The angry black girl and her monster est le premier film du réalisateur noir Bonami J.Story. On compte sur les doigts d’une main, les personnes noires à la réalisation de films de genre (qui parviennent jusqu’à nous du moins). Jordan Peele a ouvert le game en 2017 évidemment, et on peut aussi noter Justin Simien (Bad Hair) qui depuis a perdu toute son essence politique avec Le manoir hanté. On a également Tim Story avec The Blackening, ainsi que les réalisateurs Christopher Renz et Gerard Bush qui se sont faits remarquer avec leur moyen Antebellum. Côté femme, le désert est encore plus parlant avec Nia DaCosta (soutenue par Jordan Peele) avec le reboot de Candyman, qui s’est, elle aussi, perdue avec The Marvels.
La blaxploitation des années 70 n’a pas vraiment porté ses fruits.
Peu parviennent à intégrer intelligemment une lecture politique, liée à leur oppression, le racisme (et notamment le racisme subit par les afro américains qui reste différent de l’Europe).

C’est le cas avec The angry black girl and her monster, dont le titre reflète à la fois le sujet du film, et sa tonalité. En effet, le titre est presque un pitch, et la « fille noire en colère » fait référence au cliché à la fois sexiste et raciste qui veut qu’une femme est hystérique, et qu’elle fait du bruit, surtout quand elle est noire. Avec cette référence, le réalisateur assume de se réapproprier ce cliché, et surtout donne une dimension politique en intégrant un monstre à la fois réel mais aussi métaphorique. Ici il est question d’un monstre sociétal, qui pénalise la communauté afro américaine.

On est tout de suite en empathie avec le personnage de Vicaria qui mêle humour et volonté sans faille, le tout sans s’empêcher d’être agressive s’il le faut (que ça soit envers la prof blanche ou le dealer noir).
Le réalisateur parvient à évoquer les dilemmes de cette communauté sans les discréditer (les problèmes de discrimination les amènent à dealer, qui engendre de la violence entre eux, etc..). Le tout est souvent traité avec humour très politisé, ce qui permet de faire passer le message sans lourdeur. Par ailleurs, les personnages ont une certaine complexité, car pour une fois ils ne sont pas tous d’accord sur les raisons de leur situation socio économique. D’ailleurs, les lignes sont aussi brouillées quand il s’agit de savoir qui fait vraiment peur ici: la petite fille qui a des réactions étranges au regard de la situation? Le monstre? Le dealer? Le bras droit du dealer?

En raison des discriminations raciales, Vicaria cherche un sens à cela en assimilant la mort qui règne en permanence dans son environnement (affrontements entre gangs, violences policières et drogues…), à une maladie.
Une très belle idée qui se matérialise par la forme d’une maladie lente, qui s’imprègne: les ralentis de balle perdues, le cœur qui lâche petit à petit d’un adolescent noir qui meure tué par la police, la drogue qui tue à petits feux le père.
En réponse à cela, Vicaria décide de redonner vie à son défunt frère, et c’est là qu’Angry black and her monster perd un peu de cohérence avec l’idée de départ de la maladie. En quoi ressusciter un cadavre pallie à une maladie?

Pour autant, cela n’impacte pas l’efficacité du reste du récit dont le déroulé reste évidemment attendu, mais qui offre des séquences horrifiques brutales et bien rythmées à défaut d’être véritablement angoissantes.
Par ailleurs, le réalisateur tord la morale de Frankenstein et d’un récit initiatique classique (apprendre de ses erreurs), pour nuancer cette affirmation. En fonction des situations, agir de la même manière et prendre des risques peut être la bonne solution pour tenter de réparer des erreurs, ou de rééquilibrer une justice.

Quand Frankenstein créé son monstre par vanité et arrogance, A angry black girl and her monster montre la créature comme une réappropriation de la violence raciste et ses conséquences. C’est aussi l’occasion pour Vicaria de montrer ses compétences scientifiques. Là où Mary Shelley a été invisibilisée à son époque, A angry black girl and her monster lui rend hommage en remplaçant Frankenstein par une femme.
La jeune Laya Deleon Hayes, plutôt connue dans des séries enfantines ou ado, porte le film de bout en bout, avec une énergie déconcertante. Chad Coleman sorti de la série The Wire offre une interprétation touchante d’un père en perdition mais animé par l’amour de sa fille qui le maintient en vie.

A angry black girl and her monster est un premier long très prometteur et j’ai hâte de découvrir la suite de la filmographie de Bonami J.Story.