Bollywood versus podcast

(Julie) Je m’appelle Julie, j’ai 31 ans et je suis docteure-ingénieure en chimie des matériaux. Bollywood Versus est un podcast qui cherche à populariser le cinéma indien et plus particulièrement celui en langue hindi (car Bollywood = langue hindi, Tollywood = langue telougou, Kollywood = langue tamoule, etc.).
L’objectif est de traiter un film par épisode soit en le comparant à une œuvre occidentale connue (par exemple Ocean’s Eleven), soit en le rattachant à un sujet de société (féminisme, drogue, Histoire, politique…). C’est un podcast à la fois feel-good et instructif.

(Mélanie) Je suis Mélanie, j’ai 32 ans, je suis historienne et je co-anime le podcast Bollywood Versus avec mon amie Julie. Bollywood Versus est un podcast portant sur le cinéma indien et en particulier la branche Bollywood, en langue hindi.

(Julie) Le podcast est né de deux facteurs.
Le premier, c’était que nous étions nous-mêmes férues de podcasts et qu’un soir, pour le fun, on s’était prises au jeu d’enregistrer des épisodes parlant de bollywood et de les conserver pour nos trajets en voiture ou en train.
Je vivais à plusieurs centaines de km de Mélanie et c’était drôle de nous entendre délirer sur ces films dans 3-4 épisodes personnels.

Le deuxième, c’était qu’il n’existait aucun podcast francophone parlant de cinéma indien, très peu d’anglophones et que même sur d’autres supports (vidéos youtube, articles de blog ou magazine) les ressources étaient (et restent) maigres. Nous étions très frustrées de ne pas pouvoir entendre/lire/voir d’avis poussés et fouillés sur le sujet, alors on s’est dit :”et si on remédiait au problème ?”.

(Mélanie) Nous sommes toutes les deux fans du concept du podcast. Bollywood Versus est né un peu sous la forme d’un pari entre nous deux. Nous nous sommes rendues compte qu’il n’y avait pas de ressources françaises sous forme de podcast sur Bollywood alors nous avons décidé de sauter le pas. Notre but est de partager notre passion sur ce cinéma tout en cassant les clichés dont souffre Bollywood (films de 3h, histoires d’amour gnangnan). Nous voulons montrer que ce cinéma est beaucoup plus riche et intéressant qu’il n’y paraît au premier abord.

(Julie) D’une transmission de passion !
Vers 2010, une amie férue de Bollywood a voulu nous initier à ce cinéma au travers du célèbre Devdas de S.L. Bhansali. J’ai immédiatement accroché !

C’était toute une aventure à l’époque car les films indiens n’avaient pas leur place dans les cinémas français, à la tv, ni même dans les balbutiements du streaming.
J’avais la chance d’habiter sur Paris et de pouvoir accéder aux boutiques de DVD. La passion s’est renforcée avec une nouvelle amie d’origine Mauricienne, bien contente de trouver quelqu’un sans aprioris sur les films de sa culture, et depuis, ça ne m’a jamais quittée.

(Mélanie) De Julie ! En fait, j’ai découvert ce cinéma grâce à une amie, il y a une dizaine d’années, mais cela ne m’intéressait absolument pas à cette époque, contrairement à Julie. Mais il y a 3 ans, Julie me l’a fait redécouvrir et ça a été un coup de foudre pour moi.

(Julie) Quel choix cornélien !
Mon épisode préféré actuellement est peut-être l’épisode 79 (intitulé “Moulin Rouge et Dostoïevski”) à propos de Saawariya de S.L.Bhansali car, paradoxalement, c’est le plus mauvais film du réalisateur que je préfère ! Déjà, parce qu’il m’a permis de lire Dostoïevski, mais surtout parce qu’on a beaucoup rigolé en décortiquant tous les travers de ce film.

Sans l’ombre d’un doute, l’épisode ayant nécessité le plus de travail pour ma part est le 91ème sur Sardar Udham. Contrairement aux autres films historiques dont la propagande est suffisamment visible pour ne pas s’attarder sur chaque détail lors de nos débats, Sardar Udham distille son idéologie de manière très pernicieuse et ça m’a affolée de voir que le public acceptait la réalité du film comme une vérité générale.
D’autant plus que le film est arrivé directement sur Prime Vidéo et touchait donc un public plus large que le public indien et les amateurs de longue date.

J’ai travaillé l’équivalent d’un mois pour mes recherches et j’ai adoré ça, vu que la recherche c’est mon métier. J’ai écumé les documentaires, les livres, les articles de journaux, fouillé dans les bibliothèques universitaires et même récupéré des archives du Parlement britannique ! Toutes nos sources sont toujours citées à l’oral et même en description pour celui-ci.

Finalement, j’ai retrouvé dans Sardar Udham la même stratégie que ce qu’avaient fait les britanniques avec Viceroy’s House (Le dernier vice-roi des indes, en VF) : modifier des micro-détails au début du film, puis des détails de plus en plus gros pour habituer le spectateur à ne plus distinguer le vrai du faux, pour finir par jeter des mensonges ou des théories complotistes à la fin qui sont gobés tout crus.
Pour certaines personnes, ça s’apparente à du chipotage ou l’oubli que “le cinéma est avant tout du divertissement, pas une conférence plénière” mais quand on regarde la politique de l’Inde depuis 2014 et son influence sur le cinéma, on ne peut pas fermer les yeux et considérer que le parti pris du réalisateur est anodin.

La manière dont est racontée l’Histoire dans un film en dit très long sur la mentalité, la politique et les mœurs de l’époque de sa réalisation et ça, c’est fascinant !

(Mélanie) C’est un peu dur de choisir, car tout dépend du thème abordé, mais je crois qu’un de mes préférés est Aabra ka daabra, le pseudo Harry Potter, pour tous les fous rires que ce film nous a apporté. 

En général, les épisodes qui demandent le plus de travail sont ceux traitant les films historiques car nous menons des recherches en amont afin de comparer le film et la réalité historique.
Mais celui sur lequel j’ai le plus planché est Gangubai Kathiawadi : j’ai lu le livre dont s’est inspiré le réalisateur afin d’écrire son film, j’ai regardé des reportages et j’ai creusé internet pendant un bout de temps afin d’avoir plus d’informations sur Gangubai, car il existe peu de sources sur la vie de cette femme, ce qui a rendu la recherche très complexe et surtout très frustrante.

(Julie) Cela peut paraître paradoxal avec mon paragraphe précédent, mais mon genre préféré est celui des films “historiques”. Je n’en ai pas fait mon métier mais j’adore l’Histoire et je consomme donc énormément de films et séries dits historiques, que cela vienne de l’Inde ou de l’Occident.
Pour leur esthétique premièrement, cette sensation de voyager dans le temps, mais aussi pour l’enrichissement intellectuel qui en découle. Rien de tel qu’un nouveau film pour apprendre l’existence d’un événement ou d’une personne dont on n’a jamais entendu parler avant et qui fascine. Et comme j’adore faire des recherches, je prends ces créations audiovisuelles comme des portes d’entrée (pas très fiables) vers de nouveaux savoirs plus fiables.

C’est aussi un genre parfait pour comprendre où nous en sommes aujourd’hui sur pleins d’aspects : comment ont évolué les religions, comment se sont mélangées les cultures, quels étaient les rapports sociaux au fil du temps, avons-nous vraiment gagné des droits par rapport à nos ancêtres ? La manière dont est racontée l’Histoire dans un film en dit très long sur la mentalité, la politique et les mœurs de l’époque de sa réalisation et ça, c’est fascinant !
Pour l’exemple, la rébellion de la reine de Jhansi en 1858 a eu le droit à 3 adaptations : une indienne en 1953, une indienne en 2019 et une britannique en 2019 également. Je le donne en mille, on a 3 histoires totalement différentes !

