The Substance

“J’écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf. Et je commence par là pour que les choses soient claires : je ne m’excuse de rien, je ne viens pas me plaindre. » Ces mots de Virginie Despentes lâchés dans son incontournable « King Kong Théorie », sont illustrés par Coralie Fargeat dans The Substance. Elle parle aux vieilles, aux exclues, aux jeunes, aux femmes enceintes, ne n’excusant de rien, assumant le gore de la chair dans tous ses états.

Il était une fois…

The Substance utilise des codes issus des contes (l’introduction, la référence à Cendrillon, la figure du monstre qui vient troubler l’ordre établi…) pour raconter l’histoire d’une princesse adulée par le show business qui cherche l’amour. Pas à travers le Prince Charmant, mais en étant validée par la société, grâce à un filtre apparemment miraculeux.
Une richesse de thématiques vient nourrir le sujet central du film: l’amour. A la manière d’une drogue, Elisabeth (Demi Moore), s’est nourrie de l’amour des autres pour exister. S’aimer grâce aux regards des autres étant pour le moins risqué, lorsque tout s’arrête, Elisabeth doit retrouver cet amour pour se reconstituer.
Mais ce personnage ce sont toutes les femmes qui ont connu un jour ou l’autre, ou connaissent quotidiennement, la pression, le gouffre financier et de temps, la douleur, de se conformer aux normes de beauté faites sur les femmes. A titre personnel, c’est la première fois que je vois un film qui retranscrit aussi justement l’impact de ce poids.
Coralie Fargeat dit qu’avec The Substance, elle a voulu représenter le fait que dans la mesure où un corps féminin n’est jamais neutre dans l’espace public, c’est constitutif d’une inégalité majeure. En plus d’infliger une douleur physique et morale, cela a un impact sur la capacité des femmes à s’imposer dans l’espace public, à prendre la parole, à être là.
C’est finalement déjà une thématique perceptible dans Revenge, l’héroïne étant victime de la projection de fantasmes masculins sur son corps.

La chair & le sang

Pour dénoncer l’absurdité de ces normes maltraitant les corps et les esprits, Fargeat pousse les curseurs à fond. Que ça soit dans les gros plans de chair dans la douleur (les femmes enceintes ayant eu des péridurales s’en souviennent), ou dans l’exploitation de la jeunesse du corps en exagérant/déformant les plans sur les fesses et la poitrine.
Ce trop plein dénonce l’utilisation des corps féminins qu’on presse, qu’on déforme, qu’on use et qu’on jette à des fins évidemment capitalistes, notion que l’on retrouve dans l’éco féminisme.

The Substance marie une esthétique pub à un décor fantastique et angoissant en se réappropriant des références (Shining évidemment mais surtout la séquence hallucinée de la mère dans Requiem for a dream qui cherchait elle aussi à conformer son corps en prenant des amphétamines).
Pour faire transpirer la notion d’injonction présente même dans la pseudo solution trouvée par Elisabeth, quoi de mieux que de réutiliser la typographie des messages autoritaires d’Invasion Los Angeles?
Coralie Fargeat exploite avec brio ces références, prouvant qu’elles nous nourrissent tous-te, et que leurs richesses permettent de porter un nouveau propos.

On ne peut pas faire l’impasse sur la prestation de Demi Moore, à la fois pour des questions symboliques (star sexy des années 90), mais aussi pour son interprétation bluffante et touchante. C’est d’autant plus remarquable que c’est la première fois en 2024 qu’elle présentait un film à Cannes, à 60 ans. Un body horror sur les diktats d’Hollywood.

Etre féministe, c’est être paradoxale

Mais finalement la thématique qui m’a le plus touchée dans The Substance, c’est sa capacité à montrer que les femmes (et encore plus les féministes), doivent faire cohabiter des pensées contradictoires et parfois noires. En plus des normes, nous nous battons quasi en permanence contre nous même.
Nous sommes tiraillées en permanence entre les injonctions, nos convictions, nos besoins d’amour, d’indépendance, de nous sentir belles et désirables, mais jusqu’où? Est-ce que nous qui le voulons bien ou est-ce parce qu’on évolue avec ces constructions sexistes?
La dernière partie illustre toutes ces contradictions en mélangeant burlesque, tendresse, et déchirement. Car notre vie c’est ça: une alternance de moments de fierté où on s’assume et on prend notre place dans ce monde, la violence patriarcale en backclash.

C’est une claque. Le film cartonne aux US alors donnons de la force à ce film qui est un marqueur pour le cinéma de genre et la portée politique de son propos féministe.