Méandre et Hostile sont 2 huis clos réalisés par Mathieu Turi. S’ils ont des structures qui apparaissent comme similaires, ce sont 2 films qui fonctionnent en miroir, selon moi.
A l’occasion de la sortie de Méandre, il m’a semblé pertinent de proposer une analyse croisée de ces 2 films qui s’inscrivent dans un cinéma de genre français vivifiant.
J’analyse donc je spoil. Vous êtes prévenu-es!
Une jeune femme se retrouve piégée dans un système ingénieux, qui l’oblige à avancer et avancer si elle veut rester en vie.
Il faut commencer par préciser que si Méandre et Hostile se ressemblent, c’est aussi parce que Mathieu Turi avait écrit plusieurs scénarios de huis clos. Il l’explique dans l’échange que j’ai pu avoir avec lui.
Par ailleurs, le format huis clos demande peu de décors, des effets concentrés sur une scénographie. C’est donc un format adapté pour des petits budgets. Le cinéma de genre français dépasse rarement les 2 millions d’euros. Hostile s’en est tiré avec 1 million, quand Méandre a bénéficié de 2,3 millions d’euros.
La nécessité de faire preuve de créativité n’en est que redoublée (même s’il ne faut pas se servir de cet argument pour ne pas augmenter les budgets des films de genre français).
Les épreuves qu’affrontent Juliette et Lisa sont liées à leur passé, mais ne s’articulent pas de la même manière.
Les titres Méandre et Hostile donnent déjà le ton des films. Si les 2 titres renvoient à un imaginaire plutôt sombre, avec Hostile, on sait qu’on est face à une menace vive, qui met en doute une survie. En revanche, Méandre met l’accent sur une chemin tortueux, complexe, qui laisse davantage en suspens l’aboutissement de cette quête.
Vous l’avez constaté, les 2 films mettent en scène un personnage féminin, qui s’approche de la représentation de la femme forte et badass plus ou moins classique. Je nuancerai tout de même cette remarque, car dans les 2 films il n’en jamais question de montrer ces femmes comme particulièrement agressives, courageuses ou douée d’une grande force. Juliette et Lisa font plutôt face à l’adversité, du mieux qu’elles peuvent, avec les moyens qu’elles ont.
D’ailleurs, elles ne sont presque pas armées. Juliette n’a qu’un pistolet très sommaire, qui lui servira finalement assez peu, et Lisa n’a rien.
Par ailleurs, elles ont 3 points communs:
- La solitude, au propre comme au figuré,
- L’amour. Dans Hostile, il est question de sentiments amoureux, quand Méandre évoque l’amour maternel,
- La perte d’un enfant.
Il est intéressant de noter que la solitude et l’amour sont des thématiques reliées dans les 2 films. Alors que l’amour (quel qu’il soit) a besoin d’autrui pour exister, il peut aussi marquer une grande solitude. En cas de manque, ou au contraire, dans une certaine fusion des êtres, qui forme une bulle.
Quand on fait la connaissance de Juliette dans Hostile, elle est donc seule, et son unique contact avec d’autres personnes, se fera à travers un talkie. Une voix déshumanisée et déshumanisante qui sera sa seule lueur d’espoir tout au long de sa lutte, ce qui renforce l’aridité de ce monde post apocalyptique.
Dans Méandre, la solitude de Lisa est davantage psychologique. En effet, alors qu’elle a un comportement suicidaire, elle trouve rapidement une main, en apparence tendue. On apprend rapidement qu’elle a perdu sa fille, ce qui nous amène à comprendre instantanément à quel point elle peut se sentir seule.
Toujours en parlant de solitude, il faut noter qu’il n’y a pas de termes pour désigner des parents qui ont perdu leur enfant. Nous avons les mots veufs, orphelins, mais pas de mot à poser sur ce statut.
Les épreuves qu’affrontent Juliette et Lisa sont liées à leur passé, mais ne s’articulent pas de la même manière.
La solitude et l’amour sont des thématiques reliées dans Hostile et Méandre
Dans Hostile, on prend connaissance au fur et à mesure de la vie de Juliette, avant l’apocalypse. A noter que, si on peut voir dans Hostile, une inspiration de The Last Of Us, j’ai aussi pensé à Metroid les 1ères minutes du film, où l’identité de Juliette n’est pas de suite révélée.
A travers des séquences de flash back trop présentes, (et surtout parfois trop explicites), on apprend qu’elle était toxicomane. Elle rencontre Jack qui sera autant une bouée de sauvetage, qu’une nouvelle toxicité pour elle.
L’enfermement qui pèse sur Juliette est déjà perceptible dans sa vie d’avant. Elle est très souvent cadrée dans un espace clos, qui se referme sur elle: l’ascenseur, la fenêtre de sa maison dorée…Et Jack va la séquestrer pour la sevrer.
Son couple est même enfermé dans le cadre d’une photo.
On peut noter également que la 1ère rencontre de Jack et Juliette se font à travers une peinture, de nouveau dans un cadre réduit. Avec son arrogance, Jack veut instruire Juliette, et lui parle de l’artiste Francis Bacon, qui sublime le laid à travers ses superbes oeuvres tourmentées.
En un plan, on retrouve la notion d’enfermement avec le cadre. C’est une référence évidente à la future condition de Jack, qui deviendra cette créature, dans le monde post apocalyptique. Ce portrait est situé entre eux, et à mon sens, il a une double représentation.
