Marine Bohin journaliste cinéma et actrice

Je m’appelle Marine Bohin, je suis journaliste depuis 8 ans (mais il y a eu des hauts et des bas !), spécialisée dans le cinéma, je vis à Paris et je mange du fromage quotidiennement.

Je suis passé par une douzaine de medias différents, presse écrite, digitale, télé et radio, Youtube, souvent plusieurs en même temps car je suis pigiste. Je suis également comédienne.

J’ai fait un master en théorie du cinéma, avec la forte envie de travailler dans la programmation de festivals (mon mémoire portait sur les enjeux socio-culturels des festivals de cinéma).

Hélas, après avoir beaucoup travaillé gratuitement sur ce genre de structures j’ai compris que pas mal de festivals étaient dirigés par des boomers qui utilisaient éhontément de jeunes personnes sans les rémunérer, en se contentant d’empocher subventions et félicitations.

J’ai intégré une émission d’actualités cinéma sur une radio associative où j’ai commencé à apprendre sur le tas le métier de journaliste.

A partir de là, j’ai peu à peu travaillé pour la presse écrite, digitale, la radio, la télé locale… mais ce qu’il est important de préciser, c’est que j’ai énormément bossé pour me faire une place… en étant mal payée, voire pas du tout. Je ne sais pas comment les mecs autodidactes surmontent leur complexe de l’imposteur, mais quand tu es une femme, c’est compliqué.

Quand on est journaliste cinéma free-lance, il faut sans cesse « produire », même quand on ne nous demande rien. J’ai écrit énormément de chroniques que j’ai postées en ligne, j’ai même crée un site internet avec des posts quotidiens, j’ai fait des vidéos Youtube, une émission de radio de une heure par semaine pendant un an, j’ai interviewé des tonnes de célébrités sans être payée… ca n’est pas juste, on le sait, mais on est obligés, de nos jours, de travailler bénévolement en continu pour prouver ce que l’on veut. Le cdi n’existe plus en presse, encore moins si on ne sort pas d’une école de journalisme. Il me semble important de le préciser car c’est un métier qui suscite des fantasmes et dont on connaît mal les réalités.

Pas mal de gens s’en sentent exclus, car ils assimilent critique cinéma et élitisme. L’humour est un bon biais pour rendre ce sujet accessible, le dédramatiser

Il y a une idée fondamentale dans la critique ciné, c’est le partage de la passion. Hors, pas mal de gens s’en sentent exclus, car ils assimilent critique cinéma et élitisme. L’humour est un bon biais pour rendre ce sujet accessible, le dédramatiser. Faire les choses avec passion mais sans se prendre au sérieux, c’est primordial. 

Et puis il y a un côté très libre dans la critique écrite sur Insta : je les écris quand je veux, comme je veux et les poste quand je veux. C’est mon espace de liberté. Et ce format me pousse également à être créative : pour happer l’attention de la personne qui me lit, je dois être inventive ! 

C’est Julien Richard-Thomson qui est venu me chercher pour ce projet. Il savait que la place des femmes au sein du cinéma était une problématique qui m’importait tout particulièrement.

Le livre est constitué de 8 entretiens avec des réalisatrices françaises de cinéma de genres, de différents horizons, âges, formations… Leurs parcours sont très divers et en disent long sur l’évolution du cinéma de genre ces 30 dernières années.

Ce que j’en retiens, c’est à quel point nous sommes sur le bon chemin ! Plus on avance et moins les femmes galèrent… mais cette évolution s’est faite au détriment des pionnières du genre, qui ont payé cher leur volonté de s’imposer dans un monde d’hommes…

J’en parle sans doute peu sur Instagram mais en revanche, sur la chaine des Gardiens du Cinéma, où j’ai officié pendant 3 ans, la plupart des films que je chroniquais appartenaient au cinéma de genre.

Cela dit, je ne prétends pas être une spécialiste, j’ai par exemple de grosses lacunes en ce qui concerne le cinéma de genre des années 70-80. En revanche, j’ai une immense passion pour la nouvelle vague du cinéma sud coréen, qui s’apparente totalement au cinéma de genre, et je suis de près le cinéma de genre français contemporain. 

J’ai d’ailleurs récemment réalisé qu’ Innocence, de Lucile Hadzihalilovic, que j’ai interviewée pour mon livre était l’un des tout premiers dvd que j’avais acheté !

Titane! La qualification de film d’horreur prête sans doute à débat. 

Ce film a eu une palme d’Or certes, mais les gens (les hommes surtout), font preuve d’un snobisme teinté de misogynie à son égard qui me débecte.

Titane devrait depuis sa consécration être définitivement entré dans la culture française contemporaine, et dans la pop-culture, ce qui est loin d’être le cas.

Lorsque je relis mes toutes premières critiques, quand j’étais étudiante, je remarque que j’étais déjà à l’affût du moindre aspect misogyne présent dans les films. Cependant, je cherche toujours à m’éduquer sur des sujets qui me concernent moins directement : je suis une femme certes, mais il y a plein de discriminations que je ne subis pas (car je suis blanche, cis), et c’est sur ces sujets-là que je fais en sorte de m’informer et de me déconstruire. Une seule façon de le faire : écouter les concerné-es. Grâce à des podcasts, des rencontres, aux réseaux sociaux.

Le journalisme cinéma est une profession majoritairement masculine, même si cela change depuis 5 ans et tant mieux. Jai souvent eu affaire au sexisme. L’exemple le plus courant est que l’on me présente comme instagrameuse… alors que je travaille minimum 7 heures par jour pour des médias à écrire, chroniquer, analyser, interviewer… bref, être journaliste, ce qui est d’ailleurs écrit sur mes fiches de paie. Mais les gens ne m’associent pas ce métier cérébral. On préfère retenir les vidéos rigolotes que je poste sur Instagram.

Le plus violent a été quand j’ai intégré la chaine des Gardiens du Cinéma sur Youtube en 2019 : les autres membres sont des mecs en or que j’aime profondément, mais j’ai découvert au travers des commentaires des viewers, une haine des femmes vraiment hallucinante.

Je n’ai jamais cherché à être youtubeuse, j’aimais faire des vidéos en parallèle de mon boulot de journaliste, donc prendre sur mon temps libre pour écrire, filmer… et je me prenais des shit-storms très injustes, des remarques sur mon physiques, des insultes, des remises en question de ma légitimité à parler de cinéma.

Le plus éloquent étant certain commentaires qui me disaient : « dégage d’ici et laisse la place à tes collègues masculins, qui eux savent de quoi ils parlent »… alors que j’étais la seule journaliste cinéma de la bande.

Très bonne question. Ca n’est pas forcément un personnage badass, fort, ou inspirant.  

Ca peut même être un personnage écrit par un homme… à la condition que le scénariste n’ait pas uniquement puisé dans ses clichés ou ses expériences pour l’écrire, mais qu’il se soit ouvert aux avis de femmes quant à la pertinence des dialogues, des réactions de son personnage…
Un personnage féministe, c’est déjà un personnage qui n’est pas écrit avec les fantasmes d’un homme.

Cette époque n’a que trop duré.

Je répondrai que l’on ne peut pas empêcher quelqu’un qui a été innocenté ou qui a purgé sa peine de travailler, en revanche on peut refuser de bosser avec lui. 

Et en France, il y a une énorme lâcheté de ce côté-la.

J’ai vécu personnellement ce genre de situation, j’ai été en couple avec un comédien qui avait une petite notoriété, et qui s’est avéré réellement dangereux pour toutes les femmes qu’il avait fréquentées. Dans le milieu à cheval entre le cinéma et Youtube où il évoluait, tout le milieu le savait, mais il n’a jamais été écarté. Car c’était je cite, un « super auteur », un « super comédien », « un génie de l’humour» …et les hommes drôles, on a du mal à le imaginer frapper des femmes. Des hommes qui se revendiquaient comme alliés féministes ont continué à travailler avec lui.

En France le soi-disant génie (et les hommes se qualifient un peu trop facilement de « génies » entre eux) vaut de donner l’impunité.

