Si tout film est politique, certains en font leur coeur de leur sujet, de manière consciente et assumée. Mélanger fiction et sujet politique (au sens sociétal j’entends) est particulièrement difficile.
Comment faire cohabiter les faits et l’émotion, indispensables à l’empathie pour des personnages ?
Qu’est ce qu’un film politisé (français) réussi selon moi?
C’est en visionnant plusieurs films traitant d’un sujet sensible (les violences policières, la prison, etc…) qui m’ont déçue, que je me suis demandée comment peut-on allier politique et fiction avec succès?
Ce type de film est particulier car il n’aura jamais vraiment raison. Pour des questions narratives il faut parfois prendre des raccourcis qui peut porter préjudices aux faits, le traitement de ces faits doit faire preuve d’une certaine objectivité pour être crédible, alors qu’il s’agit bien souvent d’un contexte lié à des individus, et donc différents points de vue.
Par ailleurs plusieurs questions épineuses se posent. Quel point de vue adopter pour faire comprendre une violence, notamment systémique? Comment filmer des victimes sans les acculer ou les réduire encore plus? Comment faire preuve de nuances et ne pas être trop manichéen? (quand bien même on constate toujours plus que le fossé entre les pauvres et les riches s’agrandit toujours plus, et est à l’origine de bien des maux? Doit-on être concerné-e pour évoquer un sujet, ou du moins prendre en compte les témoignages/ressentis de personnes concernées?
Je n’évoquerai pas les films qui évoquent un parti ou des hommes/femmes politiques car il est question bien souvent de dynamiques de pouvoir et de manipulation que de sujets réellement politiques.
Autant de questions auxquelles je vais tenter d’apporter une lumière, tout du moins mon regard.
Assumer la violence d’une oppression
Un des éléments les plus importants selon moi, est d’assumer la violence qu’engendre une oppression, et les impacts sur les personnes concernées.
La difficulté étant de ne pas basculer dans une sorte de torture porn, qui pourrait basculer dans une certaine complaisance vis à vis de la souffrance d’un personnage.
Je pense qu’il est nécessaire de montrer cette violence, si on s’assure de prendre en compte plusieurs aspects:
- la mise en scène est-elle du point de vue de la victime ou de l’agresseur?
- la durée des scènes violentes et la manière de les filmer. Est-ce long? Sur quoi et qui s’attarde-t-on?
- leur place dans la narration: élément déclencheur? twist? prétexte narratif qui ne fait pas avancer l’histoire?
- la caractérisation des personnages principaux et notamment ceux des victimes et des agresseurs. Est-elle développée? Pertinente? Cohérente avec le sujet du film?
- la violence représente-t-elle une réalité politique?
- Par qui est-il réalisé? Une personne concernée ou non?
Prenons l’exemple des films dits de « banlieues ». C’est un type de film complexe à réussir. Il faut éviter les clichés en évitant d’édulcorer les situations, et c’est facile de tomber dans des représentations manichéennes. D’autant que c’est un décor politique sujet à d’incessantes polémiques, avec une population stigmatisée quotidiennement.
La Haine, le plus populaire, est un film qui reste marquant car il se place du point de vue de mecs de banlieues, et qu’il est un des rares à être sans ambiguïté sur la violence policière. La scène de la garde à vue et la scène de l’exécution finale en sont les preuves. Par ailleurs, le film ne se vautre pas dans une surenchère de la violence:
- La scène finale est expéditive, tout comme le meurtre et cette mise en scène illustre la manière dont la violence s’exerce,
- Pendant la scène de la garde à vue, la caméra s’attarde peu sur les flics et plus sur le visage terrifié des personnages filmés comme des victimes.
- Il n’y a pas d’autres scènes de violences.
Si on est du côté des banlieusards, ils ne sont pas non plus évangélisés. Ils ne sont pas particulièrement malins, et sont empreints de misogynie. Ce qui apporte une crédibilité à l’ensemble.
Pour autant, le film marque des limites:
- Personnages féminins complètement oubliées et le peu qu’on en voit, elles sont soient pénibles, soit potiches. C’est quand même tout une partie de la population banlieusarde qu’on oublie. Ce sont pourtant beaucoup les femmes qui se mobilisent, notamment à travers d’associations.
- Les personnages de banlieues sont peu caractérisés, et cette absence de complexité n’élève pas la qualité de leur représentation,
- Le film démarre sur des images d’archives d’émeutes, avec une histoire sous fond d’un suspens sur un jeune entre la vie et la mort après sont passage à tabac par des flics. On a donc l’introduction d’un problème systémique, qui n’est finalement pas exploité dans le film. La réflexion politique est donc limitée.
- Le film est réalisé par un blanc privilégié d’une famille issue du cinéma, tout comme son interprète principal. La Haine sera leur aller simple pour la gloire. Ni l’un ni l’autre n’auront un engagement politique particulier par la suite, que ça soit à titre personnel ou via le cinéma (à part Kassovitz pour L’ordre et la morale). Toute la limite est là. Celle d’exploiter un sujet de misère sociale pour gagner la reconnaissance d’une élite qui se délecte de voir ces histoires qui, tantôt les font pleurer ou les bouscule (sans qu’elles soit directement pointée), dans leur confort bourgeois.
Les Rascals, sorti 27 ans après La Haine, reprend des éléments similaires:
- Une bande de jeunes de banlieue empreints de sexisme, qui peinent à trouver un but dans leur vie,
- Un ton léger et humoristique qui traverse une partie du film,
- Peu de scènes de violences mais très impactantes car clés dans la narration: agression raciste au début constituant le background du personnage principal, vengeance de ce même personnage qui sera l’élément déclencheur, et le final qui sera le climax en pointant bien les fachos qui sont les réels dangers.
A mon sens, le film est plus réussi sur deux points:
- Les jeunes sont beaucoup plus caractérisés. Leur violence n’est pas atténuée, et on sait d’où elle vient. Ils ont des aspirations propres (qui sont bien identifiées selon les personnages et pourtant il y en a beaucoup), même si freinées par leur statut social et le racisme. Ils sont nuancés (ils sont victimes de violences mais perpétuent des violences sexistes par exemple), ce qui permet de refléter une situation complexe et crédible.
- Si le film contient également peu de personnages féminins, celui de Frédérique est soigné. Sa trajectoire est compréhensible, ce qui permet une empathie, en évitant la caricature d’un personnage facho. Mais surtout, le film a l’intelligence à travers elle, de montrer la puissance de la manipulation de l’extrême droite sur les masses.
Louper sa portée politique alors que c’est le coeur de son sujet, c’est ce qu’a réalisé Mehdi Fikri avec Avant que les flammes ne s’éteignent. Le film est plus ou moins inspiré de l’histoire d’Assa Traoré. On ne peut donc pas faire plus politiquement assumé. Avec un sujet pareil, l’extrême droite a tenté d’hacker les notes AlloCiné pour les faire baisser. Pourtant, on a entendu aucun politique de droite ou d’extrême droite, flic etc, se plaindre publiquement du film. Cela s’explique finalement assez simplement. Avant que les flammes ne s’éteignent, ne voit aucune flamme démarrer. Alors que les violences policières est la problématique à traiter, on ne voit quasiment aucun flic, aucune violence policière. Le réalisateur semble avoir peur de la complexité du problème (qui existe d’un point de vue sociétal, social, juridique, étatique, etc..) et choisit de se concentrer sur son héroïne. Le problème c’est que compte tenu du sujet, les 2 ne peuvent pas être dissociés. Car l’histoire de d’Adama et Assa Traoré n’existe pas sans la réalité des violences policières. C’est d’autant plus étonnant que le réalisateur était journaliste à l’Humanité et était spécialisé dans le service police justice.
Plusieurs films se placent également du point de vue des policier. Que ça soit via l’ex flic devenu réalisateur Olivier Marshall avec 36 quai des orfèvres, La nuit du 12, Bac Nord ou Les Misérables.
Je ne reviendrai pas là non plus en détail sur les polémiques de Bac Nord car tout a été dit. S’il existe des films de droite et de gauche (de manière consciente ou inconsciente côté réalisation), il ne faut pas oublier qu’enfoncer des personnes déjà minoritaires et donc pénalisées au quotidien entraîne une responsabilité non négligeable.
Les Misérables se place du point de vue des policiers mais en montrant une tout autre facette. En revanche, le film lui aussi, n’ose pas affronter le sujet des violences policières (alors que lui aussi en fait son sujet principal). En effet, il s’agit d’une « vraie » « bavure » policière. Le flic n’a pas délibérément tirer sur le gamin. Et le film noie ce manque de courage en choisissant de pointer leur magouille pour cacher cette erreur. Or, avec tous les dossiers depuis les années 60/70, il y a matière à traiter de la violence policière volontaire et assumée.
Vermines (donc la politique n’est pas le sujet principal) montre des violences policières sans ambiguïté et l’extrême droite ne s’est pas préoccupée du film. Parfois la portée politique d’un film est finalement plus efficace quand ce n’est pas le sujet du film.
Le point de vue des personnes concernées
Il reste très compliqué de réaliser un film du point de vue des personnes de banlieues, car ce sont logiquement des personnes qui ont moins accès au cinéma.
Gagarine est un des rares exemples réussis. Il raconte l’histoire de la destruction imminente (et vraie) de la cité Gagarine à Ivry sur Seine qui a eu lieu en 2020. Youri, passionné d’astronomie, transforme la cité en environnement spatial pour tenter de résister à la destruction (on y voit évidemment un parallèle avec la réalité). Il est aidé par Diana, issue de la communauté Rom (certainement le 1er personnage de cette communauté traité qui n’est pas caricaturé au cinéma). Les personnages sont caractérisés et non caricaturaux, on sort du traitement classique du drame social. Les réalisatrices-eurs n’évitent pas la portée politique pour autant mais comme Vermines, ils utilisent un autre angle (fantastique, poésie).
Etre du point de vue des concerné-es n’en fait pour autant un film réussi. L’exemple de Bandes de filles est assez parlant. Je ne reviendrai pas en détail sur les problèmes du films déjà beaucoup évoqués, notamment ici. Le souci c’est qu’au delà de perpétuer les clichés sur la banlieue (qui plus est quand on ne fait pas l’effort de se documenter sur un sujet aussi sensible, comme l’a avoué Sciamma), c’est que ça distille l’idée que ces personnes sont responsables de leur malheur/choix. Dans la continuité de la fameuse doctrine « quand on veut on peut ». Or, pourquoi la drogue est dans les quartiers? Pourquoi les jeunes fuient systématiquement la police même quand ils n’ont rien fait? Quel système encourage la loi du plus fort? Ces questions sont rarement abordées, voire jamais.
Même problème avec Athena de Romain Gavras, qui sublime la répression. La chaîne Histoires Crépues l’explique très bien:
Si on s’écarte des films de « banlieue », Je verrai toujours vos visages évoque un sujet tout aussi politique: la justice réparatrice/restaurative. A l’heure où nous sommes, le tout répressif est d’autant plus la réponse à tout que l’extrême droite monte partout dans le monde. C’est un donc un sujet inaudible pour le moment, qui est pourtant essentiel. Le constat que la prison ne sert à rien, que les personnes enfermées ressortent bien souvent encore plus abîmées et dangereuses. Donc l’idée est de miser sur le dialogue entre victimes et agresseurs (pas forcément l’agresseur concerné d’ailleurs) pour leur faire réaliser les conséquences de leurs actes. Plusieurs féministes ont évoqué le sujet mais je vous conseille notamment cette émission, et surtout ce podcast de France Culture.
Pour avoir pas mal lu/écouté sur le sujet, j’ai trouvé le film de Jeanne Herry assez léger. Le film suit parallèlement l’histoire d’une femme incestée (Adèle Exarchopoulos) par son frère qui souhaite le rencontrer à sa sortie de prison pour établir des règles, et un groupe de paroles entre victimes et agresseurs (qui n’ont pas agressé ces personnes, mais en prison pour d’autres faits).
La partie avec le personnage de la soeur est réussi et touche juste que ça soit en termes d’émotion mais aussi d’un point de vue purement logique (elle souhaite se sécuriser pour ne pas le croiser à l’avenir). La partie thérapie de groupe me semble en revanche plus vaine et assez superficielle. Le problème est que le film n’explique pas assez le principe et la complexité sociétale, logistique, humaine de cette justice. Comme on s’y attend, les agresseurs sont pris d’empathie et tout le monde finit par manger des gâteaux ensemble. La réalité est quand même plus complexe, et il aurait été par exemple pertinent de pousser un peu plus le raisonnement: quid des meurtriers, (selon légitime défense ou pas)? quid des violeurs? (sachant qu’actuellement 0,6% des violeurs pour environ 70K de plaintes donc la question de la pertinence de la justice se pose).
Une femme du monde qui s’intéresse au milieu de la prostitution, est un des seuls films qui ne fait pas preuve de misérabilisme sur le sujet. La prostitution fascine et dégoûte depuis toujours, et le cinéma n’a pas été en reste à représenter ce milieu avec assez peu de nuances. C’est assez logique avec la société abolitionniste dans laquelle nous vivons.
Une femme du monde prend le contrepied en montrant pour la 1ère fois à l’écran le STRASS, le syndicat des travailleurs-euses du sexe (et qui est donc contre les lois pénalisant la prostitution). L’héroïne assume son travail (« sex work is work »), et se bat pour ses droits (en étant militante du STRASS), et aussi pour gagner sa vie, comme n’importe quelle travailleuse finalement. Rien n’est édulcoré et le film propose enfin un vrai portrait d’une travailleuse du sexe, en ancrant son propos avec un angle profondément politique. Car oui, la gestion du travail du sexe l’est. D’un point de vue économique, social etc…D’autant que le film n’oublie pas son sujet: suivre la détermination d’une femme à aider financièrement son fils. Il reste ancré dans sa problématique, dans son personnage. Elle n’est pas un prétexte à évoquer une lutte en oubliant de l’incarner à travers un personnage.
Le film politique sur les violences conjugales
Si les violences conjugables sont montrées à l’écran depuis toujours sans en avoir conscience (et notamment les violences sexuelles), le cinéma s’en empare de plus en plus pour le traiter politiquement.
C’est le cas dans le traumatisant Jusqu’à la garde de Xavier Legrand qui montre la tendance de la justice à continuer de donner des droits de gardes à des hommes violents avec les conséquences que cela entraine. Le film est du point de vue des victimes, avec une tension grandissante suscité chez le public qui traduit la tension propre des victimes de violences intra familiales. Car le film n’oublie pas que les violences conjugales ont aussi un impact sur les enfants.
C’est à mon avis un des soucis de L’amour et les forêts, qui alors qu’il y a des enfants, fait comme s’ils n’étaient pas là, ce qui occulte tout une partie des problèmes des violences conjugales. Par ailleurs, le film penche parfois dangereusement sur une certaine complaisance à filmer la douleur de la victime et manque cruellement de subtilité. Cette manière de traiter la violence conjugale (homme possessif, jaloux, impulsif, isolant, puis finalement violent), a été déjà vue 1000 fois (notamment à travers des téléfilms des années 90), et à l’heure de #metoo il aurait été bienvenue d’ouvrir d’autres angles.
Est-il nécessaire d’être concerné-e de près ou de loin par une oppression pour en parler? A mon sens non, car même si c’est le cas, cela ne veut pas dire que la personne aura les armes techniques et artistiques pour retranscrire à l’écran ce qu’elle voudra transmettre.
En revanche, dans tous les cas, cela implique un travail documentaire via divers formats et divers sources pour tenter d’avoir une vision globale de son sujet et capter les nuances et les complexités.
Et c’est souvent ce qui manque.
Si tout film est politique, il reste important que des films assument un sujet frontalement politique. Mais cela entraine une exigence en termes de recherches, de connaissances de son sujet, de savoir d’où on parle et avec quels angles. Mais pour cela, il faut déjà être conscient-e de ses propres biais, de son propre racisme ordinaire ou sexisme intégré.