« Merci au jury de laisser rentrer les monstres ». C’est par ces mots que Julia Ducournau a remercié le jury du festival de Cannes, qui a récompensé son film, Titane, de la palme d’or.
Une simple phrase qui exprime à quel point le cinéma de genre est mis de côté par la profession, voire par le public quand on parle de cinéma de genre français.
C’est le point de départ de Matis Catel, réalisateur du documentaire Laissez rentrer les monstres, disponible sur myCANAL.
Je vous propose de revenir sur le documentaire, et de vous partage mon échange avec Matis Catel sur les raisons qui l’ont poussé à le réaliser.
1- Critique de Laissez rentrer les monstres, de Matis Catel
Si je suis passionnée de cinéma de genre, je suis aussi une grande amatrice de cinéma de genre français, qui reste largement méprisé, à la fois par le public et la profession.
Il est vrai qu’il est plus rare de trouver des oeuvres de qualité, et que ma tolérance est certainement plus élevée que lorsque je suis face à une production américaine, mais c’est parce que c’est un cinéma qui mérite qu’on l’encourage et qu’on le visibilise.
Par conséquent, je suis toujours curieuse des initiatives qui tentent de mettre en lumière cette industrie.
Laissez rentrer les monstres s’intéresse à la situation actuelle du cinéma de genre français, après les succès critique (et plus ou moins public), de Grave puis de Titane, de Julia Ducournau.
En quoi cette palme d’or est exceptionnelle (dans le sens historique de l’histoire du cinéma)? C’est un film de genre, qui plus est français, qui plus est, réalisé par une femme (car si les réalisatrices sont toujours largement minoritaires, on oublie souvent de dire qu’elles sont carrément anecdotiques dans le cinéma de genre).
Laissez rentrer les monstres part à la rencontre des réalisateurs emblématiques du cinéma de genre français qui ont déjà été largement entendus sur le sujet (Alexandre Aja, Julien Maury & Alexandre Bustillo). Ainsi, on apprend pas grand chose de ce côté là si on s’est déjà intéressé au sujet, mais cela permet aux plus novices de poser le contexte. Leur discours ne change finalement pas beaucoup par rapport à ce qu’ils soulignaient il y a quelques années, dans le documentaire Viande d’origine française.
Là où le documentaire complète ce qui a déjà été entendu, c’est qu’il interroge les démarches des nouveaux venus, qui proposent un cinéma de genre très différent de cette 1ère vague, nommée « french frayeur ».
En effet, Pascal Laugier, Bustillo & Maury, Xavier Gens, Aja, ont proposé dans les années 2000, des films radicaux, gores en réaction à une impossibilité de faire exprimer un cinéma français différent.
Les scénaristes, réalisateur et réalisatrices actuels du cinéma de genre français se placent dans une toute autre démarche; à savoir allier propos social et fantastique/horreur. C’est explicitement précisé par les réalisateurs de Teddy, et les scénariste de La Nuée. Ces derniers allant même jusqu’à dire que le fantastique n’est qu’accessoire, et que le film doit pouvoir se tenir sans. Nous avions évoqué avec Emma, auteure d’une thèse sur le cinéma de genre français, cette tendance à moins mettre les pieds dans le plat du genre et à valoriser un discours social.
C’est oublier que des réalisateurs comme Mathieu Turi, Douglas Attal ou Romain Quirot, qui tentent de proposer des univers visuels bien éloignés de notre monde actuel. Des films qui nécessiteraient plus de moyens financiers pour encore plus d’ambitions. Et comme le dit Mathieu Turi pour répondre à l’argument classique de la piètre qualité du cinéma de genre français, il faudrait produire une grosse quantité de films de genre, pour parvenir à quelques succès ou quelques chefs d’oeuvre. C’est exactement le schéma que l’on retrouve dans la comédie. Combien de comédies produites massivement, pour quelques très bons films?
L’autre point fort de Laissez entrer les montres, c’est que pour la 1ère fois dans un documentaire sur le cinéma de genre français, on entend des réalisatrices! Sarah Lasry, réalisatrice du court métrage La verrue, et Zoé Wittok, réalisatrice de Jumbo. Alors évidemment, j’en aurais voulu plus (notamment Coralie Fargeat pour changer un peu de Julia Ducournau), ou Merryl Roche qui a réalisé un superbe court, Nouvelle Saveur. Mais cette nouvelle approche, permet d’affirmer que les réalisatrices ont forcément des nouvelles histoire à raconter. Et surtout que le simple fait de faire l’expérience d’être une femme, avec un corps qui se transforme régulièrement, peut aboutir à diverses idées de films. Comme le dit Sarah Lasry, « Une jeune fille grandit avec le sang, et c’est quelque chose d’honteux, qu’on doit cacher, et donc l’existence de chaque petite fille commence par un film gore ».
Sur la forme, je regrette que parfois les extraits de films soient un peu trop longs, et pas forcément en adéquation avec le propos précédent ou qui suit. Par ailleurs, le passage sur le festival de Gerardmer est bien trop court, d’autant que j’aurais aimé entendre plus Bruno Barde, qui dans toute sa sagesse, note que l’effet palme d’or de Titane, ne se vérifiera que dans 2 ou 3 ans…
Laissez rentrer les monstres de Matis Catel, à voir sur MyCANAL.
2- Interview de Matis Catel, réalisateur de Laissez entrer les monstres
1/ Vous êtes un jeune réalisateur de 20 ans qui vient de sortir un documentaire sur Canal Plus. Quel a été votre parcours pour arriver à la réalisation de ce documentaire?
Étant né dans les années 2000, je fais parti de cette génération éduquée par un audiovisuel numérique, ultravarié et ultra accessible.
Mon premier rapport à la création me vient avec internet, quand à 12/13 ans,quelques années après les premiers Youtubeurs, je décide moi aussi de m’armer d’une caméra et d’expérimenter. Je me découvre une passion pour la narration, l’image, le montage, et de fil et en aiguille réalise de nombreuses captations d’évènements.
J’aime la liberté et la fluidité du processus de filmer le réel. Parallèlement, c’est la fiction qui me nourri, notamment ces immenses sagas nées en même temps que moi et qui marquent la pop culture : la prélogie Star Wars, Harry Potter, Avatar, Matrix, Le Seigneur des Anneaux, et le MCU bien évidemment.
Concevoir de tels univers cinématographiques devient rapidement mon rêve. J’avais déjà conscience que j’y arriverais par étape, et que je devais donc multiplier les petits projets…À seize ans, en terminale, je crée une chaine youtube avec un collectif de passionnés de cinéma, Basic Cinema, ayant pour objectif de vulgariser les bases techniques de l’audiovisuel et faire découvrir des films ou des évènements : en bref, encourager les jeunes à créer, ambition qui continue de m’animer.
Cette expérience fut courte mais me rapprocha sur certains aspects de la forme documentaire.
En seconde année d’étude de cinéma, les confinements ont mis à l’arrêt mes différents projets. Pour m’occuper, je cherche à réaliser une petite vidéo sur le festival du film fantastique d’Avoriaz. Plutôt éloigné du sujet final du documentaire, mais le cinéma fantastique français ne faisait pas l’actualité à ce moment là et l’idée était de revenir aux racines du genre en hexagone. Naïvement, je me convainc d’aller en parler à des producteurs, et rencontre rapidement Jean-Marie Nizan de la société Beall production, spécialisée dans les documentaire sur le cinéma. Il accepte de m’accompagner, sans doute persuadé que mon sujet se dénouera naturellement. Une dizaine de films fantastique français sortent à la réouverture des salles, Titane remportela Palme d’Or : le temps nous donna raison…
2/ Il y a déjà quelques documentaires et conférences sur le sujet. Pourquoi avoir eu envie de parler de la situation du cinéma de genre en France?
Toutes ces propositions semblent être, années après années, des déclarations d’amour à un genre sous-représenté en France, dans l’espoir d’aller chercher un public qui se fait toujours attendre. La représentation est justement un sujet cher au 7ème Art actuellement, et l’idée d’avoir un Dracula ou une Supergirl à la française m’a toujours paru essentielle.
C’est en découvrant la variété des récentes propositions françaises, les véritables ambitions d’auteurs des cinéastes, additionnés à la transformation de la consommation audiovisuelle du public et l’impression d’arriver au bout d’un cycle de domination culturelle américaine, que le moment me semblait idéal pour tirer la sonnette d’alarme et encourager la curiosité.
3/ Comment avez-vous déterminer quels professionnels à interviewé? Comment se sont passées lesrencontres? Qui auriez-vous souhaiter interroger?
Je tenais à rencontrer des cinéastes qui faisaient l’actualité avec leurs films, ce qui déjà réduit le champ des possibles. La difficulté de produire ce genre de cinéma en France fait qu’il s’agit principalement de jeunes, prêts à en découdre, il y a donc une certaine homogénéité de premier ou deuxième films. Je voulais aussi avoir des « parrains », des réalisateurs de la French Frayeur comme Alexandre Aja, Julien Maury et Alexandre Bustillo, pour poser un regard plus mature sur la situation.
Sur un autre sujet, tous les spectateurs devaient se sentir inclus dans l’avenir du genre, il était donc essentiel d’avoir des intervenantes pour parler de leur point de vue et de leur manque de présence dans le fantastique. Dans ce sens, j’aurais aimé pouvoir interviewer Julia Ducournau et Coralie Fargeat.
Au global, j’étais extrêmement rassuré de constater l’encouragement que j’ai reçu de la part de tous ces cinéastes, qui ont su me faire confiance et reconnaître mon envie de transmettre.
4/Combien de temps a pris la réalisation de ce documentaire? (recherche, contact, tournage,montage..)
La toute première idée m’est venue en décembre 2020, que j’ai développée avec mon producteur jusqu’août 2021. Canal+ Cinéma s’est engagé en septembre. J’ai contacté les intervenants, tourné et fait la post-production en simultané entre novembre 2021 et février 2022. La diffusion était le 16 mai. Une aventure d’un an et demi, le tout en parallèle de ma troisième et dernière année d’étude…
5/ Comment s’est réalisé l’accompagnement par Canal plus et le CNC?
Canal+ voulait que le documentaire accompagne entre autre la diffusion de Titane sur les chaines du groupe. L’idée était d’organiser une « semaine cinéma de genre français », au début du festival de Cannes 2022, un an après la Palme d’Or.
La Nuée, Teddy, Mandibules, Revenge étaient notamment programmés.
6/ Quelle a été la ou les rencontre(s) les plus marquantes?
Les premières interviews que nous avons tournées étaient celles de Jérôme Genevray et Franck Victor, scénaristes de La Nuée, et Alexandre Aja, dans la boutique de DVD fantastiques, Metaluna.
J’avais imaginé une séquence où ces trois cinéastes parcouraient les rayons et partageaient leurs influences respectives. Malheureusement, elle ne fonctionnait pas dans le montage, et j’ai du la couper, mais j’en garde un savoureux moment cinéphile.
Autrement, la rencontre, non pas avec quelqu’un, mais avec le festival de Gérardmer a été une parenthèse particulièrement riche en émotions.
7/ C’est rare d’entendre des réalisatrices de films de genre. C’était important dans votre démarche?Pourquoi selon vous il y a t-il moins de réalisatrices de genre? Ont-elles des histoires différentes à raconter selon vous ou ce n’est pas une question de genre?
Le problème est généralisé à toute l’industrie, mais il y a effectivement un stigmate important dans le cinéma de genre. Je pense qu’il y a un manque de confiance pour confier des projets de genre à des femmes, et donc une appréhension de celles-ci à proposer des idées originales.
Malgré tout, certaines des œuvres les plus innovantes des dernières années proviennent de réalisatrices fortes : Zoé Wittock, Coralie Fargeat, Sarah Lasry et, en figure de proue, Julia Ducournau… Elles ont selon moi un véritable point de vue, qui découle de leurs expériences singulières. Sentiment qui a été décuplé au fil de mes rencontres.
8/On entend souvent que le cinéma de genre français est moins bon que celui américain, espagnol ou nordique. Qu’en pensez-vous?
Notre culture du fantastique est en tout cas beaucoup moins pérenne, et rare son nos cinéastes identifiés par le grand public comme appartenant au genre. Bien sûr il y eut Méliès, Franju ou Resnais. Mais d’autres grands cinéastes qui s’y sont essayés n’ont pas forcément su convaincre leur public, comme Truffaut, Godard ou Tavernier. Quelques films de la French Frayeur sont extrêmement efficaces, mais la barrière de l’horreur empêche leur diffusion à un large public. Les « chefs d’oeuvre » viendront avec le temps, j’y crois fort.
9/ Quels sont vos 3 derniers coups de coeurs en cinéma de genre français?
Je ne peux pas ne pas citer le formidable Coupez! de Michel Hazanavicius, avec qui j’ai pu m’entretenir dans le cadre d’un ciné club que j’anime. Quelqu’un que j’admire pour sa persévérance à proposer des œuvres passionnées sur le cinéma.
Autrement, j’ai découvert au festival de Clermont Ferrand cette année le court-métrage Lucienne dans un monde sans solitude, de Geordy Couturiau, qui m’a vraiment bousculé. Et enfin, pour mentionner le second court-métrage d’un ami qui fera probablement le tour des festivals dans les prochains mois, Chimera de Dayan D. Oualid, qui avait précédemment réalisé Dibbuk, prix du court-métrage à Gérardmer.
10/ La partie sur la difficulté de financement n’est pas évoquée dans le documentaire. Pour quelle raison?
Il était important que ce documentaire soit accessible, qu’il motive autant des passionnés que des curieux. Le sujet a été abordé avec les intervenants, j’ai aussi rencontré des producteurs et distributeurs, mais force était de constater au montage qu’une séquence trop industrielle aurait perdu une partie des spectateurs.
Cette question reste pour autant tout à fait passionnante et à approfondir.
11/ Suite au travail effectué sur ce documentaire, pensez-vous que la palme d’or pour Titane peut changer les choses?
C’est du moins ce que me confient tous les cinéastes que j’ai rencontré. Tous ont signé, tourné ou fini leur(s)prochain(s) projet(s). Les différentes institutions vont également continuer à avancer dans ce sens, du côté du CNC, des résidences, des régions. Et d’immenses talents provenants du court-métrage arrivent en force…
12/ Comment a été reçu le documentaire jusqu’à présent ?
Je suis le premier surpris de recevoir des avis unanimement positifs, de la part des intervenants qui se sentent bien représentés, de la part de techniciens du cinéma ou d’étudiants qui veulent assumer leurs influences et se plonger dans le genre. Mais aussi de la part de jeunes qui n’ont rien à voir avec ce milieu mais qui comprennent mieux leur propre consommation et veulent porter un œil plus attentif à ce mouvement. Certains cinéphiles aguerris pointent le fait de ne rester qu’en surface de certains sujets, mais conviennent que c’est sans doute pour le mieux, d’autant plus dans un 52 minutes. En bref, j’ai plutôt l’impression d’avoir réussi mon coup !
13/ Pensez vous que le cinéma de genre français ne peut réellement exister en France à travers des histoires sociales? Quel est votre regard sur cet angle d’approche?
C’est selon moi là dedans, que réside aussi l’âme du cinéma français tout court. L’une des grandes différences entre le cinéma de genre français et américain, c’est que l’américain pense sa forme avant son fond et inversement pour le français. En résulte un grand spectacle d’un côté, une histoire souvent plus profonde de l’autre, sans doute un juste milieu à trouver ici (encore faut-il que les budgets le permettent !).
14/ Qu’est ce que vous aimez particulièrement dans le cinéma de genre français? Et les reproches que vous pourriez lui faire?
L’intérêt d’un cinéma local est de pouvoir s’identifier à un niveau plus intime aux histoires. Paradoxalement, le genre permet de s’éloigner du réel. Je crois que pouvoir partir dans la fantaisie à partir de quelque chose que je connais personnellement, donne une toute autre couleur à la découverte de l’œuvre.Malheureusement le résultat n’est pas toujours à la hauteur des attentes, les films peinent à tenir leurs concepts ou ne procurent pas les climax attendus pour des raisons financières.
15/ Mathieu Turi pense que ce n’est pas vrai que le public français n’aime pas le cinéma de genre français, mais qu’on a besoin de le produire en quantité pour l’atteindre. Qu’en pensez- vous?
Historiquement, le public français a toujours eu du mal à appréhender la création de genre locale. D’une part parce qu’il y a eu de trop nombreux essais ratés pour le convaincre d’un label qualité, et parce que les cinéastes célèbres ont rarement assumé de faire du fantastique.
De l’autre, et pour contredire ce que je disais précédemment, peut-être que ce que cherche une large partie du public dans le fantastique, c’est justement de ne s’identifier à rien, de vouloir complètement s’évader de son quotidien, donc que les personnages n’appartiennent pas à sa réalité.
Ce qui rebat les cartes aujourd’hui, c’est les plateformes qui créent un phénomène inédit de mondialisation de la culture. Le public porte de moins en moins d’importance à la langue, ce qui permet parallèlement d’avoir des succès francophones à l’étranger. L’enjeu réside donc aussi en grande partie sur l’éducation de la jeunesse à ce cinéma.
16/ Quels sont vos prochains projets?
Du documentaire, toujours axé cinéma. C’est une forme qui, à mon échelle, me permet de toucher un plus large public qu’à travers la fiction, de transmettre ma passion de manière littérale et accessible, qui me fait rencontrer des gens que j’admire, d’aiguiser mon sens de la narration et du processus de réalisation.Et puis de la fiction, du genre évidemment.
J’écris en ce moment un court-métrage auto-biographique qui bascule dans l’horreur. Autant de quoi m’offrir une liberté visuelle importante, que de dénouer par l’Art une situation que je traverse. Un projet qui va sans doute me prendre quelques années… Je commencerais à chercher un producteur prochainement.