Dans notre pays sexiste, il y a deux choses qu’on minimise constamment : la souffrance ressentie par les femmes, et la souffrance causée par les hommes.

La nuit du 12. Je n’ai pas supporté que l’on montre les flics comme des poètes féministes, qui citent Verlaine et veulent défendre les femmes, face à des suspects qui sont tous de jeunes hommes abominables et bêtes comme leur pieds. 

Or, dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, la police fait malheureusement partie du problème. N’importe quelle femme ayant voulu porter plainte pour des VSS, et j’en fais partie, vous le confirmera. Je ne dis pas que tous les flics sont tous des ordures, en revanche ils sont tous extrêmement mal formés et peu semblent vouloir s’améliorer. 

La réalisatrice Monia Chokri a écrit dans Simple comme Sylvain un magnifique portrait de femme childfree qui m’a fait un bien fou, en plus d’être drôle, complexe, attachante et très libre.

J’ai assisté récemment au ciné-concert de La La Land au Grand Rex et j’ai réalisé à quel point le personnage de Emma Stone était profondément moderne et iconoclaste. J’aime également l’étrangeté de son physique dans ce film, même si je n’ai pu que remarquer la légère obsession de Damien Chazelle pour les femmes très minces.

Récemment j’ai crushé sur Sophia dans Simple comme Sylvain. Je suis childfree, je désire ne pas avoir d’enfants, et je commence à réellement souffrir de ne voir aucun personnage féminin qui me ressemble dans les films. La réalisatrice Monia Chokri a écrit dans Simple comme Sylvain un magnifique portrait de femme childfree qui m’a fait un bien fou, en plus d’être drôle, complexe, attachante et très libre.

Dans le passé, le personnage de Tamara Drew dans le film éponyme de Stephen Frears m’a littéralement sauvé la vie : à l’époque je souffrais d’anorexie sévère depuis 7 ans, et quand j’ai vu ce personnage de femme pulpeuse, journaliste, qui assumait ses formes et son indépendance à une époque où les films ne montraient que des actrices qui faisaient du 34, ça a été un vrai déclic. J’ai entamé mon processus de guérison en sortant du film. 

J’y ai participé pour la première fois en juin dernier et j’ai adoré le côté cinéphile et décontracté, totalement représentatif du ton du magazine pour lequel je pige depuis un an et demi. Il y a des cartes blanches très hétéroclites (cette années elles ont été présentées autant par Michel Hazanavicius que par Alice Zeniter ou le rappeur Fianso), et des évènements festifs également, comme l’ICONIQUE karaoké géant, où l’on chante à 500 personnes sur des musiques de films.

Quand j’ai commencé dans le journalisme, je n’avais affaire qu’à des hommes journalistes, et comme j‘étais avide d’apprendre et peu sûre de moi, je les ai laissé me donner souvent de très mauvais conseils pour les interviews. On me poussait à être dans la provoc, à titiller les interviewé-es…

Je suis totalement d’accord, on ne devrait pas craindre de convier l’intime lorsque l’on parle d’un film.

La faute aux rédactions aussi, qui n’ont pas forcément envie que l’on se mette en avant en tant que personne quand on écrit ! Si je ne me trompe pas, c’est la première critique féminine reconnue, Pauline Kael, qui a aussi été la première à évoquer clairement sa perception personnelle des films.

A mon sens les réseaux sociaux servent à justement injecter du personnel dans les critiques cinéma : les gens qui te suivent pour tes critiques apprécient aussi ta personnalité, connaissent tes engagements…

Je crois que beaucoup de critiques de la vieille école ne veulent pas parler de représentations car ils veulent voir le cinéma comme un art dépourvu de politique… et cela reviendrait sans doutes à remettre en questions leurs propres privilèges également.

J’ai l’impression qu’une nouvelle génération de critiques et de cinéphiles s’impose, entre autres sur les réseaux sociaux, et que nous sommes bien plus ouverts au cinéma de genre.

J’ai beaucoup, dans mon travail de journaliste, fait des « Q&A » (pour Questions&Answers) : des animations de débats entre l’équipe du film et le public après une projection. Je me rappelle particulièrement de Camélia Jordana, qui jouait dans le film Cherchez la femme de Sou Abadi, que j’avais présenté. Le sujet du film prêtait à polémique, le débat était difficile à contenir, mais elle m’a félicité chaleureusement pour mon travail… et on a finit à la piscine de son hôtel avec Félix Moati, à 1H du matin, à boire du whisky que j’avais « emprunté » au bar, comme des ados.
Je l’ai écouté parler de rap américain jusqu’à tard dans la nuit puis j’ai dû partir car je bossais le lendemain, mais j’aurais voulu rester avec elle toute la vie ! Citer cet exemple n’est pas très sérieux pour ma carrière, j’en ai conscience…

Les interviews, c’est l’aspect du travail de journaliste cinéma que je préfère.

Les interviews, c’est l’aspect du travail de journaliste cinéma que je préfère.
Entendre une comédienne parler de son art et de la manière dont elle le vit, c’est tout simplement passionnant. 
Lorsque je prépare une interview, je m’immerge totalement : films, livres, podcast, réseaux sociaux, je dévore tout ce qui concerne la personne à interviewer, je vis littéralement avec elle pendant des jours. Certes ça n’est pas très rentable vu le prix de la pige mais je ne peux pas faire autrement. J’ai besoin d’accumuler énormément de connaissances pour pouvoir cerner le travail d’une comédienne ou d’une réalisatrice, surtout une femme comme Diane Kruger qui a une cinquantaine de films à son actif… et puis on a pas trouvé mieux que le travail acharné pour se sentir légitime.

Quand j’ai commencé dans le journalisme, je n’avais affaire qu’à des hommes journalistes, et comme j‘étais avide d’apprendre et peu sûre de moi, je les ai laissé me donner souvent de très mauvais conseils pour les interviews. On me poussait à être dans la provoc, à titiller les interviewé-es… j’ai bien fait marche arrière depuis. Le temps des Ardisson, qui balancent des blagues et n’écoutent même pas les réponses à leur questions, c’est fini ! 

Je suis partisane d’un journalisme pudique et respectueux. C’est plus dur qu’on ne le croit d’être dans une vraie écoute et de donner envie aux personnes de se livrer, sans qu’elles ne regrettent rien de ce qu’elles ont dit par la suite… J’adore sentir le moment où la personne se sent suffisamment à l’aise avec moi pour s’ouvrir. L’idée n’est pas de lui arracher des confidences, mais de lui donner envie de confier une nouvelle facette d’elle-même.

Il faut bien se rendre compte que bon nombre de comédiens ont affaire à des journalistes qui n’ont jamais pris le temps de mater un de leurs films en entier, ce qui est vraiment frustrant pour eux. Encore plus lorsqu’il s’agit d’une comédienne à qui l’on pose des questions sur sa crème anti-ride, ses enfant ou son secret minceur au lieu de parler cinéma.…

Avec Diane Kruger, j’ai senti que le début de la Masterclass était tendu : j’ai commencé par lancer un extrait de Troie, ce qu’elle n’a pas forcément apprécié…Mais très vite, elle a compris que les films que je cherchais a mettre en avant dans cet entretien étaient les moins connus et les plus qualitatifs. Elle avait souvent les larmes aux yeux lorsque je projetais les extraits, sans doute parce qu’elle rejouait la scène dans sa tête… ça m’a beaucoup touchée. J’avais fait une grosse interview d’elle en amont et elle est à lire dans le Sofilm de l’été dernier.

Côté journalisme j’ai plusieurs projets d’articles très excitants, et j’ai animé une table ronde sur l’évolution du cinéma de genre au féminin à Poitiers dans deux semaines.

Côté acting j’ai la chance d’avoir eu le premier rôle dans un film intitulé Belle Enfant, aux côtés de Baptiste Lecaplain. Il commence à être projeté en festival, c’est tellement intéressant de vivre cette nouvelle aventure en tant qu’actrice !