Unes est un court métrage de la réalisatrice Française Kam Duv. Son film était projeté lors de la 8e édition des Final Girls Berlin Film Festival et nous l’avions rencontré à cette occasion.
C’est une femme radicalement féministe et passionnée, alors on a naturellement discuté de sororité, équipe technique féminine et animalité.

Unes raconte l’histoire de Zola qui est poursuivie par un monstre et cherche de l’aide auprès de son ex petite amie qui travaille dans un abattoir.
J’ai évoqué mon avis sur Unes dans mon article sur les courts métrages programmés au Final Girls.

femme qui a peur

Le parcours de Unes

Peux tu te présenter rapidement et évoquer ton parcours?

Kam Duv, c’est le pseudo de réalisatrice qui me colle à la peau depuis mes premiers films.
J’avais 11 ans lorsque j’ai découvert les différents métiers du cinéma, grâce à une maîtresse passionnée qui a accompagné ma classe à l’écriture et au tournage d’un court-métrage. Ça peut sembler anecdotique mais ça a été le déclencheur d’une vocation qui ne m’a plus jamais lâchée !
Après quelques mois à la fac à ne pas tenir en place sur une chaise, je me suis tournée vers des études courtes et techniques en faisant un BTS montage en alternance.
Meilleure idée ! À 19 ans je travaillais comme JRI (Journaliste Reporter Image) sur une émission pour TV5 monde et partait en tournage dans les pays d’Afrique francophone, au Mali, Gabon, Maroc, Seychelles… C’était hyper formateur, j’ai tout appris sur le terrain et au bout de deux ans je pouvais écrire, cadrer et monter mes projets persos de fictions, clips et documentaires.

J’ai appris la dramaturgie en autodidacte pendant plusieurs années en lisant des livres, en intégrant des résidences d’écriture puis plus récemment avec la Cité Européenne des Scénaristes qui m’a amenée aujourd’hui à développer des projets de série en parallèle du cinéma.
Même si la route a été longue avant de pouvoir vivre de l’écriture et porter des projets aux côtés de producteurs, c’est surtout la persévérance et la volonté de créer coûte que coûte qui m’ont amené là où j’en suis.

Peux tu expliquer la genèse de ton court métrage présenté au Final Girls, Unes?

UNES est né de ma rencontre en 2019 avec Margot, la co-scénariste et comédienne du film. On voulait parler des répercussions inconscientes du patriarcat sur la vie des femmes et des schémas de sujétion difficiles à déconstruire.
On analysait beaucoup notre comportement dans le cercle intime, familial, au travail, notamment vis-à-vis des hommes.
Durant cette période, une amie très proche subissait un harcèlement psychologique quotidien et bien qu’elle ait fait plusieurs fois appel à la justice, elle n’a jamais été protégée. Il ne m’en a pas fallu plus pour avoir la furieuse envie de raconter que les femmes doivent ne compter que sur elles-mêmes pour se
libérer des violences insidieuses.
Le traitement par le genre s’est imposé le jour de notre premier repérage dans les abattoirs, il était assez évident que cette « cruauté » qui envahissait l’espace, allait incarner la métaphore du
patriarcat.

Pourquoi ce titre? Est-ce dans l’idée que 3 femmes s’allient et ne forment qu’une?
Il y a de ça, oui : l’union dans la sororité, parce que les femmes peuvent comprendre immédiatement le caractère systémique de la domination dans une relation.
Mais UNES avec un S, c’est aussi pour dire que chaque femme est plurielle, qu’elle peut être victime puis vengeresse, en colère et résiliente. On voulait montrer la multitude de femmes en une.

BOND est le titre international qui peut à la fois se traduire par le « lien » sororal mais également les « cordes », « l’attachement » qui peut faire basculer la relation dans l’emprise.

monstre
Crédit-Marion Raymond Seraille

C’est compliqué de financer du genre en France. Comment s’est passé l’étape de production de Unes ?

En effet, et davantage encore en plein COVID !
Le scénario commençait à être structuré au début de la crise sanitaire. Comme tout était à l’arrêt, je me suis dit qu’on allait devoir attendre des mois, voire des années pour que ce projet puisse exister. Or il y avait une forme d’urgence : face à l’augmentation des violences conjugales pendant le confinement, ma colère et mon impuissance grandissaient exponentiellement. Il fallait le faire rapidement, mais pas n’importe comment. Parce que le genre demande des moyens techniques.

Le rôle de Lou était écrit pour Aloïse Sauvage, mon amie d’enfance, qui a instantanément soutenu le film tant pour le fond que la forme. Il a été très vite question de réunir une équipe technique majoritairement féminine avec, autant que possible, des cheffes de poste.
UNES, c’est aussi selon moi un mouvement : celui de faire péter les plafonds de verre ! Et je pense que c’est l’engagement féministe total, du scénario au plateau, qui a parlé le plus aux gens et qui a donné envie de soutenir.
Au bout de trois mois, on avait récolté 13.000€ qui nous ont permis de lancer la pré-prod, recruter l’équipe (entièrement bénévole), louer du matériel et lancer le début de l’aventure.
C’est après le tournage, au moment de la post-production que nous sommes allées chercher à nouveau des fonds auprès de la mission diversité-égalité du Ministère de la Culture, de l’Institut de l’Engagement, sans oublier les apports en industrie de SenoProd, Les Films du Periscope et Commune Image sans lesquels je n’aurais pu aller au bout du film.
J’en profite pour remercier infiniment les 129 donateur.ices, toute mon équipe et chaque personne qui a
permis à ce film d’exister.

Comment s’est passé le tournage d’Unes ? Quelles ont été les principales difficultés?
INTENSE ! 3 journées et 2 nuits très denses, en plus des conditions particulières des chambres froides à 0 degré, tout le monde en doudoune sous nos blouses et nos masques chirurgicaux (protocole sanitaire).

Je pense que ce qui a été le plus compliqué, c’était de « dépendre » des propriétaires des lieux où nous allions tourner, des hommes qui ont sous-estimé d’entrée de jeu notre démarche en nous appelant “les minettes”. Comment rester professionnelle quand, à chaque repérage, on te balance des remarques du genre “vous avez besoin d’un acteur pour votre film X ?”.
Tourner dans ce milieu d’hommes a été une puissante mise en abîme de notre film qui justement met en exergue les rapports de force.
Même en se blindant et en anticipant un maximum, j’ai été dépendante de leurs humeurs notamment avec le propriétaire de la chambre froide qui, à 24h du tournage, refusait mes appels en prétextant que je gâchais sa partie de golf.

À part ça, on a soulevé des pots de fleurs de 50kg à mains nues et tourné avec une voiture de collection très belle à l’extérieur mais complètement déglinguée et impossible à conduire, encore moins par une meuf qui n’a même pas le permis (Prisca, je t’aime). Mais avec une équipe solide, motivée et passionnée franchement, on peut étonnement surmonter les plus grandes galères et déplacer des montagnes !

vieille femme dans lumière rouge
Crédit-Marion Raymond Seraille

Tu utilises la figure du monstre pour symboliser la violence d’un homme sur sa compagne.Est-ce que ça ne va pas à l’encontre du constat que faisait Adèle Haenel sur le fait que les monstres n’existaient pas, mais que les violences sont perpétuées par des amis, des pères, bref
des proches « ordinaires »?

En effet, on y a beaucoup pensé avec la co-scénariste pendant l’écriture mais c’est en faisant le choix de tourner dans des abattoirs remplis de carcasses pendues que la transformation animale s’est imposée à nous comme un concept.
On est parties sur ce précepte : à trop “user” de sa supériorité, et agir comme un prédateur, tu perds ton humanité et laisse la bestialité t’envahir au point de devenir un monstre, cruel et sans compassion. On ne dit jamais clairement ce que ce mec a fait subir à Zola, on ne voulait pas rentrer dans les détails pour justement dénoncer toutes les formes de violences.
Quoiqu’il ait fait, la figure du monstre induit avec évidence le danger qu’il représente pour Zola.
Et puis, sans spoiler, il y a cette résolution à la fin qui appelle à plusieurs interprétations, dont l’une pourrait être un écho au #BalanceTonPorc.

On voit le personnage d’Aloise Sauvage commencer à courir comme un animal à 4 pattes. Est-ce qu’elle ne serait pas elle même un animal prédateur? C’était quoi l’idée de la représenter de cette manière?
Absolument ! Je voulais montrer que le comportement sauvage pouvait également s’exprimer chez une femme, surtout si elle a intégré les préceptes du patriarcat qui se retrouvent notamment dans le monde du travail où on dit aux femmes qu’il faut « grogner plus fort », « montrer les crocs », pour se faire entendre… autant d’expressions « animales » qui suggèrent indirectement d’écraser les autres pour exister.
Lou, le personnage d’Aloïse, travaille dans un monde de machistes où on peut aisément imaginer le flot de remarques misogynes qu’elle subit à longueur de journée. Comme la plupart des minorités, elle n’a pas eu d’autres choix que de « se blinder », ce qui implique selon moi de devenir comme l’autre en
épousant ses codes.
Lors d’un repérage, j’ai croisé une bouchère qui faisait des blagues graveleuses et mettait des mains aux fesses de ses collègues.
Ce n’est pas un jugement, j’ai compris que la seule manière d’être “intégrée”, c’était d’agir comme eux. De la même manière si Lou se met à courir à 4 pattes, c’est parce qu’elle oscille sur cette fine ligne humanité/bestialité.
Comme un réflexe, une manière de riposter face au danger, son instinct animal se réveille, elle perd sa sensibilité et semble à deux doigts de se transformer elle aussi en bête. Ce qui la « maintient » humaine, c’est la pitié de Zola.

femme devant casiers jaunes
Crédit-Marion Raymond Seraille

On ne voit que des personnages féminins à part la bête peux-tu nous en dire un peu plus sur chaque personnage et ce qu’il représente ?
C’est un choix qui est venu rapidement, à l’écriture : celui de donner à voir des femmes de générations et classes sociales différentes dans un espace masculin qui, bien que désert, s’avère oppressant.
En travaillant ma direction d’acteurs, je me suis demandée pour chaque personnage féminin quel genre de « fauve » elle serait, en situation de danger.

La gardienne, à l’entrée des “enfers”, a un comportement de fouine et renifle Zola comme un étrange animal qui n’a rien à faire là, au volant d’une Alfa Roméo. Sa marque dans le cou lui sert de « laisser passer » qu’on ne comprendra qu’à la fin en voyant la même marque cicatrisée sur le bras de la
gardienne. On peut imaginer qu’il s’agit d’une femme qui a subi des violences dans le passé, qui a reconnu la détresse de Zola et « accepté » de la laisser entrer.
Si Zola devait avoir un « animal totem », ce serait un chien apeuré, esseulé.
Elle est comme piégée, sous influence, dans l’illusion que son monstre puisse changer et que leur relation redevienne apaisée.
La barmaid est un personnage empathique qui fait le lien avec les autres. Comme une inconnue bienveillante, elle est la seule à croire Zola sans remettre en question sa parole même si elle n’a pas de preuves. Elle incarne une forme de sagesse et de spiritualité, notamment lorsqu’elle lit le message
au fond de la tasse. Son animal à elle, serait le hibou, associé à la mort « symbolique », annonciatrice de changements.
Quant à Lou, pas besoin de faire un dessin, c’est une panthère !

Le cinéma de genre en France et la place des femmes

Est-ce-que que tu peux nous en dire un peu plus sur ta volonté d’engager des techniciennes femmes? et comment ça s’est passé? 
Je me souviens de ce mail de Violaine qui m’a écrit après avoir fait un don, en se présentant comme une meuf qui conduit des gros camtars sans pression dans Paris ! Elle est l’une première à avoir rejoint l’équipe comme régisseuse gé. 
C’est au moment du financement participatif que mon engagement féministe a commencé à « déborder » et s’imposer dans le recrutement de mon équipe. Il y a toujours eu une sous-représentation de femmes sur les plateaux alors qu’on trouve proportionnellement plus d’étudiantes sur les bancs d’école de cinéma.
Quitte à faire exploser mon propre sentiment d’illégitimité, je me suis dit que je
pouvais en embarquer quelques-unes avec moi !
L’engouement a pris et je suis fière de dire que les femmes représentent 75% de mon équipe technique avec une majorité de cheffes de poste.
Apparemment, les mecs n’ont pas vu la différence à être « drivés » par des meufs et ont apprécié l’ambiance générale du plateau, là où les femmes se sont senties plus à l’aise pour travailler et diriger sans redouter de rapports d’égo.
Ne serait-il pas temps de lancer une mode, pour enfin espérer arriver à une normalité ?


Il y a peu de femmes en France qui font du genre. Comment l’expliquerais tu?
Il y a déjà peu de films de genre produits en France, proportionnellement moins de femmes que d’hommes qui réalisent et, précisons-le aussi, les réalisatrices sont davantage cantonnées à de « petits budgets » (cf l’étude du 5050).
Ça en dit long sur le chemin qu’une femme doit parcourir pour porter un film, davantage encore s’il s’agit d’un film de genre. Mais les lignes bougent notamment grâce à des collectifs et j’ai bon espoir qu’on soit de plus en plus de femmes à s’emparer de ce cinéma. Je le constate déjà dans les circuits du court-métrage : il n’y a qu’à voir au Final Girls à Berlin, nous étions 4 françaises à présenter nos films !

Existe-t-il des subventions du cinéma ou des régions en place pour visibiliser plus les femmes ?
On ne peut pas vraiment parler de subvention, mais suite aux premières Assises sur la parité, l’égalité et la diversité dans le cinéma, le CNC a mis en place la bonification du fonds de soutien pour les films avec des équipes paritaires. Il s’agit d’un « bonus » de 15% qui encourage le recrutement des femmes cheffes de poste. Il y a eu d’autres engagements comme celui de rendre les commissions du CNC paritaires, mettre en valeur les films de matrimoine, davantage de films de réalisatrice pour les programmes
d’éducation à l’image…
Personnellement, je pense qu’on n’arrivera pas de sitôt à une égalité et une diversité tant qu’on ne mettra pas clairement en place des quotas – même si je trouve ça terrible d’en arriver là.

Félicitations pour avoir gagné le prix du public dans ta catégorie au Finals Girls ! Comment as-tu vécu la présentation de ton film au Finals Girls?
Merci ! C’est notre toute première sélection et donc une grande fierté de recevoir ce prix ! Un film qui « rencontre » son public est très valorisant, surtout quand il peine à être projeté en France… Il a fallu dépasser les frontières pour ça, mais en y réfléchissant, je n’aurai pu rêver mieux qu’un
festival féministe à Berlin pour la première mondiale !

femme devant voiture
Credit- Flo Pernet

Est-ce-que que tu vas aller présenter Unes au festival de Boston?

Les États-Unis, ça me semble tellement loin et démesuré ! Au début j’ai carrément cru à une erreur de leur part… C’est fou parce que j’ai fait ce film pour qu’il soit vu au plus grand nombre mais dès qu’on y accorde de l’importance et qu’on m’offre de la visibilité, j’ai du mal à y croire. J’ai visiblement encore quelques comptes à régler avec mon syndrome de l’imposteur (ahah) et la première étape pour le combattre, c’est très certainement me rendre au Boston Underground Festival pour y présenter mon film fièrement !

Quels sont tes inspirations dans les films et séries de genre ?
J’ai clairement été biberonnée à Buffy contre les Vampires sans évidemment me rendre compte de la dimension féministe à l’époque mais j’aime penser qu’elle inspire inconsciemment mes projets.
Thelma et Louise, Boulevard de la mort et Volver de Almodovar restent mes références ultimes pour ce court-métrage qui fait d’ailleurs quelques clins d’oeil de couleurs (jaune et rouge) et de cadres (notamment le truck shot).
Côté cinéma de genre, je citerai Get out, Paranoïa, Shutter island, Invisible man… Et en séries : La Servante Écarlate, Killing Eve, Sharp obects, les Papillons noirs
Et là, je me rends compte que je n’ai pas cité beaucoup d’œuvres portées par des femmes, argh.

Est-ce tu penses que le fait que Julia Ducournau ait eu la palme d’or pour Titane peut changer les choses? Autant sur les femmes qui font du genre, que la reconnaissance du cinéma de genre?
J’y crois fort en tout cas ! Mais comme les lignes sont longues à faire bouger
en France… il va falloir s’armer de patience.

Quels sont tes prochains projets?
Deux courts-métrages sont en cours de production – un thriller psychologique et un film fantastique – et je développe aussi des projets de séries depuis un an, qui ont tous en commun un traitement fantastique et un engagement féministe assumé (pour ne pas dire radical). Et si la France n’en veut pas, je sais que je n’aurais qu’à franchir les frontières !

Bande annonce d‘Unes: