Le labo de la sorcière est une chaîne YouTube qui aborde l’analyse de contenu culturel, à travers des mises en scènes d’ambiances et de personnages farfelus.
Daiben est l’autrice de cette chaîne et elle a répondu à mes questions un peu moins farfelues, qui vous feront découvrir l’ambiance de sa chaîne.
Qui est le labo de la sorcière?
Peux tu présenter ta chaine? Quelle a été sa genèse?
Dans ma description je parle de ma chaîne comme un “laboratoire de curiosité cinéphile« . Mais c’est relativement vague comme description, alors, pour être plus précise je dirais que j’essaie de faire de la vulgarisation et de l’analyse de contenu culturel.
Cela dit c’est quelque chose qui a évolué. Lorsque j’ai créé ma chaîne je la voyais beaucoup plus comme un exercice expérimental, à la fois pour m’exercer en montage et en écriture et pour tester mes capacités à créer des ambiances. L’idée n’était vraiment pas d’en faire du contenu pour une audience, d’où les gros écarts de sortie d’une vidéo à l’autre.
J’étais très inspirée par le contenu d’ Alt 236 à l’époque. C’est resté, je continue de penser que c’est un des meilleurs créateurs de contenus culturels qu’on ait dans le youtube francophone.
Tu aimes incarner des personnages différents au sein même d’une vidéo. Comment l’idée de ta mise en scène est venue? Comment choisis-tu tes personnages?
Personnage ne serait pas forcément le mot, vu que dans la propre diégèse de mes vidéos, j’admets interpréter le personnage que je prétends être. Je dirais plutôt que j’aime jouer avec les costumes et les ambiances. L’idée de ma mise en scène s’est faite graduellement, j’étais d’abord, vaguement inspirée par le travail des vidéastes Nataly Wynn ou Abigail Thorn, et plus globalement par l’esthétique camp.
C’est devenue un peu plus spécifique avec ma vidéo “une brève histoire du cinéma LGBT” où j’ai essayé d’incarner une dynamique butch/fem pour aller avec le sujet de la vidéo. J’ai retenté la même chose dans ma vidéo “Chaplin le mouton noir” en ajoutant une vague aura chaplinesque à la partie butch.
Aujourd’hui je me rends compte que cette dynamique ne fonctionnait pas, les prétendues “butch” que j’essayais d’incarner étaient trop glam et donc pas du tout des butchs.
J’ai décidé de ne plus me limiter avec ma vidéo “animation et érotisme »
Maintenant je dirais que je porte des costumes, et que j’installe des cadres plus ou moins liés au sujet de la vidéo. A la fois pour créer une dynamique, mais aussi pour construire une identité visuelle qui m’est propre.
Globalement j’essaie toujours d’incarner une espèce de parodie de femme fatale/femme fatale ratée : je supplie littéralement mon audience (même si ça serait prétentieux d’entendre que j’en ai vraiment une) de complimenter mon physique, je suis complètement alcoolique, j’ai la subtilité d’un tractopelle…bref.
Après je ne me limite pas particulièrement et je pense que ma mise en scène est amenée à évoluer.
Combien de temps prend la création d’une vidéo? Quelles sont les différentes étapes?
C’est difficile à dire, ça dépend beaucoup du sujet abordé.
Ma dernière vidéo “la légende de korra est une déception » s’est faite plutôt rapidement parce que j’avais déjà tous les éléments que je voulais pour le sujet dont je voulais parler.
La vidéo précédant “animation et érotisme” m’a demandée beaucoup plus de recherches et de remaniement de script. Ma prochaine vidéo en vu du sujet abordé, et des idées de mise en scène, sera sans doute celle qui me demandera le plus de travail.
Généralement pour faire une vidéo je sélectionne une liste de sujets qui m’intéresse, et je prends celui qui m’inspire le plus. De là, je fournis d’abord un gros travail de recherche et de documentation, ça implique souvent de lire beaucoup et de regarder pas mal de films. Ensuite, je compose un plan que je revois plusieurs fois au cours de mon écriture.
Je réfléchis aux costumes et au décor en cours d’écriture, quand j’ai fini, je sais généralement quelle sera ma mise en scène.
Je tourne toujours tout d’une traite pour gagner du temps. Depuis mes deux dernières vidéos, c’est toujours de (très) longues journées où je passe plus de temps à installer un nouveau cadre, qu’à tourner.
Une fois que tout ça est fait, je m’attelle au montage. Comme c’est un travail très fragmenté fait entre mon master et mon travail, je ne serais pas capable de dire vraiment combien de temps me prend une vidéo. A vue d’oeil je dirais entre deux et trois semaines.
La partie que tu préfères travailler dans tes vidéos?
En soi chaque partie de la composition d’une vidéo est intéressante. La recherche c’est souvent passionnante, la mise en scène aussi, il y a quelque chose de très satisfaisant dans le fait de voir un sujet qui nous a demandé du travail, prendre vie sur le banc de montage…etc.
Bon comme que je m’éparpille beaucoup quand je fais du travail de recherche, après des heures de montages, je n’en peux plus de voir ma tête. Changer de costume à la chaîne c’est très mécanique.
Je dirais que les moments que je préfère c’est lorsque, lors mon écriture, les choses commencent à faire sens et à être fluide. J’aime aussi beaucoup le test des idées de mise en scène.
Les thématiques dans le labo de la sorcière
Tu évoques des thématiques politiques autour du cinéma (LGBTQI, femme fatale..) et pas de films. Pourquoi?
C’est vrai ! J’ai évoqué des thématiques politiques autour d’une série cela dit 😉
Plus sérieusement je dirais que c’est le cas parce que l’impact politique d’un seul film est assez minime en soi. Lorsque que je parle de politique j’essaie de prendre en compte le contexte dans lequel des œuvres peuvent être réalisées, leur rapport avec les courants sociopolitiques de l’époque, leur impact sur le monde de la culture…etc.
Pour moi, si on veut parler de politique dans un film (en dehors de la critique cinématographique), il doit avant tout être utilisé comme cas d’étude.
Prenons l’exemple du prétendu “féminisme” dans les blockbusters hollywoodien : si je veux démontrer que ces films cherchent avant tout à capitaliser sur l’intérêt de plus en plus global pour le féminisme, mais qu’à côté ils ne font pas l’effort d’écrire des personnages dignes d’intérêt ou de questionner le male gaze, ce n’est pas quelque chose que je peux faire avec un seul film. Il me faut une filmographie complète et des sources pour appuyer mon propos
Comment te vient l’idée de traiter un thème?
C’est souvent un mélange de hasard et d’inspiration à partir d’autres sujets de films qui m’ont intéressée. J’ai toujours une dizaine d’idées de vidéo en tête. Généralement je commence par réfléchir à un sujet et voir ce qui peut être dit dessus, la manière de le développer et les possibilités de mises en scène.
J’ai pas mal de plans d’essais qui trainent ça et là que je met de côté faute d’inspiration.
Le problème avec cette méthode, c’est qu’elle est très chronophage et que des fois que je passe plusieurs jours à composer des plans que je n’utiliserais pas. Le mois dernier par exemple, j’ai passé beaucoup de temps sur un plan que j’avais appelé “les frères Coen et le relativisme moral” avant de le mettre de côté parce que le sujet de la vidéo sur laquelle je travaille en ce moment m’inspirait plus. Il est possible que j’en fasse quelque chose un jour, mais ça n’est pas d’actualité.
Comment effectues tu tes recherches? Quelles sont tes sources de manière générale?
J’ai une méthodologie qui est très proche de celle que j’applique pour mes études : je réfléchis au sujet, je compose une liste de films à voir pour celui-ci, je m’aide de critiques/analyses pour chacun d’eux.
Ensuite, je puise dans pas mal de travaux de recherche, j’ai tendance à emprunter beaucoup de livres à la bibliothèque François Truffaut dans cette optique.
Ces sources varient mais sont souvent des documents universitaires et académiques en général. Je vais beaucoup sur des sites comme EU.Universalis, Cairn Info, Open Edition Journal…etc.
J’essaie aussi quand c’est possible de calquer mes (maigres) connaissances en philosophie et en science sociale sur les thèmes que j’aborde. Depuis plusieurs vidéos, je cite mes sources religieusement. Je pense que lorsque que l’on fait un travail de recherche, encore plus lorsque on parle de politique, il est indispensable d’avoir des sources viables pour appuyer ce que l’on affirme.
La thématique érotique revient régulièrement. Pourquoi? Qu’est ce qui t’intéresse dans l’érotisme au cinéma?
Tout d’abord je suis fascinée par l’aspect sensoriel de l’érotisme au cinéma. Filmer du sexe n’est pas très compliqué en soit, attiser le désir du spectateur l’est beaucoup plus.
Dans mon cas, c’est rare qu’un film suscite chez moi un intérêt sensuel, même les plus explicites (oui c’est à toi que je pense La vie d’Adèle). J’ai l’impression que pour transmettre du désir, il ne faut pas que le montrer il faut être capable de le suggérer en faisant appel à tous nos sens, et c’est un exercice compliqué. Le pouvoir de la suggestion est en ça, assez extraordinaire.
Je donne un exemple : récemment dans une interview, le scénariste Bryan Fuller (le créateur de la série Hannibal) a avoué avoir pensé la relation entre Will et Hannibal depuis le début, et précise qu’il l’a fait en nourrissant son attrait pour la subtilité.
J’ai revu la série par curiosité et j’ai été impressionnée par la tension sexuelle et romantique entre les personnages, la façon dont la caméra les filme, le jeu d’ acteur, leur regard…tout crée un équilibre qui je trouve, est plus maîtrisé que dans la plupart des oeuvres plus explicite dans leur contenu.
Je n’essaie pas par là de dire que ce qui est explicite est exempt d’érotisme. La pornographie peut aussi être artistique et ce n’est pas la première fois que je tombe sur des essais expérimentaux qui sont très frontaux dans ce qu’ils montrent.
Je pense notament à We are the Flesh de Emiliano Rocher Montana qui m’avait complètement secouée la première fois que je l’ai vu.
Je m’intéresse aussi à la dimension historique de cette thématique : Qu’est-ce qui était considéré comme érotique il y a 60 ans ? Pourquoi ? Comment est-ce perçu aujourd’hui ? On a tendance à voir l’histoire de manière linéaire et donc, à penser que les choses ne sont devenues que “plus explicites” avec le temps, mais en se penchant sur la question, on s’aperçoit que ça n’est absolument pas le cas.
Au delà de ça, mon intérêt pour l’érotisme pourrait être comparable à mon intérêt pour tout ce qui touche à la matière corporelle dans le cinéma. Il y a quelque chose de particulier dans le fait de voir un corps à l’écran et la multitude de façons dont il a été représenté : Le corps comme outil d’attraction, le corps comme démonstration de pureté, le corps comme expression de l’homme..etc.
Quelle est la première chose à laquelle tu prêtes attention quand tu regardes un film?
Je dirais que je cherche toujours à trouver un sens aux images, et plus globalement à la cohérence du scénario graphique.
Comment les personnages sont établis ? Qu’est-ce qui les définit ? Sont ils cohérents avec eux même ? Leur développement de personnage fait-il sens ? Quel est le message de fond que je suis en train de regarder ? Comment la mise en scène fait valoir ce choix et est-ce pertinent…etc.
La vision politique du labo de la sorcière
On dit souvent qu’un personnage non hétéro ne doit pas être résumé à sa sexualité. Qu’est ce qu’une bonne représentation d’un personnage queer selon toi? Quelle représentation aimerais-tu voir plus souvent?
Absolument ! Après je ne serais pas nécessairement capable de dire quelle est LA bonne méthode pour nous représenter compte tenu de la multitude de problématiques que le fait d’être LGBT implique :
Ne pas résumer un personnage non hétéro à sa sexualité c’est parfois plus délicat qu’il n’y parait. Lorsque l’on est LGBT on est inévitablement marginalisé et même avec mes amis hétéro les plus bienveillants, il y a toujours un moment où la question vient sur la table.
En soit poser des questions comme “comment tu l’as su ?”, “est-ce que tu as eu des doutes ?” , “tu ne vis pas trop d’homophobie au quotidien” …etc, ne sont absolument pas méchantes et c’est naturel de vouloir en savoir plus sur ses amis, mais ça nous ramène inlassablement à ce que nous avons de marginal, et à notre position.
Même dans les oeuvres qui traitent l’homosexualité comme un non sujet (je pense par exemple à des séries comme Le prince dragon) nous savons, nous, public que ça en est un.
Il nous est tout simplement impossible d’échapper à la réalité sociale dans laquelle on vit.
Inversement, j’ai tendance à trouver que les films qui parlent d’homophobie (même si beaucoup sont très bons) , le font de manière tellement appuyée et poussive qu’ils minimisent les agressions, souvent moins spectaculaires que ce que nous pouvons vivre au quotidien.
En tant que lesbienne qui évolue majoritairement dans le milieu universitaire parisien, (soit un cercle relativement privilégié en comparaison de la cité ou j’ai grandi), je ne crains pas de me faire tabasser en rentrant chez moi, ou d’être publiquement humiliée et rejetée par des collègues.
L’homophobie que je vis est beaucoup plus pernicieuse : c’est la solitude, l’impression d’être toujours isolée, c’est les questions indiscrètes…etc. Je n’ai vu que trop peu de film aborder la question sous cet angle là, et je trouve ça dommage.
J’aimerais bien voir plus de films qui, à la fois considèrent que le fait d’être LGBT est une possibilité, sans pour autant nier les micro agressions que l’on peut vivre.
Penses-tu qu’il y a une vague de politiquement correct dans la manière de produire/promouvoir les films? Que penses-tu de la notion de cancel culture?
Tout dépend de ce que nous entendons par politiquement correct et la culture cancel. Ce sont deux termes qui ont été massivement récupérés par l’extrême droite pour servir leur intérêt.
Je ne pense pas qu’il y ait une vague de politiquement correct dans la manière de produire et promouvoir des films, il suffit de voir les grosses productions : les femmes sont toujours exagérément sexualisées et relayées au second plan, tandis que l’injonction à la virilité et à la violence fait toujours hégémonie.
Ce n’est pas tant que les blockbusters sont soucieux de heurter la sensibilité d’un certain public, c’est qu’ils cherchent à rentabiliser leur travaux autant que possible.
Dans cette démarche, ils produisent un contenu policé et exportable, en évitant la controverse au maximum. Ils restent dans un statu quo permanent où la misogynie et le virilisme sont présentés sous un format que notre regard contemporain considérait « acceptable », en opposition à un film des années 60 où l’idéologie n’était pas la même.
Concernant la cancel culture je suis plus mitigée. Je sais que beaucoup l’utilisent pour parler du manque de liberté des auteurs et de comment la moindre accusation pourrait ruiner une vie.
Seulement cette notion ne s’applique pas aux artistes qu’ils citent, même accusés des pires horreurs, un homme riche et puissant reste un homme riche et puissant.
En dehors des cas extrêmes comme Harvey Weinstein, la plupart ne subissent jamais les conséquences de leurs actes. Mais on ne peut pas nier l’espèce de fièvre de la pureté dans les cercles militants et progressistes, surtout sur twitter.
J’ai vu beaucoup de personnes se faire agresser, rejeter de façon extrêmement violente pour des propos maladroits, pour ne pas avoir utilisé les bons termes ou parfois juste pour avoir été pote avec une personne que l’on aurait jugé “mauvaise”.
Ce n’est pas une attitude qui devrait exister, surtout à gauche où la volonté de solidarité et de progrès social implique par nature d’avoir plusieurs possibilités. Je pense que nous devons revoir notre stratégie et en finir avec cette mentalité simpliste du coupable. Personne ne naît avec tout le savoir féministe et antiraciste, déconstruire ces idées reçues est long et n’est jamais safe. J’aurais toujours plus de sympathie pour quelqu’un qui adopte une stratégie militante différente de la mienne, mais qui tente malgré tout de faire quelque chose que pour ceux qui s’enferment dans le fantasme de ne jamais avoir le moindre comportement problématique.
Tu as réalisé une vidéo sur la notion de femme fatale. Quelles sont les derniers exemples de représentation de ‘femme fatale’ que tu apprécies? Pourquoi? Celle que tu aimes le moins?
Je n’aime plus vraiment cette vidéo haha. Je dirais que j’ai beaucoup aimé Killing Eve et Gone Girl.
Dans les deux cas, nous avons des femmes qui jouent de leur délicatesse présumée, et dont l’œuvre met en scène la rage qu’elles ont dû perpétuellement ravaler. C’est un modèle de néo-noir qui a, je trouve très bien cerné tout ce qui faisait la femme fatale et la sève qui la compose : cette espèce de tragédie qui les pousses à porter le masque de leur attente sociale, et qu’elles apprennent à détourner. J’aime le pouvoir et la tragédie qui en découle.
J’aime (beaucoup) moins quand des films n’ont pas cerné ces éléments essentiels, et que l’argument “femme fatale” est juste un prétexte pour avoir un personnage féminin exagérément sexualisé dans toutes les situations de son existence. Je pense notamment à Black Widow du MCU.
Ses inspirations et projets
Quelles chaînes/blogs/podcasts suis-tu?
En cinéma j’ai trois références majeures : Bolchegeek, Demoiselle d’Horreur et Cinéma et Politique, j’aime ces trois chaînes d’amour et je regarde chaque vidéo religieusement. En dehors du cinéma, je regarde beaucoup de contenu anglophone avec Abigael Thorn et Natalie Wynn en tête de liste (bien que je recommande Innuendo Studio et son travail sur la place des femmes dans l’actionner à 2000%).
Je lis assez peu de blogs, j’ai tendance à préférer les travaux universitaires (je crois que tu es le seul blog que je lis régulièrement).
Les podcasts ça dépend, j’avais découvert “les couilles sur la table” un peu après le confinement et je l’ai beaucoup apprécié. Mais à part celui-ci que suis peu de podcast…à moins que les rediffusions de live twitch compte comme des podcast.
Quels sont tes projets pour ta chaîne?
Si ma vidéo sur “l’animation et l’érotisme” était un tournant esthétique je pense que « fachisme et mise en scène » (ma dernière vidéo), est un tournant idéologique. Je vais continuer à mixer des questions politiques et philosophiques à mes travaux.
Je pense que ça deviendra le cœur de mes sujets, en gros mon travail sera de l’étude de média avec des néon et de l’alcoolisme. 😉
Sur le long terme j’aimerais bien m’associer à d’autres vidéastes dont j’aime le travail. Si possible j’aimerais proposer une mise en scène plus poussée dans des décors plus ambitieux. Mais tout ça demande du temps et des sous et je n’ai pour l’instant que très peu des deux.
Pour suivre Le Labo de la sorcière: