femmes et cinéma de genre

6 films de genre français, 6 duos féminins. Les emblématiques oeuvres du cinéma de genre français mettent tous en scène des personnages féminins importants.
Qu’est ce qu’un duo féminin? Quelles relations sont représentées?

Qu’est ce qu’un duo féminin dans le cinéma de genre?
Attention spoilers! Il est de toutes façons préférable d’avoir vu les films avant de lire cet article.
Il sera question des films suivants:

  • A l’intérieur d’Alexandre Bustillo et Julien Maury,
  • Grave de Julia Ducournau,
  • Haute Tension d’Alexandre Aja,
  • Les Yeux sans visage de Georges Franju,
  • Martyrs de Pascal Laugier,
  • Frontières de Xavier Gens,

1-La famille

S’horrorité!

Dans Grave, Justine et sa grande soeur Alexia se retrouvent dans la même école vétérinaire. Celle-ci, déjà initiée à la violence du bizutage, tente d’intégrer sa petite soeur, par la même violence.
On est donc loin du schéma habituel de la grande soeur protectrice. Alexia participe à plonger Justine dans l’enfer de la pression sociale, écrasée par les pouvoirs des dominants.
Pourtant, lorsqu’elles sont seules, une vraie complicité existe.

Pression psychologique donc, mais aussi pression sur son propre corps, pour se conformer. Justine subira les assauts de sa soeur qui tentera de raser ses poils pubiens. Justine répondra pour la 1ère fois par la violence.
Son cannibalisme dirigé contre sa soeur prend tout son sens: elle reprend le pouvoir sur son corps en prenant possession de celui de sa soeur, et d’une certaine manière reproduit l’idée qu’on se fait en mangeant de la viande: s’approprier les pouvoirs d’un tiers. Cet acte sera aussi le 1er qui la rapprochera d’Alexia, celle-ci étant également cannibale.

Soeurs

Dès lors Alexia remplira son rôle de soeur animale. Protectrice en initiant Justine à la chasse qui symbolise à la fois le passage à l’âge adulte de Justine, et une technique de survie dans un monde hostile.
Mais aussi répondant à une notion de meute, en oubliant pas qu’elle appartient aux dominants, quand elle humilie publiquement Justine. Ce qui donnera lieu à un affrontement violent entre elles. Une bataille de pouvoir.
C’est finalement Justine qui aura le dessus, Alexia étant incapable de dominer sa soif de sang. Les rôles finissent par s’inverser, Justine prend soin de sa soeur au propre (en la lavant de son crime), comme au figuré (en allant la voir en prison). Cette expérience les lie à jamais.

Maternage féroce

Dans A l’intérieur, les deux héroïnes ne sont pas de la même famille. Mais Sarah et « la femme » incarnée par Béatrice Dalle, sont unies par un désir de liens familiaux, matérialisé par la maternité.

Si dans Grave l’affrontement débouche sur une sororité, ici le duel s’avère pour le moins saignant.
Fait inhabituel, leur point commun ne peut que les diviser. La femme a perdu le bébé dans son ventre dans un accident de voiture causé par Sarah. Et celle-ci a perdu, dans le même accident, son compagnon. Un deuil à faire pour les deux femmes. Mais la femme considère l’enfant de Sarah comme son dû. Elle va donc littéralement l’arracher à Sarah, et assouvir sa vengeance à travers le sang.

Don de sang

Le sang est d’ailleurs l’élément central qui unit les 2 héroïnes d’A l’intérieur. Au sens propre (quitte à en faire un peu trop), mais également au sens figuré.
Le sang réunit la femme et Sarah, à travers la figure de l’enfant qui reste absent à l’écran. A noter que l’absence d’enfant est source de saignements (règles). Au même titre que s’il est là (saignements de l »accouchement et post accouchement). Dans tous les cas, la symbolique du sang lié à la maternité n’a jamais été aussi clair.

Alors que Sarah est visiblement anesthésiée par la perte de son compagnon, l’intrusion de la femme va tout remettre en question. Les deux se livrent un combat acharné. L’une défend deux vies, l’autre veut récupérer son statut de future mère.
Alors que les 2 femmes ont en commun n’avoir jamais eu le statut officiel de mères, on constate que pour l’une, c’est inscrit dans sa chair et coeur, quand pour l’autre, il s’agit d’abord de sauver sa vie.

Si on sait que l’instinct maternel n’existe pas, le désir d’être mère peut être si fort qu’il peut déclencher des événements tragiques (meurtres, enlèvements dans le pire des cas). Mais aussi des effets psychiques stupéfiants (déni de grossesse, incapacité de tomber enceinte…).
Une thématique assez inépuisable, donc.

C’est la rencontre parfaite entre le sang, symbole de vie et de mort, et des liens du sang.

Par ailleurs, l’accouchement est un événement qui rapproche de nos instincts les plus primitifs. Nous sommes au plus prêt d’un état animal. Sarah devient ainsi un animal sacrifié par la femme.
On peut noter que lors de sacrifices d’animaux, et notamment d’expiation, la couleur du pelage de l’animal est le plus souvent blanc (comme la robe de Sarah). Une manière pour la femme d’expier son péché d’envie?

2-L’amour

C’est plus fort que toi

Si l‘amour n’est pas au centre de Martyrs et Haute Tension, c’est pourtant ce qui anime les protagonistes.

Pascal Laugier l’avait expliqué lors d’avant premières de Martyrs. Pour lui, son film est aussi l’illustration de l’amour absolu qui peut conduire à tout, même à sa propre perte. Le jusqu’au boutisme d’Anna la conduit à non seulement entrer en enfer, mais à y rester, même après la mort de sa bien aimée.
Un duo féminin qui n’est pas à égalité, puisque Lucy n’a pas de sentiment amoureux pour Anna. Et celle-ci paiera cher ce désavantage. D’une certaine manière, sa situation finale dramatique lui permettra d’aller à la rencontre de Lucy, en subissant le même sort. Est-ce cet amour qu’elle voit dans cette souffrance ultime?

Je me permets une disgression hors du cinéma genre, pour évoquer rapidement un parallèle avec Mauvaises Fréquentations qui illustre de la même manière, comment on peut basculer dans l’horreur par amour. Avec un duo féminin autour de l’amitié et de l’amour absolu, dans les deux films.
C’est intéressant de noter que deux films qui n’ont rien à voir, ont le même angle pour traite de l’amour mêlé à de l’amitié.

Dans Martyrs, Anna accepte d’être complice de meurtres. Puis, acceptant avec difficulté la mort de sa bien aimée, elle finira piégée dans la maison de l’horreur.
Delphine, 15 ans, acceptera, à la demande de son 1er amour, de se prostituer dans les toilettes d’un parc.
On peut aussi remarquer que dans les deux films, celle présentée comme ascendante (Lucie dans Martyrs et Olivia dans Mauvaises Fréquentations), s’avère finalement être le personnage dominé. Malgré sa vengeance, Lucie se suicide, car le traumatisme est toujours là.
Olivia, initiatrice de Delphine à la rébellion de l’adolescence, accepte de se prostituer par amitié, pour ne pas la laisser seule.
On ressent donc à la fois de la terreur face à ces situations, et de la pitié. Deux piliers essentiels au fameux catharsis.

« Amour » en toute toxicité

Dans Haute Tension le duo féminin est limité, car il s’agit d’un amour obsessionnel, toxique (qui n’est donc pas véritablement de l’amour). Marie veut posséder Alexia. Le film représente une relation toxique ou un harcèlement d’un homme envers une femme. Marie prend les traits d’un homme vieux, blanc qui élimine les proches d’Alexia. Elle reste également bâillonnée tout au long du film. Marie est persuadée de savoir ce qu’il y a de mieux pour son amie, sans l’écouter, reflétant l’isolement de la victime, et le silence qui sont des éléments courants dans les violences sexistes.

D’une certaine manière, Aja joue avec les clichés habituels de l’homme prédateur et violent, en faisant de Marie, la tueuse sans pitié (même si on se demande bien comment elle a pu avoir autant de force).
Ainsi, on doit admettre la possibilité qu’une femme peut être violente et tuer. On imagine encore assez peu une femme capable de violence, car notre imaginaire reste encore beaucoup imprégné d’aprioris sexistes. Ce qui a permis a de nombreuses femmes de passer entre les mailles du filet d’enquêteurs.
La différence majeure avec la représentation habituelle des tueurs masculins, c’est qu’ici Marie n’est pas une prédatrice. Elle agit obsédée par son amour.

3-Femmes piégées

Les yeux sans visage de Georges Franju et Frontières de Xavier Gens n’ont pas grand chose en commun, je vous l’accorde. L’un est un chef d’oeuvre, l’autre est….bon, un spectacle qui ne demande pas beaucoup d’exigence. Mais ici, je m’intéresse à la représentation.
On note dans les deux films, une relation étrange presque maternelle qui lie les duos féminins. Dans les deux cas, ce sont des femmes qui sont piégées. L’une par une obligation morale, l’autre par sa condition. Dans les deux films, ces quatre femmes ont la condition d’objet. D’où leur lutte.

Visage possédé

Louise semble jouer un rôle de mère pour Christiane, la jeune femme défigurée des Yeux Sans Visage. On lui devine une relation intime avec le médecin, et père de Christiane.
Elle est dévouée au médecin qui veut réparer le visage de sa fille. Louise se dévoue entièrement à Genessier, qui l’a soignée, dans le passé. Telle une création de Frankenstein, Louise représente une réussite pour Genessier. Qu’il compte bien réitérer avec sa fille.
Lui devant son salut, Louise est aveuglée par la folie meurtrière de son mentor. Son attachement (au sens presque propre du terme!) est symbolisé par le collier qu’elle porte, au même titre que les colliers des chiens du chenil.
Louise est l’objet du docteur. Elle lui appartient.

Mais elle comprend aussi le désarroi de Christiane qui est plongée dans le désespoir de retrouver un visage et celui d’être victime de la folie de son père. Christiane est elle aussi, considérée comme un objet par son père. Elle n’existe pour lui, qu’à travers l’expérience scientifique qu’elle représente. Genessier n’évoque sa fille que pour constater l’évolution de ses opérations chirurgicales, avec une grande froideur.
Par ailleurs, le visage est l’ultime symbole de l’individualité, de notre identité unique.
Or, utiliser n’importe quel visage, pour reconstruire sa fille, appuie le fait que le visage n’est qu’un masque, presque neutre.
C’est également l’occasion de garder sa fille, près de lui. En maintenant son contrôle sur son visage (son corps), et donc son rapport aux autres. Il ne supporte pas que Christiane tente de communiquer avec son ex compagnon.

Ce duo féminin est donc soumis au même homme. Louise est la seule source de réconfort de Christiane. Elle finira par « tuer la mère » en portant un coup fatal à Louise et se libérera.

Donne moi ton ventre

La femme, un objet-projet, c’est également une thématique que l’on retrouve dans Frontières.

On constate un schéma similaire aux Yeux Sans Visage de duo féminin.
Dans Frontières, on suit Eva (interprétée maladroitement par Maud Forget de Mauvaises Fréquentations) et Yasmine.
Eva, jadis kidnappée, et victime d’abus, sera le seul soutien de Yasmine. Le patriarche de la famille de cannibales a besoin de femmes enceintes pour perpétuer une race pure.
Et pour cela, il utilise Eva, femme objet-projet(la consanguinité sera responsable de bébés handicapés), puis Yasmine.

Sous l’emprise du père fasciste, Eva reste animée par sa maternité monstrueuse. C’est ce qui la rapprochera de Yasmine, elle-même enceinte. Après un long calvaire, Yasmine trouvera finalement un peu de réconfort auprès d’Eva.
Les deux personnages sont piégés, en raison de leur maternité (et donc leurs corps). L’une moralement, l’autre physiquement.

Eva est le cliché même de la mère. Elle a le fameux « instinct » maternel en devinant la grossesse de Yasmine. Vêtue de blanc (donc de pureté), elle reste attachée à ses enfants indésirés et indésirables.
C’est cette fameuse force maternelle qui l’amènera à aider Yasmine. Mais qui causera aussi sa perte, car elle se retrouvera seule, incapable d’abandonner ses enfants monstrueux.

Les deux soutiens des héroïnes des deux films finiront donc tragiquement, incapables de s’extraire d’une emprise.

Sororité, amitié, maternité…avec seulement 6 films pour exemple, on constate un échantillon des relations représentées, qui montre leur complexité.
Dans un monde fait par et pour les hommes, ces femmes doivent non seulement survivre, mais aussi appréhender leurs propres relations. Car un monde sexiste n’est pas sans conséquences sur les relations qu’entretiennent les femmes entre elles. Elles doivent faire preuve à la fois de solidarité, mais leur précarité les amènent aussi à avoir des comportements toxiques, voire dangereux.