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The Plot Point est une chaîne centrée sur les procédés d’écriture au cinéma, géré par Marion. Je l’ai découverte avec sa vidéo brillante sur Scream, alors j’ai eu envie de lui poser des questions sur le sujet de la narration.
On a parlé de midpoint, de personnages bien écrits et de Spider Man!

Ecriture au cinéma

L’essence de The Plot Point

Peux tu présenter The Plot Point et sa ligne édito?

The Plot Point est une petite chaîne YouTube regroupant divers concepts, tous orientés
autour de la narration et du storytelling : l’écriture de fiction.
L’émission principale « Plot Point » se concentre sur l’analyse filmique d’œuvres cultes, mais du
point de vue du scénario – parce que si ces films marquent les gens, c’est bien qu’ils ont
quelque chose de particulier !
Les autres concepts naviguent entre techniques d’écriture et principes de la narration, de
quoi se lancer quand on est un(e) jeune auteur/autrice !

La structure narrative dépend de la culture du pays

Peux tu expliquer l’origine de The Plot Point ?

Écrire c’est une discipline, comme la pratique d’un sport ou d’un instrument ; il faut
s’entraîner mais aussi étudier pour approcher la maîtrise. J’en suis convaincue. C’est pour ça
que j’analyse des films et des livres dans ma chambre depuis un long moment maintenant…
Parce que oui, la narration, c’est tout un monde et un pan trop mis de côté dans l’analyse
filmique.

Chaque choix d’écriture a un sens et construire une histoire, c’est un Art.
Je voulais trouver un moyen de partager tout ça. Mais comme beaucoup de chaînes
anglophones traitaient déjà très bien du sujet, ça m’a pris du temps à trouver ma propre
formule : j’avais très peur d’être redondante !
Finalement, je me suis jetée à l’eau en pondant une première vidéo. Elle était horrible ! Mais
elle m’a beaucoup aidée à définir ce que je voulais faire. Je l’ai donc entièrement réécrite puis
retournée et c’est là que le concept de The Plot Point a commencé à s’esquisser.

Combien de temps te prend une vidéo? (recherches, écriture, tournage, montage..)?

Un épisode de The Plot Point me prend environ 3 semaines. Une fois que j’ai choisi un sujet et un
film, j’évite de faire trop de recherches, j’ai peur de répéter le travail des autres. Je fais juste un
tour des vidéos préexistantes en croisant les doigts, pour m’assurer que mon idée n’a pas
déjà été traitée.

L’écriture est l’étape la plus complexe : je me rends compte à quel point c’est difficile
d’expliquer quelque chose simplemen
t. Donc ma méthode, pour ne pas prendre de retard,
c’est d’écrire un premier brouillon que j’enregistre et sur lequel, je commence le montage,
dès la première semaine. Ça me permet de prendre un peu de recul sur le texte et de le
réécrire plus facilement.
Je ne tourne pas chez moi, donc le tournage dépend de pas mal de facteurs. Puis vient le
montage, qui me prend une éternité… Adobe et moi, ce n’est pas le grand amour.

La narration au cinéma par The Plot Point

Peux-tu décrire la structure narrative d’un film que l’on retrouve généralement ?
Et les enjeux différents que l’on retrouve dans cette structure ?

Vaste sujet ! Eh bien la réponse dépend d’où l’on se trouve sur la planète ! Un film « slice of
life
 » japonais ne sera jamais structuré comme un polar nordique, et ces deux-là n’auront sans
doute pas les mêmes enjeux qu’un blockbuster bollywoodien : c’est une question de genre
de l’œuvre (évidemment), mais surtout de culture. On ne raconte pas les histoires de la
même manière partout dans le monde.

Bien sûr on suit toujours une forme « début – milieu – fin », mais la manière dont les intrigues
vont s’articuler, le rythme de la narration et la notion d’évolution du protagoniste ; tout ça est
perçu différemment selon la culture.
Aujourd’hui, le modèle « classique » anglo-saxon (comme le paradigme de Syd Fields) est sans
doute le plus répandu (en tous cas, le plus exporté); est en 3 actes:

  • un mid-climax qui rebat les cartes,
  • un climax qui marque l’évolution du personnage,
  • une fin qui clôt toutes les intrigues

Simple, efficace.
Depuis peu aussi, Hollywood est submergé par le « Beat Cheat » de Blake Snyder, une
structure très fonctionnelle et sans prise de risques (le rêve de tout producteur) sur laquelle
reposent les films Marvel et une flambée de Blockbusters.

As tu des exemples de films qui respectent cette structure narrative en étant très
bons, et d’autres qui ne la respecte pas en étant très bons aussi?

Peu de films respectent la structure à la lettre. Heureusement d’ailleurs ! Parce que c’est
dans ces petites failles que se développe généralement le potentiel d’une histoire.

Comme pour tout, quand les principes d’écriture sont maîtrisés, un auteur peut se permettre
de jouer avec, c’est comme ça qu’on se retrouve avec des À Couteaux Tirés (R. Johnson)
ou Frantz (F. Ozon) qui savent « faire du neuf avec du vieux » sans transgresser la structure.

À l’inverse, on trouve des films tellement fidèles au schéma qu’ils en deviennent mécaniques ou
pire : scolaires ! (N’importe quel blockbuster hollywoodien devant lequel vous vous êtes
ennuyé fera un bon exemple).

On reconnaît un personnage bien écrit en le comparant à son opposé : celui dont on ne comprend pas la logique

Comment se gère une bonne tension?

Très bonne question ! Évidemment, il y a des techniques enseignées dans les livres, comme
celle de l’enchaînement des valeurs. Pour faire simple, on fait se succéder des éléments
positifs et négatifs
.

Par exemple : une jolie jeune femme seule chez elle en pleine nuit (positif) entend un bruit de
fenêtre que l’on brise (négatif) elle se décide à aller voir (tension). Ouf, ce n’était que le chat
qui avait fait tomber un verre (positif). Elle retourne dans son salon et voit que la porte est
grande ouverte : quelqu’un est entré ! (Négatif). Elle se jette sur son téléphone et appelle la
police (positif) mais la ligne coupe avant qu’elle n’ait pu donner son adresse (négatif) etc.

On peut aussi noter la célèbre définition d’Alfred Hitchcock : la « ticking bomb » qu’on peut
résumer en disant qu’une bonne tension se crée quand l’auteur pose une question, puis joue
avec ce que sait et ignore
le lecteur/spectateur.

Dans ta vidéo sur Scream, tu expliques que la 1ère et la dernière scène ont une structure à
l’exact opposé. Difficile de s’en rendre compte comme ça, comment remarques tu ce
genre de détails? Et quels effets inconscients cela a sur le public qui ne s’en rend
pas compte?

Ça me prend du temps à trouver ce genre de détails. C’est à force d’avoir le nez dans le
scénario
, pendant la rédaction des vidéos que ça finit par venir.
Au bout d’un moment, je me questionne sur les différents éléments, parce qu’une intrigue est construite logiquement, et les choix d’un auteur ne sont jamais dû au hasard (enfin, dans une bonne histoire).
Dans le cas de Scream, on avait 3 séquences qui ponctuaient le film. Et 3, c’est un chiffre
qui revient très souvent dans la narration. Il existe un principe que l’un de mes professeurs
appelait le A A A. Pour résumer, quand un évènement se répète, il est judicieux de le
structurer comme ça :

  • Première itération : on expose la situation,
  • Seconde itération : on répète pour créer un motif pour le spectateur,
  • Troisième itération : on répète le motif, mais avec une différence, pour créer la surprise.

En ayant ça en tête, je me suis dit que Kevin Williamson – le scénariste de Scream – n’avait
certainement pas construit ces 3 scènes au hasard…
Maintenant, pour savoir si cela affecte inconsciemment le spectateur, je ne suis sûre de rien,
mais je pense que oui, ce genre de choses est efficace pour créer la surprise, aider à suivre
clairement l’intrigue etc.

Peux tu définir ce qu’est le midpoint exactement?

Un scénario fonctionne grâce à des articulations. Le Midpoint (ou Mid-climax), est l’articulation
du milieu de l’histoire. Aujourd’hui, il peut avoir beaucoup beaucoup de fonctions : relancer
l’intrigue, amener une fausse victoire ou une fausse défaite etc.

Par exemple, dans Titanic : Après une première partie de l’histoire durant laquelle Rose , la
protagoniste, évolue, elle réalise qu’elle doit se battre pour être heureuse et décide de fuir
avec Jack, son amoureux. C’est une (fausse) victoire… Mais un iceberg s’en mêle : midpoint,
on relance l’intrigue pour la seconde partie du film.

Qu’est ce qui définit un bon élément perturbateur?

Un principe Hollywoodien veut que l’élément perturbateur arrive à la 10e minute d’un film.
Après avoir exposé le quotidien, les désirs et besoins du protagoniste, le monde de celui-ci
bascule quand un élément perturbateur vient l’appeler à l’aventure. Mais ça n’est pas ce qui
définit un bon élément perturbateur (et tant de bonnes histoires ne respectent pas ce
principe).
Si une histoire ne capte pas l’attention dès le début, elle risque de ne pas avoir de succès.
Alors évidemment, un élément perturbateur se doit d’être efficace. Et selon moi, ce qui
marche le mieux, c’est lorsqu’il pose une question compliquée, voire insoluble.
Eh oui, une histoire, c’est une suite de questions (le héros va t-il y arriver ?) et de réponses
(oui ou non). Alors commencer par une question qui pique la curiosité, c’est ce qui « met la
machine en route ».

Le vécu de l’auteur et ce qu’il ou elle a intériorisé influencera la manière
dont il percevra et représentera ses personnages

Comment peut-on reconnaitre un personnage bien écrit?

Dans les années 2000, le boom des séries « modernes » américaines (je pense à Lost,
Desperate Housewives, puis Breaking Bad) a mis la barre plus haut : désormais, on
présente des personnages plus complexes sur le plan psychologique (là où avant, l’intrigue
primait
sur le développement de personnage à la TV).

Même si le roman creusait déjà la psychologie depuis un moment, c’est cette révolution
télévisuelle
qui a entraîné de gros changements dans la manière de concevoir des histoires.
mais ce n’est pas ce qui rend les personnages « mieux écrits ».

Selon moi, on reconnaît le personnage bien écrit en le comparant à son opposé : le
personnage mal écrit, autrement dit, celui dont on ne comprend pas la logique, ou bien dont
les motivations n’ont rien de naturelles : il agit pour faire avancer l’intrigue et rien d’autre.

Cohérence et incohérences

Quelle est la saga la plus cohérente?

Difficile à dire. Je pourrais citer les grands classiques, qui sont calibrés pour être efficaces et
logiques, mais la majorité reposent sur « Le Mythe du Héros »… Donc c’est de la triche.
Je dirais Toy Story qui, à partir du 2, trouve une thématique de fond (quelque chose comme
« accepter le changement ») et réussit, plutôt habilement, à la développer sur les films
suivants… Jusqu’au 4 !

En parlant de cohérence, est ce que ça ne serait pas un peu subjectif le fait de
juger qu’une situation ou un personnage bascule dans l’incohérence?

Subjectif ? Pas vraiment.
Quand on construit un personnage, le plus commun est de lui faire une fiche avec ses
caractéristiques
. Physiques, psychologiques… L’important c’est de pouvoir se faire une idée
de qui il est, ce qu’il a vécu et comment il réagirait dans telle ou telle situation…
Tout ça, c’est son essence. Et ce qui va permettre au lecteur/spectateur de le comprendre.
Alors, si à un moment donné de l’histoire, il se met à agir de manière illogique, sans que ça
ne soit justifié par l’intrigue : il trahit son essence. C’est un défaut d’écriture.

Un exemple parlant : Peter Parker dans Spider-Man 3, de S. Raimi. Nous avons un premier
film qui établit un protagoniste bon, mais imparfait. Puis un second le poussant dans ses
retranchements, mais qui en ressort grandi pour devenir un vrai héros…
Et un troisième film, prenant au départ, le parti très intéressant d’en faire un type imbu de lui-même. Jusqu’ici, ça
reste cohérent. Mais ! Lorsqu’il prend des risques inconsidérés ou des décisions stupides : là,
on va à l’encontre de son essence. C’est un souci technique et le genre d’incohérences qui
peuvent gêner un spectateur.

Toujours en parlant d’incohérences, quel est le personnage incohérent selon toi qui t’a marquée?

Nick Dunne dans Gone Girl, qui passe tout le film à tenter de se défaire du piège d’Amy, sa
femme, mais qui à la toute fin, décide finalement de rester avec elle. C’est incohérent, mais
pas tant que ça si on y pense : en fait, ça apporte toute la subtilité et le sens de l’œuvre.
J’aurais aussi pu citer Woody dans Toy Story 4 qui cherche à rejoindre ses amis pendant tout
le film, mais qui finalement décide de devenir un jouet perdu. Oui, c’est logique vis-à-vis de
son évolution dans cet opus, mais tellement incohérent et en contradiction avec les
messages des 3 films précédent… Erf.

Les goûts et les couleurs d’écriture de The Plot Point

Quel est ton (tes) genre(s) de film préféré d’un point de vue narratif ? Pourquoi ?

Je n’ai pas de genre préféré, à proprement parler, même si j’ai un faible pour le thriller et le
fantastique. L’un reposant beaucoup sur « comment entortiller la structure de l’intrigue » et
l’autre naviguant sur mon élément préféré : le mystère.

J’ai été biberonnée à Lost, ce qui a énormément influencé mes goûts, puis plus tard, mon
approche de l’écriture. Mystères, personnages travaillés, aventure, huis clos… C’est mon truc!
Mais de manière plus générale, un film qui sait jouer avec son concept ça, ça me parle !
Malgré tout mon film préféré, c’est Titanic. Le scénario est vraiment loin d’être parfait, mais il
est la meilleure représentation (pour moi) de l’équilibre entre divertissement et film
« d’auteur » (bon mais en vrai, c’est surtout parce que j’aime les paquebots !).

Quels genres d’histoires/personnages voudrais tu plus voir à l’écran?

La réponse un peu évidente serait de dire que j’espère vraiment voir plus de films qui
prennent des risques en termes d’histoires. C’est le cas, mais je vais pousser plus loin :
La chaîne « The Take » remet en question très intelligemment les différents « tropes » du cinéma.
Des éléments que l’on a tous intégrés inconsciemment. Pourtant, si on y réfléchit un peu, on
se rend vite compte que certains comportent des messages négatifs.

Quel est le dernier film qui t’a surprise (en bien ou mal)?

Mes aprioris en ont pris un coup devant PK – de R. Hirani. J’aime beaucoup Bollywood, mais
j’ai un peu de mal devant les « comédies grand public » (quelle que soit sa nationalité). Je
m’attendais bêtement à un film pas très fin, même un peu gras.
Eh non. Ce film aborde très simplement des thématiques complexes, pose des questions
profondes sur la foi, la religion, la dévotion… Avec un scénario bien ficelé. Le reste suit : on a
là un divertissement « mainstream » intelligent et respectueux de son public. Quel plaisir !

Une structure narrative est liée à son auteur-e. C’est un métier moins valorisé,
moins connu en France alors que c’est le squelette d’un film. Comment expliques tu
cela? Le public a t il un rôle à jouer?

Ah, épineux problème ! Depuis la Nouvelle Vague, le cinéma français fantasme la figure de
l’auteur-réalisateur, artiste sur tous les fronts portant seul, à bout de bras son œuvre. C’est
l’une des raisons qui font que le simple scénariste a perdu son importance aux yeux de
l’industrie. C’est devenu un métier de l’ombre (et mal payé !).

Je grossis les traits, la question est plus complexe que ça, mais ce qu’il faut en retenir, c’est
qu’aujourd’hui, la qualité d’une histoire est devenue accessoire, pour nombre de producteurs
français
. Et c’est vraiment, vraiment dommage.
C’est sûr que, face à des productions étrangères plus fun et plus divertissantes, notre cinéma
français a du mal à faire le poids en salle. Mais qu’est-ce qui fait que ces œuvres semblent
plus universelles et accessibles ? Des scénarios de meilleure qualité.
Pour être honnête, cette situation est plutôt déprimante, mais pas insoluble. Les succès
massifs de films simples mais au scénario maîtrisé (Parasite et autres Get Out) le
prouvent. Quand au sort des scénaristes, des mouvements comme « Paroles de Scénaristes« 
tendent à prouver qu’il est possible de redorer le blason de ce métier injustement méprisé.

Enfin, les temps changent et les jeunes producteurs qui ont grandi avec des films et séries
internationales ou de genre, comprennent l’importance d’une bonne histoire.
Quant au rôle du public, c’est en partie lui qui a les cartes en main. Il fait le succès d’un film.
Et un film à succès encourage les producteurs. On sait faire de bonnes histoires en France. Il
faut juste nous en donner la possibilité.

Penses tu que le genre du scénariste a une influence sur la manière dont sont
représentés les personnages?

De manière générale, le vécu de l’auteur et ce qu’il ou elle a intériorisé influencera la manière
dont il percevra et représentera ses personnages
. C’est pour ça qu’il est primordial de
s’entourer de gens de confiance, pour lire et donner un autre point de vue sur son travail.

Quelles sources sur le cinéma suis tu?

Pour ce qui est du cinéma en général, à peu près toutes les créatrices qui ont déjà été
interviewées sur ce blog. Demoiselles d’Horreur, Cinémaniaque… Mais je pourrais citer aussi
Azz l’Epouvantail, Le Cinématographeur, Cinéskope, Kino
Pour les chaînes de scénario, c’est un peu plus anglophone, Just Write, Thomas Flight.
Sinon, le blog de Narration et Caféine et bien sûr, comment ne pas citer la chaîne mettant le
mieux en valeur le storytelling : Lessons From The Screenplay…et Bon Chic Bon Genre, bien sûr ! 😀

Quels sont tes projets pour The Plot Point?

Avec plus de moyens, j’aimerais tenter des concepts plus ambitieux. Idéalement, en invitant des amis et collègues scénaristes et auteurs pour parler du métier, de l’écriture, mais aussi, pourquoi pas, raconter leurs propres histoires, dans une ambiance « au coin du feu ». Une partie « fiction » sur la chaîne, ça serait vraiment chouette.

Pour découvrir The Plot Point: