Vieux festival de 40 ans, le BIFFF dure une dizaines de jours. Une temporalité qui permet de diffuser de nombreux longs et courts métrages. Les projections ont lieu dans 2 salles donc c’est assez pratique de s’y retrouver et d’enchaîner les films.
Le hall propose des expositions, des concours de peintures, de maquillage, un bar/snack, et comme tout festival de cinéma qui se respecte, des boutiques d’affiches de DVD/BR. Ambiance détendue.
Nous voilà donc armées de bières (de festival donc coupées à l’eau), et de grosses envies de s’en mettre plein les yeux et les oreilles.

On s’installe pour notre première séance et le générique du festival s’ouvre, ce qui donne lieu à des cris et des commentaires assez déstabilisants quand tu démarres. Je suis coutumière de ce genre d’ambiance pour avoir assisté à plusieurs séance de L’Absurde Séance à Nantes. Clairement, on ne va pas au BIFFF pour être au calme, et je comprends l’idée de convivialité qui semble aller de soi avec ce genre d’ambiance. Seulement si cette convivialité est certainement perçue et recherchée par certains, elle l’est aussi beaucoup moins par d’autres, mais j’y reviendrai plus loin.

Les divertissements efficaces

Your lucky day de Dan Brown (USA) sera donc notre premier film. Angus Cloud joue le rôle d’un braqueur du dimanche, qui tente de récupérer le ticket de loto gagnant d’un vieux cadre dynamique. Sans prétention et sans idée de mise en scène, le film s’avère être un joyeux divertissement avec son lot de rebondissements permettant de garder notre attention. Avec un petit parfum ACAB qui n’est jamais pour me déplaire, soyons honnête.
On reste aux USA avec The last straw d’Alan Scott Neal qui propose un home invasion dans un diner. L’actrice Jessica Belkin apporte une fraîcheur à ce personnage féminin à la fois punk mais fille à papa voulant faire ses preuves, manquant de maturité tout en ayant conscience de réalités. Les 3/4 du film sont efficaces mais la dernière partie tombe dans des flashbacks surexplicatifs d’une intrigue beaucoup moins captivante.

The last straw

On atterrit dans du n’importe quoi mais on aime avec le coréen Devils de Kim Jae-Hoon. Un thriller brutal à la Freaky Friday version tueur et flic qui échangent leurs corps. La 1ère partie se tient plutôt bien et ensuite on a le sentiment que le réalisateur lâche les chevaux pour se faire plaisir. Et je me suis éclatée.

Mais la star c’est bien sûr Abigail des réalisateurs Matt Bettinelli et Tylet Gillett (Scream 5 et 6 mais surtout Ready or Not) présenté en avant première. Le festival met le paquet entre performance artistique (une petite fille en tutu enfermée dans une cage qui se balade dans le festival), et surtout un superbe mini spectacle de danse avec des danseuses ensanglantées. C’était vraiment un plaisir à regarder et une manière à la fois ludique et belle d’ancrer le film dans la réalité.
Abigail s’avère être une comédie qui reprend des marques de Ready or Not: c’est finement drôle en poussant les potards saignants à fond. Le film a aussi l’intelligence d’utiliser les différentes caractéristiques et représentations du vampire (capitalisme, manipulation…) en les liant avec une vraie cohérence. La jeune Alicia Weir est parfaite et on en redemande.

Dans un genre beaucoup plus sérieux, Baghead d’Alberto Corredor (UK) avec Freya Allan de The Witcher est un vrai bonbon d’horreur. On part sur une base très classique (sorcellerie et possession), avec une pointe d’originalité (on pose un sac sur la tête d’une sorcière pour faire apparaitre un défunt). C’est exécuté avec brio permettant d’avoir sa dose de frayeur. On passe sur quelques incohérences et des thématiques traitées à la truelle (deuil, origines…) et on savoure.
Unspoken de Chen Daming (Chine) est un thriller très conventionnel sur un ancien flic à la recherche du tueur de sa fille, à l’aide d’une étudiante. Le duo fonctionne bien et le film propose une dernière séquence de course poursuite rondement menée, mais l’ensemble est assez balourd (arrêtez les flashbacks) et long. Le film a le mérite de traiter du racisme anti asiatique et surtout du racisme intra communautaire.

Gueules Noires du français Mathieu Turi était également projeté. Une histoire de monstre qui prend forme à l’époque dans une mine, pourchassant des mineurs déjà bien abîmés de par leur activité (le monstre matérialisant ce métier mortel). Le monstre est particulièrement réussi (moins dans les effets de mouvements). Il m’a fait penser à des films doudou comme The Thing, avec des créatures fait main sublimé avec une très belle photo.

Ca propose mais ça me laisse sur le carreau

On enchaîne le lendemain avec Kryptic de la réalisatrice Kourtney Roy (Canada/UK) qui était également présente pour présenter le film. Malheureusement on apprendra pas grand chose car le but est plutôt de mettre de l’ambiance que vraiment s’intéresser au film. Visuellement le film n’hésite pas à proposer dans le visqueux et l’organique, pour illuster une énième lecture du Petit chaperon rouge qui n’est ici très lourdingue. Limite parfois réac’ avec son association de la sexualité à la monstruosité, le film se perd et nous perd. Dommage, il parvenait tout de même à créer une ambiance singulière.
Changement d’ambiance avec Steppenwolf d’Adilklan Yerzhanov (Kazakhstan), connu notamment pour Assaut que je n’ai pas vu. Une mise en scène ultra maitrisée, magnifiée par une gestion une lumière crépusculaire comme je les aime, le film est plombé par deux protagonistes insupportables dont on aimerait vite qu’ils se taisent à jamais. Le film est également froid et mécanique dans son approche de la violence ce qui créé un malaise car on balance entre la banalité et la monstruosité de cette approche systémique.

Steppenwolf

La comédie américaine Krasy House des réalisateurs Flip Van Der Kull et Steffen Haars et avec Alicia Silverstone, est précédée d’un clip des réalisateurs pour faire un coucou au festival. Ce clip « pénis dance » fait appel à un humour des années 90 et je ne comprends pas que ça fonctionne toujours.
Le film s’amuse à tordre les feuilletons type Madame est servie et on assiste à la déchéance d’une famille américaine à cause de Russes (évidemment). Je trouve la première partie assez lourdingue et longue mais quand le film embrasse son discours anti clérical et sa violence, on s’amuse. En revanche, le final est gâché par une scène de viol ancrée dans la culture du viol qui a beaucoup fait rire la salle (et oui un Jésus dans l’anus ça fait encore toujours rire).

Les films en sortie de route

Je ne m’étendrai pas sur les films que je n’ai pas aimé car par principe j’évite. On attendait beaucoup d’une histoire de fantôme qui s’annonçait terrifiante avec Canceled d’Oskar Mellander (Suède). On a plutôt oscillé entre rires involontaires et ennui qui a rallongé le temps. Rien ne va: acteurs aux fraises, scènes de « tension » très looooongues, incohérences de réaction, de situations, photographie immonde.

Canceled

J’attendais Le mangeur d’âmes de Julien Maury et Alexandre Bustillo; l’incontournable duo français qui a coeur de faire vivre le cinéma de genre francophone. Point qu’ils ont d’ailleurs rappelé juste avant la projection du film. J’ai beaucoup d’affection pour eux, et j’aime certains de leurs films mais alors celui-ci est le plus raté. Le potentiel de l’histoire est grand, mais on se retrouve devant un téléfilm mal joué, mal écrit, avec un mangeur d’âmes finalement quasi absent. Dommage.

La séance de Love Lies Bleeding: le rire est politique

Venons-en à la séance de toutes les polémiques: Love Lies Bleeding, le nouveau film de Rose Glass (Saint Maud) avec Kristen Stewart. C’est la première fois qu’une séance se passe aussi mal au festival d’après ce que j’ai compris. Mais il était évident que dans le contexte actuel (#metoo, une prise de conscience sur les représentations au cinéma et une production de films avec des problématiques féministes actuels), une ambiance comme le BIFFF allait se fracasser face à un public féminin et lesbien venu exprès de Paris.

Pour partager les faits de mon point de vue, la salle a fait du bruit et des commentaires comme à toutes les séances. Il a été dit par les féministes que des rires ont fusé lors d’une scène de viol, réfutés ensuite par des défenseurs du festival. La scène en question montre l’un des personnages principaux avoir une relation sexuelle pour obtenir un boulot. Pour certains mouvements féministes la prostitution est un viol. Ce n’est pas mon cas, je ne suis pas une féministe abolitionniste. En revanche, les rires pendant cette scène restent inappropriés. Ce n’est pas une scène drôle, le ton du film en l’est pas, on sait qu’on est en présence d’un personnage masculin problématique. Donc vraiment applaudir ou rire pendant cette scène, qu’est-ce que ça veut dire? Qu’est-ce qui fait rire? De qui rit on? Qu’est-ce qu’on félicite? Il serait temps de questionner ces réactions pour prendre un peu de hauteur et arrêter de se contenter d’un « c’est l’ambiance, on rigole ». Le rire est politique (et oui). Et il a dérangé certaines personnes lors de la séance de Krazy House lors d’un viol, que je mentionne plus haut.

De manière générale, mettre de l’ambiance pendant un film qui s’y prête oui, pendant un film sérieux (et un minimum de qualité, qui ne prête pas de rires involontaires), c’est tout de suite plus pénible en plus d’être touchy.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que même pendant un film qui s’y prête, tous ces cris/commentaires peuvent être anxiogènes pour des personnes mal à l’aise socialement voire rendre carrément impossible l’accès de ces séances à des personnes ayant des particularité, comme l’autisme par exemple. C’est une question qui n’a jamais été soulevée lors de cette polémique.

A environ la moitié du film, une dizaine de femmes descendent en hurlant « c’est la pire séance de ma vie, allez vous faire foutre etc.. ». Une deuxième vague quelques minutes plus tard. Puis on entend le happening démarrer à la porte, les féministes scandant « coupez le film ». Là dessus des zones de tensions se fait sentir un peu partout, notamment devant moi et derrière moi. J’ai même fini par dire au gars derrière moi d’arrêter d’en rajouter compte tenu des diverses frictions. Je vois un coup partir devant moi et on décide de quitter la salle avec Bloody Elfy. A la sortie on est confrontées aux femmes qui continuent de crier et on s’écarte. Puis les flics ont été appelés car l’escalade de la violence a été rapide.
Après la séance, les féministes ont continué de faire un happening dans le hall d’entrée.

Je comprends le besoin de faire appel à une aide extérieure pour éviter que les choses dérapent encore plus, ce que je comprends moins c’est qu’on place systématiquement la violence physique au dessus des morales. Or, les injures discriminantes sont aussi punies par la loi et tout autant blessantes. La preuve, les féministes ont témoigné d’un sentiment d’insécurité et d’attaques très fort. Les témoignages relatent des commentaires sexistes et lesbophobes, doublés d’insultes quand les féministes ont demandé le silence. Là, les victimes initiales ont été doublement punies.

La première chose que je n’explique pas malgré les retours du BIFFF depuis: pourquoi la séance n’a pas été arrêtée. Compte tenu des réactions violentes, il aurait été bienvenue de couper, pour essayer de comprendre ce qui se passe. Et c’est là où je veux en venir. Depuis toujours, le BIFFF tolère des commentaires discriminants. Alors oui, on m’a dit que certains se font remettre à leur place. Pourtant, pour en avoir discuté avec des personnes venues précédemment au festival, l’ambiance misogyne a souvent été ressentie et communiquée au festival, qui ont fait des rappels. Mais il n’y a jamais eu de mesures concrètes prises. Donc effectivement quand les commentaires discriminants pendant Love Lies Bleeding ont été dits, puis dénoncés, le staff du BIFFF n’avait aucune raison d’agir plus que pendant les autres séances.
Le lendemain de cette séance catastrophique, pendant la projection de Your Monster, un mec a lancé derrière moi un « salope! » adressée au personnage féminin. Bon.

L’autre constat que je peux faire est que cet événement illustre parfaitement à quel point la représentation de lesbiennes (notamment filmées par une femme) au cinéma manque cruellement. Si les représentations étaient plus diversifiées, le film n’aurait pas été autant attendu par une communauté qui cherche à se voir et se reconnaître, notamment à travers une actrice devenue icône queer, Kristen Stewart. Love lies bleeding a cristallisé une attente très forte, légitime, avec un vrai espoir de passer un moment qui fait du bien. Car se voir bien représenté ça soulage et ça aide.
Par ailleurs, le film est très explicite sexuellement. Nous ne sommes pas habitué-es à voir des scènes d’amour lesbien (dénuées de fantasmes masculins), donc face un public (notamment masculin) qui n’est pas sensible aux questions politiques des films, des sentiments de surprise et de gêne doivent se mêler ce qui provoque le rire et/ou des réactions.

Je comprends que ça soit complexe pour le BIFFF de gérer ces questions nouvelles, que c’est compliqué de bousculer des traditions. Mais le cinéma de genre a toujours été le porte parole de minorités, et un genre très politique de manière frontale ou pas, en sous texte ou pas et qu’on l’admette ou pas. C’est un fait indiscutable, même si certains ont l’air de le découvrir.
Donc on ne peut pas se contenter d’un « ça va on peut rigoler », « ça va on a le droit de se détendre, le cinéma d’horreur c’est fun ». Et on ne peut pas non plus rester ancrer dans des traditions, le propre même du cinéma de genre c’est de ne pas se conformer aux traditions, aux conventions. Être irrévérencieux ce n’est pas (plus) être discriminant.
L’idée n’est pas de pointer le BIFFF, d’autant que cette ambiance ne se retrouve pas que là bas, mais de ne pas occulter un problème présent depuis longtemps et surtout de faire grandir le public du festival présent et à venir.

Les BFF au BIFFF