Qui dit cinéma de genre, dit marginalité. Si une population représente bien ce terme, ce sont les personnes ayant un ou des handicap(s). Exclues du monde du travail, de certaines activités sociales, de la formation etc…ces personnes sont dans un perpétuel combat quotidien.
Comment le cinéma de genre utilise les personnages ayant un handicap? Quels sont les handicaps les plus représentés?
Les personnes ayant un handicap sont souvent victimes d’une double invisibilisation. Dans l’imaginaire commun, handicap = fauteuil roulant. Or, il y a énormément de formes d’handicaps différents, visibles ou non. L’oppression concernant le handicap se nomme le validisme.
J’avais déjà évoqué la psychophobie dans le cinéma de genre, que je ne vais donc pas évoquer ici.
Cet article propose de balayer les différentes formes d’handicaps représentées dans les films de genre, et la signification de ces représentations. Pour compléter mes propos, j’ai demandé à des personnes concernées de répondre à mes questions.
1-Le handicap dans l’imaginaire collectif
Longtemps, le handicap n’a été visible qu’à travers le prisme du physique. Une personne ayant un handicap l’était parce que le handicap était visible. On s’en souciait au moment du Telethon, qui met en scène ces personnes pour créer de l’émotion en les faisant exister uniquement à travers leur handicap.
Depuis, grâce aux réseaux sociaux et à des personnes concerné-es qui reprennent leur histoire en main, des éclairages ont permis de politiser la question du handicap, dans une logique de lutte de droits.
Elisa Rojas, avocate, fait partie des militant-es les plus médiatiques mais plusieurs personnes évoquent le sujet sur les réseaux sociaux: Elsa on se laisse la nuit, Les dévalideuses, etc..
Le concept d' »inspiration porn » (dont le Telethon est le parfait exemple), a été établi par Stella Young, militante handicapée. C’est l’idée que les personnes ayant un handicap sont promues à un statut héroïque, exemple de persévérance aux yeux des valides. Or, ces personnes n’ont pas le choix de lutter pour leurs droits, pour vivre du mieux possible dans une société qui ne les prend pas en compte. Le problème avant leur handicap, c’est surtout l’incapacité de nos sociétés validistes à changer de prisme et à s’adapter.
Par ailleurs, l’idée de donner du courage à des personnes valides voyant pire que soi est particulièrement cynique.
Cela participe également à occulter la question politique et sociale du validisme. Il ne s’agit pas de voir le handicap à travers des histoires individuelles, mais bien comme un problème systémique que les valides devraient s’emparer. Au même titre que d’autres oppressions systémiques.
Stella Young est longuement revenue sur ce concept dans une conférence Tedx.
Cette manière d’objectiver les personne ayant un handicap se retrouve également dans la manière de traiter le handicap au cinéma. Comme beaucoup d’autres minorités (au hasard, les personnes transgenres), les personnages handicapés sont souvent le coeur du sujet. Le pire étant que dans la plupart des cas ils ne sont pas interprétés par des personnes concernées. Un homme à la hauteur, Tout le monde debout, Intouchables, Nos étoiles contraires, De rouille et d’os, Million Dollar Baby…A chaque fois il est question de dépasser son handicap dans une idée de rédemption.
C’est d’ailleurs la même idée que l’on retrouve dans le cinéma de genre. Le handicap étant une difficulté dans notre monde validiste, c’est un ressort scénaristique idéal voire facile pour mettre à mal un personnage. On peut le faire paniquer, pourchasser, souffrir encore plus facilement. D’autant que l’on va questionner et tester sa force et sa vivacité à utiliser les caractéristiques de son environnement pour l’aider à survivre.
On sait qu’un personnage valide face à l’adversité (ou un psychopathe) va devoir trouver des ressources, donc on imagine d’autant plus la difficulté si c’est un personnage en situation d’handicap.
Cela rejoint tout à fait la notion d’inspiration porn évoqué plus haut.
Cela sous entend que les personnes en situation d’handicaps sont forcément plus dépendantes que les valides. Alors qu’on constate tous-tes au quotidien que même valides, nous avons besoin des autres, que ça soit sous une forme matérielle, psychologique, etc…C’est surtout notre société validiste qui fait barrage aux personnes handicapées.
Ce sujet est abordé par Charlotte Puiseux, de l’association Les Dévalideuses:
2-Handicap et cinéma de genre: la marginalité
La représentation des personnes handicapées dans le cinéma de genre est loin d’être parfaite. Mais comme le cinéma de genre traite de la marginalité, le handicap est forcément plus présent que dans d’autres genres de cinéma, d’autant que le handicap fait peur. Le cinéma de genre a le mérite de faire vivre ses personnages dans une histoire qui n’est pas directement et uniquement liée au handicap.
Si les sujets du sexisme et du racisme au cinéma ont dorénavant leur part dans le débat (pour le meilleur et pour le pire), le reste des oppressions, et notamment le validisme reste ignoré. Ce qui est logique, quand on constate quotidiennement que le handicap visible ou non, n’est pas pris en compte.
Le handicap physique, notamment facial avec des déformations, est régulièrement utilisé pour symboliser le monstre, et créer un sentiment de dégoût d’emblée. C’est ce pourquoi les personnages de Freaks sont utilisés évidemment, mais on retrouve cette notion dans les Colline a des yeux, Massacre à la tronçonneuse, ou dans tous les films avec un être humain qui n’a pas assez vu la lumière du jour, se transforme en créature (Barbarian ou Castle Freak par exemple).
L’écriture donne rarement une autre dimension à ces personnages qui sont souvent des antagonistes. Seul Massacre à la tronçonneuse apporte une complexité à Leatherface, bien démontré par la chaîne Ratelrock:
L’association systématique de déformation faciale avec Mal, basée sur notre réaction naturelle de peur face à la singularité physique, pénalise forcément les personnes concernées. Renverser la tendance pourrait donner lieu à de nouveaux protagonistes et histoires permettant plus d’originalité.
Dans le cinéma de genre, ce qui angoisse le plus visiblement c’est la cécité. Sur une trentaine de films, la moitié ont un personnage aveugle. Les autres sens comme la surdité ne représentent que 5 films.
Cela peut s’expliquer pour plusieurs raisons. Les yeux font écho à des aspects essentiels dans le cinéma de genre:
- Ils sont considérés comme le « reflet de l’âme« , permettant de savoir à qui on a affaire, mais aussi donnant accès aux émotions,
- Sa fonction étant de voir, cela permet d’appréhender son environnement et ses dangers et d’agir en conséquences. Donc si on ne voit plus, on est dans une situation apriori d’extrême vulnérabilité.
