J’ai eu le plaisir d’assister à cette triple conférence animée par des expertes et militantes de l’histoire Afro-Américaine, dans le cadre du Final Girls Berlin Film Festival, Du 3 au 6 février 2022. C’était vraiment intéressant de découvrir ce que ces femmes avaient à dire, surtout dans un contexte post MeeToo et Black Lives Matter.
Conférence –Figures et représentations des femmes noires dans le cinéma de genre et d’horreur
Présenté Adia Cullors, Rhonda Jackson Joseph et Tira Adams
1 – L’archétype de la prêtresse dans le cinéma d’horreur :
Tira Adams est écrivaine et youtubeuse – Mistress of the imaginarium
Cette conférence parlait des représentations de la femme noire dans les médias, vaisseau par lequel l’archétype de la « prêtresse vaudou », femme forte, indépendante et dangereuse, à été entretenu et diffusé pendant des décennies.
1900 – 1920
Popularisation de la figure de « Voodoo mama », figure de prêtresse indissociable à l’époque de la musique blues et des négro spirituals. Ces chants sont l’héritage des religions Africaines revendiqué par les esclaves comme un moyen de garder contact avec les esprits de leurs ancêtres.
Aujourd’hui quand on pense blues, on pense Muddy Waters, BB King, John Lee Hooker. On pense à la légende de Robert Johnson qui aurait pactisé avec le diable pour devenir le meilleur bluesman. On ne pense pas (ou plus) aux femmes du blues, et pourtant elles étaient nombreuses à l’époque. Comme Ma Rainey, considérée comme « la mère oubliée du blues », qu’elle à rendu populaire dans tous les Etats-Unis. A l’époque la meuf ose revendiquer le même salaire que les hommes et assume sa bisexualité publiquement. Elle à même été mentor de Bessie Smith et a donné des cours de chant à Louis Armstrong, rien que ça…
Les 70’s
Emergence de la « blaxploitation », terme polémique considéré par certains comme l’opportunité de représenter le public Afro-Américain, jusque là relayé à des caricatures. Mais considéré par d’autres comme l’exploitation de la culture noire par des producteurs blancs à des fins purement commerciales. Il existe tout de même un consensus sur le fait que la blaxploitation à ouvert la porte à plus de représentation de la diversité, et a donné à la communauté noire-américaine ses premières grandes héroïnes. Comme Pam Grier, actrice iconique du film Scream Blacula Scream ! Qui incarne la femme noire, non pas comme une vaudou mama ou un objet sexuel, mais une femme intelligente et forte, une figure de final girl.
Les années 80
Les années 80 sont un peu problématiques, on revient au cliché du vaudou diabolique. Le vaudou Un exemple très populaire est Chucky. Dans ce film, le tueur Charles Lee Ray utilise un sort vaudou « Ade due Damballa » pour transférer son âme dans une poupée tueuse. Fun fact : Damballa est aussi le dieu de la fécondité, Chuck aurait pu juste tomber enceinte et le film aurait pris une tournure très différente…
Cette décennie popularise l’esthétique « southern-gothic » illustré par un Bayou à l’ambiance sinistre. Dans Angel heart, un thriller horrifique, un détective est piégé par une prestesse, conçue lors d’une cérémonie vaudou par un démon. Elle incarne les pêchés et les mensonges qu’il à généré. Le film contrairement au livre se passe à la Nouvelle Orléans pour rajouter une couche de southern-gothic et en faire un film plus sombre.
L’Emprise des ténèbres, va relancer la figure du zombie. Et l’industrie du cinéma va la sur-exploiter. Bien que les films de zombies existent depuis les années 30, plus de 60 films de zombies ont été produits dans les années 80. Depuis, le zombie est dépossédé de son contexte historique et religieux (à la base le zombie est une figure de la religion Haïtienne), et replacé dans un contexte occidental de contamination et de virus mortel, trope par lequel on identifie le genre aujourd’hui.
Les 90’s
On assiste à l’émergence de films Afro-Américains indépendants, avec une réapropriaton du discours hors du prisme des représentation blanches. Scénarisé et réalisé par Kasi Lemmons, Eve’s Bayou est un film sur le poids du secret familial et la vengeance par le vaudou. Le film comporte un casting entièrement noir et remporte un succès commercial et critique sans précédent, ce qui va ouvrir la voie pour d’autres réalisateurs racisés.
La décennie est propice au cinéma indépendant Afro-Américain, avec des films comme Boyz n the hood, Menace 2 Society etc mais n’étant pas de films horrifiques ou féministes je ne m’attarderai pas dessus.
Les années 2010-2020 : un changement de paradigme ?
Les violences policières et systémiques envers les communautés Afro-Américaines explosent. La France n’est pas épargnée par ce problème d’interpellations policières violentes et les inégalités de traitement ne sont plus tolérées par la jeunesse. Le mouvement Black Lives Matter résonne partout dans le monde.
C’est dans ce contexte que les créateur.ices racisés vont enfin pouvoir prendre une place légitime dans le cinéma mainstream et horrifique pour faire entendre leurs voix. Le genre de l’horreur bénéficie d’un nouveau souffle, que certains appellent « elevated horror », genre qui mélange l’horreur psychologique, politique et sociale.
On voit avec plaisir apparaitre de nouveaux discours dans les films d’horreur, qui viennent enrichir notre perception du monde et mettre la lumière sur des problèmes actuels. Je vous conseille cette liste de films : His house de Remi Weekes, Get Out qu’il n’est plus nécéssaire de présenter, Candyman 2021 de Nia da Costa, The good madam de Jenna Cato Bass et Babalwa Baartman.
Et bonne nouvelle ! En 2020 est sorti le film Le blues de Ma Rainey avec Viola Davis.
a-one, a-two, a-you know what to do 😉
2 – La figure de la final girl noire dans le cinéma de genre
Adia Cullors – Historienne, écrivaine et activiste, Adia a travaillé pour le musée Smithsonian, le musée de la culture Africaine-Américaine et l’université médicale John Hopkins.
Dans sa conférence, elle aborde les représentations de la final girl noire et ses implications socio-politiques. Malgré quelques succès cinématographiques cités dans cet article, on constate tout de même le manque de représentation des femmes racisées dans le cinéma, et donc le manque de considération pour ce même public, qui ne se voit pas représenté.
Toutes les protagonistes citées dans sa conférence, ne sont pas considérées comme des final girls tel que le cinéma blanc à pu le populariser :
La final girl blanche :
- Elle est souvent blonde, issue de la classe moyenne
- Elle est jeune et virginale (par opposition aux victimes souvent sexuées)
- Elle représente l’innocence et est frappée par un danger qu’elle ne soupçonnait pas
- Elle survit souvent de manière individuelle (tous ses amis sont morts avant elle car ils ont péché de sexe, de drogue ou de stupidité)
- Elle devient adulte en tuant le méchant.
La final girl noire est différente car son contexte socio-politique est différent :
La final girl noire :
- Elle est déjà adulte, dans le sens ou elle n’est plus innocente car elle est consciente du racisme et donc des injustices et des danger préexistants,
- Elles et souvent « urbaine » ayant eu une vie « difficile »
- Elle peut être déjà mère, ou incarner un personnage protecteur de sa communauté
- Elle revendique sa féminité et sa sexualité
- Elle doit assumer le poids de la féminité ET celui d’être racisée, dans un environnement où les inégalités sont systémiques et quotidiennes.
Parmis les final girls noires citées on retrouve :
Lisa Fortier (Pam Grier – Scream Dracula Scream!), Ganja Meda (Marlene Clark – Ganja & Hess), Selena (Naomi Harrris – 28 jours plus tard), Melanie (Sennia Nanua – The girl with all the gifts), Brianna (Teyonah Parris – Candyman 2021)
3 – La figure maternelle noire dans le cinéma d’horreur
Rhonda Jackson Joseph – écrivaine nominée au Stoker Award, prix littéraire récompensant les œuvres d’horreur et décerné par la Horror Writers Association.
Il existe un certain nombre de films d’horreur sur la maternité, (Psychose, the Omen, le sixième sens, les autres, …) mais ils sont souvent produits par des hommes blancs et on y représente souvent la femme comme une mère au foyer un peu reloue avec ses problèmes de dépression. Certains de ces films peuvent manquer d’une réelle réflexion sur la charge mentale de la maternité et le poids écrasant de la pression sociale.
Deux films selon moi ne font pas cette erreur : Mother ! de Darren Aronofsky, qui illustre tellement bien son propos que ça en devient douloureux. Et Rosemary’s baby écrit par Ira Levin, auteur féministe selon moi car on lui doit aussi Les femmes de Stepford. Ira Levin signe deux livres cultes sur le poids de la féminité dans un monde patriarcale, avec des personnages féminins nuancés, forts et dotés d’humour.
Depuis peu, on peut voir des (très bons) films sur le sujet, réalisés par des femmes : The Babadook de Jennifer Kent, Prevenge de Alice Lowe, et You are not my mother de Kate Dolan. Et bien qu’on ait laissé la place à des réalisatrices, on déplore encore le manque de diversité dans le cinéma d’horreur et le manque de place accordé à des créateurs non blancs. Pourtant le cinéma d’horreur à besoin de diversité s’il veut rester un genre pertinent.
Dans cette conférence, R.J nous parle des (rares) nuances de représentation de la figure maternelle noire dans le cinéma d’horreur.
Un des clichés largement répandu prend racine dans l’esclavage. C’est le stéréotype de « la grosse mama noire », la « mammy » en anglais. Domestique obèse et asexuée, elle est contente de prendre soin des petits blancs. Elle incarne une figure maternelle joviale (mais asservie) qui donne confiance. Rhonda Jackson rappelle qu’en réalité les domestiques de maison étaient souvent petites et chétives car mal nourries et souvent agressées sexuellement, donc mères elles-mêmes.
/!\ Cette partie contient du SPOIL /!\
Dans le film Ma avec Octavia Spencer, ce stéréotype est utilisé et detrourné pour devenir la figure de l’agresseur. Pourtant on ne peut pas nier que Ma est en réalité une victime, ayant été harcelée à cause de sa couleur de peau par les blancs de son lycée, et même agressée sexuellement. Ma se venge et devient alors une figure d’empowerment.
Dans le film US Jordan Peele nous propose un portrait contrasté. La mère «Red » est un clone mais elle aime profondément ses enfants. Tandis que la mère « Adelaid » est humaine mais ayant été forcée à avoir des enfants, elle les utilise plutôt comme des instruments de revanche. En explorant le concept de consentement et de maternité forcée, Jordan Peele exprime plusieurs couches de réflexion autour des dynamiques de domination raciale et sexuelle.
Si ces sujets vous intéressent, le documentaire A History Of Black Horror est disponible sur Youtube
Il reste quand même encore du chemin à parcourir, car en cherchant des photos des protagonistes de Candyman 2021 je suis navrée de constater qu’il n’y en a que pour les acteurs masculins :
Saura tu retrouver la seule photo d’un personnage féminin ?