Demoiselles d’Horreur est le nom d’une chaîne YouTube (et non pas de sa créatrice!) créée par Judith début 2020.
Elle décortique des processus narratifs, des références, à travers le personnage féminin d’un film de genre. Il était donc tout naturel que je ne quitte plus cette chaîne une fois découverte!
Il y a toujours un propos politique à travers ses vidéos, car elle questionne la place du personnage féminin, son importance et ses symboles associés.
Sa chaîne a rapidement rencontré le succès, la preuve en est que le public est bien à la recherche d’un travail de réflexion de fond sur les films qu’ils voient.
Je suis allée à sa rencontre pour comprendre mieux sa démarche, et son objectif en créant cette chaîne.
Les origines des Desmoiselles d’Horreur
Comment définirais tu ta chaîne?
C’est une chaîne encore jeune qui veut parler de cinéma de genre tout en revalorisant la légitimité des femmes à l’écran. Chacun des épisodes est donc consacré à l’analyse d’un personnage féminin dans un film d’horreur.
Comment l’idée t’es venue?
Lors de la sortie du film Mister Babadook au cinéma en 2014, j’en avais parlé avec un ami qui ne l’avait pas du tout aimé et qui, à mon sens, était passé à côté du propos du film. J’ai donc essayé de formuler mon analyse au mieux pour le convaincre que le film était très intelligent. Quand il a fallu penser à concept de chaîne quelques années plus tard, j’ai eu envie de remettre ça.. Et puis, en aimant le cinéma d’horreur et en voulant avoir un propos un minimum féministe, l’idée de « Demoiselles d’Horreur » s’est imposée assez rapidement !
Pourquoi avoir choisi cet angle d’analyse?
Pour un même film, il existe des centaines d’interprétations possibles. Pour développer l’une d’entre elles de A à Z, il faudrait énormément de temps et accepter de n’être jamais satisfaite.
J’avais donc envie de choisir un axe précis qui me permette de me concentrer de manière un peu originale sur des éléments précis. Travailler avec des contraintes m’a toujours bien réussi, ça aide à structurer la pensée et à aller au plus pertinent là où il serait tentant de s’éparpiller.
Et puis, comme les femmes manquent encore cruellement de visibilité et que l’horreur est un genre dans lequel elles sont très importantes (pour le pire et pour le meilleur), j’ai trouvé que c’était un angle évident.
Comme les femmes manquent encore cruellement de visibilité et que l’horreur est un genre dans lequel elles sont très importantes (pour le pire et pour le meilleur), j’ai trouvé que c’était un angle évident
Comment as tu réfléchi au format? A la forme? Pourquoi?
N’ayant pas vraiment de budget ni de matériel (je l’emprunte à chaque tournage via mon ami Vlad), il me fallait forcément quelque chose de simple et de direct. Me filmer face caméra était le plus évident. C’est très classique et sobre, mais comme c’est un travail dans lequel je veux que l’analyse prime, ça ne me dérange pas.
Bon, après, si jamais la chaîne prend un peu d’ampleur et que je peux me permettre un peu de mise en scène, je ne m’en priverai pas..
Les secrets de fabrication
Combien de temps pour sortir une vidéo (recherches, écriture, réalisation, montage, promo etc)?
D’habitude (et donc hors période de confinement), je m’octroie un délai de trois semaines entre chaque vidéo. Le gros de ce laps de temps est pris par la réflexion, l’écriture et… La procrastination !
Ensuite, le tournage prend une bonne demie-journée. Pour le montage, je m’y attèle sur deux ou trois jours, selon le temps que j’arrive à rester assise devant mon ordinateur…
Mais avec Vlad, on commence à être de plus en plus rodés à l’exercice, donc l’objectif est de bientôt réussir à tourner deux vidéos à chaque fois, pour pouvoir être un peu plus prolifiques !
Comment sélectionnes tu les films donc tu veux parler?
C’est vraiment à l’inspiration. Il y a énormément de films dont je veux parler, mais j’attends de trouver le bon axe d’analyse avant de me lancer. C’est un peu la muse et l’intuition qui, un beau jour, me mettent un film en tête et me font apparaître la problématique en lettres de feu (ou presque). Je ne me force pas à parler de certains films que je vénère tant que je ne suis pas sûre d’avoir quelque chose de bien à dire dessus. Ca ne sert à rien. D’ailleurs, c’est difficile d’avoir du recul et un regard d’analyse sur les films dont on se sent très proches et qu’on connaît par coeur.
Bon, fonctionner à l’inspiration, c’est bien, mais en même temps je vois que pour l’instant, ça me fait essentiellement aller vers ce que je connais bien. Donc parler de films anglosaxons avec des héroïnes blanches. Ce serait bien que j’éduque mon regard à d’autres types de cinéma et que je me diversifie un peu.
Les principales difficultés que tu rencontres quant à la création de tes vidéos?
C’est principalement en phase d’écriture. Quand j’alterne toutes les deux minutes entre les moments où je suis persuadée de dire quelque chose de vrai et d’intéressant sur le film, et les moments où j’ai l’impression de n’écrire que de la paraphrase qui n’intéressera jamais personne.
Il arrive que ça me redonne des moments de doute pendant les tournages. Alors heureusement que Vlad est là pour me donner un regard extérieur sur ce que je raconte, ça aide à garder le cap !
Le moment du dérushage est compliqué aussi . Se voir à l’écran c’est toujours dur, mais passer en revue je ne sais combien de prises de soi qui parle face caméra, ça pique ! Lors de la première vidéo, j’ai cru que je n’y arriverai jamais… Mais bon, en vrai, tout ça, ça n’empêche pas que je m’amuse bien !
La passion du genre
Pourquoi aimes tu le cinéma de genre?
J’ai toujours adoré faire peur et avoir peur. Je parle de peur innocente du style on surgit de derrière une porte en criant « Bouh ! » Quand j’étais gamine, mon grand frère me faisait peur et ça me faisait rire, et moi je faisais peur à ma petite soeur et ça la faisait moins rire. Plus tard j’ai continué à faire ce genre de blagues à mes amies… J’y peux rien, il n’y a rien qui me fasse autant vibrer que d’épouvanter ou d’être épouvantée !
C’est la même chose pour le cinéma. Je suis accro à la peur intense mais inoffensive que va me faire ressentir une bonne histoire de fantôme, par exemple. Même si au bout de quelques nuits blanches après un film un peu trop effrayant je finis parfois par le regretter…
Et au-delà de ça, je trouve aussi que le sang est un motif qui peut être très poétique si on veut bien l’employer comme tel. Je n’aime pas le gore pour le plaisir du gore. Justement parce que ça dépourvoit le sang de son potentiel esthétique et symbolique pour le ramener à quelque chose de bas et de sale. Mais le macabre et le sanguinolent peuvent être quelque chose de très beau qui exprime si bien les passions qui nous animent. Alors forcément, avec tout ça… Le cinéma de genre est mon ami !
Quels sous genre préfères tu? Pourquoi? Tes films phares?
Alors justement, je dirais très clairement l’épouvante, si on peut considérer que c’est un sous-genre.
C’est difficile de définir ce qui est un film d’épouvante et ce qui ne l’est pas. En tout cas c’est un terme que j’emploie pour parler des films qui reposent sur l’atmosphère et le surnaturel pour réellement effrayer. Contrairement à ceux qui comptent davantage sur la violence frontale pour écoeurer.
Un très bon exemple de ce que j’appelle un film d’épouvante, c’est Les Autres, d’Alejandro Amenábar. Pas une goutte de sang mais une frousse de tous les diables ! Un film qui me fait extrêmement peur tout en étant un excellent film par tous ses aspects et pas seulement dans sa dimension horrifique. Dans le même genre, il y a Les innocents, Rebecca, L’Orphelinat… L’Orphelinat étant sans doute le film qui me fait le plus peur au monde, en tout cas au moins autant que Les Autres.
Le sang est un motif qui peut être très poétique si on veut bien l’employer comme tel
Tous ces films se passent dans une maison hantée, et forcément, là on voit des schémas du gothique qui se répètent. J’adore la littérature gothique et le romantisme noir, et ça se ressent aussi beaucoup dans mes goûts cinématographiques. Un film comme Sleepy Hollow représente un peu la quintessence de tout ce que j’aime en terme d’atmosphère.
Quel est le sous genre que tu aimes le moins? Pourquoi?
Sans doute le « rape and revenge ». Rien que le fait que ça existe en tant que sous-genre est dérangeant, car ça dit bien que le viol d’une femme comme thématique de divertissement au sens large est totalement acquis. C’est grave, non ? Je ne dis pas qu’il ne faudrait jamais utiliser le viol comme ressort dramatique dans un scénario, et évidemment il existe d’excellents films qui comportent des scènes de viol, mais quand on décide d’aller sur ce terrain-là, il faut faire très attention à la pertinence de ce qu’on fait et au message que l’on met derrière.
