Swallow est un thriller avec un pitch audacieux servi par l’interprétation magistrale d’Haley Bennett. Il s’inscrit dans un cinéma de genre qui scrute comment la liberté des personnages est atteinte, et manipulée.
Hunter (Haley Bennett) est fraîchement mariée à Richie (Austin Stowell), fils à papa. Dans sa belle et grande maison, elle s’ennuie malgré une grossesse qui débute. Alors elle commence par avaler des objets. Inoffensifs, puis de plus en plus dangereux…Swallow est le deuxième film réalisé par Carlo Mirabella-Davis.
Attention spoilers!
Swallow de Carlo Mirabella-Davis
Avec Austin Stowell et Haley Bennett
Photographie de Katelin Arizmendi
Montage de Joe Murphy
Body invasion
Alors que la maison devient son seul refuge abritant son secret, Hunter se fait envahir sur son seul terrain de liberté.
On a ainsi droit au collègue relou qui réclame un câlin, au valet dépêché d’urgence par la belle mère pour surveiller les faits et gestes d’Hunter. Mais également à ses propres invité-es qui participent à son humiliation avec la complicité de son mari. Bref, elle n’a aucun répit.
On monte crescendo quand on apprend qu’elle est la conséquence d’un viol, l’ultime violation de soi. Et puis on finit par apprendre qu’elle ne désirait pas non plus cet enfant.
Cette montée en puissance de la violation de l’intime rend le personnage d’Hunter profondément touchant. L’empathie monte à mesure qu’Hunter subit des violences.
Swallow aborde de façon habile comment Hunter est coincée dans un mépris de classe, des deux côtés. Sa belle famille, méprise ouvertement son passé de petite vendeuse et qui lui rappelle qu’elle a eu de la chance. Mais son assistant de maison, réfugié syrien, qui la met face à son problème de riche, à savoir des troubles mentaux. Et même si on peut penser qu’il n’a pas entièrement tort, le réalisateur décide à travers ce personnage de montrer que ce n’est pas pour autant négligeable. La liberté.
Ne pas avaler
Carlo Mirabella-Davis s’est inspiré de l’histoire de sa grand mère pour réaliser Swallow. Une femme prise au piège de son mariage, qui a développé des TOC et internée pour cela. Il a utilisé la maladie de Pica pour rendre son propos plus cinématographique.
Le film est apriori fidèle quant à la retranscription des symptômes de ce trouble (et j’ai envie de dire c’est la moindre des choses de se renseigner sur ce type de maladie quand on veut les filmer donc je ne féliciterai pas particulièrement Swallow pour cela). Elle s’expliquerait par le besoin de contrôle (explicité par Hunter), de tester les limites de son corps à la manière de l’auto mutilation.
Dans le cas d’Hunter, elle démarre avec une bille, symbole de l’enfance. Avec sa forme ronde adoucissante, elle contraste avec la punaise qu’Hunter tente d’avaler. Le réalisateur filme d’ailleurs cette scène comme une véritable confrontation ou duel.
Elle garde précieusement ces objets qui finissent par ressortir comme des trophées, comme des aspects matériels qui eux, lui appartiennent désormais.
Hunter reprend également le contrôle sur son corps, même si c’est pour le violenter. Au moins, elle devient actrice.
Alors que la maladie est souvent vécue et à juste titre comme une entrave, dans Swallow, elle est la force donnée à Hunter pour se libérer. Elle se libère d’ailleurs seule, quasiment sans aide. Et à partir de là, elle reprend le contrôle sur tout. Sur son envie de manger de la terre comme du pop corn réconfortant, sur sa volonté de faire face à son identité et se confrontant à son père.
Mais aussi sur son corps, en avortant, ce qui lui permet de s’émanciper de cette mère sans doute bienveillante, mais absente. Sa mère n’ayant pas avorté elle.
C’est aussi une fois qu’elle s’enfuit, qu’elle est entourée. Désormais elle se retrouve au milieu d’une foule, que ça soit au centre commercial, ou dans les toilettes.
La couleur des sentiments
Outre la photographie particulièrement soignée de Swallow, digne d’un salon de design contemporain, il y a un travail passionnant autour de la couleur des vêtements d’Hunter.
Il reflète sa condition ou son état d’esprit.
Quand elle jardine, elle porte un chemisier fleuri. Quand elle arrive contrainte, au cabinet de la psy, elle porte du vert et se confond avec le vert du canapé. De la même manière, lorsqu’elle prend le thé avec sa belle mère, les deux se confondraient presque avec la tapisserie, beige et marron.
Au début de Swallow, elle porte du violet, symbole de la royauté et donc de richesse et de domination. Mais aussi des couleurs crème, effacées.
Quand elle souhaite susciter l’intérêt de son mari, elle met un robe rouge. Au restaurant, elle est en blanc qui peut rappeler la pureté, mais aussi les agneaux enfermés au début du film.
Quand elle tente de faire des efforts pour tenir son rôle de femme au foyer, elle est en rose. Couleur phare de la féminité.
Plus loin, lors de la soirée où Hunter est humiliée car tous les collègues sont au courant de son trouble, elle est paradoxalement en jaune. Une manière de montrer qu’elle va enfin se décider à briller?
Dans la religion catholique, c’est aussi la couleur de la trahison car Juda portait cette couleur. C’est le sentiment d’Hunter à ce moment là.
Et lors de sa libération, elle est en noir, petit col blanc. Un signe évident de deuil d’une vie à laquelle Hunter a cru. Mais elle en finit aussi avec ses origines.
Dans les derniers plans de Swallow, notre héroïne porte enfin un pull fantaisie, ample, avec des motifs d’arbres dont on ne voit que les branches. Les feuilles ne sont pas encore là mais ne devraient tarder.
J’en profite pour souligner que l’avortement est encore peu montré au cinéma, encore moins américain. Et dans Swallow, il est en plus montré comme une libération. Comme un poids qui part. Comme un soulagement. Subversif!
J’ai lu que Carlo Mirabella-Davis aimait beaucoup le cinéma français, en particulier Godard. Et on ne peut que constater l’influence du Mépris, dans la première partie du film.
Des personnages durs à avaler
La seule réserve que j’émettrai sur Swallow concerne les beaux parents. Ils sont la caricature même de l’aristocratie. Même si effectivement les clichés ne sortent pas de nulle part, la relation toxique qu’ils entretiennent avec leur fils fait parfois sourire tellement c’est gros. On est vraiment pas loin d’une ambiance à la Rosemary’s baby, avec des personnages qui ne cachent pas leurs intentions de contrôle. Ce qui ajoute au moins une touche fantastique.
C’est Austin Stowell et surtout Haley Bennett qui sont remarquables. Lui parvient à maintenir le doute sur les intentions de son personnage. On le pense absent, mais bienveillant. On le voit dépendant de ses parents, et en même temps essayant de comprendre Hunter. Sa classe et sa domination sur Hunter lui permettent tout. Il joue à merveille le fils prisonnier des jupons de sa mère. Un enfant qui reporte son piège sur sa femme.
Swallow permet à Haley Bennett de proposer une interprétation juste d’une femme tiraillée entre ses envies et les devoirs qu’on lui imposent. Elle parvient à transmettre les doutes de son personnage sur son identité, et sur ce que cette maladie lui apporte.
Swallow est une petite merveille de film de genre. Film à suspens, féministe, avec un petit côté body horror, il ouvre de nouvelles portes sur la manière de représenter une quête de soi.