Sarah est la créatrice du blog Ciné Clob qui lie des notions de psychanalyse au cinéma d’horreur.
Psychologue de métier, elle puise dans ses livres et sa cinéphilie, pour comprendre de quoi l’humain a peur, et pourquoi?
La naissance de Ciné Clob
Peux tu présenter Ciné Clob, et sa ligne édito?
Ciné Clob est un blog qui essaye d’établir des passerelles entre cinéma d’horreur et psychanalyse.
L’enjeu est de montrer comment deux champs apriori sans rapport, peuvent en fin de compte s’éclairer l’un l’autre.
Je voulais voir si la rencontre entre une discipline aussi intellectuelle que la psychanalyse, et une certaine culture populaire, pouvait être fructueuse.
Pour l’instant, le Ciné Clob propose principalement deux sortes d’articles.
Soit des textes développées à partir d’un seul film (en lien, en tout cas je l’essaye, avec une certaine actualité : des sorties ou ressorties, des films vus en festivals…).
Soit des articles construits autour d’un thème général : un sous-genre, un objet, etc. Compte tenu de la fermeture des cinémas, j’ai du privilégier le second format depuis le confinement.
Comment est née l’idée de Ciné Clob? Pourquoi un blog et pas une chaine YT ou un podcast?
Cela faisait un moment que j’avais commencé à écrire, à prendre des notes éparses sur tel ou tel film, ou sur des idées, mais sans jamais vraiment aboutir à quelque chose de construit.
A un moment donné, j’ai eu envie de rassembler ces bribes et de les mettre en forme de façon plus achevée. Pour ça, je me suis dit qu’il me faudrait des lecteurs potentiels, même peu nombreux. Je me suis rendue compte que c’est ce qui me motive à achever un texte : m’imaginer qu’il sera lu, et que je dois par conséquent faire de mon mieux pour être claire et rigoureuse.
L’idée de créer un blog en a découlé assez naturellement. Je ne me sentirais pas aussi à l’aise avec une chaine YT ou un podcast, déjà parce que je suis une quiche en informatique, et aussi parce que l’écriture m’aide à construire ma pensée.
Qu’est ce qui te plait dans l’écriture?
Je trouve que l’écriture permet de poser des idées, de les ordonner, de développer une réflexion complexe. Pour ma part, j’ai parfois la tête en ébullition et je suis souvent frustrée à l’oral, car j’ai du mal à formuler mes idées avec précision.
L’écriture permet une temporalité plus lente, on peut réagencer les choses, prendre le temps de trouver le mot juste. Et puis, comme l’appétit vient en mangeant, j’ai remarqué que plus j’écrivais, plus les idées émergeaient. Parfois je démarre un texte avec une seule petite idée en tête, en pensant me lancer dans un article court… mais chemin faisant, l’idée de départ a fait des petits sans même que je ne m’en rende compte.
Psychanalyse, cinéma de genre…et Ciné Clob
Comment te viens l’idée d’un article? Comment effectues tu tes recherches? Combien de temps te prend l’écriture d’un article?
Question difficile, c’est très variable pour moi.
Souvent, l’idée me vient d’un film ou d’une scène qui m’ont marquée, parfois d’une lecture ou de ma pratique de psychologue.
D’autres fois, ce sont des expériences de la vie plus ou moins personnelles. Par exemple, mon expérience du télétravail lors du premier confinement, m’a inspiré l’article sur le téléphone dans le cinéma d’horreur.
Pour l’article sur les portes, l’idée m’est venue autant du confinement à rallonge, que d’une expérience personnelle assez flippante : je m’étais retrouvée enfermée plusieurs heures dans des toilettes de 1m², la poignée de la porte s’était cassée, totalement bloquée, seule, sans téléphone ni fenêtre…
Une fois que j’ai mon idée, j’essaye bien sûr de regarder des films sur le sujet, et de fouiller dans mes bouquins ce que la psychanalyse aurait à en dire. Je lis aussi des essais sur le cinéma.
Et souvent, je ne reste pas totalement seule, j’en parle à quelques potes cinéphiles-nerds, et à des collègues psy pour alimenter la réflexion et explorer des pistes auxquelles je n’aurais pas pensé par moi-même.
Clairement, la gestation est assez longue, entre quelques semaines et plusieurs mois (principalement en fonction du temps libre qui me reste après mon boulot de psy).
Qu’est ce qui t’attire dans le cinéma d’horreur? Pourquoi penses tu que son lien est pertinent avec la psychanalyse?
Ce qui m’attire, c’est simple : j’adore avoir peur devant un film. J’aime bien ce mélange d’excitation et d’angoisse, tout en sachant que c’est pour de faux.
Mais je ne suis pas non plus une super connaisseuse du genre, j’ai même pas mal de lacunes… C’est surtout que j’ai pensé qu’il serait plus « facile » d’écrire sur psychanalyse et cinéma d’horreur, bien plus que sur le cinéma en général. Car justement cet élément d’angoisse constitue une porte d’entrée directe. De quoi a-t-on peur, et pourquoi ? Voilà des questions, mises en forme par le cinéma d’horreur, et auxquelles la psychanalyse a essayé d’apporter des réponses.
En outre, la découverte de la psychanalyse est contemporaine de l’essor du mouvement expressionniste, qui a donné lieu à de nombreuses œuvres « horrifiques ». Ces deux mouvements se sont nourris mutuellement.
La naissance de la psychanalyse est aussi contemporaine de l’invention du cinéma tout court. Les liens sont à mon avis nombreux entre ces différents mouvements.
De façon plus subjective, je crois que ce qui m’a fait penser à cette rencontre entre psychanalyse et cinéma d’horreur, c’est que la psychanalyse est la discipline qui écoute l’horreur intime, ces choses quasi-indicibles logées en chacun d’entre nous.
Dès le départ, la psychanalyse a mis les mains dans le cambouis psychique, la parole des patients l’amenant à traiter des sujets lourds : le trauma, l’inceste etc. Il ne faut pas oublier non plus que la naissance de la psychanalyse est aussi contemporaine de 2 guerres mondiales, et s’est occupée des traumatisés de guerre.
La psychanalyse déterre ce qui est enfoui – non pas par curiosité ou par intérêt intellectuel, mais précisément parce que cette part de nous-mêmes insupportable à nos propres yeux, ne disparaît jamais vraiment, et rend malade, provoque des symptômes.
De ce travail de mise en lumière d’une certaine horreur subjective, la psychanalyse fait découler une thérapeutique. En tant que psychologue, je suis dépositaire de la parole de mes patients. Ce qui m’est dit reste dans l’intime du cabinet, et j’opère un pas de côté en focalisant mon écriture sur la fiction horrifique.
Dans ton article » le petit jeu érotico macabre du slasher » tu déjoues l’idée reçue que les slashers ont une moralité puritaine. Peux tu expliquer cela?
Je dirais que les slashers véhiculent autant une moralité puritaine que leur exact opposé.
D’un côté, de façon basique : le meurtre d’un personnage après l’acte sexuel tombe, bien sûr, comme un couperet moralisateur.
D’un autre côté, plus subtil : ce procédé implique de filmer et de nous montrer cet acte.
Tout dans les slashers procède de cette ambiguïté. C’est la même chose pour l’image de la femme dans ces films. D’une part, premier niveau de lecture : des proies hyper-sexualisées dont les meurtres sont filmés du point du vue du tueur masculin (comme dans la pornographie).
Mais d’autre part, si on va un peu plus loin : les femmes sont omniprésentes à l’écran, précisément présentées comme affranchies dans leur sexualité, et à la fin c’est souvent une femme forte qui gagne (la final girl). Ce double-tranchant (si j’ose dire) me plaît bien…
Dans ton article sur St Maud tu utilises le terme « moraline ». Qu’est ce que ça signifie pour toi?
Voilà ce que j’appelle une lecture attentive !
Il s’agit d’un terme inventé par Nietzsche (au passage, un précurseur de Freud) pour désigner avec dérision, la morale chrétienne dominante, bien-pensante.
Cette petite allusion me semblait avoir sa place dans cet article, compte tenu du thème abordé par le film (la foi, chrétienne en l’occurence, la révélation mystique etc). C’est une qualité du film de ne pas tomber dans la moraline et le manichéisme.
Je trouve que St Maud évite pas mal d’écueils du genre, en particulier celui de nous bombarder de références lourdingues au Bien et au Mal, comme c’est malheureusement souvent le cas dans de nombreux films d’horreur ayant trait à la sphère religieuse (cf. beaucoup de films d’exorcisme par exemple).
Dirais tu que Ciné Clob s’adresse à des personnes qui ont déjà des notions en philo ou psychanalyse, ou à tout le monde?
Je crois que pour certains articles, en particulier les premiers articles que j’ai écrit, il faut peut-être une petite base en psychanalyse. Au fur et à mesure, je me suis efforcée d’expliciter davantage pour que ce soit à peu près lisible par tout le monde. Je les fais parfois relire par des amis non-psy et non-cinéphile pour validation. Mais je ne suis sans doute pas la mieux placée pour dire si le pari est réussi ou pas…
En ce qui concerne la philo, j’en utilise assez peu car ce n’est pas mon domaine. Philosophie et psychanalyse sont deux champs très différents. La philosophie procède d’un questionnement théorique, c’est une discipline purement intellectuelle. Alors que la psychanalyse repose avant tout sur une pratique clinique, les considérations théoriques y sont toujours rattachées d’une façon ou d’une autre.
Goûts et inspirations de Ciné Clob
Quel est ton slasher préféré/que tu détestes et pourquoi?
Question hyper difficile… Je pense avoir des goûts assez classiques en la matière. J’adore le premier Halloween pour sa pureté formelle, et aussi Les griffes de la nuit que j’avais eu la chance de découvrir au Grand Rex et qui m’avait pas mal terrifiée.
Impossible de dire quel slasher je déteste, il y en a tellement de mauvais ! On parle d’un sous-genre dont la recette a été recyclée ad nauseam, dont la majorité des films a été produite de façon industrielle, et qui a par conséquent donné lieu à de bons gros navets. Mais même pour ceux-là, je leur trouve un côté nanardesque qui m’empêche de les détester complètement ! Pour te répondre quand même en restant dans les classiques, je trouve la série des Vendredis 13 passablement ratée…
Quelles sources sur le cinéma aimes tu suivre?
Là, je ne vais pas être très originale… Blow-up reste le modèle parfait du truc cool et sérieux à la fois.
J’aime beaucoup aussi le podcast de Bégaudeau et de L’Homme qui n’a pas de prénom : « La Gêne occasionnée« , qui pour moi est le meilleur podcast ciné actuellement.
Je suis aussi quelques sites de critiques ciné, parfois des revues, des blogs et des chaînes YT que j’ai découvert en trainant sur Twitter, on trouve parfois des pépites de créativité. Mais en vrai, je me nourris principalement de bouquins théoriques sur le cinéma.
Penses tu que le cinéma doit refléter la réalité (d’un concept, d’une maladie, d’un genre, d’une sexualité..)?
Je pense que le cinéma, comme tout art, tombe juste lorsqu’il s’efforce de saisir quelque chose du réel et de le restituer à travers la forme qui est la sienne. Il donne à voir un bout de réel et, ce faisant, nous le rend inédit – donc en un sens, nous transforme aussi. Pour moi c’est à cela qu’on reconnait une œuvre artistique, du moins ce que j’en attends au cinéma comme ailleurs.
Est ce que tu parviens à regarder un film sans tenter de l’analyser?
Oui, évidemment, c’est le cas la plupart du temps. D’ailleurs, même lorsque j’écris sur un film, je n’ai pas l’impression de l’analyser à proprement parler, je ne cherche ni à le décortiquer, ni à le « décrypter » en lui supposant un sens caché, idée que je trouve discutable…
J’ai plus l’impression que le film met en lumière une ou plusieurs problématiques, et je m’en sers comme point de départ à une réflexion. Souvent je m’intéresse à tel ou tel film en tant qu’il réussit à condenser, par sa forme, ces réflexions. De mon côté, j’essaye de les reformuler, mais bien plus laborieusement.
Quel film t’a fait entrer dans le cinéma d’horreur?
Là sans hésitation : Ringu, d’Hideo Nakata. Un des gros, gros traumatismes de mon adolescence. J’ai du le découvrir vers 12-13 ans. Il m’a fait un tel effet que je n’en ai pas dormi de la nuit, et il m’a obsédée pendant des semaines.
Quelle est la notion en psychanalyse que l’on retrouve le plus dans le cinéma d’horreur?
Je ne sais pas si l’on retrouve des notions purement psychanalytiques telles quelles dans le cinéma d’horreur.
Mais à mon avis, parmi les concepts avec lesquels il y a des échos évidents, et des choses à dire du point de vue de la psychanalyse, on trouve : l’affect d’angoisse, le rêve/le cauchemar, le sexuel (le sous-jacent sexuel est omniprésent dans le cinéma de genre), le regard (pulsion scopique).
Ton top 3 de films d’horreur préférés? Pourquoi?
Voici mon top 3 subjectif, sans ordre de préférence, à l’instant t de ta question, mais susceptibles d’évoluer au gré de mes humeurs :
- Ringu, encore lui, parce que c’est le premier qui m’ait marquée, assez jeune, et qu’il a le don de me faire toujours autant flipper.
- Get out, parce que lors de sa sortie, cela faisait bieeeeen longtemps, des années en fait, que je n’avais pas été surprise par un film d’horreur qui réussit à être à la fois effrayant drôle et intelligent.
- Suspiria, parce que j’ai eu la chance de le découvrir au cinéma il y a quelques années, une séance en présence de Dario Argento, dont à l’époque je ne connaissais aucun film (je me suis rattrapée depuis)… Autant dire que ça m’a fait une forte impression.
Récemment tu as fustigé la série En thérapie qui est acclamée par la critique et le public. Pourquoi?
Je reconnais que j’ai eu la dent dure contre cette série. Certes, on a déjà vu bien pire en terme de représentation du psy – quoique le pire n’ait jamais été mon étalon de référence.
Celui-ci évite le jugement, tente une certaine écoute etc. Ok, c’est vrai. Après tout, ce n’est qu’un divertissement, pas désagréable à regarder d’ailleurs. Si cela avait été assumé comme tel, je n’aurais rien eu à redire. Mais là, je n’ai pas trouvé la démarche très honnête…
Ce n’est pas juste que la série manque de subtilité (encore le cliché du psy qui se tape sa patiente, really ?).
Elle se pare d’un pseudo-discours psychanalytique pour véhiculer quelque chose qui n’a rien à voir avec la psychanalyse. Ce faisant, elle crée un quiproquo, elle relève d’une incompréhension profonde du discours analytique.
Il serait compliqué de tout détailler ici, mais voici quelques éléments quand même :
- réduction à un familialisme simpliste (tout est ramené à papa-maman, gros cliché sur la psychanalyse, encore…) et annulation de tout ce qu’il y a de complexe, de subversif et de politiquement incorrect dans le discours analytique ;
- interprétations sauvages incessantes, du genre « une prise de parole du patient = une interprétation du psy », du tac au tac (contrairement à ce qu’ont mis en-avant Toledano et Nakache lors de la promotion de leur série, il n’y a quasiment aucun temps mort).
Ce dernier point traduit une volonté de rentabilité et d’efficacité immédiate, conformément à logique libérale dominante à laquelle la psychanalyse est totalement étrangère (d’où nombre d’attaques qu’elle reçoit depuis des décennies). Au contraire la psychanalyse fait la part belle au vide, aux hésitations, au silence… La temporalité psychique n’est pas celle de l’immédiateté, et c’est en laissant la parole se perdre, que l’écoute au sens fort peut surgir et produire des effets.
Il aurait été possible de faire autrement, moins bourrin.
Il suffit de regarder les œuvres de Depardon pour voir comment la relation thérapeutique peut être filmée avec délicatesse et subtilité. Le souci n’est pas qu’il s’agisse d’une fiction, mais que cette fiction ne cherche pas vraiment à saisir quelque chose de la scène analytique, alors que c’est pourtant ce qu’elle prétend.
En ce sens, et désolée si je me montre exigeante, mais je trouve qu’on a affaire à de la publicité mensongère…
As tu des projets pour Ciné Clob?
Continuer d’écrire. Le blog fête à peine sa première bougie, pour l’instant mon envie est de l’étoffer. Je vais poursuivre les articles thématiques!
Un grand merci à Sarah pour ses réponses! Et n’hésitez pas à lire attentivement son travail sur Ciné Clob.
Pour suivre Ciné Clob
Interview très intéressante, je ne connaissais pas ce blog donc merci du partage ! Hâte de lire les analyses.