Ariane Louis Seize réalise son premier long métrage avec Vampire humaniste cherche suicidaire consentant. Avec ce premier film, elle revisite le thème du vampire en questionnant plusieurs sujets : la difficulté à communiquer et à comprendre les autres à l’adolescence, le suicide, la famille … Je suis allée la rencontrer lors d’une avant première du film au cinéma Le Concorde (l’un des plus vieux cinémas art & essai de Nantes).
Bravo pour le film qui est une vraie réussite, notamment sur le sujet de l’adolescence et de la difficulté à comprendre les autres. En quoi le mythe du vampire est selon toi pertinent pour parler de l’adolescence?
La figure du vampire est intéressante pour aborder plein de sujets. Ils peuvent être profondément humains et surtout ancrés dans l’époque actuelle, avec un décalage évidemment. J’adore créer des personnages d’adolescents car ils vivent tout, plus intensément. Et ce qui est intéressant dans le mariage du vampire et de l’ado, c’est que le vampire on le voit comme une figure dangereuse avec l’aspect sexuel, sensuel. Je trouvais ça amusant d’imaginer un vampire mal dans sa peau, comme on peut l’être ado, parler des premières fois…
J’avais jamais vu un vampire maladroit. J’ai aussi fait le parallèle entre la mort et la sexualité (la morsure qui symbolise une 1ère fois), mais d’une autre façon je pense. C’est plus dans le malaise et dans le mal être. Je voulais une vampire qui se cherche. Sasha est une adolescente normale, mais avec le fardeau de devoir tuer. Elle fait cohabiter son coté humaniste et le fait d’être obligée de tuer pour survivre. Ces deux parts d’elle-même permettent des situations riches en conflit et en situation absurdes et cocasses.
Sasha (l’héroïne) est évidemment très humaine au regard de sa problématique, mais les autres personnages vampires sont aussi très humains. La mère souhaite rendre sa fille autonome. On sent le père plus à l’écoute de Sasha, et on suppose que c’est parce qu’il n’aime pas forcément la chasse…
Oui. J’avais envie qu’on puisse s’identifier aux personnages de la famille. Les mêmes obligations sociales sont aussi présentes chez les vampires. Par exemple : la charge mentale sur la femme qui doit chasser. Ce qui dérange Sasha, c’est la violence à laquelle elle est contrainte. Ma vie vaut-elle plus que les gens que je dois tuer, qui ne sont pas consentants à mourir ?
C’était intéressant d’aborder le consentement à travers ça. C’est une forme de sortie de voir Paul : si quelqu’un est prêt à mourir, ça sera ma solution. CMais ça se complique, car elle veut s’assurer que Paul est bien sûr de son choix malgré tout. Mais Paul, qui se sentait seul et incompris, se sent moins seul donc ça rabat les cartes. J’aimais l’idée de deux êtres qui se trouvent, sans que ça soit un couple classique. Je me dis que c’est rare de voir des grands films sur l’amitié, notamment l’amitié amoureuse. J’ai plein d’amis dont je suis tombée en amoureuse en amitié !
On peut faire un parallèle entre la problématique de Sasha qui se questionne sur sa légitimité à tuer un autre être vivant pour se nourrir, et le fait que nous humains, tuons des animaux pour se nourrir. Était-ce un sous texte conscient ?
Oui. C’était là en sous texte, mais ce n’était pas quelque chose qu’on voulait trop nommer. On voyait Sasha comme une végane vampire mais, qui doit se nourrir quand même de sang. Donc, on a trouvé la solution avec l’aide médicale à mourir qui arrive à la fin d’un cycle. Cela permet de faire œuvre utile en permettant à ces vampires de survivre. C’est la solution éthique qu’on a trouvée. Mais oui, les animaux ne sont pas consentants, même s’il y a des endroits où ils sont traités de manière plus éthique.
Paul, qui avait des pensées suicidaires devient finalement immortel. Je me suis dit que, la solution serait finalement de réussir à trouver une personne dans sa vie qui, nous permet de nous sentir en sécurité ?
Il a trouvé un sentiment d’appartenance, alors qu’il ne connait que l’environnement du lycée et du petit boulot, qui sont une jungle. On a travaillé le personnage de Paul comme une personne neuro divergente. Ce sont des personnes qui ne comprennent pas la manière de fonctionner des autres, qui sont dans une logique analytique en termes de réflexes et d’attitudes, pas forcément compréhensibles pour les autres. Il se sent complètement seul. Son envie de mourir n’est pas forcément reliée au fait qu’il est harcelé. C’est plus qu’il n’a aucune attache dans le monde, donc il se dit qu’il allait trouver un sens à sa mort en donnant sa vie à Sasha.
Le sujet du suicide est complexe. On ne voulait pas le réduire à » il suffit de se trouver un ami « . L’idée d’aborder le suicide était d’ouvrir un dialogue sans apporter de solutions.
Avec la scénariste, comment avez-vous travaillé l’écriture de la question du suicide, très touchy ?
C’était assez instinctif. On a essayé de ne pas trop intellectualiser le sujet car, après, ça peut enlever un élan au film. On voulait que Paul soit décomplexé à la mort, et que ça chamboule Sasha, qui était persuadée que les humains ne veulent pas mourir. D’après Paul, les humains ont peur de souffrir et d’être seuls.
L’idée était de parler plutôt de la vie que de la mort. Mais on a quand même fait lire le scénario à des organismes de prévention contre le suicide, pour voir s’il y avait des angles morts qu’on n’avait pas vu, et si on lançait un message. Il y avait quelque chose qui n’allait pas à l’encontre de ce qu’on voulait dire. Les retours ont été hyper positifs. Ça reste un film super lumineux et tendre. Beaucoup de familles vont voir le film et je me fais beaucoup remercier par des jeunes qui sont passés par là. Ils sont contents de voir un film qui parle de suicide, sans le côté moralisateur. Il ouvre un dialogue sans vouloir apporter de réponses. Ne pas parler d’un sujet tabou, cela fait plus mal. L’envie de mourir est souvent un état passager. C’est une solution radicale à un état de passage, surtout à l’adolescence. C’est une solution radicale à un état de passage; surtout à l’adolescence.
Le cinéma de genre représente très souvent l’adolescence et notamment des adolescentes (en raison de la transformation du corps, le sang etc.). Quels personnages d’adolescents t’ont marqué dans le cinéma de genre ?
J’avais adoré Grave de Julia Ducournau, avec ce personnage d’adolescente qui se découvre dans cette école. Il y avait vraiment quelque chose de viscéral.
Après, mes films de référénce n’était pas forcément dans le cinéma de genre. J’avais des inspirations de film coming of age, Juno ou Little miss sunshine. J’aime les personnages qui ne rentrent pas dans le moule et qui sont plein de contradictions.
Dans les films de vampire, il y a A girl walks home at night (dont la scène avec la musique est un hommage). Sinon, il y a Under the skin où, j’ai été bouleversée par ce personnage qui commence à ressentir des émotions, et qui continue à chercher à ressentir ces émotions. On comprend tout, sans presque aucun dialogue (il y a aussi une scène hommage, quand Sasha essaye de manger une poutine vs Scarlett qui mange un gâteau).
Only lovers left alive également, car j’adore la mélancolie du film, avec cette jeunesse qui se cherche en banlieue. Le look des vampire est hyper pertinent. Ce n’est pas une figure typique de vampire mais ils ont quand même l’air étrange et décalés. J’aime aussi beaucoup les décors de ce film.
En parlant de décor, c’est un point que j’ai adoré dans le film. Entre la maison des parents qui a des airs de châteaux gothiques comme une antre, mais aussi le loft de la cousine, qui est aussi une antre mais, d’une autre manière. Était-ce pour signifier la cassure, le changement de vie imposé à Sasha ?
Effectivement, chez les parents, il s’agit d’un cocon de vampire, très chargé. Le temps a passé et il y a des reliques. Mais ça reste une maison très chaleureuse, du moins en tant que vampire !
Chez la cousine, avec la cuisine et les crochets, c’est plus industriel, froid. C’est fait pour tuer. Et ça met évidemment Sasha dans un inconfort, et une autre posture.
Il y a aussi quelque chose de plus bohème.
Ton directeur photo a travaillé sur tes courts et ton 1er long donc. Peux-tu parler des couleurs ?
On a ressorti des palettes de films de vampire car, on voulait puiser dans les codes et l’imaginaire. Le rouge, vert et ocre, marquent nettement les vampires. Dans le monde des humains, on essayait d’éviter ces couleurs et d’aller vers les bleus. On gardait des couleurs plus chaudes et sanguines pour le monde des vampires.
Les deux acteurs sont incroyables individuellement. Mais il y a aussi une alchimie évidente. Comment s’est passé le casting et le travail avec Sara Montpetit et Félix Antoine Bénard?
Je connaissais Sara de Falcon Lake et de Maria Chapdelaine et je trouve qu’elle a quelque chose de très singulier et mystérieux. Elle pourrait avoir une vieille âme. Mais je l’ai quand même passée en audition avec d’autres filles car, je voulais évidemment voir si le feeling passait, et voir si elle était drôle. Elle n’avait jamais joué de comédie et j’ai découvert un sens de l’humour très surprenant, précis, dans les détails, qui se fondait totalement à mon univers.
Félix Antoine est arrivé à une proposition où il le voyait neuro divergeant (alors qu’on n’avait jamais communiqué dessus).
Je les ai donc rappelé ensemble. On aurait dit deux petits animaux étranges, et c’était hyper touchant. Mignon mais malaisant. Donc, pour moi, aucun autre choix n’était possible. Ils m’ont dit, après coup, qu’en audition, ils n ‘avaient pas du tout trouvé que ça fonctionnait entre eux !
En amont ,on a énormément travaillé ; des journées entières. Il y a avait un vrai timing à avoir, avec des ruptures de tons. Ça a été hyper facile de travailler avec eux. C’étaient des jeunes acteurs très investis, qui osent poser des questions. Ils aiment beaucoup leurs personnages.
Après, sur le tournage, on avait peu de temps. Sur certaines scènes de dialogues, si on n’avait pas autant travaillé en amont. On aurait pu se planter sur des scènes.
Pourquoi avoir ajouté une touche de comédie ?
Par l’humour, les spectateurs sont plus relax, ouverts, à ce qu’on aborde sur des sujets qui peuvent être difficiles. L’humour peut désamorcer beaucoup de choses.
Je venais aussi d’écrire un long métrage très lourd émotionnellement, très dramatique. Mais je me suis dit que ce film ne me ressemble plus, et je savais plus trop pourquoi je l’avais écrit. Du coup, j’avais envie de m’amuser. J’ai donc appelé une amie qui a un univers plus drôle que le mien, et on a mélangé nos univers. On a écrit le film pendant le covid sur zoom et on a adoré joué nos personnages.
On voulait faire un film lumineux sur la mort.
Les films qui me touchent le plus sont ceux qui me font passer du rire aux larmes aussi.
Les parents sont bien caractérisés alors que souvent dans les films d’horreur ils sont caricaturaux. Comment les as tu travaillé?
Je déteste les bons et les méchants. Chaque personnage du film a été travaillé en nuance. On voulait un père cool, possiblement pas un grand chasseur et une mère prise entre la doyenne de la famille ultra conservatrice et son mari. Mais les deux ont de bonnes intentions.
J’ai beaucoup travaillé le langage corporel avec eux. Ils ne bougent jamais en parlant. Ce n’est pas très apparent, mais le fait de découper comme ça, ça amène un décalage. Ils bougent aussi souvent en même temps.
Pour la cousine, pour moi elle voit à travers l’âme des gens, elle veut juste que sa cousine sorte de son mutisme et se déploie comme vampire. Ils sont tous bien intentionnés.
Mais les personnages plus caricaturaux comme le prof de gym très colérique, on apportait une nuance en se disant que sa façon d’essayer de gérer sa colère était de tricoter des pantoufles. Cela apportait une touche de décalage.
Les acteurs ont un capital de sympathie et très forts dans l’humour pince sans rire.
C’est ton 1er long. Souvent c’est une expérience épuisante. Comment tu as vécu l’expérience? Qu’est ce que tu referais ou pas?
C’est sûr que c’est épuisant. Déjà on avait 47 lieux et ca se passe de nuit, donc beaucoup d’extérieur. Ce sont des conditions difficiles. Quand on a commencé le tournage on avait que 7 lieux sur 47 donc c’est un boulet qu’on s’est transporté tout du long.
Il faudrait que cette partie là soit plus cadrée la prochaine fois car c’est énergivore. On travaillait tous les jours ou presque.
Je me suis hyper bien entourée, j’avais confiance en mon équipe, et je sentais qu’ils avaient confiance en moi. Du coup c’était assez facile de prendre des décisions.
Par contre, j’ai commencé le film complètement à plat, et ça j’essaierai de faire différemment. Comme on a eu le financement très rapide du coup on a dû se mettre au travail rapidement et je n’ai pas assez fait attention à moi (pas assez dormi, mangé correctement…). A chaque soirée de tournage, je regardais les rushs de la veille (ndlr: ce qui a été tourné), et j’étais tellement contente de ce qu’on était en train de faire. Mon monteur, Stéphane a un humour qui ressemble au mien, et a plus d’expériences que moi donc son avis est très précieux pour moi. Il me faisait constamment des retours ce qui me permettait d’ajuster, donc je voyais que le film allait fonctionner.
Les film a été financé rapidement, je ne sais pas la situation du cinéma de genre au Québec, mais en France ça reste complexe même si ça s’améliore. Quel est ton regard là dessus?
C’est un peu la même situation au Québec, mais comme en France, j’ai l’impression que les lignes bougent. La palme d’or de Julia Ducournau a ouvert sans doute la voie. Parfois le cinéma de genre peut avoir des personnages moins bien développés et du coup on peut avoir des préjugés là dessus.
Je trouve ça encourageant ce qui se passe, et les réalisatrices/réalisateurs s’intéressent plus à ce cinéma là. Je ne pourrais pas expliquer pourquoi le film a été financé facilement, mais je crois que les gens ont adoré les personnages qui ont quelque chose de très tendre. Les gens qui le lisaient voulaient voir le film en fait !