C’est l’une des créatures, si ce n’est LA créature la plus populaire, déclinée et déclinable à l’infini, le vampire est la métaphore de plusieurs sujets (sida, capitalisme, emprise, addiction, récit initiatique, marginalité, etc…).
Comment ces sujets sont-ils traités? Quelles sont les différences de représentations du vampire selon s’il est assigné féminin ou masculin? Et surtout quel en est le sens? Analysons la figure du vampire sous un angle féministe.
Evidemment ça divulgâche. Vous êtes prévenu.es.
Le mythe du vampire
Le mythe du vampire est tellement ancien qu’il est impossible de le dater vraiment (sauf si on prend en compte nos représentations contemporaines liées à Bram Stoker).
Un des premiers écrits n’est pas un roman mais un livre plus ou moins religieux, écrit par Dom Calmet en 1751: Le Traité sur les apparitions et les vampires. Il se base sur des témoignages recueillis à travers l’Europe sur l’existence de ce que les gens appellent des vampires. Philippe Charlier, médecin et archéologue explique dans une émission de France Culture, que cette croyance s’ancre dans un contexte de conflit en Europe (pressions militaires des Ottomans, catholique romain et orthodoxe, oppositions de comtés), mais aussi de mauvaise alimentation. Cette peur quotidienne se cristallise sur celui qui meurt « mal », sur l’autre qui fait peur. Par exemple, un mauvais chrétien qui n’a pas expié ses péchés, ou une personne qui a trop tué (en somme on anticipe déjà ceux qui deviendront vampires). Les rituels en réaction à ces « vampires » étaient nombreux et radicaux: les cadavres étaient exhumés, mutilés (pieu dans le cœur, tête coupée), brûlés. On évitait que ces créatures déambulent: on a retrouvé des cadavres avec des pieds et des mains mis à la place de l’un et l’autre, et les chaussures étaient brûlées. On utilisait des pieux pour détruire l’organe vital qu’est le cœur, et pour les fixer dans leur tombe.
Pour éviter qu’ils sucent le sang et/ou pour éviter que l’âme se perde, on mettait une brique dans la bouche des cadavres. Une véritable nécrophobie était donc très ancrée.
Les premières apparitions du vampire
Au 18e siècle, le vampire n’est pas le dandy actuel dans la représentation populaire. Le vampire est plutôt un amas d’éléments en putréfaction, proche d’un zombie. Les deux figures sont évidemment proches, le vampire se caractérisant avec des capacités de réflexion.
Dom Calmet relate des témoignages décrivant des vaisseaux palpables et gonflés, du sang qui coule. Philippe Charlier explique que quand on meurt, le sang coagule et se reliquifie, la production de gaz fait circuler le sang. Beaucoup d’organes se liquéfient et cela donne une mixture jaunâtre et rougeâtre.
Les gens ne comprenaient pas ces changements, et en concluaient donc qu’ils s’agissait de vampires ou de créatures maléfiques.
Il y a aussi des individus enterrés vivants. Ils se réveillent, tapent et essayent de sortir mais ils finissent par avoir faim et soif et griffent le cercueil. Certains ont même mangé leur main. En ouvrant les caveaux (et notamment suite à des épidémies de peste), on les trouvait avec des blessures et du sang partout.
Des sonnettes ont dont été mises en place (élément qu’on retrouve dans La Nonne), permettant aux faux morts d’alerter les vivants en cas de réveil.
Ces éléments conduisent la population à croire à des créatures revenues de l’enfer, prêtes à se venger, qu’il faut arrêter.
Sur les traces des vampires
Les premiers écrits datent du 18e siècle, et n’évoquent pas explicitement la notion de vampire. On note par exemple des poèmes, Lénore (1774), qui raconte qu’une jeune femme croit retrouver son fiancé de retour de guerre, alors qu’il s’agit d’un mort ou d’un fantôme. Il y a également le Vourdalak en 1840.
En 1872, Sheridan Le Fanu publie Carmilla, avec une vampire lesbienne. Cette nouvelle sera fondatrice de la représentation actuelle du vampire, dont Bram Stoker s’inspirera. On y retrouve en effet beaucoup de points communs comme l’épidémie et la séduction du vampire.
Le premier vampire marquant est donc une femme, qui se fera voler la vedette du mythe par des hommes, Dracula, puis Nosferatu. Bram Stoker arrive ainsi avec Dracula en 1897, et c’est surtout le cinéma qui va populariser cette histoire (bizarrement on ne choisira pas l’histoire originelle, avec une femme ?!). On trouve une vingtaine de films directement liés à Dracula, sans compter les diverses versions plus ou moins éloignées, qui doit dépasser la centaine de films.
Il faut avoir à l’esprit que dans l’écrit de Stoker est teinté d’une grande peur de l’autre, qui se matérialise notamment par des descriptions à connotations antisémites. L’émission La science, CQFD évoque rapidement ce point.
Le vampire s’adapte aux inquiétudes de son époque
L’époque victorienne est le moment idéal et propice au développement de créatures morbides comme les fantômes et les vampires. Il y a une forte croissance économique et industrielle, mais aussi scientifique et médicale. La transfusion sanguine apparait et se pratique de plus en plus. Tout cela est perçu comme une grosse avancée futuriste, qui peut faire peur, du moins questionne (on retrouve la base de Frankenstein qui est lui même un mort vivant, pile entre le zombie et le vampire). C’est explicitement cité par le chasseur de vampires Van Helsing, qui associe ces événements au Malin.
La révolution industrielle est aussi le début de l’expansion du capitalisme qui va devenir un véritable monstre décennie après décennie. Un vrai vampire qui puise sa force dans celle des autres.
Autant d’éléments riches et variés qui ne pouvaient que nourrir pendant des décennies et encore maintenant, des réflexions diverses. Sur le sexe, la mort, le rapport à l’autre et à la société de manière globale, mais aussi des interrogations liées à sa propre identité. Le vampire permet de questionner tout cela, et les thématiques des films évoluent avec le temps.
Avec l’époque sida, le vampire est un outil idéal pour représenter cette inquiétude.
Maintenant qu’on sait que la première vraie histoire de vampire était une femme, et que le vampire a une très grande histoire chargée de symboles, comment ces thèmes sont traités selon le genre? On l’a vu, le genre féminin et masculin sont présents dans la mythologie du vampire depuis le début. Pourtant avec l’icône pop de Dracula, on a souvent l’image du vampire masculin qui domine, et les vampires féminines séductrices et fatales.
Je vous propose d’entrer dans le vif du sujet de la représentation du vampire selon le genre.
La revanche de Carmilla
Si Carmilla n’a pas bénéficié de la popularité de Dracula, les femmes vampire au cinéma ont largement occupé l’espace. En effet, si on exclu les innombrables versions de Dracula (personnage masculin donc), je compte une trentaine de personnages féminins principaux sur environ 70 de films de mon corpus. Et c’est sans compter les films qui mettent en scène des groupes qui sont souvent mixtes ( Near Dark, Génération perdue, Suck, etc..).
Malheureusement, cela s’explique en partie avec de (trop) nombreux films plus ou moins (parfois plus) érotiques, surfant sur le fantasme de la vampire avide de sexe et de sang. Il va sans dire que ce n’est pas nécessaire d’analyser davantage cette représentation (et que je vous laisse chercher les titres), uniquement là pour satisfaire le plaisir masculin.
Quand il s’agit de groupes, ceux composés de filles sont également largement majoritaires (Nous sommes la nuit, Bit, Carmilla, Byzantium, Les deux orphelines vampires, Bliss…). Dans tous les cas, le vampire est représenté davantage en duo qu’en groupe (Entretien avec un vampire, Byzantium, Only lovers left alive, Renfield, Thirst…). Il est donc plus vu comme un « animal » solitaire, qui cherche éventuellement à créer une relation forte plutôt que de s’entourer.
Et quand il est représenté en groupe, il se rapproche régulièrement de son cousin le zombie, avec des hordes et des vampires qui ne sont pas, ou moins caractérisés (Vampires, 30 jours de nuit, Blade, Une nuit en enfer, Je suis une légende..).
Voici les particularités que j’ai remarqué sur les vampires féminins:
- elles se lient davantage avec un homme humain (sans les tuer ou les utiliser). Je pense à A girl walks home alone at night, Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, Morse, Near Dark, Génération perdue... L’inverse est beaucoup moins vrai. Sur les 70 films de mon corpus, je n’ai pas une seule histoire où l’intrigue principale est un vampire qui se lie d’amitié, d’amitié amoureuse ou d’amour avec une humaine…à part…Twilight.
- elles sont souvent la représentation d’un récit initiatique (Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, All the moons, Byzantium, Carmilla, Bit…). Je compte En attendant la nuit et L’assistant du vampire qui mettent en scène un vampire adolescent.
- elles sont parfois mères (Blood red sky, Byzantium, Nous sommes la nuit, All the moons...), contrairement aux hommes pour qui ce n’est quasiment jamais le cas (L’assistant du vampire étant le seul exemple où on peut parler d’un père involontaire). Nous sommes la nuit aborde même la douleur pour une mère de voir partir avant elle, sa fille humaine qui meurt de vieillesse.
Je ne considère pas que le personnage de Louis dans Entretien avec un vampire est un père, car ses sentiments envers Claudia sont extrêmement ambigus (tout comme le film sur cet aspect). Dans le livre, les descriptions de Claudia (qui a 5 ans et non 11) sont très sexualisées. Le podcast Adapte moi si tu peux évoque ce point pour le moins gênant.
- elles peuvent subir des problématiques d’addictions qui se voient parfois physiquement (The addiction, Bliss, Thrist…), tandis que les vampires masculins sont davantage en contrôle, car plus rapidement en position de prédateur. A noter que la misogynie de Thirst amène même le vampire à décider à la place de la vampire de sa propre vie, jugeant qu’elle est irresponsable.
La vampire plurielle
L’avantage d’avoir de nombreuses vampires représentées, c’est que cela permet d’avoir une richesse de personnages et de thématiques (c’est pas faute de le répéter depuis la création de ce blog). Et c’est assez rare pour le souligner (même s’il y a des progrès à faire rassurez-vous, je n’ai pas fini de râler).
Que ça soit une justicière, une mère, une adolescente, une femme tout simplement, de nombreux films ont montré des personnages féminins complexes.
L’eau et le sang, vecteurs de cette identité plurielle
Ces thématiques sont traitées à travers la représentation d’une vampire plurielle, qui fait cohabiter plusieurs aspects. En termes de mise en scène, l’eau est le symbole de cette pluralité (reflets déformants, effet miroir, et c’est un liquide essentiel à la vie, comme le sang).
All the moons est un des seuls films qui met en scène une petite vampire, Amaia qui est seule quasiment tout le film. Elle apprend constamment par elle même. Et pour apprendre, on passe fatalement par se mettre en danger. C’est très intelligemment représenté par le fait que, déterminée à sortir le jour, elle brûle légèrement sa peau au soleil. Puis elle se rend compte qu’elle peut décoller sa peau abîmée, et donc mue, ce qui lui permettra de supporter le soleil par la suite. On peut y avoir également une métaphore d’une maladie dont elle guérie.
Cet élément déclencheur non fantastique (ou presque), appuie le côté humain de la vampire (dans le sens où notre propre peau peut avoir ce type de réaction), qui nous annonce qu’Amaia a envie de renouer avec cette part là. Elle va d’ailleurs se tourner vers un père de substitution par la suite. Mais pour apprendre, elle a accepté la douleur qui va parfois avec le fait de prendre des risques.
L’aboutissement de cet apprentissage se matérialise dans l’eau, quand elle plonge (dans le grand bain ^^). Le liquide est aussi présent à travers ses règles qui marquent surtout son retour à l’humanité.
Dans Carmilla (qui reprend donc l’histoire de la première vampire), il s’agit d’une relation entre deux adolescentes. Pas de baiser, pas de sexe, mais des regards, des câlins, et des échanges de fluides à travers le sang. C’est surtout le récit initiatique de Lara qu’on suit (objet des désirs de Carmilla), car à travers son désir, elle a surtout besoin d’émancipation, face à une gouvernante autoritaire et un père absent.
A la fin du film, on se rend compte que Carmilla est en fait un aspect de Lara, et qu’elles ne font qu’une, car dans le reflet de Lara dans l’eau, apparait Carmilla. Ce final fait écho à plusieurs scènes où le lac est souvent dans le cadre, mais particulièrement à la scène où Lara regarde son reflet dans l’eau, comme si elle cherchait à savoir qui elle était.
C’est aussi le lieu de la métamorphose de Lena marginale SDF transformée en vampire dans Nous sommes la nuit. Dans son bain, les changements s’opèrent: les blessures du passé guérissent, les tatouages disparaissent, et les cheveux poussent. Une mort qui prend vie.
L’eau est également un élément important qui est lié à la mort, à travers le personnage de Virginia dans Twixt, que Demoiselles d’Horreur a analysé entre autres choses, dans cette vidéo (à partir de la 14e minute):
On retrouve l’eau comme un des éléments de résolutions dans un film qui emprunte des codes vampiriques comme La nuée. Virginie est victime d’une sorte de vampires: des sauterelles qui lui sucent le sang. Elle est pour ainsi dire, vampirisée par ses insectes qui deviennent une obsession. Elle parvient à s’en libérer dans l’eau, pour venir en aide à sa fille qui elle même, avait opté pour une barque pour se protéger.
Les retrouvailles entre une mère vampirisée et une fille négligée se fait donc en plein milieu d’un lac.
Une métaphore adéquate des violences sexistes et sexuelles
La représentation de la vampire a souvent été sexualisée par des films érotico horreur, surfant parfois sur le fantasme hétéro de la vampire lesbienne (1ère « véritable » vampire en littérature).
Une fois qu’on a dit cela, on ne peut pas passer à côté de l’aspect sexuel de la vampire, ce mythe étant particulièrement représentatif de l’acte sexuel.
Si le et la vampire peuvent utiliser tous les deux leurs charmes pour se nourrir (Entretien avec un vampire, Dracula, Une nuit en enfer, Nous sommes la nuit, Suck, etc..), le vampire utilise moins ses atouts physique que son « charme naturel », contrairement à son homologue féminine. D’ailleurs, ce sont mêmes les humaines charmées dont on voit les corps (Entretien avec un vampire, Dracula, Une nuit en enfer).
Contrairement à d’autres sous genre de l’horreur, on a la chance de voir des vampires féminines réinventer la représentation de la séduction et le récit initiatique (Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, A girl walks home alone at night, Morse, La fille de Dracula, Carmilla, etc..). Ces films n’utilisent pas les atouts physiques des vampires pour évoquer ses thématiques.
Dans mon corpus de films, je note qu’une majorité de films évoquent des transformations subies (Bit, Entretien avec un vampire, Dracula, Génération perdue, The addiction, Abigail, Daybreakers, Blackula, Jakob’s wife, etc..). Pour les autres, la plupart du temps on ne sait pas comment ils sont devenus vampires. La notion de non consentement prend tout son sens dans les films de vampires. Le fait qu’une personne utilise le corps d’un autre, en le faisant saigner, se nourrissant de son fluide, en le manipulant, le dominant pour assouvir sa propre satisfaction est la représentation même du violences sexuelles. Sans compter que la transformation d’une personne en vampire peut être associée à la répétition de violences que l’on remarque souvent chez les personnes qui commettent des violences, notamment sexuelles.
Les violences sexistes et sexuelles sont régulièrement abordées de manières très diverses dans les films de genre, et bien souvent ce sont les violences faites aux femmes qui sont représentées. Rarement les enfants et encore moins les hommes. Pourtant, ces violences sont systémiques, et même si les femmes sont majoritairement touchées, le patriarcat peut toucher toute personne.
La transformation de Louis par Lestan (donc un homme qui agresse un homme), dans Entretien avec un vampire fait clairement écho à une scène de violence sexuelle. Par ailleurs, il est intéressant de noter que Louis refuse de tuer des humains mais la seule personne avec qui il ne se retient pas est Claudia, une petite fille orpheline (cf le podcast sur le sujet de la pédophilie du livre que j’évoque plus haut).
La pédophilie est une thématique que l’on retrouve dans le mythe de La Lamia, une créature greco romaine qui n’a pas pu avoir d’enfant et qui suce le sang des enfants la nuit en passant par la fenêtre. On l’a longtemps rendue responsable de la mort subite du nourrisson. On retrouve les traces de ce mythe notamment dans Dracula avec les « draculettes », et Lucy qui se nourrissent principalement d’enfants.
Dans un Vampire à Brooklyn, le vampire est à la recherche d’un femme, manipule son entourage, et finalement la mord lors d’une soirée chez lui. Des schémas que l’on retrouve régulièrement chez des agresseurs.
Belle meuf tu seras
Devenir une femme vampire c’est être plus puissante certes, mais c’est aussi l’occasion de faire une liaison avec un autre trope que l’on retrouve souvent les teenage movies: la transformation d’un personnage féminin qui passe de femme transparente au mieux, moche au pire, à femme canon.
Je vous conseille la vidéo d’analyse de Zoétrope sur le sujet:
Ainsi la transformation de Lena dans Nous sommes la nuit évoqué plus haut, correspond tout à fait à ce trope. D’ailleurs quand elle sort de sa transformation, elle est filmée exactement comme dans les films teenage où l’héroïne descend de l’escalier pour aller au bal de promo.
Même observation dans Suck, avec Jennifer, la bassiste un peu transparente qui devient la bassiste sexy:
Ou encore dans Jakob’s wife (qui par ailleurs est très pertinent sur d’autres points que j’évoque plus loin):
Je vous vois venir, évidemment que tous les personnages de vampires féminins ne sont pas représentés de cette manière. En revanche, il y a quand même plusieurs exemples et surtout, ce n’est pas quelque chose qu’on observe chez leurs collègues masculins. Chez les femmes, la notion de transformation passe par son apparence physique, qui répond aux codes établis par le patriarcat, sans que ça soit remis en question (ou presque).
Girl power vampirique
On l’a vu plus haut, la majorité des films de vampires ont pour personnage central, une héroïne. C’est donc en tout logique que beaucoup de films mettent en scène des femmes qui cherchent à s’émanciper, se rebeller, se venger du patriarcat.
Le plus ingénieux et politique reste à mon sens A girl walks home alone at night qui se réapproprie deux symboles du patriarcat:
- le titre en lui même (les femmes souvent souvent infantilisées/blâmées pour rentrer seule la nuit,
- le hijab qui lui permet d’agir incognito ou presque, pour punir les hommes et avertir les petits garçons d’un potentiel futur mauvais comportement.
Nous sommes la nuit et Bit fonctionnent mettent en scène des gangs de vampires exclusivement féminines. Le premier raconte le changement d’identité d’une femme marginale en devenant vampire, quand l’autre raconte l’émancipation d’une adolescente. Les deux personnages sont intégrés à une bande féminine qui tentera de leur prouver à quel point la vie de vampire est jouissive, dans la mesure où il n’y a plus d’hommes pour dicter leur vie.
L’élément pertinent, qui marque à la fois la limite de l’exercice (montrer des bandes féminine) de ces deux films, est qu’ils montrent que la pression et la structure hiérarchique d’un groupe, quel que soit son genre est voué à l’échec. La cheffe vampire de Nous sommes la nuit se réjouit qu’il n’y a pas plus d’hommes pour dicter leurs vies. Elle explique même qu’il n’y a plus d’homme vampire car ils se sont tués entre eux. Mais elle reproduit exactement le même schéma (elle ne respecte pas le consentement de la vampire dont elle tombe amoureuse, elle est violente, despotique et elles aussi finissent par se tuer entre elles). On peut se dire que ça montre que le patriarcat ne vit pas qu’à travers les hommes. Mais c’est dommage car cela aurait été l’occasion de montrer une représentation plus positive, avec surtout un système différent.
Les vampires masculins sont plus souvent tournés vers des problématiques extérieures quand les femmes essayent de régler des problèmes d’identité et/ou de sexisme
Vive les vieilles vampires
En revanche, Jakob’s wife réutilise les marqueurs vampiriques (les rats, le vampire-monstre, etc..) de manière très inventive. Pour la première fois on a une vampire qui a une soixantaine d’année, interprétée par Barbara Crampton. Elle s’ennuie profondément dans sa vie et sa rencontre avec un Nosferatu croisé avec Freddy Kruger va évidemment faire tourbillonner sa vie (et celle de son pasteur de mari). La mise en scène raconte que la thématique du film est l’affirmation de cette femme face à son mari pour qu’ils réinventent leur couple et qu’ils fassent équipe. Et ça, c’est nouveau, surtout si on prend en compte l’âge de la protagoniste. Sa problématique pourrait être celle d’une femme de 30 ou 40 ans. Comment exister dans son couple, quelle est notre identité au sein de ce couple?
Dès le début, Anne est toujours cadrée derrière son mari, ou avec le visage barré. Par ailleurs, quand ils sont seuls ils sont séparés par un objet (le journal), ou l’espace.
Au premier plan, il y a toujours le pasteur, qui est devant elle, pour bien signifier qu’il occupe tellement l’espace qu’il ne la laisse pas ne serait-ce que s’exprimer.
Juste après la transformation, la première action que fait Anne c’est se retrouver face au miroir conjugal pour se regarder la nouvelle femme qu’elle est devenue. Par la suite, elle est cadrée soit au premier plan, soit à égalité avec son époux, mais en tous cas plus jamais cachée par sa main ou son visage. Elle existe.
Le film est d’autant plus pertinent qu’il n’y a pas vraiment de happy end. Ils sont de nouveau unis, mais on ne sait pas de quelle manière ils vont fonctionner en équipe. Leur combat contre le Nosferatu bleu, les a menés à avoir ce questionnement.
On a une sorte de triangulaire entre Jakob, Anne et Nosferatu. Un schéma que l’on retrouve dans un passage de la bible où Jacob qui comptait épouser Rachel, se retrouve piégé et marié à la soeur de Rachel, Leah. Jacob devra se battre et travailler pendant plusieurs années pour réussir à retrouver Rachel. C’est précisément le sujet du film, où Jakob doit lui apprendre à se battre, après avoir réalisé qu’il est amoureux d’Anne.
Pour continuer sur les personnages féminins plus âgés, Gisèle dans Les vampires (même si elle ne mord pas, mais se nourrit de sang malgré tout), reprend la légende de la fameuse comtesse de Bathory (largement remise en question depuis un moment). Cette comtesse reste emblématique pour représenter l’équivalent féminin de Dracula. En effet, on y retrouve la notion de manipulation (que ça soit ses complices ou son entourage) et d’utilisation de corps de jeunes femmes. Mais évidemment, Bathory se voit à travers le regard masculin, seul capable de valider sa valeur physique.
On retrouve un profil similaire avec Lady MacBeth dans The tragedy of MacBeth, de Joel Coen. Avide de pouvoir (alors qu’elle ne peut pas l’exercer vraiment), elle pousse son mari à tuer pour devenir roi. Il en sera incapable, Lady Macbeth souillera ses mains de sang pour exécuter son plan. C’est à partir de ce moment, qu’elle semble se transformer en créature vampirique. La goutte d’eau qu’elle reçoit sur ses mains fait référence au meurtre qu’elle a commis, et donc du sang dont elle s’est servie. C’est assez claire dans la mise en scène:
Lady macbeth a finalement un côté cruel et manipulateur qui est très proche de Dracula. Elle est motivée avant tout par ses propres besoins, au détriment de tout, même de sa santé mentale.
La représentation du mâl(e)
Les vampires féminines sont souvent liées à des intrigues qui sont centrées principalement sur leur identité et ressenti. Même dans La fille de Dracula, celle-ci cherche à s’émanciper de l’héritage de son père qui lui pèse.
Les vampires masculins sont plus souvent tournés vers l’extérieur, dans la conquête d’un monde ou des femmes (coïncidence?). Par exemple, dans Blade, ce mi humain mi vampire se donne comme mission de chasser les vampires qu’il tient responsable de ses malheurs et ceux des autres (et notamment le grand chef).
Dans Daybreakers, Ethan Hawke joue le rôle d’un vampire qui vit dans une société vampirique au sens propre comme au figuré: des élevage d’êtres humains sont mis en place pour nourrir cette société. Mais comme ils se comportent comme des humains de la vraie vie, ils arrivent au bout de ces ressources.
Ethan Hawke veut s’allier aux humains pour stopper les vampires qui se comportent en véritables fachos. Le film est un des rares à associer explicitement capitalisme et vampirisme (alors que c’est sujet d’autant plus pertinent à creuser aujourd’hui). Malheureusement je trouve qu’il n’exploite pas entièrement le sujet car il se contente de constater les effets du capitalisme et du combat évident qui en découle, pour dire que la réponse à cela serait simplement de…redevenir humain. Un peu gonflé. Or là encore, que ça soit des vampires ou des humains qui épuisent des ressources, ce n’est pas le problème. C’est le système.
Dans un Vampire à Brooklyn, Fright Night, Génération perdue, Nosferatu, Vampires, etc…la motivation des personnages est de conquérir un territoire ou une femme (notion proche de l’éco féminisme). Dans Thirst, le vampire cherche à assouvir son appétit sexuel pour ensuite contrôler sa nouvelle compagne Dans Nosferatu cela se manifeste aussi à travers le fait qu’il est une représentation de la peste et de la maladie en général, qui se propage pour décimer une population et donc un espace. Cela fait directement écho à ce que j’ai évoqué dans la première partie, à savoir que le vampire représente une crainte de l’autre et de son environnement.
On peut remarquer globalement chez les vampires masculins:
- que quand on un contexte de société de vampires, c’est toujours un homme qui est au pouvoir (Blade, Daybreakers, Vampires, Underworld, Suck..)
- qu’ils sont beaucoup moins marginalisés que les femmes. Ils sont même parfois très bien insérés dans la société (Entretien avec un vampire, Fright Night, L’assistant du vampire, Thirst, Blade…). Alors que je ne compte plus les femmes vampires qui doit gérer une marginalité plus ou moins bien vécue (Bliss, The addiction, Morse, A girl walks home at night, Bit…). Et même lorsqu’elles sont bien insérées comme dans Nous sommes la nuit, elles finissent mal (l’une est tuée, l’autre se suicide et la 3e est tuée par une de ses paires).
- ils sont très peu victimes d’une métaphore d’une maladie, contrairement aux femmes (The addiction, Bliss, All the moons, La nuée, The tragedy of lady Macbeth…). Ainsi, la déchéance physique des femmes est plus souvent filmée.
Je note principalement trois films qui mettent sur un pied d’égalité de traitement les vampires masculins et féminins, à savoir Near Dark, et Only lovers left alive.
Near Dark traite de la thématique de la marginalité vécue en groupe mixte. Les personnages quel que soit leur genre sont caractérisés de manière relativement équitable. Cela permet de comprendre les complexités de chacun-e à gérer cette marginalité en groupe.
Only lovers left alive a quant à lui une mise en scène suspendue dans le temps, avec ce couple de vampires qui tentent de s’occuper métaphysiquement, culturellement dans un huis clos hypnotisant.
Le cas de Suck, comédie sympathique, est intéressant. On pourrait penser que les personnages sont motivés par la même envie, à savoir d’attiser la gloire de rock star grâce à leurs nouveaux statuts de vampires. Or, la première à devenir vampire ne l’a pas souhaité, elle s’est fait hypnotiser et transformer (=agresser), par un gourou. On comprendra par la suite que par lassitude de son petit ami de chanteur idiot, elle a voulu se changer les idées en allant à la soirée du gourou.
Devenue cool sur scène grâce à sa nouvelle apparence, les membres de son groupe de rock veulent à leur tour devenir vampire pour avoir leur heure de gloire. Ainsi, leur collègue finit par s’exécuter devant l’insistance. C’est pourtant elle qui sera blâmée par son entourage (donc son ex petit ami), qui s’empressera d’alerter tout le monde sur le fait qu’il faut s’en méfier.
Un empire vampirique
Cette créature permet d’explorer des thèmes complexes de l’identité , de la sexualité, des agressions. Avec les vampires, on a la chance d’avoir des propositions riches en termes d’héroïnes, et c’est assez rare pour le souligner. J’espère l’avoir démontré du moins, en partie.
Pour autant, voici des sujets pas ou peu abordés qui seraient passionnants et nécessaires à traiter:
- Le genre peine encore à représenter et à écrire des histoires de collectifs féminins crédibles. Alors que c’est une source inépuisable de thèmes (quelle société? quelles dynamiques? Comment êtres soudées face à un monde hostile?).
- On a vu plus haut que le vampire a pu être associé à l’inceste, problème endémique, pourtant absent de ce corpus,
- J’aimerais aussi voir des histoires queer, car le phénomène de transformation est une occasion idéale pour évoquer divers sujets (frontière entre les genres, transidentité, monde de la nuit, etc…).
- Avec Nosferatu qui propage la maladie, pourquoi ne pas avoir des histoires qui traitent du colonialisme ou du post colonialisme? De la manière dont les blancs se sont appropriés des territoires.
- Daybreakers l’évoque indirectement et maladroitement, mais il serait intéressant de se pencher sur la vampirisation des ressources qui nous mènent à notre propre perte.
Le vampire est aussi intimement lié à d’autres thèmes comme le cannibalisme, dont Vorace, est un bon exemple. Les protagonistes mangent la chair pour se nourrir et s’approprier leur puissance. Les humains sont considérés comme de la viande, tout comme le vampire. Là encore il s’agit de domination de l’autre.
Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur les points communs et les différences entre ces deux types de personnages, et comment les intégrer dans des problématiques actuelles d’anti spécisme et d’écologie.
Finalement, les créatures vampiriques ont beau exister depuis des siècles, faire l’objet de centaines d’écrits et de films, c’est une source inépuisable de thématiques contemporaines qui n’ont pas été encore exploitées.
Corpus:
- All the moons d’Igor Legarreta
- Carmilla d’Emily Harris
- Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau (1922)
- Nosferatu de Werner Herzog (1979)
- Entretien avec un vampire de Neil Jordan
- Byzantium de Neil Jordan
- Thirst de Park Chan-wook
- Morse de Tomas Alfredson
- Vampire vous avez dit vampire de Tom Holland
- Abigail de Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett
- Renfield de Chris McKay
- Vampire humaniste cherche suicidaire consentant d’Ariane Louis Seize
- Un vampire à Brooklyn de Wes Craven
- Dracula de Francis Ford Coppola
- Bliss de Joe Begos
- The addiction d’Abel Ferrara
- Nous sommes la nuit de Dennis Gansel,
- Bit de Brad Michael Elmore
- Une nuit en enfer de Robert Rodriguez
- Only lovers left alive de Jim Jarmush
- Daybreakers de Michael et Peter Spierig
- Blackula de William Crain
- Blood of Dracula de Peter Sasdy,
- 30 jours de nuit de David Slade
- Twixt de Francis Ford Coppola
- La Nuée de Just Philippot
- Les vampires de Riccardo Freda et Mario Bava
- Jakob’s wife de Travis Stevens
- Vampires de John Carpenter
- Blade de Stephen Norrington,
- Near dark de Kathryn Bigelow
- Génération perdue de Joel Schumacher,
- Underworld de Len Wiseman,
- Twilight de Catherine Hardwicke
- A girl walks home alone at night d’Ana Lily Amirpour
- Suck de Rob Stefaniuk
- Blood red sky de Peter Thorwarth
- La fille de Dracula de Lambert Hillyer
- Mark of the vampire de Tod Browning
- L’assistant du vampire de Paul Weitz
- The tragedy of Lady Mc Birth de Joel Coen