulant une marionnette à l’effigie de Ben.
Le rat philanthrope
Ben s’avère être un personnage plus complexe que dans beaucoup de films d’horreur. Il tue quand il se sent menacé: par Willard, le policier. Il est responsable de sa meute et il faut la nourrir, donc les rats vont dévaliser un supermarché. Au passage, on peut voir cette séquence comme le saccage de grande consommation, par un symbole underground et sale, les rats. C’est appuyé par la réplique d’un journaliste qui répond « On dira que c’est une action écolo » quand un des flics demandent ce qu’on pourra en dire. Une des scènes les plus impressionnantes du film.
Enfin, Ben attaque aussi les personnages qui s’en prennent à son ami. Bref, en vrai, il est loin d’être un être diabolique. Il cherche juste sa place. Comme David, comme tout le monde.
Mais même si cette violence est modérée, on voit à quel point cette marginalité peut poser problème.
Los Angeles infesté
Entre toutes les scènes avec David, on assiste à la terreur répandue par les rats. Ils touchent des lieux emblématiques d’une ville: les hôpitaux, les supermarchés. Mais aussi des lieux spécialisés qui s’adressent à une clientèle plus haut de gamme: une belle fromagerie, et un spa.
Ces lieux ne sont pas choisis au hasard, ils renvoient au fait que les rats, créatures d’en bas, veulent viser plus haut. Du bon fromage de qualité, par exemple. Ou reprendre une certaine forme de pouvoir sur des dominants se croyant à l’abri.
Par ailleurs, Ben insiste fortement sur l’attraction de la population pour le fait divers. Il y a plusieurs plans généraux montrant la foule (qui fait aussi référence à la meute des rats). Mais on peut aussi noter un détail sur chaque visage par la suite. L’idée est de montrer que c’est le comportement individuel qui finit par former un comportement de groupe.
On constate également leur passivité extrême face à l’horreur de meurtres ou de saccages. On les sent comme hypnotisés face à quelque chose qui devrait les révolter ou les faire fuir.
A feu et à rats
Même s’il a un peu vieilli, le final avec la tentative d’exterminer les rats dans les égouts est prenante. On a bien assimilé l’intelligence et la capacité des rats à se défendre, alors on se demande bien comment l’affrontement va se dérouler. Cette fin fait directement référence au film Les monstres attaquent la ville (1954) de Gordon Douglas. Dans ce dernier, ce sont des fourmis géantes qui sont détruites au lance flamme à Los Angeles également.
Ben s’avère être une suite très pertinente car elle utilise des sujets similaires à Willard, tout en renouvelant son traitement. Même si le film dépasse un peu plus de quoi rembourser le film, les recettes s’avèrent décevantes et le troisième opus est annulé.
Détails amusants: le rat incarnant Ben a été récompensé deux fois de l’équivalent des Oscars des animaux, les PATSY awards. Et la chanson originale du film est interprétée par…Mickaël Jackson.
4-Willard de Glen Morgan (2003)
Willard (Crispin Glover) est un homme taciturne et isolé avec sa mère dans la grande maison familiale. Il se lie d’amitié avec un rat blanc, Socrate, et s’entoure de rats pour tenter de prendre sa revanche face à cette société qui le méprise.
Je vous avouerai que j’étais moyennement emballée devant ce remake du premier opus. Et même s’il s’avère moins percutant, il n’est pas dénué de qualités.
Le duel Ben/Willard
Willard a l’intelligence de se démarquer sur un point principal: la relation du personnage avec Ben, le rat noir. D’emblée, on comprend que Ben est et sera toujours le vrai chef. Et surtout, à aucun moment Willard n’a de sympathie pour lui. Contrairement au film original, où la relation se dégrade petit à petit. Le film est donc centré sur le duel permanent entre Willard et Ben.
Le premier problème c’est que ça en fait un film très prévisible. Malgré les quelques tentatives de Willard de faire barrage à Ben, on sait que le rat prendra le dessus. Et nous montrant Ben qui désobéit dès les premières minutes du film, le cadre est posé. Il aurait été plus pertinent de se pencher sur les raisons du rat à se comporter ainsi . Pourquoi et comment se distingue t il de Socrate, qui s’avère être un ami protecteur de Willard.
Le deuxième problème c’est que ça empêche le film de déployer le processus de marginalisation de Willard. Finalement, il y a peu de scènes avec le patron de Willard. Et globalement Willard est même filmé majoritairement chez lui, coupé du monde extérieur.
A tel point que les personnages secondaires sont tellement négligés qu’ils en deviennent insignifiants, voire gênants. Comme le patron, et surtout Cathryn incarnée par Laura Harring, qui incarne la collègue sympa. Un personnage féminin qui n’a aucun intérêt.
La mise en scène et le scénario s’appliquent à mettre en lumière le poids de la famille, qui ont fait de lui un marginal. Plus que le monde extérieur.
Le pingouin au pays des rats
A mon sens, Willard a beaucoup de points communs avec le pingouin dans Batman le défi de Tim Burton.
Ainsi on peut remarquer que Willard est:
- considéré comme répugnant,
- se lie d’amitié avec des bêtes du bas fond,
- a une attitude corporelle assez proche,
- n’est pas aimé par sa famille. Sa mère va jusqu’à lui faire perdre son identité en l’appelant par un autre prénom car elle juge celui de Willard comme laid,
- vient d’une famille riche mais finit pauvre.
Par ailleurs, en termes visuel, le générique m’a fortement fait pensé à l’univers de Tim Burton. Cette typo gothique, ces cadres étranges, et tous ces élément sortis d’un rêve qui penche vers le cauchemar.
Par conséquent, à mon sens, il est davantage en quête d’amour, que de pouvoir, contrairement au film original.
On voit qu’il est très attaché à Socrate, la relation avec le rat blanc est plus significative. Le rat le sauve de sa tentative de suicide par exemple.
Le poids de la famille
Au contraire, Ben est associé à l’héritage financier et entreprenarial perdus du père, au poids de la famille. Willard a peur d’avancer, de faire face à cette catastrophe qu’il ne peut pas éviter. Cette famille qui l’empêche d’avancer et d’être lui même. La mise en scène le dit clairement en liant Ben au portrait du père.
Par ailleurs, contrairement au premier film où la mère est dépeinte comme envahissante et dominante, ici elle fait peur. C’est presque le fantôme qui hante la maison. La mise en scène le traduit avec des séquences de dialogue avec Willard où on la voit pas. On entend juste sa voix inquiétante.
Et la scène où elle crache du sang en vociférant n’est pas sans rappeler L’Exorciste.
Fait comme un rat
Cette peur s’exprime aussi à travers le fait que Willard est enfermé dans cet héritage, dans son travail. Toute la mise en scène est basée sur cette notion d’enfermement, beaucoup plus que sur marginalisation. Et ce de manière différente. On le classique du grillage sous toutes ses formes:
Mais la notion de piège se traduit aussi par les décors. L’entreprise ressemble à une prison. Sa chambre est quadrillée. Les plans du dessus dans sa maison donne l’impression qu’il est dominé.
Sans compter qu’il termine par être véritable enfermé, en asile.
Cette peur de tout, lié à l’enfermement, traduit un besoin d’appeler à l’aide. Et cette aide se traduit à travers sa tentative de suicide devant Socrate, les 911 que l’on voit régulièrement dans le film. Aussi bien sûr via le final, qui apporte une note d’espoir pour Willard, avec ce rat blanc qui vient lui rendre visite dans sa chambre.
Dommage que le personnage manque de cohérences. Sa rencontre et surtout sa maitrise des rats apparait soudainement, sans un quelconque lien. On ne comprend pas non plus pourquoi il veut tuer tous les rats après avoir attaqué son patron. Il n’a aucune raison de s’en prendre à eux. Ici le personnage féminin ne peut pas être une raison.
Les rats contre attaquent
Mais Willard se distingue surtout par ses séquences emblématiques de la masse de rats qui attaquent. Je pense à la scène de l’ascenseur (avec ce débordement de rats qui fait penser à la vague de sang dans Shining). Mais surtout à celle avec le chat qui tente désespérément d’échapper à la horde de rats. Une très belle séquence.
Par ailleurs, le film montre les toilettes comme conduit pour les rats. Et le documentaire Rats nous prouve que c’est une porte d’entrée pour les rats pour s’introduire dans les maisons.
Willard est un remake qui apporte une dimension nouvelle au personnage mais qui pêche par la négligence de ses personnages secondaires. Cela ne fait que renforcer les incohérences qui traversent le film. Et l’empêche d’être aussi percutant que l’original. Mais c’est un thriller efficace, à découvrir.
Une saga tristement méconnue
Si Willard ne marquera pas par sa dimension horrifique, les thèmes abordés sont divers et passionnants: rapports de domination entre blancs, isolement, poids familial. En cela, les films se distinguent nettement malgré une intrigue similaire. Il est dommage qu’elle ne soit pas plus évoquée et restée dans les mémoires.
Et vous? Aimez vous cette saga?
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