Revenge est le premier long métrage de la Française Coralie Fargeat et s’inscrit dans le rape & revenge. Il se distingue cependant dans la mise en scène de ce sous genre, en poussant les curseurs à fond dans le gore et le fantastique.
On note chez Revenge plusieurs points qui en font sa particularité:
- Il s’inscrit dans le rape & revenge, sous genre touchy du cinéma de genre qui a foisonné dans les années 70 et dont on a enfin une relecture plus féministe aujourd’hui. Pour rappel, la structure narrative d’un rape & revenge repose sur le fait que suite à un viol, une femme (ou une personne de son entourage cherche à se venger en se passant de la justice),
- Un rape & revenge réalisé par une femme Française est rare pour ne pas dire inexistant,
- Hasard du calendrier, le film sorti en 2018 a été propulsé par l’actualité #metoo et autre #balancetonporc, et a bénéficié d’une visibilité qui lui a permis de voyager l’étranger.
En plein me too, Coralie Fargeat assume sa position féministe lors de la promotion du film.
Elle présente son film comme une métaphore de l’empowerment (la reprise de pouvoir par une victime).
Revenge entre dans le sillon du cinéma américain de divertissement, tant au niveau du décor à la Mad Max, que dans le grand guignolesque sanguinolant. Le film utilise des ressorts fantastiques pour porter une histoire réaliste, permettant de montrer métaphoriquement toute la force qu’une victime peut posséder.
Mais est-ce qu’un rape & revenge réalisé par une femme change la donne?
La culture du viol illustrée
Oui et non.
Non parce qu’en termes de scénario, on est dans un classique rape&revenge. C’est souvent un prétexte narratif pour déployer la force d’un personnage féminin. C’est problématique de montrer un personnage féminin qui se bat, à travers l’unique ressort scénaristique du viol. Comme si elle avait besoin de ça pour se révéler. Mais comme toujours, c’est une vision à nuancer (que je détaille dans mon article sur les personnages de femmes fortes).
Le traitement de l’héroïne est original car ambivalent.
Jennifer représente un archétype éculé d’un personnage féminin. Elle parle très peu, voire plus du tout une fois que sa résurrection a lieu et qu’elle chasse ses agresseurs. Elle n’est pas vraiment une femme qui exprime et s’impose en termes de point de vue. Mais elle se transforme en une autre espèce, comme animale qui évolue dans un décor hostile, ce qui en fait malgré tout un sujet. Elle correspond par ailleurs, totalement aux normes du canon féminin. Blonde, sexy, avec un corps de rêve. Un cliché de plus sur le viol, qui concernerait davantage des femmes jolies.
Mais là où Coralie Fargeat a eu une idée merveilleuse (que je n’attendais plus à vrai dire), c’est de positionner son héroïne, Jennifer, comme une femme qui aime séduire, et s’amuser, qui souhaite utiliser son corps comme elle l’entend. Une femme visiblement à l’aise avec sa sexualité.
Dans la première partie, Fargeat joue à fond tous les codes de la super sexualisation du corps, en filmant de près les formes de Jennifer (même prénom que l’héroïne de I Spit on Your Grave), s’attardant sur les regards des hommes. On montre la mécanique de la culture du viol qui rôde avec des regards d’objectivation des hommes sur Jennifer. Si une femme se montre sexy, c’est qu’elle cherche du sexe, évidemment.
Ce sont des scènes qu’on a tellement vu dans des films sexistes, que l’on est mal à l’aise. Fargeat nous force à faire face à notre slut shaming, car en tant que femme on sait que ce genre de comportement a toujours été risqué. Et en même temps, le problème est bien l’interprétation des hommes de l’attitude de Jennifer. Elle est libre de son corps, et de ses envies.
En 2016, une enquête a révélé que 27% des français-e-s pense que l’auteur d’un viol est moins responsable si la victime portait une tenue sexy. On est donc en plein dans un sujet réaliste.
Concernant la scène du viol (genre de séquences que j’ai personnellement de + en + de mal à regarder), on suit le regard de l’héroïne qui implore un complice de ne plus l’être. La scène fait froid dans le dos, même si elle est éludée. L’effet est finalement beaucoup plus efficace, car c’est bien la détresse de la victime que l’on entend et comprend (contrairement à la plupart des rape & revenge).
De même, l’agresseur est une personne de l’entourage du compagnon de Jennifer. Même si elle-même ne le connait pas, ça reste une personne à qui elle fait naturellement confiance, dans la mesure où c’est un ami de son compagnon.
Catwoman en Tomb Raider
Telle une renaissance à la Catwoman, l’heroïne se mue en guerrière sanguinaire.
Le corps de Jennifer est toujours filmé de près, notamment lors de sa « mutation ». Mais là on voit des blessures, une hargne, un corps qui se prépare au combat (et un nouveau tatouage). Jennifer se débarrasse d’un symbole phallique, son bout de bois qui la transperce. Le personnage devient mutique, on entendra plus le son de sa voix (sauf pour crier sa douleur). Déterminée, résistante (c’est le moins qu’on puisse dire!), Jennifer ne quittera plus l’idée de satisfaire sa vengeance.
J’ai lu des critique reprochant le fait que l’héroïne est toujours en petite tenue.
Le regard porté n’est plus du tout le même. C’est un corps qui lutte, qui se met en position de combat que l’on voit, qui n’a plus d’artifices.
Bain de sang
Fargeat se fait un plaisir de nous faire grincer les dents à travers quelques scènes bien gore. On oscille entre dégoût et amusement, tant les scènes deviennent complètement folles.
La réalisatrice a souvent souligné lors de conférences (notamment celle ci avec Julia Ducournau et Alexandre Aja), que le cinéma de genre Français a du mal à dépasser l’aspect « film d’auteur » (qui a permis à Ducournau de décrocher notamment de financements). Il n’y a pas assez de films de genre assumant leur aspect série B décomplexé et gore. Qu’on soit client ou pas, Fargeat est donc force de proposition, on aimerait donc qu’elle puisse le faire également en langue Française !
Le final est particulièrement soigné, avec un plan séquence et une caméra qui suit de près l’agresseur, devenu traqué, nous embarquant dans un labyrinthe. De chasseur, il devient chassé, et cette impression est amplifiée parce labyrinthe dans lequel lui et le-a spectateur-rice se perdra.
Et pour une fois, c’est l’homme qui se retrouve nu pour cet affrontement final.
Le but de Revenge est assumé: la rage, la hargne face aux diverses violences faites aux femmes: objectivation, rabaissement, violences verbales, physiques. Et le regard final en dit long sur la lutte à venir.
Revenge de Coralie Fargeat,
Avec Mathilda Lutz, Kevin Janssen,
Scénario et dialogues Coralie Fargeat,
Photographie: Robrecht Heyvaert,
Montage Coralie Fargeat, Bruno Safar et Jérôme Eltabet
Musique Robin Coudert
[…] Revenge, Coralie Fargeat revient avec The Substance qui est d’une rage flamboyante, abordant une […]
[…] Il existe un sous genre du cinéma de genre qui s’axe spécifiquement sur une violence faite en majorité sur les femmes, le viol. Le rape and revenge. Il s’agit de la vengeance d’une femme qui a été violée et souvent battue, voire torturée. Ce sont des films majoritairement réalisés par des hommes (L’ange de la vengeance, I spit on your grave, La dernière maison sur la gauche, Crime à froid,…). Même si Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi ont déversé rageusement Baise Moi en 2000. Coralie Fargeat a fait aussi une entrée fracassante pendant la vague Me Too avec Revenge. […]