femme en sang film d'horreur

Lors de la 8ème édition du Final Girls, une conférence sur la représentation du rape and revenge selon si c’est un homme ou une femme qui réalise, s’est tenue.
Ce sous genre de l’horreur est un sujet sensible, certainement celui qui suscite le plus de débats, points de vue d’autant plus depuis #MeToo.
La conférence était passionnante, et je vous livre ici à la fois sa restitution et mon regard.

Le rape and revenge, sous genre du cinéma de genre, est emblématique du cinéma d’exploitation. Utiliser les violences sexuelles ( qui sont les peurs les plus présentes et universelles chez les femmes) est une occasion de livrer un spectacle dérangeant voire voyeuriste, alliant nudité et sang, autrement dit eros et thanatos.
Comment définir le rape and revenge ? Ce sont des films dont la narration repose sur un seul élément déclencheur: le viol d’une femme. On retrouve généralement la même structure narrative, dont La Source (1960) a posé les bases:

  • Contextualisation de ce qui va amener au viol,
  • Le viol,
  • La préparation de la vengeance,
  • La vengeance (par la victime ou pas un tiers).

Le rape and revenge pose plusieurs questionnements:

  • La représentation du viol,
  • Le traitement du personnage féminin qui est à la fois victime et bourreau,
  • La représentation de l’effet cathartique,
  • Le traitement de la vengeance à travers le meurtre.

Le rape and revenge à l’heure #MeToo

Comme n’importe quel genre de cinéma, les hommes ont souvent été les réalisateurs de ces films. Si pendant longtemps personne (notamment la critique), en France ne s’était posé la question de la représentation du viol et des traitements du personnage féminin, aux USA comme souvent, on a un temps d’avance. Comme par exemple avec Carol J Clover son livre phare « Men, women and chainsaws, gender in the modern horror films« 
6 ans après #MeToo, la doctorante à l’université de Kingston à Londres, Bruna Foletto Lucas propose une conférence lors de la 8ème édition du Final Girl Berlin Film Festival intitulée « La révolution actuelle des réalisatrices et de la narration des rape and revenge ».
Son doctorat a pour titre « La reconquête de l’horreur: comprendre les paradigmes du trope de la représentation des femmes dans les films d’horreur« . Tout un programme qui m’enchanta.

Bruna Foletto Lucas

L’analyse du rape and revenge par Bruna Foletto Lucas

Bruna Foletto introduit sa conférence en rappelant que le rape and revenge réalisé par des hommes, n’avait, paradoxalement, pas pour but de traiter ni la thématique du viol, ni des violences sexistes.
Mais plutôt de traumatismes vécus collectivement et s’inscrivant dans l’histoire des USA. Elle prend l’exemple de La dernière maison sur la gauche qui est une photographie d’une famille vivant à l’époque de la guerre du Vietnâm.
Par ailleurs, le violeur est souvent un homme de la campagne, s’inscrivant dans une représentation similaire de la figure du redneck, brillamment analysée par Le Coin du Bis.
Et si le viol n’est pas une question d’homme des villes ou des champs, il est toujours nécessaire de rappeler que les viols sont commis en majorité par des gens proches (amis ou famille), et non en raison d’une rencontre malheureuse. Sans compter que cette représentation répétée stigmatise évidemment cette population, mais c’est une autre sujet.

Bruna Foletto poursuit en notant que dans les films de rape and revenge réalisés par des hommes, la scène de viol est longue, et la victime est nue ou quasi nue. Ainsi elle est dans une position totalement vulnérable, propice à un regard voyeur sur son corps.
Contrairement aux films réalisés par les femmes. Il est intéressant de noter que dans Revenge, de Coralie Fargeat, c’est l’homme traqué qui est complètement nu.
Et si elle note des films réalisés par des hommes qui empruntent les codes du rape and revenge en s’intéressant aux violences sexuelles comme Teeth, elle constate que ce dernier reste focalisé sur la douleur de l’homme lorsqu’il se fait couper le pénis. On se concentre donc sur une problématique de castration avant tout et pas sur l’impact du viol.

American Mary

Si on s’intéresse aux rape and revenge réalisés par les femmes, on note quelques différences.
Par exemple dans American Mary, le violeur est un homme éduqué. Tout comme dans Violation.
Ensuite, les scènes de viol sont plus courtes voire sous forme d’élipses (Revenge). Elles peuvent être également mises en scènes sous forme de flash back (Violation, MFA) permettant plus d’empathie. On privilégie les souvenirs de la victime. Etre au coeur de la vie des victimes et de l’entourage c’est précisément le sujet de Promising Young Woman.
Par ailleurs, elle explique que Violation s’approche de la réalité en plaçant les personnages dans une situation de she said/he said situation, à savoir que dans les affaires de viol, il s’agit souvent de « parole contre parole », qui porte préjudice aux femmes.
Je rajouterai que les films réalisés par les hommes sont souvent emprunts d’une culture du viol dans la mise en scène. Déjà en accentuant la nudité de la victime, mais aussi dans la manière de poser la caméra du point de vue de l’agresseur, mettant le public dans une position pour le moins malaisante.

Je compléterai en ajoutant que dans les rape and revenge réalisés par les femmes, la vengeance nait d’une forme d’injustice, d’un système mis en place qui pousse à bout les victimes. C’est le cas de la solidarité masculine dans Revenge, Promising Young Woman, MFA ou American Mary).

Bruna Foletto précise que dans les rape and revenge réalisés par les femmes, l’héroïne ne prend pas plaisir à se venger et ne fait pas preuve de sadisme. Dans Revenge, Jennifer est filmée comme une prédatrice qui traque, contrairement à l’autre Jennifer (coïncidence?) de I spit on your grave qui chercher particulièrement à faire souffrir ses bourreaux.
On constate précisément l’inverse dans Violation, où le meurtre, puis le fait de faire disparaître le cadavre est une épreuve pour l’héroïne. Elle s’arrête, s’épuise, pleure. Elle n’a pas eu plaisir à le tuer, et on voit que ça n’est pas une libération.

Revenge

Nuances de la revanche

Ces constations sont des remarques globales que l’on peut faire, mais on sait que ce ne sont pas des règles. En effet, si on prend l’exemple de The Nightingale de Jennifer Kent, il reprend à peu près tous les travers cités dans les films réalisés par des hommes. Des scènes de viol longues et répétées, avec une relative distance par rapport à la victime, avec un plaisir certain pris dans la vengeance (finalement commise par un tiers).
A côté, le film s’inscrit dans un véritable propos politique, où le viol est une arme de guerre et d’asservissement. Les violeurs sont l’élite, et l’empathie pour la victime est développée au cours du film à l’aide de scènes oniriques tourmentées ou de détails réalistes (ses seins gorgés de lait). Une ambiguïté qui atteste de toute la complexité du film.

Dans tous les cas, on peut dire que l’arrivée des femmes sur ce sujet a fait beaucoup de bien pour diversifier les représentations et problématiques, et je pense qu’il y a encore des sujets à exploiter.