J’ai, en revanche, beaucoup plus de mal avec les films d’actions et blockbusters. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas tant à cause des milliards de ralentis, de sauts improbables et d’explosions à la Michael Bay que par les relents ultra virilistes qui s’en dégagent. Si, par miracle, le film n’est pas là pour promouvoir les forces militaires et la défense de la nation, il est quand même bien présent pour rappeler qu’un homme est fort, musclé et n’oubliera pas de revenir vers son amoureuse potiche qu’il aura séduit grâce à ses talents de stalkeur.

(Mélanie) C’est difficile de répondre à cette question car dans un même genre, tous les films ne se valent pas. J’apprécie beaucoup les films de société et les comédies romantiques (enfin, pas toutes).

En tant qu’Historienne, j’aime beaucoup également les films historiques car ils m’aident à renforcer ma culture concernant l’Histoire de l’Inde et j’aime beaucoup apprendre de nouvelles choses au fil des recherches que Julie et moi nous menons. De plus, ces films ont généralement des décors et des costumes magnifiques et les scènes de danse sont très belles. 

Je n’aime pas le genre de l’horreur en revanche, je suis une vraie trouillarde. Et comme Julie, je ne suis pas fan des gros films d’actions bourrés de testostérone ; en général, je m’y ennuie beaucoup. 

(Les deux) Si on travaillait en non-stop à temps plein, pour un “petit” épisode où il y a peu de recherches à faire (typiquement un remake d’un film américain), il faudrait une demie journée de travail. Pour un “gros” épisode de société ou qui débunke un film historique, on serait à 2-3 jours.

Déjà, il faut revoir le film en question dont la durée peut aller d’1h30 à 3h30 ! Ensuite, certains films nécessitent de bien creuser le sujet pour avoir le maximum d’infos intéressantes et de clés de compréhension (par exemple, si on décide de parler d’IVG, de PMA ou si l’on veut comparer à un livre adapté) et cela peut facilement prendre 4-5h par semaine en tranches de demi-heures par-ci par-là sur plusieurs semaines. Ce travail en amont, on le réalise chacune de notre côté pour croiser nos infos et nos ressentis.

Nos enregistrements durent en moyenne 2h30 pour un épisode d’1h45 parce qu’on papote beaucoup avant et après, ahah ! Finalement, le plus rapide est le montage car tout est généralement déjà bien calibré dans ma tête et que j’anticipe les extraits que je veux mettre dedans; ça me prend 1h max, sauf problème technique. On met également en scène les films choisis pour les réseaux et tout cumulé, on doit être à 2-3h de gestion des réseaux sociaux chacune.

Le cliché disant que ce cinéma Indien est “cheap” ou “kitsch” cache généralement un fond de racisme ou de mépris de la culture asiatique

(Julie) Le plus gros cliché sur le cinéma indien est qu’il se résume à des comédies romantiques niaises de 3h. Ce n’est pourtant pas un cliché qui sort de nulle part puisqu’il s’agit du genre qui a cartonné sur toutes les années 90, le fameux masala généralement composé du triptyque comédie romantique-drame-action. Mais bon, c’était juste une décennie sur les 100 ans de ce cinéma !

Je suis bien plus énervée par le cliché disant que ce cinéma est “cheap” ou “kitsch” car généralement il cache un fond de racisme ou de mépris de la culture asiatique. Les cinémas hong-kongais, chinois, coréen ou indien ont leurs propres codes. Oui, un personnage peut marcher sur des murs, sauter sur 200 mètres ou tomber éperdument amoureux au premier regard mais le cinéma français ou américain n’est pas exempt de clichés non plus.

Cette volonté de mettre en avant des extraits de séries tv low-cost pour dire “ça, c’est Bollywood” est assez révélatrice. En-dehors du fait que s’arrêter à ce cliché démontre un sérieux manque de culture dans le cinéma indien, il est ultra irritant de voir qu’on qualifie de “kitsch” un héros faisant des bonds improbables dans le cinéma indien alors que c’est une action “stylée” pour un héros de James Bond, Mission Impossible ou Marvel.

Le cliché qui reste sûrement le plus vrai est celui sur la durée des films. Ce n’est que depuis 2018 à peu près que les films cherchent à faire moins de 2H20, voire se limitent à 2h. Ce n’est déjà pas si mal mais si l’on veut explorer toute l’histoire de ce cinéma, il vaut mieux se préparer à quelques heures de visionnages !

En Inde, le cinéma est encore au même niveau que le théâtre et les grands spectacles : il y a un Acte 1, un entracte et un Acte 2 ; c’est une sortie importante et familiale donc cela dure aussi longtemps qu’un ballet à l’Opéra Garnier, une pièce à la Comédie Française ou un show au Palais des Sports.

(Mélanie) Que ce ne sont que des comédies romantiques de 3h avec des milliers de chansons, alors que Bollywood est tellement plus que ça. Néanmoins ce genre de film existe, mais ils ne font pas tous partie de cette catégorie.

De plus, les gens pensent que le cinéma indien se résume à Bollywood et uniquement Bollywood alors que c’est un cinéma beaucoup plus riche que cela. En plus de Bollywood, ou trouve Tollywood, Kollywood ou Pollywood et tant d’autres. Ces différentes industries, en différentes langues ont bien sur des points communs mais adoptent parfois des codes qui diffèrent.

En outre, ça me fait un peu mal de voir que les gens considèrent que Bollywood, c’est aussi des films d’action avec des voitures qui explosent, des gens qui font des cascades improbables… et que ça soit considéré comme ridicule. Mais il suffit de regarder du côté des films américains par exemple pour voir qu’on y retrouve le même genre de choses.

(Les deux)
Andhadhun : film noir inspiré d’un court-métrage français (cocorico !), c’est un bijou de réalisation.
Sa particularité est qu’il est “interactif” : si le spectateur est suffisamment attentif, plusieurs indices peuvent lui indiquer le déroulement du scénario. Mais aussi, le réalisateur s’amuse avec le spectateur en ne lui faisant voir que le trou de la serrure d’une scène pour mieux le piéger ensuite. Le concept du film ? Un aveugle devient le témoin d’une scène de meurtre… Voilà, n’en sachez pas plus, c’est inutile !

Pink : trois jeunes femmes sont convoquées au tribunal pour coups et blessures sur un jeune homme. Oui mais voilà, elles affirment s’être défendues de tentatives de viol. C’est quoi “la zone grise” ? Est-ce que démarrer un flirt c’est consentir ? Pourquoi c’est aux victimes de se défendre ?
Un film juste et poignant autour d’un procès, sorti en période MeToo et sans scène explicite trigger.

Thugs of Hindostan : Mélange parfait de Pirates des Caraïbes et Assassin’s Creed Black Flag, ce film de pirates, d’aventure, de beaux palais et costumes, de chansons magnifiques et de personnages hauts en couleur est parfait pour découvrir Bollywood. L’occasion de découvrir la période coloniale du 18ème siècle, un anti-héros et… une héroïne !

Bulbbul : Bollywood aussi fait du cinéma d’horreur ! Ici, on penche plutôt sur une ambiance horrifique, entre Crimson Peak et Sleepy Hollow. Film résolument féministe, Bulbbul éblouit par ses visuels dignes de tableaux. Dans un palais familial, de mystérieux meurtres s’accumulent…

RRR : pour sortir un peu de Bollywood, voici un film de Tollywood et du célèbre réalisateur S. S. Rajamouli (Bahubaali, Eega). Si vous aimez les blockbusters survitaminés, les années 20, un poil de romance et beaucoup de bromance, foncez ! C’est manichéen, ça glorifie les héros au possible mais on ferme les yeux pour mieux savourer des musiques et chorégraphies qui scotchent au siège.

(Les deux) Le premier point commun entre le cinéma indien et le cinéma occidental (et surtout américain) serait la tendance à faire de la propagande nationaliste : quel que soit l’événement historique choisi, le pays est le héros bien sous tous rapports (ce qui n’en fait donc pas juste une tendance patriotique).

Ensuite, la place des femmes dans les films “mainstreams/populaires” : si une femme et un homme sont en tête d’affiche, c’est bien parce qu’il y aura une romance un moment donné ! D’ailleurs, les rôles masculins l’emportent toujours sur les rôles féminins et rares sont les films à ne reposer que sur une héroïne.

(Julie) Il y a quelques années encore, il aurait été possible de répondre à cette question en se cachant derrière son petit doigt avec l’argument : “Ce n’est pas un cinéma accessible, les films ne passent pas dans les salles et les DVD sont rares”.
Sauf que le manque de fréquentation, malgré l’énergie déployée par Aanna Films et Desi Entertainment, n’est pas à mon sens la cause du manque de visibilité du cinéma indien… mais sa conséquence ! Car après tout, Netflix, Prime Video et autre plateforme regorgent de films indiens et plusieurs séances par semaines sont consacrées à ce cinéma dans les grandes villes ; pourtant le succès n’est pas là. Alors pourquoi préférer une terrible comédie française ou une série US médiocre lorsqu’on ne sait plus quoi regarder plutôt que d’essayer un film indien ?

Au risque de brusquer pas mal de monde, je pense que la raison qui se cache derrière est un racisme systémique et un héritage colonialiste. Alors attention, je ne suis pas en train de dire que ne pas avoir vu un film indien fait d’un spectateur une personne raciste, mais qu’il faut s’interroger sur les raisons d’un tel rejet des productions venant d’un pays entier.
Si je vous disais : “Je ne regarde pas de films américains. Un jour, j’ai tenté Fast & Furious et j’ai trouvé ça nul. En plus, ça fait 10 ans que je vois passer des extraits de Marvel plébiscité par le public et ça ne m’inspire pas du tout”. J’imagine que l’on me dirait que j’ai une vision très étroite du cinéma américain, que je manque de curiosité, que F&F ne représente pas du tout le meilleur d’Hollywood ni même sa diversité, que je rate de sacrés chefs d’œuvres. Alors pourquoi est-ce acceptable en parlant de l’industrie indienne, qui produit plus et parfois plus cher qu’Hollywood ?

Inconsciemment (ou pas), le public estime que le cinéma de l’Occident est supérieur à celui du reste du monde

La raison se situe autour de ce qui est véhiculé autour de l’Inde dans les médias et dans la société française : un pays surpeuplé, avec beaucoup de pauvreté, qui produit du textile pas cher, de mauvaise qualité, des gens peu éduqués, de la pollution, des mœurs trop éloignées et surtout trop “archaïques”.
Comment un tel pays pourrait-il produire des films de qualité ? Sans compter que les clichés et les préjugés (“c’est niais”, “c’est kitsch”…) se transmettent de personne en personne, de journalistes à spectateurs, et d’influenceurs à jeune public (on se souvient sans peine du What the cut d’Antoine Daniel ou de la vidéo de Squeezie pour rire de “Bollywood” alors que les extraits concernaient plutôt Tollywood d’ailleurs).

Inconsciemment (ou pas), le public estime que le cinéma de l’Occident est supérieur à celui du reste du monde (l’Amérique latine sera réduite à ses télénovelas, le Nigéria au Nollywood aussi moqué que l’Inde, la Chine aux films de Kung-fu et la Corée, longtemps réduite aux k-dramas conspués, a finalement réussi à faire sa place grâce… aux Oscars américains).
Comment ne pas voir une certaine “xénophobie”, une “peur de l’autre” dans un argument comme “Je ne veux pas essayer, ce n’est pas ma culture, ce sera trop différent de ce dont j’ai l’habitude” ? Alors que beaucoup de films indiens sont justement réalisés avec des codes occidentaux qui ne brusqueront pas du tout le spectateur.

“C’est déprimant, larmoyant et misérabiliste” peut-on encore entendre dire à propos de Lion, Slumdog Millionnaire ou Hôtel Mumbaï, des films britanniques qui choisissent volontairement cet angle pour parler de leur ancienne colonie. Car un film avec Dev Patel (rare figure d’origine indienne à avoir percé !) est forcément un film “indien”, non ?

C’est ce contexte, ces préjugés et une certaine peur de se lancer dans quelque chose de nouveau qui justifie, selon moi, un tel désintérêt pour le cinéma indien et, en conséquence, une si faible visibilité en France. Alors osez ! Soyez curieux, dites-vous que la bonne surprise que vous avez eu avec la Corée (Parasite, Squid Game, etc.) peut vous attendre avec l’Inde aussi !

(Mélanie)Je pense qu’il y a une grande différence en matière de culture cinématographique entre nos deux pays. Les codes, les histoires ne sont pas les mêmes, ce qui peut parfois rebuter certaines personnes qui préfèrent rester dans les codes occidentaux.
Également, je pense que les clichés évoqués ci-dessus n’aident pas à promouvoir le cinéma indien en France. Les gens restent fixés dessus alors que la plupart du temps ils n’ont jamais vu un seul film indien de leur vie.

De plus, tout comme Julie, je pense que le public occidental a “peur” de s’ouvrir à cette culture totalement étrangère de la sienne et part avec des a priori.
Les préjugés que l’Occident peut avoir sur ce pays jouent probablement en défaveur du cinéma indien. Je pense qu’il y a un gros manque de curiosité de la part du public pour ce cinéma et que les gens veulent voir un cinéma qui leur ressemble avec des gens qui leur ressemblent et des choses qu’ils connaissent, qui appartiennent à leur culture et leurs codes.

C’est vraiment dommage car ils se privent de pépites !

(Julie) Cette question a été un casse-tête parce que je n’ai pas véritablement de préférés et que j’aime beaucoup trop de films !

  • Padmavaat : S. L. Bhansali est un réalisateur qui me fait rêver grâce à son esthétique toujours impeccable et enchanteresse. Même si le scénario est assez simple, Padmavaat est un régal pour les yeux et les oreilles, porté par un trio d’acteurs et actrice fantastiques. La scène finale reste l’un de mes plus grands chocs émotionnels. L’histoire : un sultan cupide veut ravir le territoire et l’épouse d’un roi Rajput.
  • Neerja : autre grand choc émotionnel, ce film basé sur l’histoire réelle d’un détournement d’avion m’a tenue en haleine tout du long. C’est aussi le film qui a démontré que Sonam Kapoor pouvait parfaitement être une héroïne principale si on lui en laissait l’opportunité.
  • Fan : il fallait bien un film de la superstar Sharukh Khan quelque part ! Très bon thriller où SRK interprète à la fois une copie de lui-même (une superstar indienne) et un immense fan qui n’aura pas de limite pour satisfaire ses désirs adolescents. C’est rythmé comme un James Bond et émotionnel à la fois.

Mélanie

  • Rab ne bana di jodi : un gros coup de cœur pour cette comédie romantique drôle et très émouvante qui est vraiment un comfort movie pour moi.
  • Gangubai Kathiawadi : un film qui nous raconte l’histoire vraie d’une prostituée qui a défendu les droits des travailleuses du sexe.
  • Happy New Year : une comédie déjantée sur fond de vol de diamants et parodie de l’Eurovision.

(Les deux) Sur les réseaux sociaux, nous suivons évidemment l’actualité des stars indiennes via leurs comptes pour se tenir au courant de leurs films à venir, mais aussi de leurs opinions politiques. Je surveille également les interviews d’Anupama Chopra qui sont toujours riches en information sur le contenu des films et les intentions des réalisateurs. Après, on suit et échange régulièrement avec nos consoeurs d’Instagram : Hindi cinéma, Bollyfeels, Bolly&co magazine, etc.
Il y a également Iamdesi magazine qui permet de suivre l’actu d’Asie du Sud et le groupe facebook French Bolly Dream qui sous-titre en français nombre de films indiens.

Sur Youtube et/ou Twitter, il y a quelques comptes qui évoquent le cinéma indien (cineskope, jonathan asia, nanarland…). Enfin, on suit bien entendu les distributeurs comme Aanna Films et Desi Entertainment.

(Julie) Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les productrices et réalisatrices indiennes ne datent pas des temps modernes. La première à avoir endossé ces deux casquettes se nomme Fatma Begum et a sorti son premier film en 1926 !
Elles ont toujours été là, et ont souvent produit des films où elles pouvaient tenir le premier rôle ou des films mettant en tête d’affiche… leur mari ! On retrouve ainsi ce concept depuis quelques années avec Gauri Khan (épouse de la superstar Sharukh Khan) et Twinkle Khanna (épouse de la grande star Akshay Kumar).

Evidemment, comme énoncé par Cinéskope, on pense surtout à la nouvelle génération et ses deux personnalités phares (dont nous sommes très fans) : Deepika Padukone et Anushka Sharma, foncièrement engagées et féministes, qui ont apporté un vent de fraîcheur dans le cinéma indépendant, notamment les films de société et d’horreur. On ne peut qu’être ravies de voir que le nombre de productrices et réalisatrices augmente au fil du temps !

Mais si certaines ont saisi l’opportunité pour bousculer les codes et faire évoluer les mentalités (Aparna Sen, Deepa Mehta, Gauri Shinde…), d’autres restent dans du cinéma plus classique (Mira Nair, Zoya Akhtar…) ou des films familiaux qui frisent parfois le sexisme intégré (Farah Khan…).

Mais il suffit d’être un peu curieux pour constater que des réalisatrices et productrices indiennes sur 100 ans de cinéma, ce n’est vraiment pas ce qu’il manque et qu’elles ont fourni du bon boulot ! Et quand on voit celles qui veulent s’y risquer un jour (Alia Bhatt, par exemple), on a confiance en l’avenir.

(Mélanie) Je trouve que c’est une très bonne chose car ces femmes nous livrent généralement des films porteurs de messages féministes, comme Deepika Padukone avec Chhapaak qui parle des femmes victimes des attaques à l’acide, ou Anushka Charma avec le film d’horreur Bulbbul. Ou encore Alankrita Shrivastava qui a dirigé Lipstick under my Burkha qui parle de différentes femmes à différents stades de leur vie, film qui a d’ailleurs été censuré en Inde.

Ce sont des films essentiels à mes yeux, surtout dans ce pays ou la misogynie et les attaques contre les femmes sont hélas monnaie courante. Cela fait encore plus plaisir de voir que derrière ces œuvres se trouvent des femmes, car cela démontre une certaine sororité avec les victimes de violences. Grâce à ces femmes et leurs films, les mentalités évolueront sûrement.

(Julie) L’influence est phénoménale ! Tout d’abord, car contrairement au cinéma français qui tente d’éviter au maximum d’intégrer la religion à la vie de ses personnages (voyez-vous souvent des séances de prières ?) ou Hollywood qui en abuse pour son cinéma d’horreur (possession, exorcisme), le cinéma indien considère que la religion est une partie intégrante de sa culture et du rituel de vie des personnages.

Si on filme un héros allant se laver, pourquoi ne montrerait-on pas son moment de prière ? A ce titre, bien que cela a beaucoup régressé avec le gouvernement de Narendra Modi, les films montrent les trois religions prédominantes sans souci : l’hindouisme (80% de la population), l’islam (14%) et le christianisme (4%). Le meilleur exemple est la chanson Tujh Mein Rab Dikhta Hai où l’héroïne va successivement prier dans les trois édifices religieux. Par ailleurs, les mariages arrangés et contrariés étant un thème très récurrent, on assiste à toutes les cérémonies religieuses qui les encadrent.

La religion est omniprésente en Inde et cela se reflète donc dans son cinéma, sans compter que certains réalisateurs (comme S. S. Rajamouli) ont une fascination pour la mythologie hindoue. Il n’est pas étrange dans le cinéma indien qu’un héros croise ou devienne l’avatar d’un dieu ou d’une déesse.

La contrepartie de cette omniprésence est évidemment que certains groupuscules extrémistes ne supportent pas la moindre critique ou déviance des textes religieux.
Le film PK, qui critiquait sévèrement la manipulation des masses par les représentants religieux, a subi une terrible tempête de la part de la population. L’équipe de réalisation de Padmavaat et son actrice principale ont subi des menaces de mort et des attaques physiques pour la simple réinterprétation d’un poème mythologique qui venait “entacher la pureté de la princesse”.

Depuis la montée de l’extrême-droite en 2014, le cinéma est devenu un étendard de l’hindouisme, tandis que le christianisme a disparu des écrans et que l’islam est devenu le terreau des terroristes et des personnages sadiques.

(Mélanie) La religion pèse énormément sur le cinéma. La plupart des films sont extrêmement manichéens pour la simple raison que le gouvernement au pouvoir applique une politique nationaliste hindoue.
De ce fait les musulmans (victimes d’attaques envers leur religion) sont systématiquement ou presque dépréciés dans les films ; ils sont montrés comme les envahisseurs de l’Inde, les méchants, les cruels, tandis que les hindous sont dépeints comme des héros, des vainqueurs, les libérateurs de l’Inde face à l’oppression ennemie.
Cela se voit particulièrement dans les films historiques dans lesquels les réalisateurs et les scénaristes n’hésitent pas à omettre certains éléments qui pourraient donner une meilleure image de l’Islam, ou à carrément modifier l’Histoire afin de servir un beau message de propagande…

J’en veux pour preuve le film Tanhaji qui a nécessité des recherches complémentaires de notre part pour rétablir la vérité historique. Et lorsque certaines personnes osent dire que le film ment, les réactions sont assez virulentes. Lorsque certains films présentent un personnage musulman sous un beau jour, certains n’hésitent pas à qualifier le film “d’anti-hindou”, à l’image de Laxmii. La série Leila, une série dystopique proche de The Handmaid’s tale, a également reçu ce genre de critiques.

Sans parler forcément de film historique, on remarque que certains films présentent les personnes croyantes ou impliquées dans la religion comme étant meilleures que les autres.

(Les deux) Pour l’instant, rien n’est particulièrement fixé. Notre planning de l’été est prêt et la plupart des épisodes sont tournés pour prendre des vacances.

A la rentrée, nous ferons notre habituel épisode hors-série sur les lectures autour de l’Inde que nous aurons lues en été, nous avons quelques idées pour Halloween et une liste de films en attente mais, globalement, le choix se fait en fonction de l’actualité et du feeling

On est intéressées par la sortie récente de Jayeshbai Jordaar qui est un film sur la complexité des naissances des filles en Inde. On voudrait aussi traiter Mughal-e-azam, qui est un monument du cinéma indien de 1960. Même si ce n’est pas un Bollywood, Brahmastra de Rajamouli pique la curiosité car il s’agit d’adapter un pan de la mythologie hindoue dans une version moderne qui devrait ouvrir la voie à une franchise de type superhéros Marvel. Enfin, on espère bien pouvoir avoir de nouveaux invités !
Avis aux créateur/ices de contenu, n’hésitez pas à nous contacter si vous souhaitez passer chez nous !

(Les deux) Du côté podcast : sorociné, adapte-moi si tu peux, 2 heures de perdues, Fais ta B.A, Parlons péloche, Shitlist, le Film qui a changé ma vie, Romcomment, Faut l’animer, Pardon le cinéma, Une invention sans avenir
Du côté de Youtube : The plot point, Demoiselles d’horreur, Cinéma et politique, la Manie du cinéma, Math se fait des films, Intercut, KINO, Mr Bobine, la Suite de trop, The beauty of, le Fossoyeur de film
Blog : Bon chic bon genre évidemment ! Bolly&co magazine, I am desi mag.