- Voir est lié à la question du point de vue. Le cinéma de genre regorge de séquences où le personnage principal ne voit pas la même chose que son entourage. Il n’a pas non plus accès au regard que l’on porte sur lui,
- Voir semble être un sens essentiel pour regarder un film (mais pas indispensable). Donc ce n’est pas étonnant qu’il représente une grosse angoisse pour les cinéastes. A ce sujet je vous conseille la vidéo de La Manie du Cinéma sur l’expérience d’un public aveugle et de l’importance de l’audio description:
3- Le handicap moteur
Dans Action Mutante il s’agit d’un groupe de personnes ayant uniquement des handicaps moteurs et physiques. Ici, les personnes ayant un handicap représentent le monstre, qui terrifie la société et donc les exclue (finalement un peu comme dans la société actuelle, où ces personnes considérées comme inutiles car non productives de PIB, sont écartées).
Malheureusement, le réalisateur Alex de la Iglesia ne fait qu’utiliser ces handicaps pour renforcer l’aspect freak/obsédé de ses personnages. Cette insistance à aller à l’encontre du point de vue des bourgeois ne sert pas ses personnages, ni le propos politique initial du film.
Dans l’efficace Fragile, le handicap touche à la fois des protagonistes (des enfants hospitalisés), et l’antagoniste (un fantôme d’une infirmière en fauteuil qui s’attaque aux enfants et notamment une en particulier pour les garder près d’elle). Là aussi le handicap sert de ressort horrifique destiné à faire peur notamment à travers la figure d’une femme « mécanique ». Ce n’est malheureusement pas contrebalancé par le traitement des enfants ayant eux aussi un handicap, dont l’écriture est faiblarde.
On notera que dans Massacre à la tronçonneuse et Alien Résurrection sont des films où les personnages en fauteuil ont la même place dans l’histoire que les autres. Leur handicap n’est pas un sujet (on ne sait pas d’où vient leur handicap), ni même particulièrement une difficulté, ou du moins pas plus compliquée à surmonter qu’une autre. Franklin de Massacre à la tronçonneuse est au même plan que les autres personnages et est même le dernier à être tué. Vriess d’Alien Résurrection est un mercenaire comme les autres, à voler des munitions et tirer sur les aliens.
Le meilleur exemple est Silver Bullet, où le personnage en fauteuil est un adolescent (une représentation encore plus rare!).
Le handicap représenté par l’utilisation d’un fauteuil est celui le plus reconnu par le grand public (j’emploi le mot « reconnu » dans le sens où c’est souvent le seul handicap validé par les valides si je puis dire).
Pourtant, c’est le handicap le moins représenté dans la cinéma de genre (sur une trentaine de films, une dizaine ont un personnage en fauteuil dont 4 où c’est le personnage principal).
Cela parait sans doute plus compliqué aux scénaristes de mettre en scène un personnage utilisant un fauteuil, car le cinéma de genre étant souvent lié à des actions comme courir, sauter, se battre, etc…il parait plus compliqué de proposer une écriture solide.
Mais pas impossible ! Run et Ropes sont d’excellents exemples, qui racontent une émancipation de manière différente. L’une à travers un « classique » parcours initiatique, l’autre à travers le deuil.
Run reprend le postulat de la grandiose série The Act (adapté d’une histoire vraie), à savoir une mère malade psychologiquement qui drogue sciemment sa fille pour la rendre handicapée et la garder à la fois sous sa coupe et comme source de revenus. Le film parvient à installer une grande tension en jouant sur l’intrigue de l’émancipation de la fille en fauteuil, et matérialiser cette émancipation par l’action qu’elle déploie pour échapper aux griffes de sa mère. On se rend compte de chaque détail anodin qui peut s’avérer être d’une grande difficulté pour une personne en fauteuil. L’actrice principale, Kiera Allen, est d’ailleurs réellement en fauteuil dans la vie.
Ropes raconte une autre émancipation à travers un deuil, celui d’Elena, tétraplégique suite à un accident qui a coûté la vie de sa soeur. Recluse et taciturne comme on peut l’imaginer, elle se retrouve coincée dans une maison, avec un chien enragé à l’extérieur. En huis clos, le film resserre la tension en utilisant le même procédé que Run.
On retrouve également la notion de deuil dans le très plaisant La malédiction de Chucky, où Nica, en fauteuil depuis sa naissance, voit sa famille décimée par Chucky. La seule final girl en situation d’handicap !
Dans Incidents de parcours, sous estimé film de George Romero, un homme en fauteuil suite à un accident reprend goût à la vie grâce à un singe pour lui tenir compagnie (qui va s’avérer évidemment dangereux). Ici on ne s’intéresse pas aux conséquences pratiques d’être en fauteuil (sauf sexuellement), mais plutôt à l’impact que cela a sur le psyché.
Pour autant on retrouve le cliché validiste de représenter un homme en fauteuil, sauvé par une femme issue du care (incarnant ici le fameux syndrome de l’infirmière).
Le personnage féminin central d’Hurler de peur présenté comme handicapée, s’avère être un subterfuge pour piéger les 2 méchants du films. Ici, on ne s’intéresse pas au handicap et encore moins à la situation d’une personne handicapée. En revanche, Penny utilise les préjugés des valides et leurs projections sur les personnes handicapées par rapport à ce qu’ils considèrent comme de la vulnérabilité, pour les tromper. Mais le film nous dit que si la personne s’en sort vivante, c’est précisément parce que Penny n’est pas handicapée en réalité.
Le regard d’une personne concernée sur les œuvres traitant du handicap moteur
Pour compléter cette analyse, j’ai voulu questionner le point de vue de personnes concernées, et Emmanuel a accepté de me livrer son regard. Il a un infirmité motrice cérébrale dû au fait que qu’il est né prématuré. Un handicap qui fait qu’il n’a pas d’équilibre et a des soucis d’orientation dans l’espace. Il a également quelques difficultés à évaluer les distances et un temps de réaction plus lent que la moyenne pour ne citer que les symptômes que je remarque le plus chez moi.
Peux-tu expliquer les conséquences que cela a concrètement dans ton quotidien, et dans le fait de vivre dans une société validiste ?
Je me déplace principalement en fauteuil roulant électrique dehors et manuel en intérieur, et quelquefois en béquilles ou déambulateur.
J’ai des auxiliaires de vie pour les tâches quotidiennes (toilette, habillage, repas…).
Je ne peux pas avoir le permis de conduire donc très peu de marge pour l’improvisation quand je veux/doit sortir. (Et encore j’habite en ville près des transports en commun donc je fais à peu près ce que je veux si je prévois bien le truc).
Et même si de nets progrès ont été faits, toujours vérifier l’accessibilité d’un lieu avant de s’y rendre pour éviter les malentendus.
Le cinéma de genre a pour essence de mettre en scène des personnages marginaux, oubliés, ignorés, discriminés par la société, dont les personnes ayant un handicap font parties. Est-ce que tu trouves que c’est plutôt une bonne chose ou tu aimerais au contraire que ces personnes soit plus « normalisées »?
Je vais passer pour le gars qui ne veut pas se mouiller mais j’ai envie de répondre que ça dépend de ce que le film veut faire.
Je pense que c’est aussi une question de dosage. Ne pas tomber dans le piège de surligner le fait qu’un personnage est handicapé, et ne pas non plus faire comme si ça ne changeait rien niveau relation entre les personnages, ou même niveau mise en scène cinématographique.
Quelles séries/films représente bien ton handicap selon toi?
Breaking Bad avec le personnage de Walter JR. Déjà, l’interprète est réellement handicapé (RJ Mitte), le même que moi en plus et, même s’ils en ont rajouté un peu car il n’a pas de béquilles dans la vraie vie, ça se sent. En plus, ils ne font pas des caisses avec son handicap , il y a une scène de moquerie au début de la série et c’est tout. Les scénaristes ne se forcent pas.
Il y a aussi Stevie de Malcolm que j’aime beaucoup principalement car il sait en tirer profit (et surtout il est drôle)
Run que j’ai découvert grâce à tes suggestions.
Quelles séries/films ont une représentation de ton handicap problématique selon toi?
C’est là que je me rends compte que je n’ai pas vu beaucoup d’œuvres avec des handicapés.
Peut-être le personnage de Dwight dans Scary Movie 2 qui était un peu lourd à la longue mais c’est à l’image du souvenir lointain que j’ai du film. Et puis ça va tellement loin que ça en devient plus absurde qu’offensant ou problématique. Le problème étant que le public du film étant essentiellement des adolescents, il ne faudrait pas qu’ils n’aient que ça comme représentation. Mais je pense que ce serait les sous-estimer que de croire qu’ils prendraient ce personnage comme représentatif des personnes en fauteuil.
En quoi la représentation des personnes ayant des handicaps dans le cinéma est importante selon toi?
Comme toutes les représentations, montrer qu’on existe. Peut-être aussi une porte d’entrée pour les plus jeunes et un début de réponse aux questions qu’ils peuvent se poser, même si je ne pense pas que le cinéma doit obligatoirement servir à « éduquer ».
Quel type de représentation de personnes ayant un handicap aimerais tu voir dans un film?
Plus de méchants. Ne pas forcément associer handicap et pathos. Et peut-être un peu plus d’handicapés de naissance aussi pour sortir de l’archétype (cliché?) accident.
Penses-tu que les interprètes qui jouent un personnage handicapé doivent l’être aussi?
Je suis partagé là-dessus. Comme je l’ai dit au dessus, Stevie de Malcolm est un de mes préférés et son interprète n’est pas handicapé.
D’un autre côté, les interprètes handicapés ne peuvent pas jouer des valides donc pour citer South Park « ils nous volent notre travail ».
Dans la mesure du possible, privilégiez les interprètes handicapés.
Connais tu des interprètes/réalisateur-rices/scénaristes ayant un handicap? (pas forcément personnellement)
Rj mitt qui joue dans Breaking Bad donc et Fabien Héraud qui joue dans De toute nos forces de Nils Tavernier pour des handicaps ressemblant au mien. Mais je ne les connais que pour un seul rôle, ce qui veut soit dire que je suis quelqu’un de très peu curieux, soit qu’il n’y a pas beaucoup d’opportunités lorsque tu es handicapé physique.
Beaucoup de films de genre utilisent le fauteuil pour représenter le handicap (Ropes, Chucky 6, Silver Bullet, Alien la résurrection, Incident de parcours…).
Je pense que visuellement et scénaristiquement, c’est très pratique pour faire naître la tension (ça marche souvent sur moi d’ailleurs) d’un point de vue purement cinématographique c’est plutôt cool.
Pas forcément de reproches à faire à part peut-être le fait qu’il s’agit un peu trop souvent de personnages qui ne sont pas handicapé de naissance mais c’est certainement parce que je suis concerné.
Quels sont les principaux clichés liés au handicap représentés dans les films?
Le personnage handicapé suite d’ un accident. Je comprends que ça soit un bon ressort dramatique et un vecteur d’empathie pratique pour un scénariste mais c’est un peu répétitif.
Je sais pas si c’est un cliché mais les parents qui discutent du handicap de leur enfant comme s’il le découvrait, alors qu’il a plus de 10 ans. Après ça me fait plus rire qu’autre chose. Et ma mère ne trouve pas ça si absurde donc ça vient peut-être de moi.
4-Le handicap lié aux sens
En termes de narration, on a souvent affaire à de l’ironie dramatique, le public en sait plus que le personnage. Cela nous donne un temps d’avance, mais permet également de développer l’empathie pour le personnage car on a très vite envie de l’aider pour contrer le danger. C’est donc un élément facile pour créer du suspens: on voit le danger arriver et on angoisse de ce qui peut arriver.
On peut donc noter Blink, Castle freak, The eye, See for me, Eyes of a stranger, Mischieft night, Silent Night Deadly night 3 ou encore Don’t breathe dont l’intrigue (ou une partie de l’intrigue) est basée sur le fait que les personnages sont aveugles.
The Eye et Blink ont des points communs:
- les personnages féminins de Blink et The Eye sont violonistes (qui donne plus de grâce au personnage?).
- elles subissent une opération des yeux destinée à leur rendre la vue, du moins en partie. Mais ce sont précisément ces opérations qui perturbent la vie de ces femmes.
L’une voit flou et est déstabilisée par des visions qu’elle peine à comprendre, quand l’autre est parasitée par des représentations paranormales. Alors que la société validiste pense que le mieux est de retrouver la vue, le résultat est pour le moins pénible pour les concernées. D’ailleurs à la fin de The Eye, Sidney redevient aveugle. - un personnage masculin vient les protéger (et surtout faire une fois de plus preuve de gaslighting), avec qui il y a tension sexuelle/amoureuse.
Vient ensuite la caractéristique d’être sourde et/ou muette. On a les exemples de Témoin muet, Hush, ou Midnight silence. Dans ce cas, même s’il s’agit aussi souvent d’ironie dramatique, le personnage est moins vulnérable d’une certaine manière, car il a le même référentiel que le public. Il voit la même chose. Ainsi, de mon point de vue, une distance s’installe plus facilement avec le public, car on sent moins le personnage en danger. Le point central est davantage lié au suspens créé par le handicap, et la situation de danger dans laquelle est (ou sera) le personnage.
Par exemple dans Témoin muet, le public et l’héroïne, Billy sont tous les deux témoins d’un meurtre. Et comme on sait qu’elle sait déjà communiquer avec une partie de son environnement, on ne doute pas qu’elle va pouvoir témoigner. D’ailleurs, les meurtriers l’ont bien compris et c’est pour cette raison qu’ils la pourchassent.
Récemment peu de films ont proposé de nouvelles manières de filmer la cécité. Il faut attendre See for me en 2021 pour voir un renouvellement dans une certaine mesure.
On suit Sophie, jeune femme aveugle qui est tout à fait autonome au point de faire du catsitting sans problème, dans une immense maison (un lieu inconnu décuple les difficultés pour une personne aveugle).
C’est un vrai plaisir de voir une sororité entre elle et une gameuse qui va l’aider à lutter pour sa survie l’épauler suite à l’intrusion de meurtriers. A l’aide d’une application nommée « see for me », la gameuse va l’aider à distance. Le film manque de mise en scène efficace pour susciter une vraie tension, mais regorge de bonnes idées.
On peut noter un biais validiste qui est régulièrement intégré dans le scénario: le fait de guérir de son handicap, comme si c’était un point positif qui viendra forcément améliorer la vie de la protagoniste.
C’est le cas dans Blink, dans Incidents de parcours où le personnage retrouve l’usage de ses jambes ou encore Le Calendrier. On peut aussi noter Mischieft Night et Eyes of a stranger. Dans les deux derniers cas sont même assez douteux, car les protagonistes retrouvent la vue grâce au trama des agressions subies.
C’est déjà un ressort scénaristique que l’on trouvait en 1946 dans Deux mains la nuit. L’héroïne muette retrouve sa voix après la résolution des meurtres.
On peut faire un parallèle avec les personnages féminins dont on découvre la force suite à un viol.
The Eye est un des seuls à présenter la « validité » comme vrai handicap pour une personne aveugle. En effet, le médecin apprend à Sidney que son cerveau va être considérablement troublé par la vue retrouvée et ainsi sa capacité à trier les informations. A la fin du film, elle redevient même aveugle et s’en porte mieux.
C’est aussi finalement l’idée qu’on peut en retirer de Sans un bruit, avec le personnage de l’adolescente sourde. Son handicap la met précisément plus en danger que les autres, car non consciente du bruit qu’elle peut faire (qui attire les bestioles ultra sensibles au son).
Cela la rend plus dépendante de sa famille qui doit l’alerter. En revanche, elle devient la clef de résolution du film, en utilisant son appareil auditif pour déclencher une fréquence si puissante qu’elle repousse les créatures. D’un coup, elle devient plus puissante que les valides.
5- L’enfer c’est les autres (ou pas)
La plupart de ces films avec un personnage principal ayant un handicap sont des femmes (Run, Ropes, Hush, Blink, The Eye, Seule dans la nuit, Terreur aveugle, etc…), et empruntent les codes du home invasion. Elles habitent seules. On joue sur la peur de voir une personne supposément doublement vulnérable face à un danger, et cela ne peut qu’être une femme. Cela reste compliqué dans l’imaginaire collectif de mettre un homme dans une situation d’emblée vulnérable qui a vocation à le devenir encore plus. C’est dire si les stéréotypes ont toujours de beaux jours.
Il faut voir comment les affiches sentent le sexisme à plein nez, se délectant de placer une figure masculine qui s’apprête à fondre sur une jeune femme vulnérable (bien souvent aveugle par ailleurs), bien souvent sexualisée.
Deux mains la nuit (qui mérite le détour), en fait même son pitch: le tueur en série qui rôde ne s’attaque qu’à des femmes ayant un handicap, quel qu’il soit. Sa justification à ces meurtres est directement lié à un trauma d’enfance. Celui d’un père prônant la masculinité hégémonique que notre tueur en série n’a pas su honorer. Il tue des femmes handicapées pour éliminer la représentation de la faiblesse.
Je n’ai vu qu’un film avec un personnage masculin ayant un handicap au centre de l’intrigue: Incident de parcours de Romero. Et encore, il est entouré de sa copine et son meilleur ami, contrairement aux personnages féminins qui sont restent souvent seules.
Cela permet en tous cas d’asseoir une certaine force et résistance aux personnages féminins, qui finissent toujours gagnantes. Car il y a en effet, toujours des happy end. Tuer une personne ayant un handicap reste certainement un grand tabou, comme celui de tuer des enfants, même dans le cinéma de genre.
Ce postulat est cependant valable si le film ne joue pas sur cette double vulnérabilité citée plus haut. En effet, des films projettent des caractéristiques sexistes et validistes à la fois. Comment cela se matérialise? Avec un personnage:
- Qui n’est caractérisé qu’à travers son handicap, et où celui-ci est particulièrement marqué comme un aspect vulnérable,
- Qui est objectifié, notamment sexuellement.
- Qui est une adolescente (permettant d’avoir un personnage en apparence diminué à la fois en raison de l’âge, du genre et du handicap).
C’est le cas de Castle Freak, Eyes of a stranger ou Silent Night, Deadly Night 3. Ces adolescentes sont poursuivies par l’antagoniste en intégrant une dimension (d’agression) sexuelle.
Elles n’ont pas d’autres fonctions que d’être l’obsession du mauvais personnage.
Le pire étant Eyes of a stranger (1er rôle de Jennifer Jason Leigh), qui est le personnage permettant à sa soeur d’avancer dans l’action sans qu’elle même en fasse, car elle est au final absente pendant les 3 /4 du film. Elle tient une place centrale à la fin, quand elle est agressée par le psycho killer qui s’en prend à elle parce que sa soeur a deviné son identité et le menace.
Castle Freak et Eyes of a stranger ont en plus le point commun que le personnage aveugle soit l’objet moteur pour le personnage valide (le père pour Castle Freak, la soeur pour Eyes of a stranger).
On remarque également qu’avoir un handicap l’est aussi pour les relations amoureuses. Comme vu plus haut les protagonistes sont seuls. Dans Hush, l’héroïne est récemment séparée, et dans The Eye, aucune relation n’est mentionnée et une tension plus amoureuse que sexuelle est suggérée sans concrétisation. Le personnage principal de Témoin muet est présentée comme la bonne copine d’un couple avec qui elle fera équipe au long du film. Dans Blink, on assiste au bon vieux « jeu » de séduction du flic qui craque sur l’héroïne, Emma, mais qui lui reproche d’être violente alors que c’est lui même qui se permet de la secouer. D’ailleurs, Emma est subitement prise « d’hystérie » quand elle est en interaction avec ce personnage masculin, alors que le reste du temps le personnage est déterminée et indépendante.
Exception dans le très mauvais Mischief Night, où l’adolescente (par ailleurs très bien incarnée par Noell Coet) a un amoureux. « L’écriture » du film n’est pas développée à ce sujet, contrairement à Terreur aveugle où le personnage de Mia Farrow qui est aveugle, est aimée par un homme qui a la même passion des chevaux qu’elle. Le soin apporté à la relation entre les 2 personnages est particulièrement touchante.
Dans Incidents de parcours, le personnage devient tétraplégique et il laisse sa compagne partir, visiblement mal à l’aise de gérer cet handicap avec lui. Mais il va retrouver l’amour en la personne de sa kinésithérapeute (donc une femme qui prend soin de lui). Cela donne lieu à une scène de sexe hors norme au cinéma, à savoir qu’un homme impuissant fait un cunnilingus à sa partenaire (et lui donne du plaisir). C’est très rare de voir un acte sexuel hétérosexuel au cinéma qui ne passe pas par une pénétration, qui plus est avec un homme impuissant.
De tous les films où le personnage principal a un handicap, c’est un homme qui peut avoir des relations amoureuses stables.
Concernant le handicap moteur, l’adolescent de Silvet Bullet est très bien écrit. Marty vit dans une petite ville frappée de plusieurs meurtres. Il se met en tête qu’un loup garou en est à l’origine. Il a une relation complexe avec sa soeur (dont on montre aussi la répercussion sur sa vie de vivre avec un frère ayant un handicap), avec son oncle (qui est le seul adulte à l’écouter mais avec prudence). Son handicap n’est pas un sujet mais n’est pas non plus oublié (son oncle ne cesse de perfectionner son moyen de déplacement).
Marty est également au coeur de scènes d’action efficaces et crédibles, il n’est pas démuni malgré son handicap. L’équilibre est parfaitement trouvé.
Il est également question de relation de soeurs dans le merveilleux What happened to baby Jane? Blanche, soeur paraplégique de Jane, est prisonnière de celle-ci. Mais le fauteuil symbolise aussi un piège psychologique. Blanche garde pour elle un mensonge qui culpabilise sa soeur qui se déconnecter chaque jour un peu plus de la réalité.
Sexisme et validisme: une double violence
J’ai remarqué deux films qui soulignent qu’être une femme handicapée, c’est être victime aussi de sexisme.
Dans Hush, Maddie est une écrivaine sourde, vivant seule (encore). La 1ère partie accentue la vulnérabilité de la protagoniste. En effet, on voit le meurtrier entrer tranquillement derrière elle, ce qui déclenche chez lui l’envie de jouer avec cette proie qui lui semble encore plus fragile car inconsciente du danger imminent.
A ce propos, le film est très bien écrit selon moi, pour illustrer la misogynie et la manière dont les femmes ripostent plus efficacement avec leurs propres armes.
Voici comment le film structure en plusieurs étapes:
- Quand le tueur arrive et se rend compte de son handicap, il décide de jouer avec sa proie. Il cherche à jouir de sa domination et à la faire souffrir = illustration de la violence masculine. C’est le moment où Maddie est le + vulnérable.
- Dans la 1ère partie de la confrontation, elle réalise le danger et cherche à survivre, elle n’est pas prête à riposter, c’est cohérent.
- La misogynie donne tellement la confiance= le tueur n’hésite pas à enlever son masque pour lui montrer son visage: il est persuadé qu’il peut la tuer easy donc autant s’amuser. On lit souvent que c dommage que le masque soit enlevé si tôt, je trouve au contraire que c brillant.
- Le point de bascule c’est qu’au delà du danger, elle réalise la cruauté et la violence de l’intrus quand il utilise le corps de sa pote pour lui faire peur. Alors que la caméra était loin de Maddie, la cadrant sur les côtés, elle revient au centre et on assiste à sa terreur.
- C’est tentant de s’emparer de l’arbalète du tueur mais ce n’est pas son arme: elle n’arrive pas à la faire fonctionner. C’est rare pour le noter: les final girls reprennent très souvent l’arme du tueur pour la retourner contre lui signifiant sa reprise de pouvoir.
- Un autre aspect de la misogynie est montré. Quand un pote de Maddie arrive, le tueur le manipule pour détourner son attention = manipuler l’entourage permet de continuer les violences tranquille. (très souvent dans ce type de home invasion, le tueur irait direct au frontal)
- Après avoir vite fait touché finalement le tueur avec l’arbalète, Maddie utilise ensuite son autre arme: sa créativité narrative. Elle imagine tous les scénarios possibles pour savoir lequel lui permettra de s’en sortir (en + on sort du classic « mais naaaaan c’était un rêve »)
- Le tueur se croit toujours plus puissant; il parle derrière elle avant de l’attaquer. Mais elle sent son souffle et le poignarde: elle utilise ses autres sens, plus affutés que son adversaire. Elle utilise ensuite son alarme qu’elle sait très agressive pour les entendants.
- Le coup fatal est porté par le tire bouchon, qui est littéralement le 2e plan du film au tout début. L’ustensile lié à la cuisine, qui ne lui portait pas chance au début, qu’elle parvient à utiliser à son avantage.
Midnight Silence propose une écriture pertinente. Car le personnage féminin, Kyung-mi est caractérisée au delà de sa surdité. Finalement, il y a assez peu de ressorts scénaristiques sur son handicap, l’idée est de la faire exister à travers une sororité dans une société patriarcale:
- Dès le début, on nous montre qu’elle comprend les remarques sexistes de ses collègues et qu’elle se moque d’eux sans qu’eux, comprennent.
- Sa relation avec sa mère est riche: elles représentent une vraie force alliée,
- Alors qu’elle est poursuivie par le tueur dans la foule, il se fait passer pour son frère et les gens ne réagissent pas, trouvant normal qu’un homme contraigne sa soeur apparemment folle,
- Elle réalise que pour s’en sortir, le tueur doit la poignarder à la vue de tous pour être considérée comme victime.
7- Le handicap est présent depuis toujours dans le cinéma de genre
On remarque que de tout temps, le handicap est représenté à l’écran. Bien qu’il le soit beaucoup plus ces dernières années, le traitement des personnages handicapés n’a pas tellement évolué.
Si les personnages sont parfois plus complexes (Ropes, Run, Midnight silence…), il manque en revanche un traitement plus politique de la situation de ces personnes. La difficulté quotidienne d’évoluer dans une société validiste est finalement très peu abordée. Alors qu’elle représente pour le coup de véritables obstacles et angoisses au quotidien.
On notera que les personnes handicapées sont rarement des antagonistes. On en note quelqu’uns comme Don’t breathe, Fragile, Incassable ou Angoisse.
De même, la plupart des films cités dans cet article sont plus ou moins confidentiels. En tous cas, ils n’appartiennent pas à des films d’une grande popularité. Et quand ils le sont (comme Freddy 3), ce sont des personnages annexes. Les personnages principaux handicapés se retrouvent quasiment toujours dans des « petits » films.
Enfin, je note qu’il n’y a aucun film de mon corpus réalisé par une femme.
6- Le handicap invisible l’est tout autant à l’écran
Vous avez sans doute remarqué que tous ces handicaps sont visibles ou du moins rapidement identifiable comme la surdité.
Pourtant, la majorité des handicaps sont invisibles. Il n’est pas facile voire impossible de les caractériser rapidement, et dans ce cas ces handicaps ne sont pas réels. Pour les valides, un handicap doit se voir et être tangible car sinon ils n’ont aucun moyen de s’assurer que la personne ne ment pas et n’essaye pas t’en tirer profit.
Mais comme le cinéma est majoritairement pensé par et pour les valides, il est très rare voir quasi inexistant de voir au cinéma ces handicaps représentés.
C’est notamment le cas de l’autisme qui est très peu représenté. On peut noter Cube, dont la personne autiste s’avère être la plus futée et qui le seul qui s’en sort. Mais aussi le trop méconnu Come Play, où il s’agit d’un petit garçon autiste. Le film prend soin de contextualiser l’autisme au sein d’un cercle familial en rupture et amical. Il met en valeur l’utilité des écrans pour ces personnes, permettant de nuancer le discours souvent négatif et anxiogène envers les nouvelles technologies, très présent dans le cinéma de genre.
Cela me paraissait d’autant plus important d’évoquer cette question. Pour cela, je laisse la parole à des personnes concernées.
J’ai échangé avec Mylène, de la chaîne Welcome to prime time bitch ! et Nicolas.
Est-ce que tu peux décrire ton ou tes handicaps ?
Mylène: Oui, bien sûr, je suis atteinte d’une malformation de Arnold Chiari. C’est une malformation rare qui touche le cervelet. Pour faire simple, le cervelet prend trop de place, ce qui augmente la pression sur la moelle épinière et le cerveau.
Cette malformation me cause des malaises réguliers, une fatigue chronique, un trouble de l’équilibre et de nombreux vertiges ainsi que l’incapacité de réaliser certains mouvements. J’ai aussi subit une décompression du cervelet, on m’a endommagé un nerf durant cette opération. Depuis, je souffre de douleurs chroniques et d’une névralgie d’Arnold.
Nicolas: J’ai une maladie de Crohn, qui se résume par une inflammation du tube digestif, mais qui touche principalement les intestins. C’est une maladie auto-immune, qui agit différemment selon les personnes, mais qui se manifeste, sans rentrer dans les détails, par de soudaines envies d’aller aux toilettes, de fatigue, d’amaigrissement, de douleurs intestinales, voire de vomissements (et j’en passe).
Peux-tu expliquer les conséquences que cela a concrètement dans ton quotidien, et dans le fait de vivre dans une société validiste ?
Mylène: Je suis très limitée dans mes mouvements et mes déplacements même dans mon propre appartement. Certains gestes du quotidien comme le fait de me baisser ou encore me laver les cheveux peuvent devenir un vrai challenge.
Depuis peu, j’ai une béquille qui m’aide dans mes déplacements et me permet d’être un peu plus autonome mais tout devient une charge mentale supplémentaire quand il s’agit de me déplacer, car rien n’est vraiment adapté aux personnes en situation de handicap.
Lorsque je n’ai pas ma béquille mon handicap est réellement invisible et il est parfois très compliqué de devoir justifier mon handicap avec le monde qui m’entoure. Bien souvent, on ne comprend pas vraiment mon handicap car je ne coche pas les cases de la personne handicapée lambda tel que l’entend la société.
Nicolas: Pour ma part, je l’ai eu très jeune et j’ai appris à vivre avec. J’ai longtemps eu énormément de problèmes dans mon quotidien, notamment dans mes déplacements car j’ai grandi avec cette peur de toujours vouloir aller aux toilettes, et la peur de ne pas en trouver à temps.
De plus, il y a des moments où je n’ai pas la même énergie, de grosses fatigues dûes aux anémies (on peut perdre beaucoup de sang à la selle) et aux douleurs. Par conséquent, cela devient aussi difficile de gérer avec son entourage car tout le monde n’est pas forcément à même de comprendre les situations par lesquelles on passe. Surtout, ce n’est pas forcément une partie de plaisir que d’expliquer les causes et les effets de sa maladie aux autres, relations amoureuses incluses.
Les personnes en situation d’handicap sont-elles vraiment moins douées pour représenter un handicap qu’ils ou elles vivent au quotidien ou sont elles moins pertinentes pour illustrer le handicap tel que les valides veulent le voir ?
Mylène
Le cinéma de genre a pour essence de mettre en scène des personnages marginaux, oubliés, ignorés, discriminés par la société, dont les personnes ayant un handicap font parties. Est-ce que tu trouves que c’est plutôt une bonne chose ou tu aimerais au contraire que ces personnes soit plus « normalisées »?
Mylène: Heureusement que le cinéma de genre existe pour illustrer (pas toujours de manière pertinente) des personnages marginaux et oubliés sinon il n’y aurait pas vraiment de place pour leur représentation dans les autres genres. Le film Freaks est notamment un film qui a beaucoup parlé aux personnes en situation de handicap car ici, ce ne sont pas les Freaks la menace mais bel et bien les valides qui vont en avoir pour l’argent de Hans, un personnage atteint de nanisme.
Cependant, j’aimerai que les marginaux, les personnages discriminés ne soient plus les monstres cachés dans l’ombre comme dans Basket Case ou encore La colline à des yeux, la monstruosité peut prendre bien des formes, et il serait temps que la représentation change de ce point de vue-là.
J’aimerai qu’un personnage en situation de handicap soit illustré sans que son handicap soit son seul arc narratif et qu’il ou elle évolue avec son handicap mais pas seulement à travers ça. Notre handicap nous définit et fait la personne que nous sommes en un sens, mais pas seulement. Pour changer cette vision erronée il faudrait bien plus de personnes en situation de handicap engagées en tant que scénaristes.
Nicolas: Je crois que c’est un peu des deux. Ces personnes devraient êtres représentées pour ce qu’elles sont, dans l’humanité la plus absolue. De mon point de vue, je suis très attiré par les réalisateurs/réalisatrices qui parlent de ces « oubliés » comme des gens de tous les jours, car c’est ce qu’ils sont. J’aime énormément le cinéma de Ken Loach, entre autres, qui trouve avec justesse l’équilibre afin de parler de sujets sociétaux qui affectent la majeure partie de la population. Il n’est pas directement impacté par ses sujets, et pourtant, il arrive à puiser dans sa sensibilité, son humanité, pour parler des autres.
Dernièrement j’ai regardé la mini-série de María Belén Poncio et Rosario Perazolo Masjoan, un mètre vingt sur Arte, qui traite du sujet de l’adolescence et du désir lorsque l’on est atteint d’un handicap (en l’occurrence dans la série l’héroïne est atteinte par un handicap moteur). Rosario Perazolo Masjoan (qui a co-réalisé la série) parle de sa vie, et de son handicap à travers son œuvre, et à l’instar de Ken Loach, elle est directement liée à son sujet et en parle avec énormément de justesse et de sensibilité.
Pour résumer, je crois que chacun devrait être libre de parler de toutes ces personnes comme des sujets normaux dans leurs œuvres, tant que cela est fait avec sensibilité et humanité.
Quelles séries/films de genre représente bien ton handicap selon toi?
Mylène: Ah ah, comme ça je dirai aucun, c’est la chance d’avoir une maladie rare que même les médecins ne maitrise pas vraiment. J’ai vu quelques épisodes de séries traitant (mal) directement de la malformation de Chiari tel que Dr House ou encore The resident mais je vous laisse imaginer le résultat.
Cependant, je m’identifie souvent sur des petits éléments comme dans la série The 100 où les personnages subissent une opération au niveau du crâne afin de se faire implanter un nouvel esprit. Ou encore dans Invasion From Mars où les aliens s’implante dans le cou de leur victimes.
Mais plus récemment c’est vraiment le film Malignant qui m’a beaucoup parlé. On suit une jeune femme qui suite à une blessure derrière la tête commence à avoir d’étranges visions (Spoiler). Très vite on va se rendre compte qu’elle a rouvert une énorme cicatrice où se logeait son jumeaux diabolique, Gabriel. J’ai moi-même une cicatrice de plus de 15 cm au niveau de mon crâne et j’avoue que suite au visionnage de ce film je me suis demandé si Gabriel n’allait pas sortir de mon crâne à tout moment.
Plus sérieusement suite à mon opération j’avais très peur que la cicatrice s’ouvre et que (rire) mon cerveau sorte de mon crâne, ce film m’a donc beaucoup parlé et je crois que c’est pour ça que je l’aime autant. De plus, je peux à présent faire de ma cicatrice un élément de cosplay badass.
Nicolas: Malheureusement aucun/aucune à mon grand regret. Mis à part quelques épisodes d’Urgence ou Dr House, qui mentionnent quasiment toutes les maladies qui existent, je n’ai jamais vu de personnages, aussi bien principaux que secondaires, parler de ce handicap ou en être atteint.
Dans le film Les Chèvres du Pentagone, George Clooney mentionne être atteint d’une maladie de Crohn, mais pourtant arrive à exister dans le film sans trace apparente de son handicap, ce qui m’avait énormément surpris à l’époque. Partant du principe que l’on mentionne la maladie du personnage, pourquoi ne pas avoir aussi représenté les problématiques que cela représente, au lieu de nous montrer quelqu’un qui est clairement en voie de rémission ?
J’ai énormément appris du monde et des gens qui m’entourent grâce au cinéma ! Par conséquent, je crois qu’il est l’un des meilleurs exemples pour représenter ces personnes qui vivent de ces conditions
Nicolas
Quelles séries/films de genre ont une représentation de ton handicap problématique selon toi?
Mylène: Il n’y a pas de représentation de mon handicap dans le cinéma de genre malheureusement mais ça viendra peut-être un jour. Cependant, depuis que j’ai ma béquille (qui porte le nom de Janine) je me suis bien rendue compte que les personnages à canne ou à béquille sont presque toujours les méchants dans les films d’horreur et qu’il faut toujours se méfier de quelqu’un qui boite.
Dans le film The Mangler réalisé par Tobe Hopper, la canne est même un moyen sans détour d’identifier le ou la méchante.
En quoi la représentation des personnes ayant des handicaps dans le cinéma est importante selon toi?
Mylène: La représentation est nécessaire parce qu’on a besoin de se sentir représenter, d’exister. Peu après mon opération, je me suis retrouvée dans une grande errance médicale et avec peu de témoignage sur ma maladie. Je suis alors partie en quête de représentation mais comme je l’ai évoqué un peu avant ça n’a pas été concluant. J’avais besoin de me sentir représentée, de pouvoir m’identifier à un personnage, à quelqu’un qui me ressemble même de loin mais ce n’était malheureusement pas possible. Le cinéma c’est une vraie catharsis pour moi, je digère et j’intègre les images que je vois et elles me font du bien.
Nicolas: Pour moi cette représentation est primordiale. J’ai énormément appris du monde et des gens qui m’entourent grâce au cinéma ! Par conséquent, je crois qu’il est l’un des meilleurs exemples pour représenter ces personnes qui vivent de ces conditions, parfois même invivables, insurmontables.
L’idée n’étant pas de véhiculer de la pitié envers ces personnes, mais plutôt de la compassion, une prise de conscience. Donc oui, cette représentation est importante pour moi, essentielle même.
Quel type de représentation de personnes ayant un handicap aimerais tu voir dans un film de genre?
Mylène: Je rêverai de voir une final girl ayant un handicap (un handicap qui me ressemble). La voir survivre, combattre le boogeyman et ce, en prenant en compte les symptômes qui pourront possiblement la ralentir, la mettre en danger mais aussi être une force mentale incroyable pour elle car son quotidien est déjà un combat même s’il prend une tout autre forme.
On a déjà vu des final girl qui ont subit des drames et en ont fait une force comme Sidney dans Scream. Mais pas de final girl ayant dû combattre pour son quotidien face à un handicap qui peut parfois être très lourd.
Exception faite de Nica dans Chucky 6 qui est une final girl en fauteuil roulant qui va devoir combattre Chucky et ce, durant plusieurs opus de la franchise et même dans la série. Chucky est un très bon exemple de représentation et surtout la série en cours qui fait suite aux films, je vous la conseille fortement.
Dernièrement j’ai eu la chance de lire le scénario du court métrage d’Elsa Bouyeron, qui met en scène des personnes en situation de handicaps qui jouent tous les soirs dans un cabaret. C’est un court métrage de genre, je ne peux pas vous en dire plus pour ne pas vous spoiler car le court n’a pas encore été tourné. Mais ce que je peux vous dire c’est que lorsque que j’ai lu les dernières phrases du scénario, j’ai pleuré. Elsa est elle-même en situation de handicap, son scénario est un cri du cœur et il m’a profondément touchée.
Penses-tu que les interprètes qui jouent un personnage handicapé doivent l’être aussi?
Mylène: Bien sûr, les personnes en situation de handicap sont bien souvent discriminées en raison de leur handicap. Mais lorsqu’il s’agit de les faire jouer un personnage en situation de handicap elles sont souvent considérées comme moins pertinentes que des personnes valides et c’est là tout le problème.
Sont-elles vraiment moins douées pour représenter un handicap qu’ils ou elles vivent au quotidien ou sont elles moins pertinentes pour illustrer le handicap tel que les valides veulent le voir ?
Nicolas: Il fut un temps où je ne le pensais pas, car j’admirais les performances des acteurs/actrices capables d’interpréter de tels rôles (et c’est toujours le cas pour certain-es). C’est un sujet qui fait énormément débat, par conséquent, je ne peux me positionner pour les autres, donc je ne parlerais qu’en mon nom et mon handicap.
Je n’aurais aucun souci à ce que cette maladie soit représentée par un acteur qui n’est pas atteint par Crohn. Premièrement, c’est un handicap quasi invisible, et il est sans difficulté de le représenter à cette échelle par quelqu’un de tout à fait « normalement constitué ».
Deuxièmement, si la personne qui est au commande est directement touchée par le sujet et est capable de représenter, à travers son comédien, l’essence même du sujet, je n’y vois encore aucun inconvénient. Il faudrait dans tous les cas que des personnes directement atteintes par le sujet soient en charge de beaucoup de choses autours de l’œuvre, afin de représenter avec beaucoup de véracité l’exactitude des conditions et de ce que cela représente.
Connais tu des interprètes/réalisateur-rices/scénaristes ayant un handicap?
Mylène: Je mentionnerai Kiera Allen qui joue dans le film Run, elle joue une jeune femme en fauteuil roulant séquestrée par sa mère atteinte du syndrome de Munchhausen. Elle est incroyable dans ce long métrage. Ou encore Melanie Gaydos qui souffre d’une maladie génétique rare, une dysplasie ectodermique, elle est mannequin est à notamment joué dans Tous les dieux du ciel.
Enfin pour terminer je nommerai Selma Blair qui est atteinte d’une sclérose en plaques, c’est véritable grâce à elle que j’ai passé le douloureux cap de la béquille. J’ai mis beaucoup de temps à me résoudre à prendre une béquille pas tant parce que je n’assume pas mon handicap mais parce que je ne pouvais pas me résoudre à accepter cette aide. La force de Selma Blair, sa classe avec sa nouvelle compagnonne de route, sa canne m’a vraiment donné la force nécessaire.
Nicolas: Malheureusement aucun-es ne me viennent à l’esprit. Je dois en connaître, mais rien ne me vient pour le coup… Ce qui est la preuve directe que, derrière la caméra (ou devant), les personnes atteintes de handicap ne sont clairement pas assez présentes. Ou alors je ne suis pas au courant.
J’ai le sentiment que dans le milieu du cinéma les gens parlent rarement de leur handicap, alors que c’est évident qu’il y a des gens concernés. C’est tabou/pénalisant de parler de handicap?
Mylène: C’est un tabou bien sûr même si les mentalités changent c’est bien trop long à mon goût. Parler de son handicap c’est possiblement se faire ranger dans une petite case et se faire mettre de côté par une industrie qui à du mal à faire de la place à la différence. De même qu’une actrice en surpoids sera toujours plus discriminée qu’une actrice rentrant la « norme » du monde du cinéma.
D’ailleurs cette année, je n’ai pas le souvenir d’avoir vu une personne en situation de handicap sur le magnifique tapis rouge de Cannes. Je ne suis pas sûre que ces longues files d’attentes et ces nombreuses marches soient très accueillantes pour une personnes comme moi. Et ça ne sera malheureusement pas le dernier ni le premier festival de cinéma qui n’est pas du tout accessible pour les personnes en situation de handicap. Le cinéma a le pouvoir de changer les choses, mais faut-il encore le vouloir !
Un personnage de fiction ayant un handicap qui t’a marqué positivement?
Nicolas: Je suis un grand GRAND fan du cinéma d’Arthur Penn ! Pour le coup, je trouve qu’il parle vraiment bien, et justement, des classes marginales, des oubliés… Il a réalisé en 1962 l’un de mes films préférés Miracle en Alabama, qui raconte l’enfance de Helen Keller (qui était sourde, muette et aveugle) et de sa tutrice qui va tenter de l’ouvrir et la connecter au monde qui l’entoure.
C’est un film d’une puissance inouïe, porté par deux actrices absolument magistrales. Patty Duke y interprète le rôle de Helen, et je crois n’avoir jamais été autant touché par un rôle représentant un handicap que celui-ci (sachant qu’elle n’avait aucun handicap). Anne Bancroft vient, de par sa justesse et sa sensibilité de jeu, sublimer et cristalliser toute l’essence du sujet.
Bref, c’est un film que je ne cesserai de recommander, pour son sujet et pour son intensité !
Films cités et/ou correspondant à la thématique:
- Freaks de Tod Browning
- Hush de Mike Flanagan
- Blink de Michael Apted
- The Eye de Xavier Palud et David Moreau
- Run de Aneesh Chaganty
- Action mutante d’Alex de la Iglesia
- Mischief Night de Richard Schenkman
- Alien la résurrection de Jean Pierre Jeunet
- Incassable de M.Night Shyamalan
- Midnight silence de Oh-Seung Kwon
- Castle freak de Stuart Gordon
- Silver Bullet de Daniel Attias
- Ropes de José Luis Montesinos
- La malédiction de Chucky de Don Mancini
- Seule dans la nuit de Terrence Young
- What ever happened to baby Jane? de Robert Aldrich
- Blindness de Fernando Meirelles
- Le Calendrier de Patrick Ridremont
- Incidents de parcours de George Romero
- Silent Night Deadly Night 3 de Monte Hellman
- Témoin muet d’Anthony Waller
- Come play de Jacob Chase
- Don’t breathe de Fede Alvarez
- Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper
- Glass de M. Night Shyamalan
- See for me de Randal Okita
- Eyes of a stranger de Ken Wiederhorn
- Fragile de Jaume Balaguero
- Tous les dieux du ciel de Quarxx
- Cube de Vincenzo Natali
- Sans un bruit de John Krasinski
- Hurler de peur de Seth Holt
- Angoisse de Bigas Luna
- Terreur aveugle de Richard Fleisher
- Blind de Joe Knetter