Emma, passionnée de cinéma de genre depuis toute petite, est actuellement rédactrice pour le webzine Fais pas Genre! Elle a été professeure aux Etats Unis; l’occasion de travailler sur une thèse sur le cinéma de genre Français.
On a parlé distribution du cinéma de genre Français, de Romero, et amour de l’horreur.
Le genre et Emma
Bienvenue Emma, ravie qu’on échange enfin ensemble! Peux-tu te présenter?
Je suis actuellement professeure d’anglais et de cinéma à l’université de Lyon II. Je suis récemment rentrée en France après avoir vécu 8 ans aux Etats Unis, où j’étais également professeure. J’ai pu effectué mon doctorat en cinéma là bas, où j’ai écris sur l’industrialisation du cinéma d’horreur en France. Problèmes de production, distribution, exploitation, j’ai essayé de comprendre pourquoi il n’arrive pas à décoller en France. La soutenance a eu lieu en avril 2021 et la thèse est disponible depuis peu en ligne sur le site d’université de Pittsburgh. Il s’agit de 200 pages en anglais, assez techniques donc ce sont pour les plus courageux-ses!
Je n’ai pas encore eu le temps de me pencher sur la question d’une publication éditoriale, en anglais ou en français.
A côté de mon travail de professeure, je suis rédactrice pour Fais pas Genre! Et je suis fan de cinéma d’horreur bien sûr!
Pourquoi as-tu eu envie de travailler sur cette thèse? Comment est venue l’idée?
Comment définirais tu le cinéma de genre?
Je n’ai pas de définition à proprement parler, car c’est un cinéma codifié certes, mais historiquement, culturellement, géographiquement c’est un cinéma perçu différemment. Et puis la définition change avec le temps. Beaucoup se veulent en plus hybride donc c’est compliqué. En tous cas, je dirais qu’un film d’horreur ne fait pas forcément un film fantastique. Le cinéma de genre est général est devenu abstrait et subjectif.
Quelles sont tes attentes envers le cinéma de genre français?
J’attends du cinéma d’horreur qui se tourne plus vers les monstres, les créatures, les fantômes.
On a beaucoup d’humains antagonistes et c’est tout. Je pense que ca ne ferait pas de mal de se tourner vers de l’horreur plus incarnée à travers des montres. Il faut le faire frontalement avec des moyens.
Par exemple, The deep house est très typé maison hantée, et il marche bien aux Etats Unis.
Idem pour Méandre qui s’exporte bien. Il faut oser et prendre ça au sérieux sans essayer d’atténuer ou de justifier. Comme Mathieu Turi qui n’a pas justifié son film; il a eu envie de le faire de cette façon, est c’est tout.
On ressasse trop la psychologie au détriment des codes purement horrifiques.
J’ai bien aimé La Nuée mais il aurait fallu faire quelque chose de plus énorme avec les insectes. Pour moi c’est d’abord un film social avec une dimension genrée.
Ou Teddy qui est au 3/4 une comédie: moquerie, raillerie autour de la figure du loup garou. Avec un final horrifique qui arrive comme un cheveu sur la soupe.
On utilise beaucoup la figure de l’homme qui est monstrueux, mais on ne fait pas de réels monstres en France. C’est un peu toujours la même chose et ça n’ose pas à mettre pleinement les pieds dans le plat du genre. Mais cela demande des moyens et le financement est le gros problème du cinéma de genre.
Le travail d’une thèse sur le cinéma de genre français
Comment as-tu travaillé sur cette thèse?
Mon angle d’attaque était « pourquoi le cinéma d’horreur ne fonctionnait pas en France? ». Je me suis basée sur le processus créatif: pré production/ financement/production/régulation avec CNC/distribution/exploitation/réception.
Je voulais apporter des solutions et pas juste pointer les soucis.
C’était aussi intéressant de comparer avec d’autres industries internationales.
Le temps de recherche a été énorme, des mois et des mois! Il faut trouver des articles récents avec des informations correctes, en fouillant dans les archives du CNC, de Mad Movies, dans des magazines…
Mais aussi aller en festival, à des tables rondes, conférences, rencontrer directement les réalisateurs etc..mais le covid a rendu tout compliqué. Je voulais une interview par chapitre mais ça n’a pas été possible.
J’ai interviewé Frederic Garcia, réalisateur de la série Mortel sur Netflix. L’expérience a été très positive pour lui, et il a été très sympa. Netflix est une issue de secours pour le cinéma d’horreur Français.
J’ai aussi réalisé des enquêtes d’opinion en festival. Et je voulais aussi l’avis de gens qui ne baignaient pas dans le cinéma de genre.
Les amateur-rices de cinéma de genre sont énormément influencé-es par le cinéma d’horreur américain, et il y a beaucoup d’admiration pour le cinéma coréen et japonais.
Ce qui revient bcp sur le ciné d’horreur français c’est le manque d’originalité, de budget et le choix des acteurs, qui ne sont pas toujours bons selon les personnes interrogées.
Par ailleurs, les gens constatent qu’il n’est pas facilement accessible mais les plateformes de streaming changent la donne, notamment grâce à Shadowz.
Quelle a été ta plus grosse surprise/découverte en travaillant sur ta thèse?
Je ne pensais pas que les règles de diffusion à la télé étaient si strictes. Les chaines de télé ne peuvent pas diffuser de contenu violent donc forcément ça limite la diffusion de films d’horreur. Même OCS qui prend un peu le relai, doit partager son budget entre plusieurs genres de films, et comme le cinéma de genre coûte cher c’est compliqué.
Il y a aussi la peur d’être censuré par le CNC, donc les réalisateurs s’auto censurent parfois.
Le problème c’est qu’il n’y a pas d’avance sur recette du CNC, les mentalités n’évoluent pas.
Grave l’a eu, ms Ducournau ne l’a pas vendu comme un film d’horreur.
D’un point de vue financier, l’aide au genre du CNC (de 500.000€) est trop minime.
Et puis, il y a parfois des choses étranges, comme Just Philippot qui l’a gagné 2 fois.
C’est mieux que rien mais ça ne va pas changer la donne. L’avance sur recette serait plus efficace.
L’autre soucis c’est que les campagnes promotionnelles sont quasi inexistantes, peu de bandes annonce qui circulent. Si des réalisateur-rices font un super film, mais que le public ne sait pas qu’il sort, ça sert à rien. Il faut un budget marketing.
Par exemple, il n’y a pas d’avant première de films d’horreur à Lyon, qui est quand même la ville des lumières!
Les goûts en cinéma de genre d’Emma
Tes personnages féminins préférés dans le cinéma de genre?
Mon personnage féminin favori vient de mon film d’horreur préféré, Martyrs, avec Anna. Elle est très compatissante et très résistante, tout au long du film. J’aime que le film soit divisé en deux, et qu’elle garde cette compassion malgré tout en gardant la tête haute. Je trouve ce personnage bien écrit et bien construit.
Des personnages de mères qui t’ont marqué?
Evidemment le cinéma d’horreur touche soudainement plus quand on est mère.
En termes de représentation, je dirais la mère dans Hérédité. Le personnage de Tonie Collette est un sacré personnage! Elle est souvent décrite comme folle et hystérique. Mais elle perd sa mère et sa fille, donc oui elle pète un plomb; c’est normal. D’autant qu’elle avait entièrement raison au final. Souvent, les personnages un peu fous aux premiers abords, ne le sont finalement pas.
Je dirais Relic également, avec le rapport entre les 3 générations (grand mère, mère, fille). Malgré un problème de rythme, le film est complètement rattrapé grâce à la séquence finale géniale qui relève tout le niveau du film. C’est touchant. Ce n’est pas beau à regarder mais ça te fait ressentir des choses positives et chaleureuses. L’un des films les plus marquants récemment, selon moi.
Tu te demandes ce que tu regardes et ce que tu ressens quoi!
Quelles sont les solutions que tu as identifiées pour résoudre les problèmes du cinéma de genre français?
La solution la plus réalisable ce sont les plateformes de streaming. Netflix est plus à même d’accepter du genre pur et dur. Ils ont une niche pour ça. Mais il y a de grosses limites: le catalogue vaste, et il y a constamment des nouveautés donc les films sont vite noyés dans la masse, et disparaissent. Leur durée de vie est courte.
Tenter de convaincre les financeurs est compliqué. Tant que le public n’est pas là, la production ne suivra pas. Tant que la production ne sera pas meilleure et plus ambitieuse, le public n’ira pas. C’est un cercle vicieux.
J’ai voulu montrer qu’il n’y a pas qu’un seul coupable. Autant la production, que la distribution, que de la réception. C’est un cercle vicieux. Le public est très sévère avec le cinéma de genre Français.
La tradition du ciné d’horreur n’est pas assez longue et ancrée dans la culture française.
Le CNC pourrait s’ouvrir, avec comité de classification un peu moins arbitraire. Et développer l’avance sur recettes comme on disait plus haut.
Les réalisatrices dans le cinéma de genre français sont encore largement minoritaires…
Malheureusement, je constate beaucoup que les réalisatrices de genre françaises sont cantonnées au court métrage. Elles peinent à sortir un 1er long. Le cinéma est toujours un milieu d’homme, et le cinéma de genre encore plus.
J’ai connu Holy Fatma qui a fait des courts, a gagné des prix, mais elle n’arrive pas à faire un long. Beaucoup qu’on ne connait pas restent coincées dans les limbes du court.
Le sous genre que tu aimes le moins et le plus?
Le sous genre que j’aime le moins c’est la comédie horrifique. Je trouve ça très compliqué de mélanger les 2; souvent les gags tombent à plat. A part Tragedy Girls qui n’était pas trop mal.
Mon sous genre préféré ce sont les films avec des créatures et des monstres. Les films très brutaux me plaisent comme Martyrs, avec une signification plus large derrière. J’aime quand la violence, le gore et la brutalité sont utiles et convaincants.
J’aime bien l’horreur psychologique aussi.
Le Pacte des loups est une film que tu aimes beaucoup. Pourquoi?
C’est un film très généreux, qui a très bien marché en France et à l »international, car ça osait aller au bout de son délire avec sa figure du monstre qu’on a rarement en France. On peut s’en moquer sur certains aspects mais ça tentait plein de bonnes choses.
Tes mauvais et bons souvenirs de films français?
Je sature de Quentin Dupieux, je n’ai pas réussi à finir Mandibules, et le Daim m’avait soulée aussi. Il réalise 2 films par an et visiblement c’est trop. Par contre j’avais beaucoup aimé Réalité.
Dernièrement j’ai bien aimé Le Calendrier, ça ose. Le film m’a interpellée malgré les questions que ça m’a posée. Il met les pieds dans le plat, malgré ses côtés foireux. Comme Maléfique, c’est un peu foireux mais très plaisant. Ce sont des films qui osent, qui ont une idée de base solide et originale.
J’ai bien aimé La dernière vie de Simon également.
Ton top 3 de films de genre Français?
Haute Tension dont le twist m’a beaucoup marquée. Sheitan, pour son énorme niveau de délire. On est très mal à l’aise en regardant ce film. C’est facile de faire peur mais pas de rendre les choses malaisantes. Et Grave bien sûr.
Est-ce que Grave a vraiment changé les choses pour le cinéma de genre français?
Ca peut aider à exporter mais je pense pas que ca révolutionne la situation. Il faudrait plus de films qui rencontrent ce succès, pas juste un. D’autant que Ducournau ne se vend pas comme une réalisatrice d’horreur mais comme une autrice. Elle n’assume pas son côté horreur comme Aja, Laugier ou Bustillo. Elle se situe entre les 2 et c’est la place la plus confortable sans doute.
Penses-tu que le regard a évolué sur le cinéma de genre?
Tes projets?
Je continue d’écrire pour Fais pas Genre! sur ce qui sort sur Netflix. Et je voudrais publier ma thèse.
J’ai récemment écrit un article sur La maison anthologie, en 3 épisodes en stop motion sur Netflix, que j’ai trouvé très bien.
Un grand merci à Emma pour le temps accordé, c’était un vrai plaisir de discuter entre passionnées de cinéma d’horreur.
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