
Le cinéma de genre tient une place tout particulière dans l’industrie du 7ème art. Marginalisé, ignoré, censuré, c’est un cinéma qui, quoi qu’on en dise, est à part.
Qu’est ce qu’on entend par cinéma de genre? Comment le reconnaître? Et pourquoi cette place toute particulière dans le monde du cinéma?
Edit: J’ai reçu des messages de personnes qui visiblement ne connaissent pas l’appellation « cinéma de genre », et me faisaient remarquer qu’il existe plusieurs genres de films…Ce qu’on appelle grossièrement « cinéma de genre » est lié à l’horreur (sous toutes ses formes). Je ne suis loin d’être la seule à écrire sur ce sujet, il existe aussi des centaines de conférences qui le traite, en utilisant cette appellation.
Cet article part de ce postulat, et je tente d’élargir la réflexion.
Mal aimé, il est le mal aimé

Les spécificités du cinéma de genre peuvent être liées à 3 points:
- Une mise en scène dont le but est d‘inquiéter, de faire peur, de déranger, de bousculer. Ou du moins qui renvoie à des représentations inquiétantes. De par le style, le ton, la mise en scène, les effets graphiques/spéciaux (une comédie d’horreur ne fera pas peur, mais elle peut utiliser le ressort du zombie, figure inquiétant par exemple).
- Le fond. Le cinéma de genre retranscrit les peurs de nos sociétés depuis toujours (maladies, guerres, peur du communisme, etc…). Il explore aussi les paradoxes et les zones d’ombres qui parcourent tout être humain. C’est donc un cinéma sensé bousculer, choquer, questionner.
- Le financement. A tendance blockbusters, d’exploitation, ou indépendant, le cinéma de genre connait à peu près tous les cas de figures, très variables selon les pays. Ce qui donne lieu à des codes spécifiques, parfois liés en partie, à leur manière d’être financés.
Ainsi, l’atmosphère, la patte graphique, les moyens financiers visibles à l’écran, ou les thèmes seront très différents d’un Conjuring, en passant d’un Blacula ou d’un The Wretched.
Je ne développerai pas ce point ici, qui mériterait un article dédié. Il existe 50 nuances (voire points de vue), ne serait-ce que si on prend le cinéma d’exploitation, qui à lui seul contient plusieurs branches (blaxploitation, ozploitation, nunsploitation…).
En France, les moyens financiers accordés sont tellement dérisoires par rapport aux besoins des réalisateur-rices (si un film arrive à obtenir 4 millions d’euros c’est le graal, le plus courant étant entre 1 et 2 millions), que les ambitions visuelles peinent souvent à concurrencer sérieusement les USA (si on a envie/besoin de beaucoup d’effets bien sûr).
Cinéma de genre d’auteur?

Il n’existe pas de définition précise du cinéma de genre, tant les sensibilités et ressentis sont différents.
Si on cherche à vulgariser ce qui communément entendu par cinéma de genre, on peut y associer des films qui, soit:
- sont de nature inquiétante et/ou menaçantes (fantômes, vampires, tueurs, etc…),
- utilisent des références dont l’origine est inquiétante (comédies horrifiques, comédies musicales horrifiques..),
- ont une forme d’audace et/ou de radicalité à travers l’image.
Du zombie, au diable, en passant par les tueurs en série ou les vampires, le cinéma de genre est tellement vaste qu’on peut le classer en sous genres. Cette richesse d’histoires impliquent une multitude de thématiques et de styles visuels.

Le jugement de valeur sur le cinéma de genre « d’auteur », a créé une scission.
Mais une fois qu’on établi ce constat, et qu’on retourne au terme littéral du « cinéma de genre », quel sens cela a t il? La comédie n’est elle pas un genre? Le drame? Et le cinéma dit « d’auteur » c’est quoi alors? Le cinéma de genre ne peut il pas être lui aussi un cinéma d’auteur?
Un débat est apparu il y a quelques année sur l‘intellectualisation d’un certain cinéma de genre, appelé elevated horror notamment aux USA.
Je rappelle que tous les films ont un-e auteur-e, quel que soit le style et le niveau de qualité (qui reste en plus, une notion très subjective). Mais, on persiste à utiliser ce terme pour désigner des films davantage construits dans une optique de réflexion plus ou moins profonde.
Le problème, c’est que, ce que j’appelle ce jugement de valeur, a créé une scission (dont on avait pas franchement besoin). Entre ce qui serait du « vrai » cinéma de genre, à savoir un cinéma qui fait peur, qui tâche, qui pousse les curseurs; et un cinéma de genre qui ne s’assumerait pas car centré sur une démarche intellectuelle dont Grave est le symbole.
D’autant plus que c’est un film français, et comme il est compliqué de faire financer des « vrais » films de genre, son succès critique, professionnel et public, fait d’autant plus grincer les dents.
Cette distinction est expliquée notamment par Alexandre Aja, dans cette conférence (passionnante), qui finit par souligner qu’il y a selon lui, 2 types de cinéma de genre:
Pourtant, à y regarder de plus près, des films des années 70/80 comme Rosemary’s Baby, Vidéodrome, Suspiria, Ne vous retournez pas…peuvent être considérés comme du elevated horror ou du cinéma d’auteur. Et il ne viendrait à personne de ne pas les considérer comme de l’horreur, du moins du cinéma de genre. Alors pourquoi faire cette distinction maintenant?
On peut aussi prendre le cas de Babadock, qui cherche à la fois à faire peur, et s’applique à une mise en scène soignée pour proposer une métaphore du deuil. Là encore, comment considérer ce film?
A titre personnel, j’aime et j’ai besoin d’un cinéma de genre très divers, autant par la forme que par le fond. Qu’il soit radical, saignant, barré, profond, symbolique, complexe, simple.
A partir du moment où un film dérange, provoque une réaction, une tension, une question, ou qu’il soit audacieux et/ou radical, c’est du cinéma de genre.
Il est déjà assez marginalisé, il me semble peu productif de vouloir créer davantage de fractions.
Où sont les genres?
L’appellation « cinéma de genre » en irrite plus d’un-e. A commencer par le réalisateur Fabrice De Welz ou Julia Ducournau, car ça implique d’enfermer les films dans une catégorie, qui plus est, marginalisée. Et quand on connait leurs films, on peut comprendre en quoi c’est agaçant.
Pendant la conférence de presse de Titane à Cannes, Vincent Lindon a tenu à rappeler que c’est d’abord un film tout court, sous entendu qu’il ne faut pas l’exclure du paysage cinématographique, malgré la violence qu’il contient.

On peut constater que pour certaines personnes, le cinéma de genre est très compliqué à regarder. Elles ont du mal à visionner des scènes violentes, à supporter des atmosphères pesantes (au contraire de drames ou de comédies).
Par conséquent, on peut se dire que c’est logique (et encore largement admis), que ce cinéma est (doit être) à part. Réservé à public spécifique.
C’est aussi ce que j’ai longtemps pensé.
La violence psychologique des films grands publics n’est pas questionnée
Et puis, il se trouve que je suis personnellement très mal à l’aise devant des comédies racistes, sexistes, transphobes. Devant des drames glamourisant la domination masculine, ou des stéréotypes féminins usés, éculés, ridicules. Devant des représentations dramatiques de personnes trans, qui ont un impact dans leur quotidien.
Pourtant, la normalité ambiante, et la large distribution de ces films « grand public », m’imposent régulièrement leurs promotions, leurs visuels, et parfois, si je me retrouve dans une (mauvaise) soirée, leur visionnage.
Mais la violence de ces films là n’est pas questionnée ou remise en question. Et si elle l’est, l’argument de la cancel culture, des wokes, ou du politiquement correct est vite brandi.
Il est tout à fait
Le cinéma de genre qui s’imprègne

Avec toute sa richesse, le cinéma de genre peut imprégner des oeuvres très différentes.
En témoigne l’excellent Harry, un ami qui vous veut du bien. C’est à la fois un thriller inquiétant, sur fond de manipulation, qui instaure une ambiance malaisante. Il lui manque sans doute une certaine radicalité visuelle pour entrer pleinement dans le genre.
Mais cette noirceur et ce malaise n’a pas empêché le film d’être nominé plusieurs fois aux Césars. Meilleur réalisateur, meilleur acteur, meilleur son, meilleur montage. Il a en plus cartonné en salle: 2 000 000 millions de spectateurs.
On peut également prendre l’exemple de Petit Paysan, dont La Nuée se rapproche beaucoup. Même si on ne peut pas inscrire Petit Paysan dans du pur cinéma de genre, on a tout de même quelques ingrédients: un personnage inquiétant, un suspens malaisant…
On peut aussi évoquer l’animation avec J’ai perdu mon corps, qui utilise un élément narratif fantastique; une main dénuée de corps, qui prend vie.
De même que Jusqu’à la garde, dont le final n’a rien à envier à un slasher.
Pour compléter mes propos, je vous conseille d’écouter la conférence passionnante de la SRF sur le cinéma de genre avec Julia Ducournau (je vous ai dit que je l’aimais?), Xavier Gens, Lucile Hadzihalilovic et Julien Maury). Ils échangent sur leur rapport au genre, à la profession et à la perception de ce cinéma.
Décasons
Le cinéma de genre est souvent associé à la notion de peur. D’un cinéma qui nous met mal à l’aise.
Mais ce sont des notions tout à fait subjectives. Comment peut on définir une objectivement ce qu’est la peur?
On retrouve la notion de catharsis. Que ça soit de la part de réalisateurs qui ont eu besoin d’évacuer des traumatismes (comme Coppola avec la mort de son fils, dans Twixt). Mais aussi de la part du public, qui a besoin de voir s’exprimer sur grand ou petit écran, une angoisse, un mauvais souvenir, des questionnements.
Ces notions de peur et de catharsis peuvent tout à fait se retrouver dans des drames.
Tout cela m’amène à penser que cette manière de qualifier « de genre », est surtout une manière d’exclure un cinéma qui affronte la notion de mort, de maladies, de corps abîmés, qui nous renvoient à notre humanité et donc notre mortalité que nous ne souhaitons pas toujours voir.
Le cinéma de genre regroupe une large palette de sous genres. Dans tous les cas, il fait souvent appel à ce qu’on désigne communément comme de la transgression. Thématique, visuelle, représentations…d’une manière ou d’une autre, c’est un cinéma qui dérange. Notion qui reste subjective.
Bonjour.
Je réalise un article dans le cadre de mes études en journalisme, sur le film « Yummy », qui est un film de genre. Je vois que vous êtes calé dans le domaine. Serait-il possible que vous répondiez à cette petite question que je me pose :
1) le cinéma de genre connait-il une évolution? Peut-on parler d’un intérêt nouveau pour ce cinéma?
Ça dépend de quel point de vue on se place! D’un point de vue reconnaissance, Grave de Julia Ducournau a ouvert la voie en étant nominé plusieurs fois aux Césars. Et ça c’est exceptionnel pour un film de genre. Ça a amené le CNC à créer une commission spéciale pour financer le cinéma de genre (alors qu’il était méprisé par le CNC jusqu’à alors). A côté de ça, les films de genre sont toujours compliqués à financer, sont peu distribués donc pas beaucoup de chances de faire des entrées, donc pas de financement après…c’est un peu le cercle vicieux. Mais ça c’est la situation française. Celle américaine et belge peut être est différente. Je ne crois pas qu’il y ait un intérêt nouveau. C’est un cinéma qui a toujours eu des passionné-es, avec des périodes plus slasher, plus foundfootage, zombies, etc…
Bonjour!
Le cinéma de genre connait toujours une évolution comme l’ensemble du cinéma. Le slasher a évolué, la mise en scène aussi (avec l’exploitation du foundfootage), etc…Il y aura toujours des évolutions même si beaucoup de films se copient avant de connaitre de nouveau une évolution. Le cinéma de genre a toujours suscité de l’intérêt, même s’il est toujours actuellement assez méprisé en France.
Le cinéma de genre est souvent boudés et pourtant que de pépites ! Notamment dans les festivals et en mode « short film » !
Merci pour cet article