Le tableau de cette monstruosité, prend place dans une belle salle d’exposition, renvoyant à l’allure actuelle de Jack (dissimulant encore à ce moment là son comportement toxique).
Mais ce monstre représente évidemment la condition future de Jack, qui sera une réelle menace pour Juliette.
On peut également noter que Francis Bacon s’est inspiré des conséquences de la Seconde Guerre pour créer ses peintures, élément qui fait écho avec la catastrophe qui va frapper la société dans Hostile.
Obsédé par son désir de la sauver, le compagnon de Juliette en deviendra bien trop intrusif…à l’image de la créature qui tente de pénétrer dans le camion, pour tuer Juliette.
Cette créature dangereuse et monstrueuse, représente bien la menace qui pèse sur une personne quand on pense et décide à sa place.
Encore une fois, Jack est déjà montré dans la vie d’avant, comme une menace. Il est cadré comme une ombre qui se fond sur Juliette.
Les conséquences de cette toxicité sont traduites par le début et la fin du film qui se répondent.
Tout d’abord, il faut noter que l’accident de Juliette dans le monde post apocalyptique, est causé par la photo de son couple qui s’envole. Elle tente de la rattraper, et son véhicule fait une sortie de route.
Et le dernier plan du film, est cette photo qui était au sol, qui s’envole de nouveau, mais cette fois personne tente de la rattraper. Et la caméra ne la suit pas non plus. (Cela me rappelle le plan final de Forrest Gump où c’est une plume qui s’envole, avec la caméra qui la suit, signe évident d’un optimisme et d’un nouveau départ).
De plus, au tout début d’Hostile, on voit la photo du couple, avec Juliette qui pose son arme dessus.
Et le dénouement final qui est tragique, rappelle cette arme.
Tout l’enjeu d’Hostile est là; Juliette ne fait qu’essayer de sortir de sa vie, une personne qui porte atteinte à sa liberté. C’est uniquement quand elle reprend sa liberté à la fin, qu’elle accepte le contact avec la créature.
Cette scène finale est par ailleurs très touchante. Une revisite de la Belle et la Bête, la poussière et le tourment en plus.
Dans Méandre, Lisa tente de sortir de l’enfer de son deuil. Tout au long du périple, elle est constamment poussée à avancer dans une direction décidée pour elle. Elle n’a pas besoin de réfléchir, son attention est concentrée dans le fait de trouver la solution pour survivre à l’épreuve.
C’est finalement un comportement qu’on l’on retrouve souvent chez une personne endeuillée. Le corps et l’esprit se mettent en pilotage automatique, en évitant de réfléchir, ce qui amènerait à l’effondrement.
Mais c’est en étant forcée d’avancer, que Lisa va prendre goût à maitriser ses actions par la suite. Psychologiquement parlant, en acceptant de laisser partir sa fille, ou physiquement, en se focalisant sur une logique pour enfin sortir de ce labyrinthe.
Lisa est davantage dans ancrée dans une dépression, et ne trouve pas d’issue. Elle est coincée entre une pulsion de vie (dans ce cas on est uniquement dans l’idée d’une auto conservation) et de mort. La dualité de ces concepts aboutira à la mise à l’épreuve de Lisa.
A mon sens, cette instabilité se traduit également par la teinte bleutée qui traverse quasiment tout le film.
Le bleu est régulièrement associé au rêve, et force est de constater que cette notion traverse 3 séquences du film:
- Au moment où Lisa est plongée dans ses souvenirs d’enfance, et avec Nina,
- Quand elle rencontre littéralement Nina qui force Lisa a faire un choix de vie,
- Le final (bien trop biblique et fermé à mon goût) qui place Lisa dans un jardin d’Eden, ou en tous cas, un lieu merveilleux, avec Nina.
Cette opposition passe aussi par le fait qu’on ne connait rien de Lisa. On ne sait pas quelle femme, mère elle a été avant d’être emprisonnée.
L’idée dans Méandre n’est pas de comprendre une trajectoire de personnage, mais plutôt de nous demander, quelle attitude peut-on avoir face à une personne inconnue dont on sait rien, qui gère un tel traumatisme?
A noter que le traitement de la mère endeuillée diffère dans les 2 films. Dans Méandre, c’est la douleur d’une mère qui ne se remettra jamais de la perte de sa petite fille Nina, mais qui lutte pour vivre avec.
Tandis que dans Hostile, on ne connaît rien de l’identité du bébé. On ne le verra jamais. Ainsi, pour Juliette cela marque pour elle, la confirmation de sa médiocrité, et de son incapacité à vivre une vie normale et heureuse. Et évidemment, le lien qui se brisera avec Jack.
Ainsi, Juliette et Lisa cherchent leur liberté, de manière diamétralement opposée. Ce sont des personnages féminins relativement classiques dans leur arc narratif. Mais il faut noter qu’elles ne basculent jamais dans un trait grossier de victime de sexisme, ou au contraire dans une femme guerrière indestructible.
Ainsi, si Hostile et Méandre manquent de finesse dans la construction de leurs émotions, la représentation de ces personnages féminins est une petite bouffée d’air frais.
Méandre et Hostile sont l’illustration que le huis peut raconter des histoires très différentes, malgré des points communs. Avec des structures narratives propres, et des univers visuels marqués et soignés, Mathieu Turi parvient à réaliser des films efficaces sur la forme, et touchants sur le fond. Et ce côté naïf n’est pas pour me déplaire (même si on peut regretter un manque de subtilité), car on sent une réelle sincérité dans la démarche.
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