Le Festival International de SF, Les Utopiales est connu pour sa grande diversité de formats (littérature, cinéma, expositions, jeux vidéos…).
Un de ses points forts est une volonté de proposer beaucoup, beaucoup de conférences. C’est toujours un plaisir d’y assister, et cette édition 2021 ne fait pas exception à la règle.
Je vous propose de revenir sur les conférences auxquelles j’ai assisté. On a parlé travail, cancel culture et loup garou.
Après une édition annulée en 2020 au dernier moment, pour cause de Covid, Les Utopiales sont revenues déployées. Investissant traditionnellement La Cité des Congrès, la capacité d’accueil a été augmentée grâce à des salles supplémentaires.
Me voilà donc partie en compagnie entre autres, de ma consoeur Leo Lurillo du collectif de La S’horrorité, à l’assaut d’innombrables conférences plus intéressantes les unes que les autres (il y en a même peut être un peu trop, qui créé parfois une frustration!). Tout en sélectionnant les films à voir en compétition.
Il me semble pertinent de revenir spécifiquement sur les conférences, car rares sont les festivals qui proposent autant de tables rondes, réflexions pour décrypter à la fois notre environnement, mais aussi la manière dont il est articulé au sein de formes d’arts.
J’ai suivi la conférence sur les managers du futur, la cancel culture, la suspension d’incrédulité et la politique du loup garou.
1-Les managers du futur
Intervenant-es:
Jean Laurent Del Socorro/ Catherine Larrère/ Romain Lucazeau
Les intervenant-es sont des écrivains et une philosophe.
La conférence était ponctuée d’humour ce qui a permis une vraie inclusion du public dans l’échange.
Le sujet de cette conférence était des plus actuels. Nous arrivons dans un monde où les entreprises se divisent en 2 catégories: celles qui rendent toujours plus compliqué le train de vie de ses salariés, en les mettant sous pression. Et celles qui bichonnent leurs salariés afin d’obtenir le meilleur d’eux mêmes.
Les 3 intervenant-es non sans un certain sarcasme, remarquent que l’entreprise est parfois devenue un concept plus ou moins abstrait. On ne vend plus forcément une fiche de poste technique, mais un quotidien au travail qui permettra à l’individu de s’accomplir, de s’épanouir.
Ils ont rappelé que le mot travail vient du mot torture, et que l’essence même de l’entreprise est de faire du bénéfice. Dans ce contexte, il ne faudrait pas détourner le sens premier de l’entreprise.
Ils ont convenu que si l’entreprise met tout en oeuvre pour respecter le bien être de ses salarié-es, cela ne peut qu’être positif. Simplement, garder en tête ce pourquoi on est là, est essentiel.
2-La cancel culture?
Intervenant-es:
Olivier Bruneau / Sara Doke / Olivier Caruso
La conférence que j’attendais le plus, vous vous en doutez! J’ai moi même évoqué le sujet dans une conférence à Court Métrange, aux côtés de mes consoeurs Leo Lurillo et Demoiselles D’Horreur, que vous pouvez visionner ici:
Pour en revenir à la conférence qui nous intéresse, les 3 intervenant-es sont revenus sur leur propre définition de la cancel culture. Sara Doke et Olivier Bruneau étaient d’accord pour dire que la cancel n’existe pas, dans la mesure où rien n’est véritablement censuré. Il s’agit plus de pointer des aspects problématiques dans des oeuvres, chose que les réseaux sociaux ont permis. Olivier Bruneau a même souligné que le problème vient plutôt de la classe dominante (blanche, masculine, hétéro), qui n’est pas habituée à ce qu’on ose critiquer ses libertés de parole.
Olivier Caruso représentait la contradiction (même s’il était d’accord en partie), en énumérant les traditionnels reproches, à savoir les excès des réseaux sociaux par exemple.
D’ailleurs, selon lui, la cancel culture existe pour la simple raison que les appels au boycott existent.
Il a en revanche proposé des axes intéressants comme le fait de retourner une oeuvre raciste de Lovecraft en nouvelle création contre le racisme, comme la série Lovecraft Country. Mais Olivier Bruneau lui fait remarquer que sortir une série en réponse, n’est pas à la portée de tout le monde.
En revanche, il a loué le travail d’une afro féministe qui fait le tour des USA pour déconstruire les fascistes, en soulignant que c’est une vraie démarche productive. Sauf que c’est surtout oublier qu’une fois de plus, on fait reposer la charge de régler les oppressions, par les oppressé-es.
J’ai particulièrement apprécié les interventions d’Olivier Bruneau, qui assume de dire qu’il fait partie de la classe dominante, et que par conséquent, il a forcément des biais racistes, sexistes.
Il fait la démarche de lire des écrits sur le féminisme, les approches décoloniales, et ça s’entend clairement.
De plus, il n’a aucun problème à admettre sur ses premiers écrits contenaient certainement du sexisme ou de l’homophobie et qu’il fait attention dans ses nouvelles créations.
Ce qui a suscité une question de la part du public, la personne pointant qu’elle trouvait ça dérangeant qu’il s’auto censure. Il a très bien su expliquer qu’il ne s’agissait pas de se censurer, mais de ne pas (re)produire des clichés oppressifs qui n’apportent rien à l’oeuvre. Et ainsi éviter que des minorités déjà lésées au quotidien soient attaquées gratuitement.
Il a également souligné que c’est à chacun de jauger ses propres limites de ce qu’on a envie d’accepter/soutenir ou pas.
Sara Doke a évoqué un point très pertinent en évoquant les raisons pour lesquelles des gens (notamment de gauche) sont heurtés par ces dénonciations. Selon elle, ils confondent chemin et destination. A savoir que les universalistes et les intersectionnels sont d’accord sur la destination. Mais là où les universalistes pensent que cela suffit de dire que les êtres humains sont égaux (en théorie), les intersectionnels interpellent sur le fait que oui, mais qu’il faudra emprunter des chemins différents pour y parvenir. Il ne peut pas y avoir un seul chemin non?
Il a été évoqué la notion de « call out culture » dont le but est de dénoncer les aspects oppressifs d’oeuvre (et les afficher sur les réseaux).
La conclusion principale que j’en tire est que le terme « woke » ou « cancel culture » sont utilisés pour tenter de faire peur. Ce sont des abus de langage qui traduisent un manque d’arguments, pour discréditer.
J’aurai trouvé pertinent d’avoir un-e intervenant-e davantage en opposition avec des arguments de Sara Doke et Olivier Bruneau. Il est rare dans les grand media de donner la parole aux personnes qui ne pensent pas que la cancel culture existe. Alors dans une telle conférence, c’était l’occasion idéale de valoriser ces arguments et de les confronter enfin avec ceux qu’on entend tous les jours (même si « on ne peut plus rien dire »).
Mais il faut bien avouer que cela m’a fait grand bien d’entendre des propos véritablement progressistes finalement (et j’ai hâte de lire Olivier Bruneau!).
3-La suspension d’incrédulité
Intervenant-es:
Benoit Peeters/ Xavier Maumégean/ Joseph Béhé
Une conférence très axée sur la littérature, avec des intervenants habitués des Utopiales.
Avant d’aller plus loin, je rappelle rapidement que la suspension d’incrédulité en littérature ou cinéma, est le fait de convoquer chez le public une capacité à croire un élément ou un événement qui n’appartient pas à la réalité.
Mais alors qu’est ce que la réalité?
L’introduction consistait à évoquer le sens que on peut donner à la suspension d’incrédulité. Il est évoqué que cela provoque un abandon de la part des lecteur, et donc potentiellement de la perte de son esprit critique.
Pourtant, l’essence même de la Science Fiction implique un engagement critique.