Souvent, la condamnation de l’acte n’est pas très claire, et pourtant on en voit tous les jours à la télé et au cinéma (vraiment tous les jours). C’est presque devenu une paresse d’écriture. Ca participe d’une banalisation de cette violence et de sa version très ciblée envers les femmes. En plus, les « rape and revenge » ont souvent très peu d’introduction et de construction de personnage avant le viol, et aucune conclusion après le meurtre des violeurs. Ca renforce l’idée qu’on est là pour le voyeurisme, d’abord pour la violence sexuelle. Et ensuite pour les meurtres dont on se sent autorisés à jubiler parce qu’on croit se racheter une conscience suite au viol en se plaçant du côté de celle qui se venge. Oui mais non.
Comment te tiens tu au courant des films qui sortent, que tu aimerais voir?
Je pêche un peu partout : je prête attention au bouche-à-oreille, je regarde les bande-annonces au cinéma, je scrute les affiches dans le métro… Et je suis assez sensible au casting et au réalisateur ou à la réalisatrice. Cela dit, je ne suis pas une grande consommatrice de bande-annonces, parce que j’aime bien aller voir un film en ne sachant rien.
Là où j’ai un peu honte, c’est qu’à chaque fois que j’ai le choix entre un film d’horreur qui sent le navet à des kilomètres et une palme d’or acclamée dans le monde entier que tout cinéphile qui se respecte irait voir, je choisis à coup sûr le film d’horreur. Je ne peux pas résister à la promesse d’un potentiel frisson. Bon, c’est sûr qu’après, je suis souvent très déçue et je regrette mon choix… Mais je recommence à chaque fois
Ton mythe favori? Pourquoi?
J’ai toujours été fascinée par le mythe du vampire. Ce qui me valait d’ailleurs d’être prise pour une fan de « Twilight » durant mon adolescence, et j’en étais très vexée ! Le vampire expérimente ce qu’il y a de plus beau et et ce qu’il y a de plus douloureux dans la vie, comme les deux côtés d’une même pièce. Dans le « Dracula » de Coppola, l’amour est éternel mais il s’éprouve dans une éternité de tristesse. Le jour où cet amour est enfin retrouvé, cette éternité prend fin. Le vampire est terriblement cruel. Mais il est aussi capable des sentiments les plus grands et des désirs les plus violents. Ce qui le rend tragique et en quelque sorte admirable. Et puis il y a aussi ce que je disais sur le sang dans une question précédente…
Là c’est sûr que je parle d’une certaine interprétation du vampire, qui n’est pas celle de toutes les oeuvres. Mais même sans ça, avoir des dents pointues et être pote avec les loups et les chauve-souris, ça reste stylé !
Quel conte aimerais tu voir à l’écran?
J’aimerais beaucoup voir une vraie adaptation du conte « La Reine des Neiges » d’Andersen. La version française du Disney a usurpé le nom, alors que l’histoire n’a vraiment rien à voir. C’est un très beau conte un peu inquiétant, avec un personnage plein de potentiel. Si seulement Cocteau avait pu nous pondre une adaptation dans la lignée de « La Belle est la Bête » !
Comment expliques tu la communauté qui se forme autour du cinéma de genre?
Le genre peut être brutal, étrange, inquiétant… Il est forcément moins consensuel que la comédie ou le drame classique. Et je suppose que ça fait raisonner des choses délicates ou douloureuses dans la vie des gens. Donc ceux qui se sentiront libérés par ça trouveront un charme particulier au genre, tandis que ce qui trouveront ça trop intrusif le fuiront. Et à partir de là se forme une communauté ! Enfin ce ne sont que des suppositions…
Quelles chaînes et critiques cinéma suis tu?
Bon Chic Bon Genre, bien évidemment ! Honnêtement, tu fais de très bons articles sur des sujets importants pour le cinéma de genre et c’est vraiment top. C’est le cas aussi des vidéos de Videodrome, qui représentent un travail monstrueux et passionnant. Sans surprise, je suis aussi les vidéos de Laura fait Genre et Welcome to Primetime Bitch.. Ainsi que le blog de Leo Iurillo.
Et puis je suis le travail de la Grande Hanterie, d’Azz l’Epouvantail, le Coin du Bis… Côté cinéma en général et pas forcément de genre, je suis aussi très admirative des analyses du Ciné-club de Monsieur Bobine. Mais aussi de Cinéphile Facile, des vidéos de La Manie du Cinéma, Clararunaway, Gorkab… Bon, il y en a vraiment plein et je sais d’avance que j’en oublie et que je vais le regretter. Mais c’est toujours comme ça quand on fait des listes ! Désolée pour celles et ceux qui me lisent et que j’oublie, je vous aime quand même !
Un grand merci à toi Judith pour avoir partagé ta vision passionnante du cinéma de genre!
Pour suivre Desmoiselles D’Horreur, ça se passe par ici: