femme assises

Si on pointe régulièrement le manque de diversité et d’égalité au cinéma, on parle moins de ce manque dans la critique cinéma. Une parité très loin d’être atteinte. J’ai donc étudié (dans la limite de la transparence des rédactions), la constitution des rédactions.
Cet article explique pourquoi je n’interview que des créatrices dans mes entretiens.

« L’important c’est le film, pas de savoir si c’est un réalisateur ou une réalisatrice« . Cette phrase on l’entend régulièrement lors de débats houleux autour de la parité dans le cinéma. On retrouve la même logique dans la critique d’art. Dont la parité est loin d’être une réalité.

J’ai lu et entendu des arguments qui non seulement sont d’un grand mépris, mais aussi hors sol. Si Slate (dont l’article donne déjà quelques chiffres) et Madame Figaro se sont déjà emparées du sujet, la place des critiques cinéma femme reste un sujet touchy.
Alors, pourquoi est il important d’avoir aussi la parité dans la critique cinéma?

Les oppressions systémiques, ennemis de la parité

Je partirai du principe que c’est acquis que vous ayez conscience que nous vivons dans une société sexiste, raciste, validiste, homophobe, psychophobe, classiste, transphobe, etc…

Notre société est pensée par et pour des hommes blancs cis hétéro, et pour des personnes se conformant aux attentes d’un système basé sur le capitalisme. Que vous en soyez un mec cis hétéro sympa ne change rien au problème. On parle ici de société structurelle, systémique, pas d’anecdotes personnelles. Si vous n’êtes pas d’accord avec ça, ou que ça vous paraît obscur, le reste de l’article n’aura pas beaucoup de sens pour vous.
Et la recherche de parité est une partie de la solution à ce problème. A savoir, réduire les inégalités.

Nous avons tous et toutes des biais sexistes, racistes, validistes, etc…qui font que c’est nécessaire d’avoir des regards provenant de personnes très diverses, sur les oeuvres.

La difficulté de remettre en question ses certitudes

Mais si vous êtes d’accord avec ça, peut être êtes-vous moins sensibles au fait que vous avez forcément des biais qui font que vous avez des réflexions de sexisme ou de racisme ordinaire.
Je m’explique. Je suis blanche. Vivant dans une société structurellement raciste, j’ai forcément des biais qui font que je peux avoir des réflexions racistes sans le savoir, sans le repérer, sans le comprendre tout de suite. Suis je raciste pour autant? Non. L’exemple le plus parlant ce sont des blanc-hes qui disent ne pas voir les couleurs de la peau. Ca part d’un bon sentiment. Mais ça participe à nier l’identité des personnes, ses oppressions, ses problématiques propres. Et ça ne fait pas disparaître le racisme. Au contraire, ça participe à invisibiliser le réel problème. Ca parait anodin, et pourtant, la problématique liée aux cheveux crépus par exemple, est un véritable axe politique dans Black Panthers.

Toujours est il que c’est valable pour n’importe quelle oppression que nous ne vivons pas. Ainsi, il faut avant tout avoir une capacité à se remettre en question. Et si cette démarche peut vous paraître curieuse, plongez vous dans des études sociologiques qui expliquent par des faits et analyses comment la société est construite de ces oppressions. Nous avons des visions à déconstruire.

Voilà pourquoi il est important d’avoir une diversité et une parité dans la critique, qui nous permet de poser d’autres regards sur les oeuvres. De nous ouvrir à d’autres lectures et surtout d’élargir notre esprit critique.

Le cinéma s’inscrit dans la réalité

Tout ça pour dire que comme nous ne vivons pas tous-tes les mêmes oppressions systémiques (voire certains aucune), nous ne pouvons pas avoir le même regard sur le monde. Donc sur le cinéma. Par conséquent, certain-es peuvent comprendre ou déceler et voir des choses que d’autres ne comprendront jamais. Et c’est plutôt une richesse de prendre connaissance d’un regard que vous n’avez peut être pas sur un film non?

Ce qui est plus problématique, c’est d’insinuer que des arguments basés sur la réalité du terrain, ne sont pas recevables pour critiquer un film. Si on pense cela, ça veut dire qu’on conçoit le cinéma déconnecté du monde, de la réalité, des enjeux de société.
Or, on sait que le cinéma est un formidable outil pour refléter notre monde. Donc ces arguments n’ont aucun sens. Si ce n’est préserver une sorte de « liberté » à tout prix. Dans tous les cas, les films ne sont pas censurés non? Alors où est le problème? Ils continuent de faire des entrées et d’êtres récompensés, à l’image de J’accuse de Polanski.
La parité n’est pas synonyme de liberté en danger. Mais plutôt de varier les points de vue sur un film.

Nous sommes tous-tes marqué-es par des idées qui nous habitent qui déterminent notre esprit critique. Pourquoi l’engagement féministe n’aurait pas plus de légitimité que les autres?

L’important ce sont les arguments

Mais oui. C’est vrai. Evidemment que critiquer un film nécessite de s’appuyer sur la mise en scène, l’écriture des personnages, montage, etc. Et il me semble que nous avons tous-tes des avis différents, et une manière de recevoir un film qui diffère. Cela est lié à notre personnalité, notre histoire, nos vécus actuels, nos évolutions…Nous nous nourrissons de cela pour apprécier ou pas un film. Nous avons pour la plupart des engagements dans notre vie (associatifs, artistiques, humains…). Et l’engagement féministe peut faire parti d’un quotidien.
Pourquoi, alors cet engagement n’aurait pas de légitimité? Pourquoi n’aurait il pas sa place dans la critique?
Il y a aussi des critiques féminines qui sans parler d’un engagement au quotidien, ont envie de voir à l’écran des représentations de personnages de femmes qui leur ressemblent, qui ne sont pas majoritairement vides ou sous traités.
Et on peut tout à fait avoir des arguments solides pour démontrer une vision misogyne d’un personnage.

Par ailleurs, des hommes sont tout à fait capables de démontrer la force d’une oeuvre féministe. Je pense par exemple à Alphi qui décortique la mise en scène magistrale de Fleabag.

La censure

La critique féministe est souvent associée à la censure. A ce sujet, je vous conseille d’écouter le podcast de Sorociné à ce sujet.
Si parfois on ne peut que noter une certaine mauvaise foi, il est bon de rappeler que la critique féministe n’a pas vocation à brûler les oeuvres d’antan. Celles ci sont même des témoignages d’une époque, d’une manière de filmer. La critique féministe a plutôt comme objectif de proposer une nouvelle lecture de scènes, de personnages qui peuvent être problématiques. Dans l’idée d’encourager à créer des choses différentes aussi car je ne vois pas l’intérêt pour l’art de perpétuer les mêmes représentations. Je trouve cela même positif de valoriser un cinéma qui essaye de renouveler des schémas afin d’être à son tour, un témoin de son époque.

Si on reprend l’exemple des nominations de Polanski aux Césars, il y a des critiques féministes qui ont fait des recherches basées sur des faits pour montrer l’absurdité d’une soi disant censure. On a le droit ne pas être d’accord, mais on ne peut pas dire que c’est basé sur des convictions personnelles qui ne sont pas ancrées dans la réalité. Je vous propose de regarder la vidéo de Dolorès Critiques qui est tout à fait pertinente:

La parité, ce mirage

Je me suis donc penchée sur les représentations des critiques dans des revues de cinéma et des sites web. Ces chiffres sont donnés à titre d’éclairage, ce n’est pas une critique du contenu. La question n’est pas non plus de savoir si ces media sont conscients du problème ou pas, s’ils y travaillent ou pas et dans quelles mesures. Ici c’est simplement un constat.

Presse papier

Première

J’ai passé en revue 40 critiques publiées sur leur site et j’ai compté 16 critiques dont 4 femmes. Par ailleurs, les critiques sont rédigées majoritairement par 3 journalistes hommes (dont un qui cumule 13 critiques quand le second qui le talonne en a 5). Les noms de ces femmes critiques ne reviennent qu’une fois ou deux.

Les Inrockuptibles

Je suis remontée jusqu’à février 2020 donc 72 critiques. J’ai noté le nom de 13 critiques dont 3 femmes. Point positif, l’une des critiques femmes Marilou Duponchel revient 12 fois et celui de Bruno Duruisseau 18 fois. Elle fait partie des trois principaux critiques qui reviennent le plus.

Mad Movies

Sur l’ensemble des critiques postées, j’ai noté 8 critiques hommes. J’ai aussi été vérifier dans les quelques numéros que je possède et aucune femme. En même temps Mad Movies est aussi connu pour ses rhétoriques parfois bien teintées de sexisme.

Web

Ecran Large

Sur Ecran Large je compte 10 critiques dont 3 femmes, sachant que là aussi, la majorité des critiques sont rédigées par 2 hommes (surtout un qui en compte 27 sur 55 que j’ai parcourues).

Le Bleu du Miroir

Le Bleu du Miroir est l’un des seuls sites qui répertorie le nom de ses contributeur-rices dans sa barre de navigation. Il y a donc 12 personnes dont 3 femmes. Et sur les 3, 2 ont droit à 9 et 11 pages de critiques, relativement similaire aux hommes.

Télé, radio, YouTube

Le Cercle

Seule émission télé de critiques de films Le Cercle est diffusé sur Canal plus, et existe depuis 2004. Je compte 31 intervenant-es dont 12 sont des femmes. Donc on peut dire qu’on est vraiment pas loin de la parité, d’autant plus que celle ci est toujours respectée sur le plateau. Le problème de la télé c’est que ça se voit tout de suite quand il manque de femmes, du coup l’effort est d’autant plus nécessaire. En revanche, on y voit majoritairement des blanc-hes.

Le Masque et La Plume

Cette émission phare et historique de France Inter qui continue à ne pas remettre en cause ses différentes sorties sexistes et homophobes comptent 35 intervenant-es dont 8 femmes. La parité est globalement respectée lors des émissions.

YouTube

Si vous tapez « les cent premières chaînes de cinéma YouTube », ou « chaîne YouTube cinéma » il y a deux chaînes tenues par des femmes qui sont citées: Perle ou Navet et Les Chroniques de Vesper (citée une fois).

En 2017, la seule chaîne tenue par une femme qui apparaissait dans le top 10 est Ginger Force (et encore elle ne traite pas que de cinéma) qui compte 48 400 abonnés malgré que la chaîne n’existe plus.
Maintenant, la youtubeuse en tête est Clara Runaway qui a eu droit à un article dans les Inrocks et Télérama, avec 100 000 abonné-es.
Si on compare avec les plus grosses chaînes YouTube c’est cacahuète:

-Le Fossoyeur de films: 783 000 abonné-es,
-Captain Popcorn: 481 000 abonné-es,
-In the Panda: 319 000 abonné-es,
-Durendal: 297 000 abonné-es,
-Alt 236: 243 000 abonné-es,
-Nexus VI: 211 000 abonné-es,
-Scinéma: 126 000 abonné-es,
-Versus: 121 000 abonné-es,
-Licarion: 113 000 abonné-es,
-Azz l’épouvantail: 106 abonné-es…

Paye ton invisibilité

Conclusion: Une YouTubeuse cinéma dépasse les 100 000 abonné-es quand on compte au moins 6 youtubeurs qui dépassent les 200K. Et n’allez pas me dire que c’est une question de qualité de contenu parce que vous comme moi, on sait que ne serait ce que dans cette liste, il y a à redire.
La parité est un idéal que les YouTubeuses sont loin d’approcher.
Après si jamais vous en trouvez une, n’hésitez pas à me la signaler, je la noterai avec plaisir!

Alors pourquoi? Par manque de confiance, par manque de crédibilité accordée aux femmes de façon consciente ou non et aussi par peur des représailles. Le cyber harcèlement concerne principalement les femmes.

J’en profite pour vous conseiller des chaînes tenues par des femmes:

Demoiselles d’Horreur,
Laura Fait Genre,
Vidédrome,
Dolorès Critiques,
Welcome to Prime Time Bitch,
SweetBerry,
Amazing Lucy,
Cinémaniaque,
La Manie du Cinéma,
Cinéma et politique,
Zoétrope,
AnneLyse Desanto,
Les Nécroniques de Laya

Enfin, s’il est déjà assez compliqué d’avoir une vision globale du problème pour les femmes, c’est d’autant plus difficile pour les personnes racisées. Mais le problème de fond est le même. Le cinéma a vocation à raconter les histoires de personnes aussi différentes soient elles de par le monde. Il parait logique que la critique cinéma doit être aussi diversifiée.
Le problème n’est pas de « censurer » des oeuvres, mais plutôt d’offrir un maximum de points de vue possibles sur un film. Mais aussi de visibiliser des films qui s’attacher à proposer des histoires différentes, des personnages riches, des mises en scènes innovantes…Et ce n’est pas en valorisant un seul point de vue que le cinéma va s’enrichir (sauf le tiroir caisse).

L’absence de parité est un problème qui touche tous les secteurs. Seulement, ce problème reste un non sujet dans la critique cinéma, notamment dans le milieu amateur. Il est temps que ça change.

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