L’ identification des enjeux des les oeuvres dystopiques ou autre, implique un réajustement; une transformation plausible qui demande une activité d’interprétation. En cela, on ne peut pas parler d’abandon du lecteur, mais plutôt d’une participation avec une activité mentale effective.
Un autre intervenant indique que les éléments fantastiques ou inexistants à notre époque, doit avoir du sens dans l’histoire. Si c’est uniquement un gadget, cela perd en intérêt et l’incrédulité est dominante.
Il est aussi évoqué que c’est pertinent quand un-e auteur-e joue avec la différence entre le vrai et le réel.
Le vrai est une part du réel, c’est à dire que le vrai l’est, quand il est conforme à sa définition.
Alors que le réel est beaucoup plus vaste. La fiction raconte ainsi quelque chose de faux, tout en créant un effet de réalité. Bienvenue dans l’inception!
Par ailleurs, la suspension d’incrédulité fonctionne d’autant mieux quand l’objet a une fonction précise, notamment pour donner du sens comme on l’a vu. Mais la simplicité est nécessaire, et ce qui n’est pas forcément évident. Par exemple, on peut accorder une catégorie inhabituelle à un object.
Ou introduire un détail anodin qui va s’avérer de plus en plus étrange selon l’évolution des situations.
4-La politique du loup garou
Intervenant-es:
Alex Nikolavitch/ Ophélie Bruneau/ Morgane Caussarieu
Après mon article sur la sage Ginger Snaps et la représentation du loup garou, je ne pouvais passer à côté de cette conférence des Utopiales!
Après être revenus sur la définition du loup garou, les 3 intervenant-es évoquent cette figure à travers légendes et romans.
Très vite, les vampires sont évoqués car ce sont des monstres souvent liés au loup garou. En effet, ce sont des créatures identifiées comme monstrueuses, mais on peut noter que dans les 2 cas, les morsures impliquent une contamination.
Ensuite il est évoqué évidemment la représentation de la pulsion (sous toutes ses formes) à travers le loup garou. Une métaphore du refoulé, et notamment, de la libido.
Morgane Caussarieu indique qu’elle a utilisé le loup garou dans ses écrits, pour parler de transidentité avec la métamorphose du corps, de manière positive.
On peut aussi noter le rapprochement du loup garou avec l’aspect prolétaire. En effet, le loup garou est généralement associé à la notion de brute, une bête douée de forces pour exécuter des missions. On peut d’ailleurs penser à la conférence en 2019 qui faisait le lien entre Frankenstein et Marx.
Morgane Caussarieu note ainsi que dans Underworld, les vampires représentent traditionnellement la population qui suce le sang et donc qui oppresse, contre les loups garou.
Elle remarque par ailleurs, que le vampire est le fruit de son époque (dont la représentation évolue au fil du temps), contrairement au loup garou. Les incarnations du loup garou restent plus figées, expliquées en partie par Alex Nikolavitch par le fait que c’est un monstre renvoyé à son animalité, à quelque chose de plus primaire.
Ophélie Bruneau évoque la place de la meute chez le loup garou, et elle s’agace de voir qu’elle ne correspond jamais à la réalité d’une meute de loup. Il n’y a pas de mâle alpha (comme dans Blood Chocolate par exemple), c’est toujours un couple de loup qui gère la troupe.
Alex Nikolavitch note le loup garou, symbole du mis à l’écart, qui échappe aux catégorie mentales. C’est précisément ce qui est évoqué dans Teddy par exemple.
Je n’ai pu assisté qu’à 4 conférences, mais il y en avait des dizaines sur des sujets très divers: SF, biologie, féminisme, complotisme..Je constate avec plaisir que Les Utopiales s’impliquent de plus en plus dans les questions féministes. Il manque des thématiques axées sur la place des autres minorités dans la SF et la littérature, mais force est de constater que le festival assume de plus en plus son aspect progressiste.