femme avec arme et enfant

3-Souffrances sera ton destin

Il ne vous aura pas échappé que les femmes dans le cinéma de genre sont généralement maltraitées.
Logique me direz vous, car c’est un cinéma violent. La question est donc de s’intéresser à l’origine de ces maltraitances, et ce qui déclenche une action de la part de ces héroïnes. Si ça peut sembler anodin, c’est pourtant capital pour qualifier la perception que l’on a de ces personnages, et ce, sans qu’on en ait forcément conscience. Et comme le cinéma de genre s’inspire d’autant plus de la vie réelle, et est politique, comprendre ces mécanismes de personnages est important.

Je ne peux que commencer par ce qui est même devenu un sous genre du cinéma de genre: le rape & revenge.
Le principe est simple. Une femme souvent isolée, est violée, puis prépare sa vengeance. C’est un sous genre qui a explosé dans les années 70, dans un contexte tendu aux USA où les manifestations contre la guerre au Vietnam sont violemment réprimées. Parmi les plus célèbres on note They call her one eye, I Spit On Your Grave, La dernière maison sur la gauche, L’Ange de la Vengeance, The Nightingale
C’est un genre d’exploitation (produit avec peu de moyens, en grande quantité), qui est donc déconsidéré.

Ces films traduisent l’envie de révéler la force physique d’une femme à travers un viol, d’une part. Mais aussi de montrer son ingéniosité et son intelligence. D’une certaine manière, l’homme représente une violence nécessaire pour valoriser les capacités d’une femme. Par ailleurs, la femme reproduit finalement le comportement violent et barbare de l’homme.
Pauline Harmange, auteure de « Moi les hommes je les déteste » explique que les comportements destructeurs de masculinité ne sont en aucun cas à envier. Qu’ils sont autant dangereux pour les hommes, que pour les femmes ou toute personne issue des minorités. L’idée n’est pas de se hisser à une égalité pour déployer autant de violences et de toxicité.
De plus, l’arc narratif en devient assez pauvre. En effet, il n’y a de place que pour cette vengeance. On ne se concentre pas sur les sentiments du personnage féminin. Elle n’est définie que par ce(s) viol(s), et/ou sa vengeance meurtrière.

C’est exactement ce schéma qu’on retrouve dans Bulbbul. Le film se démarque d’un classique rape & revenge par son esthétique fantastique et onirique marquée plutôt réussi. Pour autant le personnage féminin est une sorcière vengeresse parce qu’en plus de subir humiliations et mariage forcé, elle a été violée par son beau frère handicapé (…..). Et cette scène est complètement ratée à mon sens. La mise en scène prend le parti de l’escalade de la complaisance de la souffrance. Car avant, on aura déjà assisté au déchaînement de violence de son mari pour lui casser les chevilles, et c’est pendant sa convalescence que le viol aura lieu. La caméra s’intéresse plus à nous dégoûter, qu’à nous mettre aux côtés de la victime et son ressenti.

Paye ton cliché

Mais au delà de ce constat, ces films participent à perpétuer des clichés sur le viol. Le classique, celui du viol commis par l’inconnu, le déviant (alors que 80% des viols sont commis par l’entourage). Mais aussi le cliché que le viol est forcément commis avec violence, de manière très brutale. Or le viol est aussi un acte qui peut être commis sans rage, sans contrainte physique, empreintes d’idées reçues sur le consentement. Et pourtant ce sont bien des viols. Mais le manque de pédagogie autour du consentement, additionné à une unique représentation, fausse notre perception de la réalité sur ce crime.
C’est dommageable parce que traiter le sujet s’inspirant un peu plus de la réalité des comportements humains, ferait des films plus percutants.
La notion de consentement existe peu au regard des dominations de genre/classe/orientation sexuelle qui existe dans nos sociétés. Aurélia Boucherie l’explique bien dans son livre, « Troubles dans le consentement« .

Il serait aussi opportun que les histoires se concentrent davantage sur le ressenti de la victime, quel qu’il soit. Souvent la violence se résume à la vengeance qui est sensée apaiser la victime de son traumatisme.
Hors, c’est évidemment plus compliqué que cela. Les ressentis peuvent être tout à fait différents d’une victime à une autre, cela pourrait donc être une niche d’idées pour renouveler les représentations.
J’ai conscience que le rape & revenge a une dimension de « divertissement » avec la jouissance de voir un déchaînement de violence s’abattre sur les bourreaux, sans travailler les personnages. Mais on peut demander maintenant une évolution du genre. Surtout maintenant, surtout après #metoo.

Mais..il y a des éléments à nuancer. Tout d’abord, ces films peuvent aussi avoir une dimension cathartique. En effet, pour que celle-ci fonctionne bien, il faut de la peur, et de la pitié. Autant dire que le rape & revenge coche plutôt bien les cases.

Ensuite, même si la représentation de ces crimes est souvent puante et erronée, il reste que les femmes sont les 1ères victimes de viol. Au moins on ne perd pas de vue que c’est une oppression systémique envers les femmes.
De plus, plusieurs témoignages dans le podcast Les Pieds sur Terre de France Culture montrent la complexité du sujet. Une femme racontait qu’elle avait été victime 2 fois. La 1ère fois elle était allée devant la justice. La 2ème fois, elle s’est défendue pendant l’agression et n’a pas ménagé ses coups. Elle avouait que le fait de se défendre elle même, de reprendre en main la situation et donc le contrôle, l’avait beaucoup plus apporté satisfaction.

Enfin, le genre tend à proposer des films qui prennent un peu de hauteur. Même si Revenge souffre des défauts mentionnés plus haut, la scène de viol n’est pas voyeuriste. Par ailleurs, j’aime beaucoup le questionnement qui est posé sur le regard qu’on pose sur une femme ultra sexualisée. Sans compter que c’est l’homme misogyne qui se retrouve nu dans l’affrontement final.

On peut noter aussi que si les films de Tarantino ne sont pas tant féministes comme je le lis souvent, il traite aussi les viols dans Kill Bill en hors champ, et n’en fait pas l’enjeu principal.
Je pense également à Elle, où la question du viol (qui plus est d’une femme d’une soixantaine d’années), est centrée sur les ressentis du personnage concerné.
Enfin, si l’excellent Alone fonctionne sur des ressorts scénaristiques propres au rape & revenge, le viol n’a pas lieu. Et la vengeance se fait aussi à travers la victime qui fait voir le vrai visage de l’agresseur à sa famille.

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