stepford wife

Vous avez surement déjà entendu parlé de «stepford wife» même sans avoir lu le livre ou vu le film. C’est parce que l’objet du roman Les femmes de Stepford est tellement fort qu’il est rentré dans la pop culture. Quand on pense «Stepford wife» on pense femme au foyer des années 50. Mais la problématique va beaucoup plus loin en réalité qu’une femme en robe fleurie qui fait des gâteaux. 

L’oeuvre originelle : The Stepford wives / Les femmes de Stepford 

Le livre d’Ira Levin sorti en 1972

Le livre écrit par Ira Levin (à qui on doit aussi Rosemary’s baby) illustre la paranoïa masculine envers le féminisme des années 60 et le ressentiment des hommes envers les femmes qui s’émancipent. Dans les Stepford wives, ces hommes nostalgiques d’une vie « plus simple »avec des épouses domestiquées remplacent leurs femmes par des robots sosies plus obéissants. Dénuées de pensée critique, elles dévouent leurs vies aux désirs de leurs maris.

L’acte de créer un corps féminin fait penser au mythe de Pygmalion, le sculpteur qui cisèle une statue de femme si belle qu’il en tombe amoureux.

Le film de Bryan Forbes sorti en 1975

Dans le film un mari pousse sa femme à quitter New York pour déménager la famille dans une petite ville des suburbs. Ce mari a été séduit par la promesse que sa carrière va bénéficier d’un boost et l’illusion que cette vie est plus heureuse pour la famille. Envieux des femmes « parfaites » de ses nouveaux voisins, il finit par trahir sa femme et complote avec les autres hommes de la ville dans le but de la remplacer par un robot. Pendant tout le film on assiste au gaslighting qu’elle subit pendant qu’elle se rend compte petit à petit du secret que cache la ville.

En plus d’être un film féministe ce petit bijou est aussi une critique anticapitaliste. Les Stepford wives ne parlent que de produits ménagers comme dans des publicités, et elles vivent leur meilleure vie au supermarché, qui est rempli de jolis rayons colorés et abondants. La production du film a d’ailleurs été confiée à un anglais (Bryan Forbes) pour pouvoir critiquer le concept du « rêve américain » ce qui n’aurait pas été possible par un studio US. 

Le trope de la Stepford wife s’articule autour de plusieurs éléments

On retrouve 4 notions essentielles dans le concept de stepfordisation

Domestication de la femme : 

La figure de parfaite housewife, épouse préoccupée avant tout par des soucis domestiques et son apparence, qui se conforme aux normes de genre dans le but de satisfaire son mari.

Pygmalion & Robot sexy :

Le corps féminin créé de toute pièce par un homme artiste ou savant et le corps féminin remplacé par une machine sexuelle, dans les deux cas l’homme exerce un contrôle sur le corps.

Dans la figure de parfaite housewife et du robot sexuel se croisent la notion que la femme doit faire plaisir à l’homme en étant facile, sexy et assumer les corvées domestiques.

Suburbia Life :

Notion de succès social et financier traduit par une vie en communauté avec des jolies maisons, des jolis jardins, etc. Dans cet environnement c’est le patriarche qui domine car il est le principal pourvoyeur financier. 

Assimilation / Body snatcher : 

Remplacement ou contrôle du soi par l’utilisation de l’enveloppe corporelle, par un groupe d’individus à des fins de conformité sociale. 

Dans les concepts de suburbia et de body snatcher  on retrouve la notion de pression sociale : des règles comportementales, avec beaucoup de pression de groupe.

Plongeons maintenant dans les déclinaisons du complexe de la Stepford wife. 

Suites et reboots

Revenge of the Stepford Wives – 1980 

Le téléfilm ne présente aucun intérêt par rapport au film original si ce n’est que cette fois pas de robots, les femmes sont contrôlées avec des pilules qu’elles prennent 4 fois par jour et qui les rendent dociles.

The Stepford children – 1987

Dans ce téléfilm, les hommes stepfordisent leurs femmes et remplacent leurs ados par des robots pour qu’ils soient plus obéissants. Il fait penser au film Comportements troublants de 1998, où les ados sont également remplacés par des gentils enfants des année 50.

The Stepford husbands – 1996

Cette fois ce sont les maris qui sont changés par le club des femmes, mais les rôles de genre ne sont pas pour autant inversés. On se demande quel est l’intérêt du twist car le patriarcat n’est pas remis en question, l’héroïne conforte son mari dans ses attitudes agressives, et ce sont toutes les autres femmes les antagonistes. 

The Stepford wives / Et l’homme créa la femme – 2004

Cette comédie ratée avec Nicole Kidman est un reboot bercé de féminisme washing des années 2000, qui ne dénonce pas le patriarcat comme l’oeuvre originale. Le film dit plus ou moins que les femmes carriéristes ne sont pas de bonnes mères et ne sont pas assez disponibles pour leurs maris, qui finissent donc par les tromper. Le méchant est aussi une femme, qui veut un retour aux valeurs traditionnelles de la famille nucléaire.Dans cette version, l’antagoniste et l’héroïne ont tort, et les personnages masculins sont très passifs. Si vous ne connaissez que cette version des Stepford wives je vous encourage à regarder la version de 1975 !

Voir la femme comme objet sexuel et ménager

Inspirés du mythe de Pygmalion et de Les femmes de Stepford, il existe plus d’une centaine de films sur des hommes qui créent des femmes robots. Dont voici une courte liste qui reprend les notions essentielles du trope.

Je ne cite pas dans cette liste les androïdes féminines qui n’ont pas vocation à servir d’épouses ou d’objet sexuel : Metropolis, Alita, Ghost in the shell, Battle Star Galactica, Blade Runner, Akta maniskor, M3gan.

La fiancé de Frankenstein – 1935

A la base Elizabeth à été adoptée par la famille Frankenstein pour devenir la femme de Victor Frankenstein. Comme cela se faisait à l’époque, toute sa vie a servie de préparation à devenir une épouse. Puis elle se fait tuer et ressusciter en créature pour servir de compagne au monstre de Frankenstein. Elle n’est pas une femme robot comme dans The stepford wives mais elle est sacrifiée et son corps est utilisé par et pour un homme. 

Weird science – 1985

Des incels boutonneux fabriquent «la femme parfaite» en scannant numériquement des morceaux de femmes découpés dans des magasines pornos (comme la camera découpe des morceaux du corps féminin pour l’objectifier). Le film normalise l’obsession sexuelle chez les ados et l’humour est lourd.

Code Lisa – 1998

Qui est la série dérivée de Weird science, Deux ados fabriquent «la femme parfaite» grâce à un ordinateur.

Simone – 2002

Un producteur sur le déclin décide de créer une fausse actrice grâce à la motion capture, afin de donner un boost à sa propre carrière. Simone n’existe pas dans notre réalité mais elle existe bien dans les écrans et le public pense qu’elle existe. Sa voix et ses attitudes sont contrôlées par le producteur.

Ex machina – 2014

Alex Garland expose des problématiques féministes dans ses films, on l’a vu aussi avec son dernier long métrage Men. Dans Ex Machina il critique le patriarcat via le concept de «mâle alpha*» : puissant économiquement, puissant physiquement, et sexiste. Opposé à son subordonné représenté par un jeune homme moins accompli (beta*). Au delà du discours sur le complexe de dieu, ce qui glace le sang c’est le traitement de la femme objet : la création de robots esclaves sexuels, à qui on a donné une conscience et qui donc savent qu’elles sont abusées.

Le film nous montre aussi comment un jeune homme peut se laisser séduire par une femme artificielle

  • Elle est belle (son design facial est issu d’une compilation des recherches porno du mec). 
  • Le contexte est propice à créer une dimension intime par le dialogue (il lui parle pendant 7 jours). 
  • Elle se met en position de victime (mettant ainsi le jeune homme en position de sauveur). 
  • Elle change physiquement, passant de robot au corps mécanique avec rouages apparents à une femme de chaire en petite robe d’été (fetish masculin de la petite robe d’été).

Ces réflexions sont trop souvent survolées dans les analyses et les interviews, où on parle surtout de la tech et de la photographie du film. 

*alpha/beta : termes utilisé pour illustrer des concepts mascu. Personnellement je ne crois pas en ces représentations. 

Her – 2013

Her est un film qui nous interroge sur la notion d’amour en faisant tomber son protagoniste amoureux d’une assistante vocale. On parle ici d’une IA vocale certes évoluée, mais qui reste artificielle et a été développée pour satisfaire et aider son acquéreur.

Elle fait penser aussi à l’IA domotique dans Blade Runner 2049 qui est en quelque sorte prisonnière de l’appartement. Ce modèle ayant besoin qu’on lui installe un programme pour pouvoir aller se promener dans les flux internet.

Wifelike – 2022

Dans cet univers, on commercialise des femmes androïdes appelées «compagnes» qui sont hyersexualisées et ont des hobbies de femmes comme faire le ménage et du crochet. Ce film n’est pas une satire mais plutôt un fantasme scfi-fi-action. Le scénario est inutilement complexe et toutes les actrices du film ont 30 ans de moins que les acteurs masculins en plus d’avoir le droit à très peu de temps de parole. C’est mal écrit et mal joué, j’irais même jusqu’a dire que le film s’adresse à des incels. En 2022 ça fait mal de voir un film comme ça.

Westworld – 2016

Dans cette série des gens riches se payent le luxe de partir jouer les cowboys dans un univers peuplé de robots qu’ils peuvent tuer et violer en toute impunité.

Il aura fallu attendre après 2010 pour que l’objectification du corps féminin ne soit plus considéré comme normal ou comme un sujet de comédie.

Suburbia, assimilation et conformité

La représentation du « rêve Américain » est un sujet exploité dans beaucoup de films et de séries. Elever un enfant dans une « famille nucléaire » dans une communauté avec de belles maisons, des jardins bien entretenus, et de bonnes écoles est considéré comme un gage de succès. Mais cela peut aussi devenir un sujet d’angoisse, illustré dans certains film et séries.

The X-Files – Arcadia (S6 ep 15) – 1999

Mulder et Scully enquêtent sur la disparition d’une famille dans une communauté privée. Pour pouvoir s’intégrer ils doivent se faire passer pour un couple dans cette communauté où les habitants sont angoissés et très à cheval sur les règles. Tout est réglementé, de la couleur des boites-aux-lettres à la hauteur du gazon, en passant par le jour où il faut sortir les poubelles. Dans la réalité aux Etats-Unis dans certaines communautés appartenant à des holdings si tu n’obéis pas à certaines règles ou si tu ne peux pas financer les travaux, tu peux te faire virer de ta maison.

La treizième Dimension – Evergreen (S1 ep 1) – 2002

Une famille aménage dans une communauté privée (et oui encore). Notre protagoniste une ado rebelle, subit des pressions de la part de ses parents et du président de la communauté pour retirer ses piercings, tatouages et cheveux colorés. On parle ici de contrôle du corps comme premier levier de lavage de cerveau. Ensuite viennent les tentative de contrôler la pureté de la pensée : port de l’uniforme, activités obligatoires pour les jeunes, pression de groupe et menaces d’exclusion «pour le bien de la communauté».

Get out – 2017 

Jordan Peele a clairement cité The Stepford wives comme une source d’inspiration à son thriller social. Il lui rend hommage avec une scène miroir où Georgina est mise en scène comme Mrs Van Sant. Le film qui se situe dans une petite banlieue bourgeoise et blanche, utilise aussi le principe de body snatcher : les noirs se voient privés de leur corps, investi par des blancs riches, qui veulent leur prendre leur jeunesse ou leur talent. 

Vivarium – 2019

Un jeune couple qui a pour projet d’acheter une maison se retrouve piégé dans une banlieue déserté où toutes les maisons sont les mêmes. Ils sont ensuite forcés d’élever un enfant qui n’est pas le leur dans cette vie où la nourriture n’a pas de goût. Vivarium joue avec nos angoisses de domestication en montrant un certain idéal de vie qui tourne au cauchemar à force de répétitions et illustre l’absurdité de nos vies dans une société consumériste.  

Le film met aussi le doigt sur l’angoisse de la maternité, avec une protagoniste qui ne voulait pas d’enfant mais qui se retrouve obligée de s’occuper d’un enfant démoniaque, à cause des pressions sociales qu’elle a subi en tant que femme. Son compagnon étant totalement démissionnaire, elle doit assumer seule la charge de l’enfant. Lui, préfère s’absenter pour aller creuser un trou (métaphore du travail probablement) pour fuir la situation et les obligations.

Blood ride (S1 ep 1) – 2020

Dans ce premier épisode de la série d’anthologie d’horreur, notre protagoniste et sa famille viennent tout juste d’aménager dans un village isolé. On sent une inspiration de The witches (1966) et comme dans Les femmes de Stepford on sent planer une menace par le comportement étrange des habitants : toutes les femmes du village se baladent avec leurs animaux de compagnie dans les bras. Elles agissent de la même manière et semblent partager un secret. 

Polite society – 2023

Polite society est une comédie d’action féministe (que je recommande chaudement), la plus jeune soeur veut empêcher sa cadette de faire un mariage arrangé. Elle ne comprend pas pourquoi sa grande soeur artiste punk se met à porter des cardigans aux couleurs pastels et va se marier avec un homme quelle connaît  à peine. Et l’accuse d’être devenue une Stepford wife. 

Dé-Stepfordisation : réapropriation du corps et de l’esprit 

Le féminisme a progressé à Hollywood, commercialement en tout cas, et les studios sont plus enclins à investir dans des oeuvres écrites et réalisées par des femmes. Ce qui permet d’offrir au public un nouveau point de vue.

La fiancée de Chucky – 1998 

Comme dans La fiancé de Frankenstein, la motivation derrière ce film était de donner à Chucky une compagne. Mais Don Mancini a fait ça intelligemment. Tiffany est certes sexy mais elle possède sa sexualité elle ne sert pas d’objet. Elle veut faire plaisir à Chucky mais refuse la servitude. Et pour elle les taches domestiques se résument à éponger le sang après un meurtre. Non seulement il a donné à son personnage féminin un vrai arc narratif fort mais en plus il en à fait une icône.

Gone girl – 2014 

Gone girl c’est pour moi l’anti Stepford wife. Amy la protagoniste refuse d’incarner ce que les hommes attendent d’elle : être la «cool girl». La cool girl satisfait tous les fantasmes paradoxales de son mec : manger des pizza et boire des bières mais ne pas être grosse, être la bonne copine et être quand même sexy et disponible sexuellement, etc…

Elle a beau être intelligente, forte et accomplie, son mari ne s’intéresse pas à elle à un niveau personnel, il n’est pas disponible émotionnellement, il n’assume pas la charge mentale des corvées domestiques. Il se plaint ensuite que sa femme n’est pas satisfaite et il fini par la tromper (alternative à la remplacer par un robot).

Amy utilise pour se venger les stéréotypes de genre et les attentes des hommes a son égard en jouant à tour de rôle femme fatale, femme battue, épouse dévouée, … C’est un personnage exutoire aux injonctions sociétales qui incarne le female rageSa vengeance est certes celle d’une sociopathe, mais quand on analyse pourquoi elle agit comme ça, en tant que femme c’est difficile de ne pas la voir comme une icône féministe.

The handmaid’s tale – 2017

Les extrémistes catholiques ont pris le pouvoir. Sous ce nouvel ordre, la conformité est de rigueur (conformité vestimentaire, de culte, et de pensée). Dieu est le maitre des hommes, et les hommes sont les maitres des femmes. Leurs épouses doivent donc être respectables sous tout rapport : pieuses, belles, dévouées, et surtout obéissantes. Elle n’ont plus accès à l’éducation et lire leur est interdit. 

Comme elles sont stériles on utilise des «servantes écarlates» pour la reproduction. Ce sont les dernières femmes qui peuvent procréer et qui sont considérées comme inférieures par ce nouveau gouvernement religieux et patriarcal (non mariées, divorcées, homosexuelles, mères célibataires). June, l’héroïne de la série trouve par la rebellion, un moyen de garder sa santé mentale. Elle va tout faire pour récupérer sa liberté de corps et d’esprit. 

Don’t worry darling – 2022

Ce film s’inspire de Les femmes de Stepford pour le revisiter avec un twist moderne.

Dans cette communauté on ne sait pas si on lave le cerveau des femmes ou si on les remplace par des robots. Spoiler, ni l’un ni l’autre les femmes ont été kidnappées dans la vraie vie puis uploadées dans une simulation en réalité virtuelle. Ainsi les hommes peuvent en abuser à leur convenance en leur faisant croire qu’elles ont choisi d’être là. 

Le film n’est pas aussi abouti que Les femmes de Stepford ou Gone girl, mais certains mécanismes d’emprise sont intéressants à analyser. Comme à Stepford il y a un leader charismatique à la tête d’un groupe d’hommes qui contrôlent des femmes. Et l’héroïne du film passe ses journée à faire le ménage et à cuisiner dans leur énorme maison, en attendant le retour du mari prodige.  

On peut se réjouir que les femmes aient de plus en plus la possibilité de faire des films qui exposent leur point de vue, mais rien n’est gagné car on fait quand même le constat qu’entre Les Femmes de Stepford (1975) et Gone Girl (2014) il ne s’est rien passé de significatif en terme de prise de position féministe dans le cinéma.